Une école inclusive : aussi pour les élèves avec une déficience intellectuelle ?

Une école inclusive : aussi pour les élèves avec une déficience intellectuelle ?

  1. Les défis posés par l’accueil d’un élève avec déficience intellectuelle dans l’enseignement ordinaire

Progresser dans le sens d’une éducation inclusive à l’école va demander

  • D’articuler les objectifs définis pour l’ensemble des élèves avec les objectifs plus particuliers de l’élève avec déficience intellectuelle
  • D’utiliser les outils et ressources existant dans chaque classe, dans chaque école pour mettre en place un programme répondant aux besoins de tous
  • Se référer aux compétences transversales (savoir écouter, savoir raconter en choisissant les bons supports, savoir poser des questions, etc.)  pour construire sa démarche méthodologique
  • Construire un bulletin axé sur la progression dans les compétences et élaborer un portfolio pouvant suivre l’élève tout au long de sa scolarité
  • Penser une progression de l’élève avec déficience intellectuelle sans viser nécessairement l’obtention d’une certification finale (CEB,…)
  • De se rappeler que tout enfant apprend mieux par plaisir et curiosité et que la sphère relationnelle et émotionnelle doit être prise en considération à tout moment
  • Croire dans les potentialités de tout enfant et proposer des défis d’apprentissage : les recherches scientifiques basées sur un suivi longitudinal de cohortes d’élèves, montrent que des apprentissages sont possibles au niveau de la littératie et de la numératie.
  • Penser en termes de parcours de vie en prenant en compte les besoins de l’enfant une fois celui-ci devenu adulte et ne le conduire pas à pas vers l’autodétermination
  • Modifier radicalement notre mode de partenariat avec les parents et ce, dès l’annonce de la déficience : en effet, la manière dont ceux-ci sont amenés à découvrir le handicap et à exercer leur parentalité face à cet enfant va les conduire ou non à aborder le monde scolaire de manière positive et dans une optique d’éducation inclusive. Se rappeler aussi que les structures précédant l’école (crèches, pré-gardiennats) doivent également concevoir une approche inclusive.
  • Sensibiliser les pairs de l’élève à ce qu’implique la déficience afin de développer des interactions positives entre élèves
  • Sensibiliser les autres parents et rencontrer leurs craintes quant à l’impact d’un enfant avec déficience intellectuelle sur le groupe-classe en montrer les effets bénéfiques pour tous les élèves
  • Permettre à l’élève avec déficience intellectuelle de rencontrer d’autres élèves ayant des caractéristiques de fonctionnement similaires
  • Veiller à assurer dès le départ de l’accueil de l’élève en enseignement ordinaire, un suivi tout au long de sa scolarité sans devoir se baser uniquement sur la bonne volonté d’un seul enseignant mais en impliquant toute l’équipe éducative
  • Arrêter de faire de l’intégration un privilège pour l’enfant et sa famille : l’accueil en enseignement ordinaire est un droit      
  • Rencontrer les peurs et questionnements des enseignants, les informer, leur donner des ressources adéquates et les aider de manière pragmatique (accompagnement sur site). A cet égard, il s’agit de mieux coordonner les ressources existantes et les rendre accessibles.
  • Réfléchir à la manière dont les ressources de l’enseignement spécialisé peuvent être mises à disposition de l’enseignement ordinaire et de manière plus générale, envisager l’avenir de la structure de l’enseignement spécialisé (soutien en enseignement ordinaire, accueil d’élèves en situation de handicap très sévère, intervention d’enseignants chevronnés dans la formation, etc.)
  • Avoir un engagement clair de la part des pouvoirs organisateurs dans le sens d’une évolution vers un enseignement inclusif
  • Associer tous les acteurs concernés dans la communauté scolaire et autour de celle-ci (services d’aide précoce, services d’aide à l’intégration, CRF mais aussi les médecins généralistes, neurologues pédiatres). Plusieurs de ces acteurs sont amenés à jouer un rôle de facilitateur, de médiateur dans le dispositif d’intégration.
  • Quels sont les apports du Pacte pour un enseignement d’excellence ?

Tout comme le rappelle l’avis d’UNIA du 15 mars 2017, le Pacte confond intégration et inclusion. De plus, la volonté est de limiter le nombre d’élèves dans l’enseignement spécialisé à ceux pour lesquels des aménagements raisonnables dans l’enseignement ordinaire ne s’avèrent pas suffisants (p 236 du Pacte).

Le Pacte ne propose pas une stratégie bien définie pour faire évoluer notre enseignement vers un enseignement plus inclusif.

Le Pacte fait la distinction entre aménagements imposables et aménagements conseillés, ce qui ne correspond pas à la Convention : les aménagements sont obligatoires dans tous les cas et doivent être mis en place dès qu’ils sont sollicités.

Ceci étant,  potentiellement positifs, à savoir

  • Le renforcement du partenariat parents-professionnels ;
  • L’idée d’un dossier unique qui suivrait l’enfant tout au long de sa scolarité
  • Le rôle d’une expertise en orthopédagogie qui viendrait de l’enseignement spécialisé
  • L’obligation d’accueil et de mise en place d’aménagements dans le cadre de pôles régionaux : l’idée serait donc de développer des écoles inclusives par pôles territoriaux. Cette formule risque évidemment de conduire au regroupement d’élèves dits à besoins spécifiques dans des écoles que l’on qualifierait d’inclusives !
  •  Stigmatisation de l’élève : les procédures d’évaluation et d’orientation

Sans nier la nécessité d’une évaluation correctement menée et de manière pluridisciplinaire, il importe de quitter un mode d’évaluation uniquement centré sur le relevé de déficiences et l’indication des écarts par rapport à une norme (vision très statique) pour adopter une évaluation plus qualitative et fonctionnelle des compétences de l’enfant en termes de profil des forces et faiblesses. L’évaluation ne doit pas contribuer à exclure l’enfant : nous observons encore beaucoup trop souvent que c’est sur la seule base du quotient intellectuel qu’un enfant est orienté vers l’enseignement spécialisé.

Une telle démarche évaluative plus qualitative va permettre de réfléchir aux adaptations qu’il s’agira de mettre en place en classe.

Ce travail d’évaluation demande du temps et donc des moyens financiers.

Par ailleurs le développement d’un dossier unique de l’enfant, qui puisse le suivre et dans lequel sont consignés ses progrès, quel que soit le service fréquenté est nécessaire pour assurer une coordination et une cohérence des interventions dans le temps. Pour faciliter le partage entre les divers intervenants, on peut concevoir un dossier informatisé.

Il serait donc important que les formations données aux psychologues et aux neuropsychologues soient davantage axées sur une évaluation dynamique. En particulier les psychologues des CPMS et des centres agréés ne devrait plus pratiquer l’orientation sur la seule base d’un diagnostic s

Par ailleurs, l’ensemble des professionnels devraient mieux connaître les enjeux de l’intégration et ceux de l’inclusion. Ces professionnels doivent prendre conscience que toute stigmatisation de l’élève comme « incapable » va marquer la personne à vie.

  • Organiser le curriculum de l’élève : quels apprentissages faut-il privilégier et comment ?

Il s’agit d’approcher toute élève dans sa globalité avec un projet pense de manière personnalisée. Le PIA est vu comme un outil rassembleur (et obligatoire) avec consignation des attentes des parents et de l’élève, la reconnaissance des divers obstacles aux apprentissages ainsi que les moyens pour tenter de les surmonter. Ce PIA est aussi un outil de communication avec le C.PMS et les divers partenaires extérieurs. C’est un outil de formation réflexive. Il doit bien entendu reprendre les objectifs visés, les moyens que l’on va dégager, la répartition des rôles de chacun, des critères sur lesquels portera une évaluation ainsi qu’un échéancier. Idéalement ce PIA sera rédigé dans un langage accessible à tous, dont l’élève.

Les apprentissages sont à promouvoir tant sur le plan cognitif que socio-émotionnel et ils doivent permettre de maintenir une bonne qualité de vie tant pour l’élève que pour sa famille.

Les contenus vont concerner les domaines du lire, écrire et calculer, la communication, la socialisation, l’autonomie (capacité à faire des choix) et l’indépendance fonctionnelle, l’acquisition de repères spatio-temporels, l’acquisition de compétences transversales et disciplinaires permettant d’amplifier les domaines de l’estime de soi, de l’autodétermination, du sentiment d’efficacité personnelle. La pédagogie devra s’adresser aux divers sens (ouïe, vue, tact, odorat et goût). Il faut laisser l’enfant avec déficience intellectuelle progresser à son rythme en s’appuyant sur ses capacités développementales, en pensant à la nécessité des répétitions pour consolider les acquis et en privilégiant les supports visuels.

Il faut encourager l’investissement des espaces extérieurs en continuité avec l’espace de la classe et comme support à divers apprentissages favorisant la mobilisation de différentes formes d’intelligence.

La pédagogie par projets, le travail coopératif (spontané et organisé) et le tutorat seront ainsi facilités.

L’apport d’une approche différenciée dans l’enseignement est aussi reconnu comme favorisant les apprentissages de tous.

Comme la littérature le recommande, il faut laisser l’enfant dans sa classe d’âge.

Enfin, il est important que l’élève soit correctement installé en classe : l’aide d’un ergothérapeute ou d’un kinésithérapeute peut s’avérer très utile.

  • Organiser l’école

Il parait nécessaire de penser les soutiens présents dans l’école et dans la classe comme non stigmatisant pour un élève en particulier. La personne ressource devrait donc travailler avec le groupeclasse. Par ailleurs il s’agit d’éviter de sortir l’élève de son groupe-classe pour des activités plus individuelles.

Il faut bien entendu disposer de moyens financiers adéquats pour mettre en place certaines adaptations et disposer du matériel nécessaire, sans que l’enseignant n’ait à payer du matériel de ses propres deniers.

L’idée de donner un pot aux écoles pour leur permettre d’en disposer et se donner les moyens humains et matériels nécessaires est évoquée. Le maître mot est la souplesse, par exemple au niveau de la répartition des heures de l’enseignant qui accueille des élèves avec déficience intellectuelle dans sa classe.

L’engagement d’orthopédagogues (niveau bachelier) et d’orthopédagogues cliniciens (niveau master)  réfléchir l’organisation de la classe et de l’école, apporter les ressources complémentaires utiles en fonction des besoins, coordonner les interventionsun partenariat avec les familles.

Parmi les ressources externes à l’école, les services d’aide précoce, les services d’aide à l’intégration, les CRF, et d’autres services (asbl, services hospitaliers) tentent d’apporter une aide. Les conseillers pédagogiques ont un rôle important à jouer. Les associations de parents devraient aussi contribuer à l’évolution de l’école vers une école inclusive.

En lien avec le projet autour de l’enfant et avec lui, il s’agit de dégager un temps de concertation entre les divers acteurs dans le fonctionnement de la classe et de l’école.

Le rôle de la direction est mis en avant : il faut que toute l’équipe se sente concernée par le projet d’évolution de l’école vers une école inclusive.

Contrairement à l’idée généralement répandue, l’accueil d’un élève avec déficience intellectuelle au niveau maternel n’est pas plus facile même si les contraintes de l’évaluation sont absentes. Les enseignants de ce niveau ont un programme.

Plusieurs enseignants signalent qu’ils doivent déjà faire face à une diversité de difficultés chez les jeunes enfants.

Enfin, nous avons vu qu’une vingtaine de projets de classes intégrées (appelées de manière erronées « classes inclusives ») se sont développées. Ces dispositifs ont chacun leur histoire et se présentent sous des formes différentes. On peut penser que l’existence même de ces classes contribue à une sensibilisation au sein de l’école. De plus, elles permettent à l’élève avec déficience intellectuelle de ne pas se sentir seul au sein de l’école et de ne pas être stigmatisé. Ces projets bénéficient d’une aide de la part de chargés de mission. Il est important de souligner que les activités communes entre les élèves de cette classe et les élèves des autres classes doivent être pensées et organisées. La question est donc posée de savoir si ces classes p constituer une démarche transitoire dans le cheminement d’une école vers une école inclusive au sens propre.

  • Sensibiliser à la différence au sein de la classe, de l’école et maintenir les interactions entre élèves avec déficience intellectuelle et ses pairs

Il s’agit de travailler à la cohésion du groupe-classe et comme déjà mentionné plus haut, les approches comme le tutorat, l’apprentissage coopératif y contribuent.

Il s’agit aussi de permettre à l’enfant avec déficience intellectuelle de se présenter.

Les activités d’information et de sensibilisation doivent s’adresser à l’ensemble de la communauté scolaire. Le conseil de participation peut être utilisé comme un espace d’échanges et de sensibilisation. Les parents de l’enfant avec déficience intellectuelle doivent, tout comme les parents des autres enfants, être impliqués dans une réflexion centrée sur l’intérêt de la démarche inclusive. La communauté scolaire devient ainsi une communauté apprenante et créative.

Dans le cadre de l’évolution de la classe, de l’école vers une structure inclusive, les pairs doivent être considérés comme des partenaires incontournables.

  • Partager des ressources et (re)penser la formation tant initiale que continuée des professionnels

L’idée du partage des expériences et des savoirs autour de la démarche inclusive apparaît comme essentiel :au sein de l’école, entre les écoles, il s’agit de mettre en place des forums d’échanges et de diffuser de petits documents informatifs sans que ceux-ci ne soient présentés comme des « recettes » toutes faites. La diffusion de brochures à la fois sur la connaissance des droits et des procédures et à la fois sur le quoi faire et comment, avec quels objectifs est perçue comme très utile. Des sites existent et méritent d’être consultés : UNIA, ONE, Aviq, Phare, Inclusion asbl, Prebs (Portail de référencement pour l’enfant à besoins spécifiques), sites de diverses associations.

Le concours de personnes adultes avec déficience intellectuelle (comme les membres du Mouvement Personne d’Abord) a un rôle important à jouer pour informer sur leur parcours propre et leur expérience et ainsi alimenter une réflexion.

Enfin, les campagnes de sensibilisation pour le grand public sont aussi à organiser en se demandant quel est le message à faire passer et pour quel public prioritaire.

En conclusion

Trois phrases choc

  • Pourquoi pas un droit  au même titre que l’implant cochléaire, le port de lunettes, l’utilisation d’une voiturette. Et pourquoi doit-on encore négocier des aménagements qui de plus, sont dits dev être raisonnables ?
  • Ce n’est pas aux parents de défendre le droit à l’Education pour leur enfant déficient dans le cadre d’une école d’enseignement ordinaire. Il faut une démarche plus globale de notre société.
  • Pourquoi continue-t-on à confondre les concepts intégration et inclusion et pourquoi n’entrevoit-on pas les réels enjeux de la démarche inclusive ? Les initiés ne devraient-ils pas utiliser ces concepts de manière plus précise afin de ne pas promouvoir des représentations erronées au sein du monde de l’enseignement et plus largement au sein de la société.

21 novembre 2017, Synthèse du colloque par le Prof.ém. J.-J. Detraux, administrateur de la Ligue des Droits de l’Enfant. La présente synthèse est basée sur les notes prises au cours de la journée par Bénédicte Decleyre et JJ Detraux ainsi que sur les diverses notes qui nous ont été adressées par les intervenants et par des participants.

Pour une école ouverte aux différences de genres

Pour une école ouverte aux différences de genres

L’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle doit aussi lutter contre les stéréotypes de genre et re­latifs à l’orientation sexuelle

Introduction

Depuis près de 10 ans, la Ligue des Droits de l’Enfant défend les droits des élèves LGBT et de leurs familles. La lutte contre le sexisme, l’homophobie et la transphobie font parties pleinement de nos missions, comme la défense de tous les Droits de l’Enfant. Nous militons pour que l’Ecole remplisse sa mission éducatrice, mais c’est difficile. Elles ne sont pas formées (ou plus exactement, ne se sont pas formées) à cet aspect de l’éducation et se reposent principalement sur l’EVRAS (Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle), alors que chaque enseignant doit être capable d’y former leurs élèves, depuis le plus jeune âge. Or, nous sommes loin du but, comme va vous le montrer cette analyse. Après cela, il ne restera plus aux enseignant.e.s, éducateurs et éducatrices, animateurs et animatrices, qu’à se former et remplir leur mission éducative, avec un esprit critique de qualité.

Selon le rapport de SOS-homophobie (France) datant de 2012[1], la moitié des élèves interrogé·e·s affirme ne pas connaître de personnes homosexuelles (68% pour les garçons), et 58 % n’ont jamais abordé le sujet de l’homosexualité en famille (70% pour les garçons). Dans chaque cas, les réactions de rejet sont en proportion inversée : 36 % de réaction négatives à l’idée de rencontrer une personne homosexuelle pour les élèves qui n’en connaissent pas (contre 10% pour ceux qui en connaissent) et 30% de réactions hostiles (contre 8%) pour ceux qui n’en parlent jamais en famille.

Pourquoi en serait-il autrement en Belgique ? Ces dernières semaines, au moins trois agressions homophobes ont eu lieu à Bruxelles. Cela montre que le cœur de l’Europe est loin d’être épargné par l’homophobie. Le fait que ce soient cinq mineurs d’âge qui aient agressé un couple dans le centre de Bruxelles, démontre que l’éducation au respect de toutes les différences est défaillante dans certaines familles. Pire, les révélations sur la formation des imams, suite à l’enquête sur la Grande Mosquée, nous font craindre le pire[2]. L’Eglise catholique n’est pas en reste avec des représentants ouvertement homophobes[3]. On ne sait rien de la formation des religieux d’autres cultes, mais aucune confession n’est à l’abri de dérives visant celles et ceux qu’elles considèrent comme étant en dehors de leurs « normes » : personnes LGBTQI, divorcé·e·s, remarié·e·s, militant·e·s pour l’IVG, etc. Si des jeunes ne sont pas confronté·e·s à un discours progressiste, porteur de valeurs humanistes, des faits graves d’agressions homophobes seront toujours à craindre.

L’EVRAS, une des missions de l’Ecole

L’EVRAS (Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle) est obligatoire depuis 2012. L’objectif est d’augmenter la connaissance des jeunes en matière de vie relationnelle, affective et sexuelle et s’approprier ces connaissances. Trois séries d’acteurs sont répertoriées : les CPMS, les Centres de planning familial et, enfin, le secteur associatif.

Les missions de l’Evras portent sur la citoyenneté, le lien à l’autre, les problématiques liées au genre, les différences sexuelles, les MST, etc. Il s’agit aussi de déconstruire les stéréotypes et de lutter contre l’homophobie, ainsi que d’informer sur la diversité et de favoriser l’intégration au sein de l’école.

Au niveau primaire, ce sont les P.S.E. et C.P.M.S. qui interviennent, mais aussi et surtout les enseignant·e·s. Les plannings familiaux, quant à eux, interviennent plutôt au niveau du secondaire, tout comme les associations LGBT.

Malheureusement, selon certain·e·s de ces intervenant·e·s, leur formation est déficitaire. Il n’y a pas d’obligation d’être formé·e·s auprès d’acteurs ou d’actrices spécialisé·e·s, que ce soit au niveau de l’identité de genre ou sur quelque diversité de genre que ce soit. Il ne leur est donc pas possible d’aborder ces sujets dans les classes. On constate également que dans des grandes villes comme Bruxelles, la question est parfois mise de côté, par peur de réactions négatives des élèves. Pourtant, la circulaire Neutralité précise que l’école ne s’interdit l’étude d’aucun champ du savoir. Quand des enseignant·e·s décrètent qu’il y aurait des thématiques qui sont taboues à l’école, c’est contraire au Décret neutralité. Ils/elles doivent pouvoir parler de tout et ont pour devoir de transmettre à l’élève les connaissances et les méthodes qui lui permettent d’exercer librement des choix.

Il y a clairement un manque de formation initiale des enseignant·e·s. Les Hautes Ecoles ne proposent qu’un cours « fourre-tout » sur la diversité culturelle et les orientations de genre. Les formateurs et formatrices d’enseignant·e·s ne sont pas formé·e·s, ce qui est un comble. A leur corps défendant, la communauté française n’estime pas cette formation importante. En effet, elle prévoit tellement peu d’heures (30h) que les formatrices et formateurs ne s’impliquent pas réellement.

Il y a un réel déficit de connaissances de la part des acteurs et actrices scolaires et des intervenant·e·s en EVRAS, notamment sur la manière d’aborder ces thématiques avec des publics divers et diversifiés. Une école n’est pas l’autre et les difficultés auxquelles doivent faire face les enseignant·e·s sont très variées.

La plupart des appels d’écoles aux associations sont liés à des incidents critiques. L’appel peut émaner de l’agent d’un CPMS, d’un·e enseignant·e, d’un·e éducateur·trice parfois. C’est quand un problème se pose qu’on commence à y penser. De l’importance donc, de pouvoir faire un travail, non seulement avec les élèves mais aussi avec les équipes pédagogiques. Lors d’une demande d’interventions, les associations LGBT proposent une demi-journée de formation en préalable avec l’équipe pédagogique, avant de commencer le travail avec les jeunes. Les écoles sont, en général, prêtes à mettre en place toute une série de choses pour pouvoir accueillir ces formations. Les demandes sont supérieures aux moyens des associations.

Comment se former et où s’informer ?

Dans les écoles, il n’y a pas que l’EVRAS en matière d’orientation sexuelle. Chaque enseignant·e doit attacher de l’importance aux références et aux représentations qu’elle/il apporte aux enfants et aux jeunes. L’étude des CEMEA sur les questions de genre dans les manuels scolaires présente une série de recommandations pour permettre d’aborder des thématiques qui traitent d’identités de genre[4]. Cela revient à la question « Moi, enseignant, qu’est-ce que je fais ? Comment est-ce que j’intègre, dans mes pratiques quotidiennes, notamment, la thématique de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle ? Comment est-ce que j’inclus les diversités ? »

Au niveau de la formation en cours de carrière, la première porte d’entrée institutionnelle est l’IFC (Institut de formation en cours de carrière). L’IFC permet à un large panel d’enseignant·e·s d’être touché·e·s… s’ils/elles le souhaitent. Fort heureusement, être enseignant·e·s, c’est aussi et surtout avoir la capacité de se former soi-même. Par des recherches, par des lectures, en assistant à des conférences, en se documentant sur Internet ou en bibliothèque. C’est, d’ailleurs, ce que font les enseignant·e·s consciencieu·x·ses.

Il y a des outils. Dans les bibliothèques, il y a des ressources sur les questions d’identités de genre et d’orientation sexuelle. Il y a des catalogues de livres hétéro-centrés. Tous les enseignants ne vont pas chercher dans les bibliothèques mais c’est la mission des C.P.M.S. que de leur venir en aide et les conseiller. S’il y a une priorité à donner en matière de formation, c’est vis-à-vis des agents de CPMS. Dans les centres de promotion de la santé, il y a également des outils de sensibilisation.

Pipsa.be, est un site Internet assez complet d’outils pédagogiques en promotion de la santé.

Il faut éduquer aux différences de genre le plus tôt possible

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a beaucoup de demandes qui viennent des écoles primaires. Malheureusement, la plupart des moyens sont centrés sur le secondaire, mais il est important de pouvoir commencer le plus jeune possible. Mais c’est un combat de chaque moment. Ce n’est pas lié à l’EVRAS ? C’est lié à l’enseignant·e dans son quotidien face aux élèves : « Qu’est-ce que je lis comme histoire, comment est-ce que j’organise ma classe, comme et est-ce que je m’exprime auprès des élèves, comment est-ce que … » L’Evras n’est qu’un outil. L’important est le respect des droits fondamentaux des élèves en évitant toute forme de discrimination, même symbolique, que ce soit dans le quotidien de la classe et de l’école (cours de gymnastique/natation ségrégés, cours de récréation dédiées au football, …), mais aussi dans les cours : Maman ne s’achète plus un lave-vaisselle et papa une nouvelle voiture.

Ecole et « neutralité »

Quand on parle de neutralité à l’école, cela vise d’abord et avant tout la question des convictions religieuses, des convictions philosophiques, des convictions politiques et, éventuellement, même si ce n’est pas dit explicitement, les convictions syndicales. Certaines écoles refusent erronément d’éduquer à la différence de genre par volonté de « neutralité ».

L’orientation sexuelle n’est pas une conviction. Dès lors, le concept de neutralité n’a pas à s’appliquer. Ce qui peut être demandé, c’est de ne pas être un militant. Cela vaut pour n’importe qui d’autre et pour n’importe quel autre sujet de société. Est-ce que l’identité se réduit à sa religion ou son orientation sexuelle ? Nous avons des identités multiples. On peut être à la fois religieux et à la fois homosexuel. Réduire l’identité des élèves à une seule caractéristique poserait la question des ghettos.

En conclusion

L’école est avant tout un lieu d’éducation et, en priorité, à l’éducation au vivre ensemble. On doit y apprendre aux élèves – au travers de « matières » plus ou moins utiles – à faire société, à être capables une fois adultes à œuvrer pour une société plus juste, plus tolérante et plus respectueuse de tou·te·s. Nous militons pour que toutes les écoles deviennent des ECOLES POUR TOU·TE·S.

Toute personne intéressée par la mise sur pied d’un projet d’ECOLES POUR TOU·TE·S est la/le bienvenu·e pour nous aider. Nous vous invitons à nous rejoindre. Que l’on soit LGBTQI ou hétéros, nous sommes tou·te·s concerné·e·s par les différences de genres.


[1] https://www.sos-homophobie.org/sites/default/files/rapport_annuel_2012.pdf

[2] Le Centre islamique et culturel de Belgique enseignait une vision sans discernement du droit islamique et doctrine du IXe au XIIe siècle. Ce qui veut dire, notamment, une exaltation du djihad armé, mais aussi des méthodes pour exécuter par exemple les homosexuels. Dans un autre manuel dont disposent les imams formés au centre, on retrouve même des appels à l’antisémitisme. Source RTBF : https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_l-ocam-inquiet-de-la-formation-des-imams-en-belgique?id=9913436

[3] France Culture rappelle à l’ordre l’Église après une homélie anti-mariage pour tous et anti-avortement diffusée en direct https://www.huffingtonpost.fr/2018/07/24/france-culture-rappelle-a-lordre-leglise-apres-une-homelie-anti-mariage-pour-tous-et-anti-avortement-diffusee-en-direct_a_23488288/

[4] http://www.cemea.be/IMG/pdf/Manuels_scolaires_et_stereotypes_sexues_eclairages_sur_la_situation_en_2012.pdf

Pandémie : pourquoi des écoles ont-elles continué à pratiquer la sélection ?

Pandémie : pourquoi des écoles ont-elles continué à pratiquer la sélection ?

Analyse

Pourquoi de nombreuses orientations et redoublements ont-ils eu lieu en cette période de pandémie, alors que la consigne était de rendre le redoublement exceptionnel ? Pour les enseignants qui ont connu les grandes grèves des années 1990, cette consigne était logique et leur rappelait pas mal de souvenirs. 1996-1997 a vu le taux de redoublement diminuer drastiquement parce que l’année avait été écourtée (voir ci-dessous).


Source Indicateurs de l’enseignement 2011 p 37, montrant la chute significative des taux de redoublement en 1996‑1997, qui résulte vraisemblablement des grèves qui se sont déroulées durant le premier semestre 1996.

On pouvait espérer le même dénouement en 2020. Mais la situation n’est plus la même. En 1996, Les élèves se battaient avec leurs profs pour défendre l’école. Aujourd’hui, l’ennemi est un virus. L’école n’a plus de raison de leur être reconnaissante.

Aussi, dès l’annonce de la Ministre limitant le redoublement pour cause de covid-19, il ne faisait pas l’ombre d’un doute pour les associations qui défendent les droits fondamentaux et les droits des élèves et des familles, que ce ne serait jamais qu’un vœu pieux.

Depuis le Décret Missions, toujours pas respecté depuis 1997, on sait que quand le Gouvernement décide, les écoles disposent. Le Politique l’a bien compris puisqu’il commence la circulaire par ces mots « Il convient tout d’abord de rappeler que c’est le Conseil de classe qui reste compétent pour décider de la réussite ou non d’une année d’études ou de l’ajournement d’un élève ».

Tout est dit : le redoublement doit être limité mais c’est l’école qui, in fine, décide. Autrement dit, ne changeons pas des pratiques qui perdent.

Et qui perdent qui ? Les élèves !

Il est clair que le Gouvernement ne se faisait guère d’illusion, malgré sa demande, un peu plus bas dans la circulaire : « Il conviendra de faire preuve de bienveillance dans l’appréciation des acquis des élèves, particulièrement lorsque les difficultés éprouvées par ceux-ci sont de toute évidence liées au contexte sanitaire. »

Car, toute décision prise, quelle qu’elle soit : passage dans la classe supérieure, examens de passage, redoublement, orientations, a été inévitablement liée au contexte sanitaire. Qu’ont-elles jugé, ces écoles ? Seulement un petit 2/3 d’année ! Plus précisément 118 jours sur 182. Et si on retire les jours blancs inutilement perdus en décembre[1], on tombe à une toute petite centaine de jours sur 182, soit une grosse demi-année.

Qui donc est capable de juger de la capacité à passer dans la classe supérieure sur si peu d’apprentissages ? Personne ! Déjà que les recherches en docimologie ont démontré que personne n’était capable de juger un·e élève avec des points. Alors sur une bonne demi-année, c’est tout simplement du mépris, de la discrimination des élèves à l’état pur. Et pas n’importe lesquels et pas pour n’importe quelle raison. Car ici, il ne s’agira pas de juger de la capacité d’un·e élève à passer dans la classe supérieure – ce qui est impossible – mais de pratiquer une sélection sociale. Bref, de continuer des pratiques de sélection bien ancrées dans nos écoles et qui existent depuis le XVIe siècle.

La question qui mérite d’être posée est « Pourquoi certaines écoles gardent-elles cet objectif de tri et de sélection, malgré la crise qui a frappé toute notre société ? » 

Nous allons vous expliquer pourquoi ces écoles ne vont pas changer. Mieux encore, pourquoi elles ne peuvent pas changer…

Rappelez-vous quand Ignace de Loyola fit de l’école l’instrument de la reconquête catholique (la Contre-Réforme) afin de contrecarrer l’expansion protestante sur l’un de ses terrains de prédilection : l’accès aux savoirs religieux et laïques. Les écoles deviennent élitistes. Il s’agit de privilégier les plus méritants et d’éliminer les autres. Il a donc élaboré un système sélectif qui perdure encore aujourd’hui dans certains pays arriérés sur le plan pédagogique. En FWB nous sommes encore dans l’école du 16e siècle. Et c’est bien de cela que nous parlons aujourd’hui.

Revenons à la question du jour. Pourquoi des écoles vont-elles, envers et contre tout, continuer leurs pratiques de sélection ?

On vient de voir que monsieur de Loyola et les écoles jésuites n’y étaient pas pour rien. L’objectif était de pratiquer une sélection sociale et cet objectif reste prioritaire dans le chef de nombreuses directions d’écoles. Pas sous ces termes-là, bien sûr. Ils ont évolué et se sont transformés en doxa. Autrement dit, en un ensemble plus ou moins homogène d’opinions, de préjugés populaires ou singuliers, et de présuppositions non vérifiées, qui règnent en maître dans les salles de profs (et dans certaines familles). Et la doxa de l’école est puissante. Nous ne citerons que quelques-uns des présupposés qui nous concernent aujourd’hui :

  • « Notre école prépare à l’université, nous ne savons pas faire réussir tout le monde ! » C’est faux, tout le monde est capable[2] ! En outre, aucune école n’a pour mission de préparer à l’université[3] ;
  • « Le redoublement permet aux élèves de reprendre pied ! » C’est faux ! Les études ont démontré que c’était tout le contraire[4] ;
  • « Certains enfants – principalement de milieux populaires – ne sont pas faits pour l’école. Ils ont l’intelligence de la main et doivent être orientés vers le professionnel ou le technique ! » C’est faux ! Tout le monde peut apprendre tous les savoirs. Cela aussi est démontré ;

Et donc, nous nous retrouvons face à des écoles qui pratiquent la sélection sociale depuis des décennies sur aucune base valide, et qui n’imaginent pas qu’il soit possible de faire autrement. Il n’est un secret pour personne que la sélection va continuer à être pratiquée, non pas sur les capacités scolaires des élèves, mais sur des présupposés archaïques, qui ont été invalidés depuis des décennies par les sciences de l’éducation. Bref, ils vont casser des élèves simplement parce qu’ils sont mus par une idéologie archaïque, une idéologie née au XVIe siècle et portée à travers les âges par les écoles jésuites et celles qui voulaient leur ressembler : nos écoles élitistes !

En outre, ces écoles se sont structurées physiquement de manière à ne plus savoir faire autre chose que de pratiquer cette sélection. Elles sont devenues pyramidales.

Exemple d’école pyramidale (chiffres de 2012) : Dans cet exemple, s’il y a 6 classes au premier degré du secondaire, il n’y a plus que
–         5 classes en 3e (-35 élèves)
–          4 classes en 4e (- 6 élèves)
–       et 3 classes au troisième degré (- 42 élèves)
soit une perte de 83 élèves entre 14 et 16 ans (- 53 % de ceux qui avaient commencé en 1ère)

Depuis des années, cette structuration les empêche physiquement de faire passer tou·te·s les élèves, crise sanitaire ou non, simplement parce qu’il n’y a plus de locaux de libres pour créer de nouvelles classes (les rares locaux qui auraient pu servir ont rapidement été affectés à d’autres usages, moins pédagogiques, afin de monopoliser tout l’espace). Autrement dit, elles sont « obligées » d’éliminer progressivement plus de la moitié de la population d’une tranche d’âge, car année après année, il y a de moins en moins de locaux pour les accueillir. Et cela, même si ce sont autant d’Einstein.

C’est profondément ancré dans l’esprit de ces « bonnes » écoles : « On ne peut pas faire réussir tout le monde. C’est rendre service aux élèves que de les orienter vers des métiers de la main ».

Dès lors, il s’agit de pratiquer progressivement la sélection en commençant par les classes sociales les plus fragiles. Car la sélection scolaire se fait prioritairement sur des bases sociales[5]. L’école primaire aura déjà tracé la route en mettant plus de 17% des élèves en retard[6], principalement issus de familles pauvres et qui se tourneront vers des écoles secondaires professionnalisantes. Dès lors, il ne leur restera plus qu’à remonter progressivement de décile social en décile social, en évitant de toucher aux enfants des familles les plus favorisées qui – et c’est la doxa qui le dit – « sont faits pour faire de hautes études ». Ces privilégiés (à leur corps défendant) auraient-ils reçu ce don par un coup de baguette magique dans leur berceau ?

Ce qui est plus certain, c’est que ces élèves – celles et ceux qui réussiront – ressemblent étonnamment aux enfants des professeur·e·s du secondaire général supérieur. Ils sont pour la plupart enfants d’universitaires, comme le sont les mêmes professeur·e·s du secondaire supérieur. Les loups ne se mangent pas entre eux. Et puis, « si tout le monde réussissait, qui viendrait apporter mon courrier ou faire l’entretien de mon SUV très polluant ? »

La crise sanitaire va montrer au grand jour que les redoublement et les orientations que pratiquent les écoles depuis des décennies ne reposent pas sur des arguments pédagogiques mais sont simplement idéologiques et structurels. Pour être une « bonne » école, et être bien positionnée par rapport aux établissements alentour, il faut sélectionner. Ces écoles n’enseignent pas, elles se positionnent sur le marché scolaire en pratiquant la sélection ; en pratiquant simplement l’injustice.

Il est temps que le politique se questionne sur sa responsabilité, lui qui n’a jamais cherché à faire appliquer le Décret Missions. Évidemment, cela arrange tout le monde : écoles et partis politiques. S’il n’y avait plus de sélection, que feraient les écoles techniques et professionnelles ? Faudrait-il mettre au chômage des milliers de professeur·e·s (qui bénéficient de la garantie d’emploi, donc d’un salaire que la FWB se doit de leur verser, avec ou sans élèves) ? Et puis revenons à la question posée par ces « bon·ne·s » professeur·e·s élitistes, mais aussi par des milliers de familles socialement favorisées : « Si tout le monde réussissait, qui viendrait apporter mon courrier ou faire l’entretien de mon SUV très polluant ? ».La crise sanitaire aurait été l’occasion de repenser l’école au profit des plus discriminés. Mais les établissements ne l’entendent pas de cette oreille. L’école n’est pas faite pour les élèves. Elle est faite par des adultes, pour leurs seuls intérêts, que ce soient celui des professeur·e·s (il est plus facile de sélectionner que d’enseigner), des directions d’écoles (un directeur de « bonne » école vaut plus dans leur esprit qu’un directeur d’école professionnelle, pourtant souvent plus efficace) ou des PO (notre établissement doit attirer les publics les plus favorisés, ce qui fera de nous la « meilleure » école, versus nous avons besoin d’élèves pour faire fonctionner nos écoles techniques et professionnelles).

Si la crise sanitaire n’aura pas – ou très peu – fait changer les pratiques de ces « bonnes » écoles, elle permet à tout le moins de mettre en lumière et de dénoncer – c’est ce que nous faisons aujourd’hui – ces pratiques idéologiques archaïques, injustes et indignes d’une société du XXIe siècle. Une école qui n’est pas un lieu qui respecte le Droit n’est pas digne d’exister.

Nous en profitons pour rappeler que la FWB a signé et ratifié la Convention internationale des Droits de l’Enfant et donc que celle-ci s’impose aux écoles, et s’applique à tout·e enfant, quel·le qu’il-elle soit et quelle que soit son origine. Toute école a, dès lors l’obligation – et elle est subsidiée pour cela – de transmettre tous les savoirs à tou·te·s les élèves sans pratiquer la moindre sélection sur base sociale, physique, intellectuelle, de genre, de leur origine ou de leurs préférences sexuelles.

Il faut changer l’école et la crise sanitaire est une opportunité. Bien sûr, elle ne débouchera pas sur « LE » grand soir, mais elle a le mérite de montrer au grand jour les dysfonctionnements internes à ces écoles que sont le tri et la sélection sur base de la classe sociale.

Nous verrons si le Conseil de recours fera respecter l’esprit de la circulaire ; que les parents soient (enfin) de vrais partenaires et que le redoublement soit effectivement exceptionnel tout comme les attestations d’orientations. Il est impossible d’évaluer la capacité ou non d’un·e élève à passer dans la classe supérieure sur un peu plus d’une demi-année. En Droit, le doute doit toujours bénéficier au/à la citoyen·ne, donc à l’élève ! Le contraire ne serait qu’injustice.

C’est au pouvoir subsidiant à imposer les balises de la prochaine reprise de l’école en septembre. Des écoles refusent d’appliquer le Droit et de respecter ceux des élèves. Il est nécessaire qu’un Décret impose à ces écoles les règles pédagogiques à respecter durant l’année 2020-2021, règles qui baliseront également les années suivantes dans l’esprit du Pacte pour un enseignement d’excellence. Ce Décret doit prévoir les moyens de vérifier que ces règles seront respectées et les sanctions financières qui seront appliquées aux PO qui ne les respectent pas. L’expérience du Décret Missions doit servir de guide.

Les écoles ne sont pas au-dessus du Droit. Il serait temps que le Politique prenne les mesures qui s’imposent pour sanctionner ces prétendument « bonnes » écoles qui n’en ont que le nom mais qui, dans les faits, sont vraiment bien mauvaises.


[1] Les seules évaluations légales sont les évaluations formatives (voir l’article 15 du Décret Missions). Le examens sont de prétendues évaluations incapables de juger des connaissances d’un·e élève. Tout au plus de sa capacité à les restituer à un moment donné et dans des conditions défavorables (pression, stress, évaluations construites pour pratiquer une sélection, …). Les examens et les révisions font perdre du temps au profit des apprentissages.

[2] Voir le concept d’éducabilité : https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2019/10/09/en-marche-vers-une-ecole-inclusive-le-principe-deducabilite/

[3] Décret Missions : article 6

[4] Le redoublement engendre, chez les élèves qui le subissent, ce que les psychologues appellent le sentiment d’incompétence acquis (Learned helplessness aussi appelée théorie de la résignation apprise – Seligman, Maier & Solomon 1969). L’élève se résigne à ne pas être compétent. Ses expériences ainsi que les messages envoyés par l’école lui ont démontré qu’il « ne savait pas », qu’il était incompétent et que rien ne pouvait modifier cet état. Le sentiment d’incompétence acquis est difficilement modifiable chez l’enfant qui le ressent. Il a le sentiment de ne pas avoir le contrôle des causes qui l’ont amené à cet échec et qu’elles ne pourront jamais changer. Il est persuadé d’être bête et incapable, une fois pour toute (lire le concept d’éducabilité, ci-dessus).

[5] Indicateurs de l’enseignement 2019 , pages 27 et 27 : « Il existe une disparité socioéconomique importante entre les formes de l’enseignement secondaire ordinaire. Elle commence dès l’entrée dans le secondaire avec un écart important (de 0,52) entre l’indice moyen du premier degré différencié et celui du premier degré commun. Cet écart s’accentue dans le deuxième degré où l’ISE des secteurs de résidences des élèves fréquentant la forme professionnelle est de -0,32 alors que dans la forme technique de l’enseignement de qualification, il est de -0,07. Dans ce degré, l’ISE moyen est de +0,19 pour la forme technique de transition et de +0,23 pour la forme générale. Des disparités similaires sont observables au 3e degré où l’ISE moyen s’élève respectivement à –0,18, +0,01, +0,27 et +0,32. Ces valeurs sont toutefois supérieures à celles observées dans la même forme au 2e degré, ce qui peut s’expliquer par une orientation vers les formes de l’enseignement secondaire les moins réputées ou vers l’enseignement en alternance et par les sorties prématurées qui touchent les élèves issus des secteurs les moins favorisés. Il existe également une disparité socioéconomique entre les formes de l’enseignement secondaire spécialisé. La forme 4, seule forme qui délivre des certificats et diplômes équivalant à ceux délivrés dans l’enseignement secondaire ordinaire, accueille un public dont l’indice est légèrement inférieur à la moyenne (–0,07). Les autres formes accueillent par contre un public moins favorisé, avec un ISE moyen qui s’élève respectivement à –0,21, –0,31, –0,38 dans les formes 1, 2 et 3. » 

[6] Indicateurs de l’enseignement 2019



Analyse : L’intégration en enseignement inclusif : une question de droits. 2e partie

Analyse : L’intégration en enseignement inclusif : une question de droits. 2e partie

Lire le début de l’analyse

L’école inclusive, une obligation pour l’institution scolaire ?

La Belgique a signé la Convention et a ratifiée la Convention ONU. Celle-ci entrée en vigueur en 2009. Depuis, la Belgique s’est engagée à respecter l’ensemble des droits qui sont repris dans la Convention, tout comme elle s’est engagée à respecter toutes les obligations qui en découlent, dont le droit fondamental des enfants à bénéficier d’un enseignement inclusif. Il ne s’agit plus, ici, de petits arrangements internes à la Communauté française qui s’est mitonnée un Pacte a minima, mais d’engagements internationaux qu’elle doit respecter. Et ceux-ci ne sont pas a minima.

Cet article 24 s’applique-t-il immédiatement ? Evidemment que non. On ne peut pas mettre immédiatement un enseignement inclusif en place. Depuis 2009, 3000 élèves, seulement, ont pu bénéficier de l’intégration qui est un premier pas vers l’école inclusive.  Il faudra encore des années pour que l’école le devienne réellement (même si des initiatives se mettent en place). Il s’agit d’une réalisation progressive. Cependant, la Belgique a une « obligation spécifique et continue d’avancer aussi promptement et effectivement que possible vers la pleine réalisation de l’article 24[10] »

En attendant la réalisation d’un enseignement inclusif, la non-discrimination et les aménagements raisonnables sont une obligation immédiate au sein de chaque école, de chaque classe.

La Communauté française, une bonne élève ?

Le Comté ONU des Personnes handicapées, composé d’experts en matière de handicap, veille à l’application au niveau international de la Convention et donc au respect de l’engagement de chaque Etat. Le Comité ONU a dit être « préoccupé » parce que l’éducation inclusive n’était pas garantie en Belgique. Le Comité a constaté qu’il y avait un manque d’aménagements raisonnables au sein de l’école ordinaire, ce qui fait que de trop nombreux élèves sont orientés vers l’enseignement spécialisé. Le Comité recommande à la Belgique d’avoir une stratégie cohérente pour aller vers une école inclusive. Le Comité a relevé la « persistance de défis importants quant à l’application intégrale du droit à l’éducation inclusive pour les personnes handicapées ». Le Comité relève que l’enseignement spécialisé laisse les enfants en situation de handicap isolés des autres enfants et précise que c’est une obligation non « compatible avec le soutien de deux systèmes d’éducation : système d’éducation ordinaire et spécialisé/ségrégé ».

Et l’avenir de l’enseignement spécialisé, dans tout cela ?

L’avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence considère comme essentiel de favoriser l’inclusion[11] ou le maintien dans l’enseignement ordinaire d’élèves présentant des besoins spécifiques, moyennant des aménagements raisonnables, et d’encourager l’intégration totale ou partielle d’élèves de l’enseignement spécialisé dans l’enseignement ordinaire, moyennant un soutien spécifique de la part des acteurs de l’enseignement spécialisé, tout en « préconisant » de développer une approche évolutive propre à l’école inclusive (…), réduire le nombre d’élèves dans l’enseignement spécialisé au bénéfice de l’enseignement ordinaire (…), la réforme de l’ « orientation », la réforme du mécanisme de l’intégration ; la refonte de l’enseignement spécialisé de type 8, et la suppression progressive de l’envoi dans le spécialisé des enfants « Dys » (…) etc.

Il est clair que les travaux du Pacte ont intégré les recommandations de l’ONU et visent à faire collaborer les deux systèmes d’enseignement : ordinaire et spécialisé. Mais c’est un engagement a minima qui ne concerne en priorité que les élèves dirigés vers l’enseignement de type 8 et qui ne devraient pas s’y trouver. Pourtant, nous pouvons considérer que de moins en moins d’enfants en situation de handicap intègreront l’enseignement spécialisé. En effet, les familles de plus en plus nombreuses réclament les droits de leurs enfants et l’accès pour ceux-ci à une société inclusive et ce, quel que soit leur handicap. Cela commence, bien évidemment, par une école inclusive. Dès lors, nous n’avons pas trop le choix, nous devrons nous adapter et adapter nos pratiques pédagogiques. Soit en devenant une classe inclusive et donc en accueillant des enfants porteurs de handicaps physiques et/ou intellectuels, soit, comme enseignante spécialisée, en accompagnant ces enfants au sein de classes inclusives.

Il y a, fort heureusement, peu de chances que l’enseignement spécialisé ne disparaisse à court ou moyen terme. Il faudra des décennies pour que les enfants porteurs de handicaps plus importants aient accès à un enseignement inclusif. Ce seront, en priorité, les élèves avec difficultés d’apprentissage qui seront les premiers à bénéficier de ce type d’enseignement et d’enfants porteurs de handicaps physiques ou de déficiences intellectuelles légères.

La suppression de l’enseignement spécialisé serait, par ailleurs, une hérésie absolue. On sait combien l’enseignement « ordinaire » est peu spécialisé et combien les élèves à besoin spécifique y rencontrent des difficultés. Il suffit de voir le taux d’orientations vers l’enseignement spécialisé de type 8. Actuellement, de nombreux enseignants spécialisés sont déjà dans les classes ordinaires. Ils y accompagnent les élèves en intégration, en soutien des enseignants de l’ordinaire. Le mouvement ira en s’accélérant au fur et à mesure des intégrations. L’enseignement spécialisé ne disparaîtra probablement pas, mais il changera profondément avec l’intégration scolaire.

La question qui mérite le débat n’est pas de savoir si nous sommes formés pour cela ou non, pas plus de savoir si ce sera un nivellement par le bas ou non[12], mais bien de savoir si nous allons subir ce changement ou être les vecteurs de ce changement[13].

Ainsi que vous l’avez lu, l’école inclusive est en marche et ne fera pas marche arrière. On peut, évidemment, mener des combats d’arrière-garde qui, n’en doutons pas, feront traîner quelques années l’école pour tous. Mais ce ne sera ni au bénéfice de ces enfants, ni au bénéfice des enseignants. Il est donc important que nous réfléchissions à la manière de transformer nos classes en classes inclusives et nos écoles en écoles inclusives.

Nombre d’entre nous font de l’inclusion sans le savoir, mettant déjà des aménagements raisonnables en place, qui permettent à de nombreux élèves ayant des difficultés d’apprentissage et donc qui sont en situation de handicap, de progresser, d’avancer et d’acquérir des savoirs sans – surtout – passer par la case « échec » : remédiations, tutorat, temps additionnel, coopération, empathie, droit à l’erreur, cercles de lecture, pédagogies actives, conseils de coopération, etc…, toutes ces choses qui sont devenues habituelles au point qu’on ne les remarque plus mais qui font que nombreuses sont les classes où les aménagements raisonnables sont en place, sans que l’on nous l’ait jamais demandé.

Il est donc essentiel que nous n’attendions pas que le changement nous bouscule, mais de nous y préparer en faisant progressivement de nos classes, déjà, des classes inclusives.

La « démission parentale », mythe ou réalité ?

La « démission parentale », mythe ou réalité ?

INTRODUCTION

Si la place des parents dans l’institution scolaire a évolué au fil du temps, elle n’a cessé d’être un questionnement pour tous les acteurs éducatifs concernés. Le discours sur la démission des parents est récurrent et vise particulièrement les familles populaires les plus démunies face à la scolarité de leurs enfants.

L’investissement scolaire des parents ne semble pas suffisamment conforme aux attentes de l’institution scolaire et des enseignants qui attendent que les parents soient des auxiliaires de l’école, capables de prolonger et de renforcer son action éducative. Ils déplorent qu’une partie des parents ne signe pas le journal de classe, ne vient pas aux réunions de l’école, n’aide pas assez les enfants dans les tâches scolaires.

Dès lors et avec tous ces signes concordants, pour de nombre de politiques, de médias, d’éducateurs, de professionnels de l’école et même de certains parents qui en jugent d’autres, il ne faut pas chercher plus loin : c’est bien la faute aux familles qui font mal leur boulot de parents. Leur « démission » apparaît donc évidente.

DEVELOPPEMENT

Pendant longtemps, l’École n’avait pas d’attente vis-à-vis des familles, tout simplement parce qu’elle cherchait à sortir les enfants de leur milieu social et culturel peu érudit pour en faire des citoyens instruits, sans le concours de leurs parents.

A partir du début des années 70, la massification de l’enseignement ne s’est pas accompagnée de sa démocratisation, engendrant une problématique nouvelle, celle de l’échec scolaire. Face à la difficulté de faire réussir tous les enfants, la question de la place et du rôle des parents a pris une place croissante.  

Ceux-ci ont alors été reconnus comme membres de la communauté éducative avec, en contrepartie, l’injonction subliminale de suivre la scolarité de leur enfant de manière assidue et efficace. Ce qui n’a pas été véritablement suivie d’effet, au regard des professionnels de l’éducation.

Pourquoi certains parents ne cherchent-ils pas à s’investir plus, même quand ils y sont «  incités  » ? L’explication la plus commode, qui élude la remise en question de l’échec de notre système éducatif, est trop souvent celle de la démission parentale. Les parents sont perçus comme responsables de l’échec de leur enfant. Il s’agirait donc de parents qui ne s’investiraient pas suffisamment dans le suivi et l’encadrement scolaire de leurs enfants.

Devenue une représentation sociale culpabilisante, la « démission parentale » est fortement vécue comme stigmatisante et injuste par les parents concernés. En effet, dans l’imaginaire collectif, elle est synonyme pêle-mêle de laxisme et de mauvaise maîtrise des savoirs éducatifs. La personnalité des parents, leur manque de savoir-faire ou encore leurs problèmes de couple seraient à l’origine des difficultés scolaires de l’enfant. Dans de telles conditions, comment demander à des familles qui se sentent négativement perçues par l’école d’y entrer et d’y trouver leur place ?

Au contraire, la recherche montre la place centrale qu’a l’école pour les familles populaires. Celles-ci ont bien compris qu’avec le chômage et la précarité qui les frappent, non seulement l’école offre la chance principale de levier social pour leurs enfants, mais aussi qu’elle ne peut être négligée sans courir un risque d’être socialement disqualifiées.

L’inquiétude des familles concernant les résultats scolaires de leurs enfants se traduit par de nombreuses tentatives de mobiliser diverses ressources comme les écoles des devoirs. Ceci démontre bien l’implication de ces parents issus de milieux défavorisés qui n’ont souvent ni les moyens financiers de payer des cours privés, ni les compétences pour aider leurs enfants, ni les codes de l’école nécessaires pour faire face aux difficultés scolaires. Quel parent ne voudrait-il pas voir son enfant réussir sa vie scolaire ou ne verrait pas, dans la réussite de son enfant, la preuve de sa propre réussite éducative ? 

Il est un constat assez parlant de cet engagement parental. Depuis de nombreuses années, il est pour ainsi dire devenu impossible de trouver une place dans les 346 écoles de devoirs[1] en Fédération Wallonie-Bruxelles. Les listes d’attente s’allongent au grand dam des familles angoissées.

On retrouve la même tendance à incriminer les parents dans les cas de délinquance. Les parents seraient incapables de contenir et de prévenir les premières dérives des jeunes.

Pourtant une étude de la sociologue Laurence Giovannoni[2] montre que le mode éducatif en jeu dans l’accusation de « démission parentale » ne constitue qu’un facteur parmi d’autres dans le processus de délinquance juvénile. Il se combine à d’autres déterminants sociaux, tels une situation socioéconomique difficile et un rapport conflictuel et douloureux à l’institution scolaire.

L’étude souligne que plus d’un quart des familles de mineurs délinquants présente « un bon cadre éducatif ». Un autre quart des familles étudiées rencontre des difficultés relationnelles. Elles ne peuvent cependant pas être désignées comme « démissionnaires », dans la mesure où elles font explicitement appel, comme évoqué plus haut, aux structures d’assistance éducative. Ces parents se trouvent souvent démunis face à l’influence des autres élèves, face à la personnalité propre à leur enfant, à leurs difficultés à gérer sa période d’adolescence et aussi à leur manque de dialogue avec le corps enseignant[3].

Pour mieux comprendre cette représentation de « parent démissionnaire », tournons-nous vers son exact opposé, le parent méritant :

Toujours souriant, toujours à l’heure, impliqué dans l’éducation de son enfant et dans sa scolarité, sans jamais être envahissant, disponible, mobilisé, impliqué, le parent méritant a un travail. Ceci est important car, grâce à ce travail, il ne va pas étouffer son descendant de sa présence. Un travail valorisant et à responsabilités pour que son enfant puisse avoir un modèle sur lequel se projeter. Mais cette activité ne lui prend pas trop de temps non plus, afin qu’il puisse consacrer à son enfant un temps suffisant pour son développement et son équilibre affectif.

Le parent reçoit en retour les fruits de son investissement. Son enfant est poli, intéressé par l’école, ses devoirs sont toujours faits, ses cahiers bien tenus, il n’oublie jamais ses affaires, dort suffisamment toutes les nuits, ne s’ennuie jamais en classe, ne bouscule pas ses camarades, mange des fruits et légumes tous les jours. Idéalement, l’enfant pratique également un certain nombre d’activités extrascolaires mais sans que cela n’empiète sur son temps de classe.

Bref, l’idéal type du parent méritant est cadre, avec des moyens financiers et culturels conséquents mais avec un emploi du temps suffisamment léger pour ne pas être un parent absent.

Inutile de dire que la représentativité de ces «  parents idéaux  » dans l’ensemble de la population scolaire est nettement minoritaire[4], voire inexistant.

A l’opposé, on constate que la grande majorité des parents ne dispose pas du temps suffisant, du fait des conditions de vie professionnelles et familiales précaires et contraignants. A cet aspect s’ajoute la modestie relative du capital culturel effectivement mobilisable chez les parents peu instruits et/ou en situation de pauvreté qui les rend tout simplement incapables de soutenir leurs enfants autant que l’école attend d’eux. C’est encore plus le cas dans les familles primo-migrantes qui ne maîtrisent pas le français et ne connaissent pas le fonctionnement de l’école. 

Loin d’être  « absents » ou « démissionnaires »,  ces parents doivent lutter, souvent au quotidien, pour subvenir aux besoins primaires de leur famille.

Jeter la pierre sur ces parents contribue à cacher le vrai problème de notre système éducatif en Fédération Wallonie-Bruxelles qui est fortement inégalitaire. Les difficultés scolaires sont liées, en grande partie, à l’origine socio-économique des élèves : 74 %  des élèves de 16 ans issus de milieux moins favorisés accusent un retard scolaire contre 35% dans les familles plus favorisées[5].

Philippe Meirieu le disait très bien en 1997 déjà : « Nos villes, nos écoles et nos jeunes sont ainsi traversés par une frontière Nord-Sud. Certains enfants vivent avec un cerveau à deux hémisphères sociaux. L’un gère la pauvreté, les urgences de la survie immédiate, la débrouille au moindre coût, la famille patriarcale ou matriarcale ; l’autre les mathématiques et la physique (…)[6] » 

Les mondes politique, économique et scolaire continuent de fonctionner comme s’il y avait toujours un parent à la maison pour harmoniser les horaires à une époque où le contexte social et économique leur impose de travailler tous les deux. Et que dire des familles monoparentales ? Que dire du ou des parents dont l’enfant est orienté vers l’enseignement spécialisé sachant que l’offre d’établissements de proximité est aléatoire et impose souvent de longs déplacements[7].

Deux parents qui travaillent doivent composer avec des rythmes scolaires et professionnels très différents : l’école primaire impose un horaire, l’école secondaire un autre et le travail de chaque parent en impose un autre encore !

Des parents qui sont déjà suffisamment occupés de leurs côtés et qui doivent s’occuper de jeunes dont l’identité ne se résume plus à celle de l’élève et pour qui l’école n’est plus le centre d’intérêt principal. Ces parents doivent alors gérer leur temps dans un espace-temps éclaté. Une brèche dans laquelle s’est infiltrée la sphère marchande qui met enfants et jeunes en valeur et surtout sous influence, en créant de nouveaux « besoins » de consommation. Depuis plusieurs années déjà, un problème supplémentaire bouscule un peu plus les rapports intrafamiliaux, c’est celui de la culture numérique. Smartphones, tablettes, ordinateur, réseaux sociaux, jeux vidéo ont envahi le quotidien et le temps des jeunes qui n’ont jamais été aussi connectés aux écrans et au monde virtuel. Parallèlement, ils n’ont jamais été aussi déconnectés du monde réel: selon un sondage Ifop réalisé en France en 2013 déjà, 78 % des jeunes des moins de 25 ans se disent dépendants aux smartphones ! 

En Belgique comme en France, on parle maintenant de pratique invasive et même addictive à l’écran au même titre que la drogue. Le problème est tel qu’il est devenu un enjeu de santé publique (problèmes d’agressivité, de troubles de sommeil, de vue, de stérilité,…). Une situation qui se répercute fortement sur les rapports entre enfants et parents, créant de nouvelles sources de tensions entre eux. Un nombre croissant de ces derniers se sente démunis au point qu’on entend maintenant parler de burn-out parental. Selon une étude publiée en novembre 2018 par la Ligue des familles[8], six famille sur dix déclarent avoir de grosses difficultés à concilier leur vie de famille et leur vie professionnelle, s’ils en ont une !

Nombreux sont les parents qui se sentaient déjà démunis face à leur perte d’autorité car il convient de prendre en compte que « dans la majeure partie des cas, les facteurs de pauvreté et d’environnement social sont déterminants : ce sont eux qui ruinent la capacité de contrôle des parents [9]».

Avec tous ces constats, peut-on encore sérieusement tenir ce jugement simpliste de « parents démissionnaire »?

Les enseignants semblent de plus en plus conscients de ces facteurs qui compliquent la fonction parentale, surtout quand eux-mêmes sont confrontés à ces difficultés en tant que parents. Grâce notamment au soutien entre autres des écoles des devoirs et en général du tissu associatif qui favorise le dialogue entre enseignants et parents, ceux-ci ne demandent qu’à être mieux informés sur les programmes et les objectifs pédagogiques de l’école avec un langage accessible pour eux.

Face à toutes les difficultés qu’éprouvent les familles à assumer leur rôle, face aux diversités grandissantes des formes de familles qui vont de la monoparentalité à l’homoparentalité en passant par les familles recomposées, un nombre grandissant de parents fait appel aux services de soutien à la parentalité.

Des mesures d’aide qui vise à accompagner, à aider les parents à éduquer leurs enfants et à subvenir à l’ensemble de leurs besoins éducatifs, affectifs, scolaires, culturels et sociaux. Le site ‘parentalite.be’ est né de cette volonté des différents ministres du gouvernement de la FWB de « répondre de manière positive aux enjeux posés par l’exercice, souvent difficile, de la parentalité. »[10]

Aujourd’hui, une série d’organismes est à la disposition des parents pour les aider à assurer leurs fonctions et ce dès la naissance de leur premier enfant (ONE, maisons de la parentalité, associations de parents, associations dispensant des formations de français, de cours d’informatique, d’alphabétisation, …).

Ces centres et ces activités qui leur sont réservés répondent à des besoins spécifiques et contribuent à renforcer leur « accrochage » en tant que parents.

Ailleurs dans le monde, de telles structures existent depuis fort longtemps. En France, le contrat de réussite on a été créé il y a près de vingt-cinq ans déjà. Celui-ci vise à ouvrir l’école sur le quartier pour créer les conditions d’un partenariat efficace. Il organise également des campagnes de valorisation de l’éducation et de l’école, avec comme objectif d’inciter les parents et les communautés à s’impliquer dans la scolarisation des enfants et jeunes.

 Il existe aussi un dispositif appelé la « mallette des parents » qui vise à un plus grand dialogue avec les parents, en les informant sur une meilleure connaissance de l’école et de son fonctionnement.

Depuis 2013, un modèle partenarial institutionnel a vu le jour qui s’est concrétisé par une loi appelée Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République etqui évoque une redynamisation du dialogue entre école, parent, collectivité territoriale et secteur associatif et affirmant que « la promotion de la coéducation est un des principaux leviers de la refondation de l’école. »[11]

Au Québec, il existe depuis les années 60 une collaboration et un partenariat étroits entre communautés éducatives (enseignants-parents-associations). Cette collaboration propose un modèle éducatif plus proche de la notion de coéducation, basée sur une conception partagée de la réussite scolaire en visant aussi le développement personnel et une meilleure insertion professionnelle du jeune.

Dans les pays scandinaves ou au Québec, on a compris depuis fort longtemps que l’implication des parents est fortement corrélée à la performance scolaire de leurs enfants[12], comme d’ailleurs tous les travaux de recherches le montrent.

Des modèles d’implication des parents dans la vie de l’école existent, comme celui proposé par le psychosociologue Jean Epstein et qui peut se traduire par des modes de partenariat visant à aider les familles dans leur rôle de soutien et les écoles dans leur rôle de compréhension des familles.

L’école a donc tout intérêt à s’ouvrir réellement à la mixité sociale et culturelle des familles, à la prise en compte des difficultés rencontrées par les parents, selon un mode bienveillant, traduisible au quotidien par des lieux passerelles pouvant accueillir des parents avec des horaires moins contraignants pour eux et les enseignants à différents moments de l’année, dans des cadres moins rigides, avec des activités périscolaires sollicitant les compétences parentales et destinés à « construire un corpus commun de valeurs éducatives à l’école et aux familles »[13]

CONCLUSION

Il est difficile de croire à l’arrivée sur le « marché familial » d’une génération spontanée de parents démissionnaires inaptes à éduquer leurs enfants. Le problème est bien plus complexe que ce que le slogan facile de la « démission parentale » tend à faire croire. Bon nombre d’enquêtes le confirment[14], rares sont les parents qui ne se soucient pas du parcours de leur enfant.

Malgré cela, la conviction d’une démission éducative des parents en situation socio-économique difficile n’en reste pas moins fortement ancrée à tous les niveaux du système éducatif. Un système qui ne s’est pas encore remise en question et qui a du mal à s’adapter aux évolutions de la société et des familles. Cette évolution résulte aussi de la complexité grandissante de la fonction éducative, de l’engagement professionnel des deux parents, de l’instabilité et de la précarité sociale et culturelle des familles de milieux populaires.

Lorsque la position sociale de la famille contredit de fait la promesse d’un destin social acceptable, pourquoi le jeune prendrait-il vraiment au sérieux ses parents dont il est loin de voir en eux un modèle? [15]  

Lutter contre l’échec scolaire et l’impuissance passe naturellement par la lutte contre la précarité.

Un nombre non négligeable de ces parents se sente dépassés car confrontés à des difficultés de vie qui sont souvent incompatibles avec l’exercice de leurs responsabilités parentales.

Pour y faire face, des organismes ont été créés et sont, le plus souvent, subventionnés par les pouvoirs publics en vue de soutenir les parents dans leur fonction avec l’objectif de leur proposer des espaces de discussion, d’échanges et de formations, en veillant à éviter des modèles ou des normes éducatifs.

Le monde associatif a bien saisi l’importance de ce soutien parental : de nombreuses associations dispensent parallèlement aux écoles de devoirs, des ateliers de calcul, d’alphabétisation, de langues, d’initiation à l’informatique et de nombreuses activités culturelles. Ces activités répondent aux attentes et besoins de ces parents et contribuent à renforcer leur « accrochage » face à l’éducation et à la scolarité de leur enfant.

Affirmer que la soi-disant « démission parentale » est responsable de l’échec scolaire, c’est avant tout placer la responsabilité éducative sur le dos uniquement des parents, ce qui déresponsabilise bien trop facilement l’ensemble des adultes présents à l’école. Le personnel des écoles de devoirs, des services d’accueil extrascolaire (dont les garderies scolaires) sont tous concernés par l’éducation des enfants et la transmission des règles de savoir-vivre. Tous ont leur rôle à jouer.

Concernant le rôle dévolu aux parents, Edmund Bergler conclut son étude en ces termes : « Tout ce que l’on peut raisonnablement attendre des parents est qu’ils fassent de leur mieux pour les enfants. »[16]


[1] http://www.ecolesdedevoirs.be/qui-sommes-nous

[2] Laurence Giovannoni, « La démission parentale facteur majeur de délinquance : mythe ou réalité ? », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°5, printemps 2008.

[3] Mahy Ch. Parents pauvres au quotidien, in Revue Politique, Revue de débat, num. 68 janvier-février 2011.

[4] Indicateurs de l’enseignement 2019, page 26,27

[5] Ibid.

[6] MEIRIEU PH.,GUIRAUD M.,L’école ou la guerre civile, Plon,Paris,1997

[7] FAPEO, Joëlle Lacroix – Ne cherchez plus, c’est la faute aux parents, 2011

[8] https://www.rtbf.be/info/societe/detail_burn-out-parental-20-des-parents-se-disent-au-bord-du-gouffre?id=10060492

[9] L.Mucchielli, La démission parentale en question : un bilan de recherches, Centres de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions pénales, Bulletin d’information, France 2000.

[10] https://parentalite.be/

[11] Coéducation : quelle place pour les parents. Dossier de veille de l’IFE « num..98 », janvier 2015

[12] Ibid.

[13] Georges Fotinos, Le divorce école-parents en France, mythe et réalité en 2015, Enquêtes quantitatives auprès des directeurs d’école maternelle et élémentaire, des personnels de direction des lycées et collèges et des parents d’élèves.

[14] Travaux de B. Lahire, Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires, Paris, Gallimard/Seuil, 1995. D. Thin, Quartiers populaires. L’école et les familles, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1998.Ch. Mahy, Parents pauvres au quotidien, in, Revue politique, Revue de débats n° 68, janvier-février 2011. 

[15] L.Mucchielli, La démission parentale en question : un bilan de recherches, Centres de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions pénales, Bulletin d’information, France 2000.

[16] E. Bergler, Les parents ne sont pas responsables des névroses de leurs enfants. La peur injustifiée des parents de commettre des erreurs, édit. Payot, 2001, sur http://www.megapsy.com/autre_bibli/biblio010.html

Analyse : Les aménagements raisonnables

Analyse : Les aménagements raisonnables

Qu’est-ce qu’un aménagement « raisonnable » ?

La notion d’aménagement raisonnable est une notion de Droit qui vise à favoriser l’égalité et la non-discrimination pour les personnes en situation de handicap. Il s’agit de créer une exception au profit d’une personne afin qu’elle puisse bénéficier des mêmes droits et d’un accès aux mêmes services que les autres.

Selon l’ONU, on entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme (ou droits humains NDLR) et de toutes les libertés fondamentales[1].

Unia, l’ancien-Centre pour l’Egalité des Chances et la lutte contre le racisme en donne la définition suivante : Un aménagement raisonnable est une mesure concrète permettant de réduire, autant que possible, les effets négatifs d’un environnement inadapté sur la participation d’une personne en situation de handicap à la vie en société[2].

Pourquoi parle-t-on d’aménagements raisonnables ? Il y a-t-il des aménagements non-raisonnables ?

Oui !

Le monde dans lequel nous vivons est, hélas, loin d’être parfait et certains aménagements nécessaires peuvent s’avérer trop coûteux, trop envahissants ou impossibles. La mise en place d’un ascenseur pour permettre à un·e élève à mobilité réduite d’aller dans une classe au 3e étage, s’avère par exemple, financièrement impossible pour de nombreuses écoles, voire impossible dans la structure d’un bâtiment donné.  Le terme « raisonnable » doit être évalué à l’aune de différents critères comme le coût, la fréquence et la durée prévue de l’aménagement, l’impact sur l’organisation, l’impact de l’aménagement sur l’environnement des autres élèves et l’absence ou non d’alternatives[3].

Les aménagements raisonnables à l’école

C’est le Décret du 7 décembre 2017, « relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques » qui impose la mise en place d’aménagements raisonnables pour les élèves à besoins spécifiques, depuis le 1er septembre 2018.

Pourquoi un Décret « Aménagements raisonnables », alors qu’il y avait déjà un Décret « Anti-discrimination » ?

Malheureusement, il a été constaté que des écoles contournaient le Décret antidiscrimination[4]. Celui-ci imposait déjà les aménagements raisonnables, mais n’était que trop peu appliqué. Il précisait pourtant que «  les  aménagements  raisonnables  sont  des  mesures  appropriées,  prises  en  fonction  des  besoins  dans  une  situation  concrète,  pour  permettre  à  une  personne  handicapée  d’accéder,  de  participer  et  de  progresser  dans  les  domaines  visés  à  l’article  4[5],  sauf  si  ces  mesures  imposent  à  l’égard  de  la  personne  qui  doit  les  adopter  une  charge  disproportionnée.  Cette  charge  n’est  pas  disproportionnée  lorsqu’elle  est  compensée  de  façon  suffisante  par  des  mesures  existant  dans  le  cadre  de  la  politique publique menée concernant les personnes handicapées[6] ». Enfin, il insistait en précisant que « toute  discrimination  fondée  sur  l’un  des  critères  protégés  est interdite.[7] ». Malgré cela, de nombreux enfants ne bénéficiaient pas d’aménagements raisonnables, malgré la demande insistante des parents et le rappel du Droit. Des écoles, des professeur·e·s prétextaient que « donner » des aménagements raisonnables à certains enfants aurait été discriminatoire par rapport à tous les autres ou que les enfants bénéficiant de certains aménagements raisonnables (ordinateurs, calculettes, …) pouvaient « tricher ».

Régulièrement, Unia a été contraint de rappeler à des écoles les droits de leurs élèves à besoins spécifiques. Dans un rapport de 2015, Unia précise que 20% des signalements introduits auprès du Centre en matière de handicap touchent à l’enseignement. Ces signalements augmentent d’année en année (31 signalements introduits en 2012, 62 en 2013, 87 en 2014) et 56,5% concernent un refus ou absence d’aménagements raisonnables[8].

Il fallait doc passer à la vitesse supérieure, d’autant que le Pacte pour un enseignement d’excellence prévoit «  le principe d’une démarche évolutive doit être à la base de l’organisation de l’école inclusive en FWB depuis l’enseignement maternel et jusqu’à la fin de la scolarité de l’enfant, en confirmant le droit de chaque élève d’être inscrit dans l’enseignement ordinaire, sans possibilité de refus d’inscription au motif que l’école nécessiterait des aménagements raisonnables ou que l’enfant ne serait pas capable d’assimiler la matière enseignée[9] ». L’école inclusive est définie comme « permettant à un élève à besoins spécifiques de poursuivre sa scolarité dans l’enseignement ordinaire moyennant la mise en place d’aménagements raisonnables d’ordre matériel, pédagogique et/ou organisationnel ».

Mais tout n’est pas réglé pour autant. Un an après la mise en œuvre du Décret, l’Ufapec dénonçait le refus de certaines écoles d’appliquer le décret[10] : « Il n’y a pas une semaine qui passe sans que des parents (d’enfants à besoins spécifiques) nous appellent pour nous dire : on nous refuse un aménagement raisonnable! »

Qui peut bénéficier d’aménagements raisonnables ?

Tout élève de l’enseignement ordinaire, fondamental et secondaire, qui présente des « besoin(s) spécifique(s) », (…) est en droit de bénéficier d’aménagements raisonnables matériels, organisationnels ou pédagogiques appropriés (…)[11]. Cependant, le Décret ajoute un bémol qui empêche certains élèves de pouvoir en bénéficier, car il précise « pour autant que sa situation ne rende pas indispensable une prise en charge par l’enseignement spécialisé les dispositions du décret du 3 mars 2004 organisant l’enseignement spécialisé. ». Selon nous, cette restriction va à l’encontre de l’article 24 de la CIDPH[12] de l’ONU qui précise que « Les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les  autres,  avoir  accès,  dans  les  communautés  où  elles  vivent,  à  un  enseignement  primaire  inclusif,  de  qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire » également inclusif.

L’enseignement ségrégué (un enseignement qui place ses élèves à part / à l’écart de la société et ne leur fait pas apprendre avec les enfants dits « ordinaires », comme cela se passe dans notre enseignement spécialisé) n’est pas, par définition, un enseignement inclusif.

Qu’entend-on par élève à besoins spécifiques ?

Lorsqu’on parle de « besoins spécifiques », on parle en général de troubles qui font qu’un·e enfant a plus de mal à apprendre que la majorité des enfants de son âge, lorsqu’il/elle est dans une situation spécifique[13] (lecture, calcul, rester assis·e, dessiner, se représenter dans l’espace, …) ou d’enfants ayant un handicap ou une maladie qui les empêche d’apprendre comme les autres ou les gêne dans leurs apprentissages.

Le Décret précise les besoins spécifiques comme étant des « besoins résultant d’une particularité, d’un trouble, d’une situation permanents ou semi-permanents d’ordre psychologique, mental, physique, psycho-affectif faisant obstacle au projet d’apprentissage et requérant, au sein de l’école, un soutien supplémentaire pour permettre à l’élève de poursuivre de manière régulière et harmonieuse son parcours scolaire dans l’enseignement ordinaire, fondamental ou secondaire. »

Comment demander à l’école la mise en place d’aménagements raisonnables ?

Préalablement à la mise en place d’aménagements raisonnables, le Décret impose un diagnostic datant de moins d’un an[14]. C’est évidemment discriminatoire. Les parents d’un enfant dont un diagnostic daterait de plus d’un an – ce qui est fréquent – devront repasser par la case « Je dois payer » pour simplement voir confirmer que leur enfant a toujours une dyslexie (on a une dyslexie à vie), une dyscalculie (idem), une dyspraxie (re-idem), voire un autisme ou une surdité (re-re-re-idem). Il semble que Kafka soit passé dans ce Décret, histoire de ne surtout pas trop perturber les écoles. Rappelons que la détection d’un autisme prend… plus d’un an. Il est bien connu également, que les familles populaires ont de l’argent à dépenser à tire-larigot dans des tests répétitifs. Et dire que le Pacte pour un enseignement d’excellence a l’ambition de supprimer les orientations abusives d’enfants de familles populaires vers l’enseignement spécialisé. Pour cela, il faudra qu’elles aient les moyens de payer les diagnostics et que le Pacte ait la mesure de ses ambitions.

Une fois le diagnostic en main, Plusieurs actrices et acteurs peuvent demander la mise en places d’aménagements raisonnables :

  • Les représentants légaux de l’élève (s’il est mineur) ;
  • De l’élève (s’il est majeur) ;
  • Du CPMS ;
  • D’un·e enseignant·e membre du Conseil de classe ;
  • De la direction de l’établissement scolaire fréquenté par l’élève.

Les aménagements raisonnables sont alors obligatoirement mis en place. Il sont ensuite « élaborés et évalués, en fonction de la spécificité des besoins de l’apprenant et de leur évolution[15] ».

Cependant, rien n’interdit à un·e enseignant·e de mettre en place des aménagements raisonnables pour l’une ou l’un de ses élèves qu’elle/il estime porteuse/porteur d’un trouble spécifique des apprentissages, d’une maladie ou d’un handicap. Chacun·e peut (je dirais même… « doit ») se revendiquer de sa liberté pédagogique, dans l’intérêt supérieur d’un·e élève. Le mieux étant de mettre un/des aménagement·s raisonnable·s en place non pour un·e élève spécifique, mais d’en faire bénéficier toute la classe.

De nombreux·ses élèves n’ayant pas de « besoins spécifiques » éprouvent également des difficultés spécifiques d’apprentissages. L’un·e aura besoin de plus de temps pour comprendre, un·e autre aura besoin d’une aide individuelle dans un apprentissage spécifique (via le tutorat, par exemple), un·e dernière enfin aura besoin, pour apprendre, de se lever, de marcher, de s’asseoir par terre ou de silence total (qu’un casque anti-bruits peut permettre). Faire bénéficier tou·te·s les élèves de la mise en place des aménagements raisonnables fait que la classe/l’école « ordinaire » sera enfin en marche sur le chemin de la classe/école « inclusive ».

Comment les aménagements raisonnables sont-ils élaborés ?

Ceux-ci sont élaborés en fonction de la spécificité des besoins de l’enfant. Un enfant avec une dyslexie ou un autisme n’aura pas les mêmes besoins qu’un enfant mal-voyant, ou qu’un enfant hospitalisé devant suivre les cours par vidéo-conférence.

L’école doit organiser des réunions de concertation gérées par la direction, avec les différents partenaires impliqués dans la scolarité et les difficultés spécifiques de l’enfant, à savoir :

  • Les parents de l’élève (qui sont ceux qui le connaissent le mieux) ;
  • L’élève lui-même s’il/elle est majeur·e (obligation du Décret). Cependant, cela a du sens que l’enfant soit présent·e à ces réunions, même si elle/il est mineur·e. En effet, qui mieux qu’il/elle peut parler de ses difficultés ou facilités ? Malheureusement le Décret ne l’impose pas ;
  • La direction de l’école (ou sa/son délégué·e) ;
  • La/le tilulaire de la classe et les professeur·e·s concerné·e·s ;
  • Le CPMS de l’établissement ;
  • Un·e expert·e (membre du corps médical, paramédical, psychosocial ou d’un organisme public d’intégration des personnes en situation de handicap) peut être présent·e à la demande de l’élève si elle/il est majeur·e, ou par toute personne investie de l’autorité parentale ou qui assume la garde de fait de l’élève mineur. Cet·te expert·e « est susceptible d’éclairer les acteurs et partenaires sur la nature ou l’accompagnement des besoin(s) attesté(s) [16]».  Cette présence doit être acceptée par les autres partenaires institutionnels. Comme quoi, la mise en place d’aménagements raisonnables c’est bien, mais il ne faut pas trop bousculer l’école si elle ne le souhaite pas.

Sur base de ces réunions, la mise en place des aménagements raisonnables seront mis en place « dans les plus brefs délais[17] ».

Une fois que les aménagements raisonnables sont mis en place, on est tranquille ?

Heu…. Comment dire ???

Que nenni ! Ce Décret a été élaboré par des Parlementaires (ce qui est leur boulot), parce que la législation internationale va dans ce sens et que des écoles ne remplissaient pas leurs devoirs. Mais cela a surtout été rédigé dans l’objectif ne pas (trop) heurter les écoles (ce qui serait pourtant leur boulot). Ces dernières ont désormais priorité sur les enfants (en cela, les rédacteurs du Décret ont fait tout le contraire de leur boulot). On a lu que les enfants qui relèveraient de l’enseignement spécialisé sur la base d’un veux décret[18] (d’avant la Convention ONU) ne pouvaient pas bénéficier d’aménagements raisonnables. Il fallait surtout ne pas heurter…

Mais aussi et surtout, dorénavant « les aménagements matériels ou organisationnels ainsi les partenariats avec des acteurs externes relèvent » désormais « d’une décision du Pouvoir organisateur pour l’enseignement subventionné par la Communauté française ou du chef d’établissement pour l’enseignement organisé par la Communauté française. »

Autrement dit moi, Pouvoir Organisateur, je peux continuer ou arrêter la mise en place d’aménagements raisonnables selon mon bon vouloir ou celui de mon équipe éducative peu ou pas formée sur le plan pédagogique, voire encore, suite à une crise de déficience pédagogique d’un·e enseignant·e récalcitrant·e (et on sait que cela existe).

La preuve en est que « La nature, la durée et les modalités des aménagements pédagogiques sont fixés par l’équipe éducative dans l’enseignement fondamental et par le conseil de classe, présidé par le chef d’établissement ou son représentant, dans l’enseignement secondaire ».

L’intérêt supérieur de l’enfant est ici bien secondaire.

Oups, on n’a pas de garantie, alors ???

Si, un peu quand même. Mais insuffisamment !

Les aménagements pédagogiques doivent être consignés dans un protocole. Ce dernier fixe les modalités et les limites des aménagements raisonnables. Il peut être conclu un partenariat avec des acteurs extra-scolaires (monde médical, paramédical, psychomédical ou organismes publics comme Phare ou l’Avic).  

Tous les aménagements et interventions prévus sur le plan pédagogique (à l’exclusion des autres aspects) font l’objet d’un P.I.A (plan individualisé d’apprentissage). Il s’agit d’un outil « co-construit  par  l’équipe  éducative  et  l’équipe  de  direction   en   vue   de   prendre   en   compte,   d’une   part,   des   difficultés   particulières  d’apprentissage  et,  d’autre  part,  des  besoins  spécifiques  des  élèves  issus  de  l’enseignement  spécialisé  ou  en  intégration  dans  le  cadre  décret   du   3   mars   2004   organisant   l’enseignement spécialisé.[19] »

« Le  PIA  énumère  des  objectifs  particuliers  à  atteindre  durant  une  période  que  fixe  le  Conseil  de  Classe.  Le  PIA  mentionne  cette  période.  Il  prévoit  des  activités  spécifiques  de  remédiation,  de  remise  à  niveau  ou  de  structuration  des  acquis,  de  construction  d’un  projet  scolaire  Il  précise  les  modalités organisationnelles instaurées, pour les atteindre (…)[20] »

Que faire si l’école ne veut pas mettre en place ou décide de son plein gré d’abandonner les aménagements raisonnables ?

L’élève majeur·e ou les représentant·e·s légales·aux de l’élève mineur·e peuvent adresser une demande de conciliation, par lettre recommandée ou par courrier électronique avec accusé de réception, auprès des services du Gouvernement qui tenteront une conciliation avec le Pouvoir organisateur ou le chef d’établissement.

En cas d’échec de la conciliation, les parents de l’élève mineur ou l’élève majeur ou toute personne investie de l’autorité parentale peuvent introduire un recours auprès de la Commission de l’Enseignement obligatoire inclusif[21].

Que faire en cas de changement d’école ?

En cas de changement d’école, de cycle, de degré ou de niveau, à la demande des parents de l’élève mineur ou de l’élève lui-même s’il est majeur ou de toute personne investie de l’autorité parentale ou qui assume la garde en fait de l’enfant mineur, le protocole visé ci-dessus sera transmis pour information à qui de droit par l’école qui l’a établi.

Plus sibyllin que cela, on ne trouve pas.

En théorie, l’école ayant établi le protocole fixant les aménagements raisonnables doit transmettre à l’école d’accueil copie de celui-ci. Dans les fait, fort heureusement, c’est l’école d’accueil qui accepte l’enfant en toute connaissance de cause, avec ses besoins spécifiques, qui en fait la demande.

Conclusion

L’école inclusive reste un beau rêve mais difficile de réaliser. L’accueil des enfants à besoins spécifiques demeure trop souvent un combat pour les familles qui doivent s’en remettre à la bonne volonté de directions et d’enseignant·e·s géniales·aux ou au contraire au refus de réactionnaires humainement et pédagogiquement incompétents.

On a vu que le Décret permettant la mise en place d’aménagements raisonnables n’a pas été confectionné pour les élèves à besoins spécifiques, ce que son titre aimerait à laisser penser, mais pour répondre à nos engagements internationaux, le tout dans le cadre d’un Pacte pour un enseignement d’excellence.

Les enfants qui ont un handicap « trop ou pas assez… quelque chose » ne peuvent pas en bénéficier, mais continuent à relever d’un enseignement ségrégué, contrairement à leurs droits fondamentaux. Quant à celles et ceux qui ont des difficultés d’apprentissages « moins grandes », ils/elles peuvent bénéficier d’aménagements raisonnables mais seulement selon le « bon ou mauvais » vouloir d’une équipe éducative qui peut les remettre en question à sa guise.

Tout aménagement raisonnable doit toujours être négocié, même une fois celui-ci mis en place. Il dépendra toujours (on l’a lu ci-dessus) du bon vouloir de quelques personnes, direction, enseignant·e·s, membres d’un PMS, etc. L’intégration d’un·e enfant à besoins spécifiques reste encore trop souvent un parcours du combattant, voire un vrai chemin de croix.

Cependant, et nous nous en réjouissons, il est de plus en plus d’écoles, de Pouvoirs organisateurs de chef·fe·s d’établissement qui se lancent corps et âmes sur le chemin d’une école inclusive et qui visent l’accueil de toutes les différences, malgré les difficultés. Simplement, parce qu’elles/ils sont humain·e·s et veulent l’assumer. 


[1] Convention internationale des Droits des Personnes handicapées, article 2 – ONU 2006

[2] UNIA – A l’école de ton choix avec un handicap

[3] UNIA – À l’école de ton choix avec un handicap – Les aménagements raisonnables dans l’enseignement, p 11.

[4] Décret relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination D. 12-12-2008 M.B. 13-01-2009

[5] L’art 4 précise le champ d’application du Décret, notamment à l’enseignement.

[6] Ibid. Article 3 § 9.

[7] Ibid. Article 5.

[8] Apporter une réponse cohérente aux plaintes des parents d’élèves à besoins spécifiques qui se voient refuser des aménagements raisonnables, Note de contexte, Direction de l’Egalité des Chances, 15/07/2015.

[9] Avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence OS 4.3 : Répondre aux besoins spécifiques des élèves dans l’enseignement ordinaire, p 244.

[10] Le VIF,  Ecole : enfants à besoins spécifiques, le droit aux aménagements raisonnables est bafoué, 27/08/2019.

[11] Décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques, Article 4 § 1er.

[12] Convention Internationale relative aux Droits des Personnes Handicapées, ONU 13 décembre 2006

[13] Voir notre dossier sur les troubles spécifiques des apprentissages ou « DYS », 2019 – https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2019/09/08/analyse-les-troubles-specifiques-des-apprentissages-ou-dys/

[14] Décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques Article 4 § 1 « Le diagnostic justifiant la demande d’un ou plusieurs aménagement(s) raisonnable(s) date, dans tous les cas, de moins d’un an au moment où la demande est introduite pour la première fois auprès d’un établissement scolaire ».

[15] Ibid. Art 4 § 3

[16] Décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques Art 4 § 3.

[17] Ibid. Art 4 § 4.

[18] Voir le Décret du 3 mars 2004 organisant l’enseignement spécialisé

[19] Décret relatif à l’organisation pédagogique du 1er degré de l’enseignement secondaire  D. 30-06-2006 M.B. 31-08-2006, Art 7 bis § 1.

[20] Ibid. Pour plus d’informations taper « Décret relatif à l’organisation pédagogique du 1er degré de l’enseignement secondaire » sur un moteur de recherche citoyen.

[21] Lire l’Arrêté du Gouvernement de la Communauté française relatif aux modalités de fonctionnement de la Commission de l’Enseignement obligatoire inclusif, 04/09/2019