1ère partie : qu’est-ce que l’apprentissage coopératif ?

Entre les deux guerres, de nombreux psychologues, philosophes et enseignants ont remis en cause les méthodes et pratiques de l’enseignement traditionnel car celui-ci ne réservait à l’élève qu’un rôle relativement passif [1]. Jean Piaget ainsi que Lev Vygotski notamment, ont démontré toute l’importance des interactions entre les élèves qui permettaient de susciter les apprentissages [2].

Ils ont donc émis l’hypothèse que les apprentissages des élèves seraient de meilleure qualité s’ils étaient actifs, dans un cadre collectif. L’apprentissage coopératif était né ! Les élèves ont été placés dans de petites équipes (ou groupes) et il leur était assigné un objectif commun[3].

Mais cela ne suffisait pas[4]. Pour faire réussir l’apprentissage coopératif, il fallait réunir cinq conditions de base : l’interdépendance positive, la responsabilité individuelle, la promotion des interactions, les habiletés sociales ou coopératives et les processus de groupe[5].

A ces cinq conditions de base, les enseignants cherchaient à développer des valeurs qui favorisaient l’apprentissage coopératif telles que le partage, l’entraide et le respect. Il s’agissait ainsi de viser, en plus, l’apprentissage des compétences coopératives. C’est ainsi que l’on parle aujourd’hui de pédagogie coopérative ou de pédagogie de la coopération.

Apprentissage coopératif vs apprentissage individuel

Pour faire comprendre ce que nous entendons par apprentissage coopératif, il nous faut la comparer aux formes les plus courantes d’apprentissage traditionnel à l’école.

1.     Le travail individuel

Dans l’apprentissage individuel, les élèves « travaillent » en fonction d’un objectif individuel, chacun pour soi, sous la supervision d’un enseignant. Ils ne sont responsables que d’eux-mêmes et leurs rapports les uns aux autres sont basés sur la compétition. Les interactions avec les pairs sont pour ainsi dire inexistantes, voire carrément interdites. Les élèves sont laissés à eux-mêmes et l’enseignant a peu de temps pour s’occuper de tous ceux qui ont des difficultés. L’entraide n’est pas au programme ou est exceptionnelle.

Sur le plan des apprentissages, seul le « travail » individuel est valorisé. Sur le plan comportemental, ce sont la docilité, la soumission aux exigences de l’enseignant et la capacité à se comporter en groupe sans déranger les autres qui sont valorisées.

Dans une classe compétitive, les objectifs pédagogiques sont liés de manière négative (pas de partage des ressources de la classe). Lorsqu’un élève atteint l’objectif, la probabilité que les autres l’atteignent diminue. Ceux qui mettent plus de temps que les plus rapides sont sanctionnés ou délaissés.

Dans les classes compétitives, les élèves sont motivés par le désir de vaincre, ou démotivés par le vain espoir de survivre. Comme dans toute compétition, les élèves ont tendance à attribuer leurs résultats à leur mérite ou leurs capacités (suffisantes ou insuffisantes, selon leurs résultats) ou à leurs efforts ou leur « incompétence ».

Les élèves sont motivés par le désir d’atteindre un certain niveau d’excellence ou, au contraire, sont démotivés parce qu’ils se comparent aux autres et sont convaincus qu’ils ne l’atteindront pas. Notre système scolaire encourage la compétition.

Dans ce système, la marge d’autonomie que les enseignants délivrent à leurs élèves est extrêmement réduite, tout comme la formation une citoyenneté responsable et participative.

2.     Le travail d’équipe

Le travail d’équipe traditionnel implique des interactions plus ou moins organisées entre les élèves. Cela peut être lors d’exercices individuels durant lesquels les élèves comparent leurs réponses, ou lors de tâches où chacun en effectue une partie de son côté, en classe ou à la maison, et qu’une mise en commun est effectuée. Cela peut être également organisé lors d’ « ateliers » où l’on se choisit par affinité.

Dans le travail d’équipe traditionnel, les élèves sont peu éduqués à la coopération. Ils travaillent ensemble occasionnellement et l’efficacité est relative. Certaines équipes sont plus efficaces car elles regroupent les élèves dits « forts », tandis que d’autres équipes ont plus de mal car elles se composent d’élèves moins scolaires. Les équipes sont souvent mises en compétition : il faut terminer avant les autres et le résultat doit être « meilleur ».

3.     Les structures coopératives

La coopération, dans tous les domaines et à fortiori à l’école, repose sur un système motivationnel basé sur l’entraide. Les élèves sont incités à s’entraider afin d’augmenter leur capacité à atteindre les objectifs fixés par l’école. C’est, par des efforts à la fois individuels et collectifs qu’ils vont tenter d’atteindre leur cible.

Dans une classe coopérative, les objectifs sont liés de manière positive (partage des ressources de la classe). Lorsqu’un élève atteint un objectif, la probabilité que les autres l’atteignent est augmentée de par le partage de ces ressources : tutorat, coopération, entraide, …

Tous les élèves qui essaient de contribuer au résultat final sont valorisés, quelles que soient leurs compétences initiales. Il n’y a pas de compétition et chacun est reconnu à part égale avec les autres. Chaque élève est valorisé au même titre que les autres membres de son équipe et bénéficie des mêmes résultats scolaires.

Puisque les élèves ne peuvent atteindre leurs objectifs personnels que si l’ensemble de l’équipe réussit la tâche, ceux-ci sont portés à s’entraider et à fournir le maximum d’effort.

Ceux qui aident les autres sont reconnus et appréciés. Ils sont incités à atteindre des niveaux de réussite élevés.

La marge d’autonomie que les enseignants délivrent à leurs élèves est de plus en plus élevée en fonction des compétences développées par les élèves au sein des équipes coopératives.

L’apprentissage coopératif peut être mis en place de l’entrée de la maternelle à la fin de l’université

Ce que nous entendons par apprentissage coopératif[7]

La pédagogie de la coopération est une forme d’organisation des apprentissages qui permet à de petites équipes hétérogènes d’élèves d’acquérir des apprentissages, grâce à une interdépendance qui nécessite une pleine participation de chacun à l’activité.

Les apprentissages exigent le plus souvent des ressources qu’aucun élève ne possède à lui seul. Ils ne peuvent, en principe, être résolus sans l’apport des autres. Aussi, chaque membre du groupe est responsabilisé pour qu’il apporte sa juste contribution à l’œuvre collective. Ces apprentissages s’acquièrent soit en participant à des tâches collectives structurées, soit par l’entraide au sein du groupe durant des apprentissages plus formels, en utilisant le tutorat, l’encouragement, … Cela permet aux élèves les plus lents de recevoir une aide qu’un enseignant ne peut pas toujours apporter à chacun d’entre eux.

L’apprentissage coopératif peut être mis en place de la maternelle à l’université.  

Bénéfices de l’apprentissage coopératif

Selon Isabelle Plante, de l’Université du Québec à Montréal[8] L’examen de près de 160 documents a révélé que la coopération procure des effets positifs non seulement sur le rendement des élèves, mais également sur leurs attitudes scolaires et leurs habiletés sociales et relationnelles[9].

Un des premiers bénéfices que l’on remarque quand on met en place dans sa classe des équipes coopératives, c’est l’accroissement de l’implication des élèves dans les apprentissages. Ils se sentent responsabilisés et, s’ils continuent à craindre l’échec, ce n’est plus sur le plan individuel. Au contraire, cela les motive pour mieux faire réussir l’apprentissage collectif. Aucun élève n’a envie d’être tenu pour responsable d’un échec collectif, fût-il momentané.

Sur le plan cognitif, l’interaction stimule l’activité cognitive dans l’apprentissage de concepts complexes. Les élèves s’apprennent les uns aux autres, et les uns des autres, en utilisant différentes méthodes : par la discussion, l’exemple, la confrontation de points de vues différents, de raisonnements adéquats ou inadéquats, ou encore la reformulation pour favoriser la compréhension des autres qui favorise l’intégration dans la mémoire. 

Sur le plan social, la coopération établit des relations sociales plus harmonieuses entre personnes ayant des spécificités ou provenant de milieux socioculturels différents. Les élèves considèrent davantage les qualités personnelles des autres que ce qui pourrait les différencier sur les plans physiques, ethniques, sociaux, … On observe l’éclosion d’une identité commune, puisque les apprentissages qu’ils font ensemble sont d’un intérêt commun et se font dans un but commun.

Cette identité commune engendre l’acceptation de la diversité et favorise l’intégration de tous dans un système inclusif, au-delà des appartenances particulières. Les élèves acquièrent ainsi une identité sociale qui les rassemble au lieu de les diviser en groupes distincts.

L’apprentissage coopératif forme les jeunes aux exigences d’une vie dans une société démocratique pluraliste. Les pratiques de la coopération reproduisent, en effet, les conditions de la vie relationnelle dans une société démocratique moderne. Les élèves y apprennent à la fois l’autonomie et la responsabilité via la coresponsabilité de la construction de leurs apprentissages. Ils apprennent également à assumer des rôles sociaux et à prendre des responsabilités dans leur environnement social. Les élèves acquièrent une capacité à dialoguer, à régler des conflits, à confronter des points de vue, à co-construire des aménagements sociaux et à participer à l’élaboration de lois et du vivre ensemble.

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[1] Slavin, Hurley, & Chamberlain, 2003, Sharan, 2010

[2] Laferrière, 2003;  Beaudrit, 2005; Peyrat-Malaterre, 2011

[3] Johnson, Johnson, & Smith, 2007; Rouiller & Lehraus, 2008; Sharan, 2010

[4] Gillies, 2004.

[5] Slavin et al., 2003 ; Johnson & Johnson, 2009

[6] Howden & Kopiec, 2000; Beaudrit, 2005 ; Rouiller & Lehraus, 2008 ; Sabourin & Lehraus, 2008 ; Rouiller & Howden, 2010;

[7] « La pédagogie coopérative est une approche interactive de l’organisation du travail […] où des étudiants de capacités et de forces différentes […] ont chacun une tâche précise et travaillent ensemble pour atteindre un but commun » (Howden et Martin, 1997, p. 6).

[8] Isabelle Plante, 2012 – L’apprentissage coopératif : des effets positifs sur les élèves aux difficultés liées à son implantation en classe.

[9] En contexte scolaire, chercheurs et praticiens reconnaissent depuis longtemps les bienfaits du travail d’équipe dit « en coopération » durant lequel les élèves apprennent les uns des autres (Aronson, Blaney, Stephin, Sikes, & Snapp, 1978; Brody & Davidson, 1998; Slavin & Tanner, 1979)

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