De l’espoir à la désillusion face à un tronc commun qui s’effrite

De l’espoir à la désillusion face à un tronc commun qui s’effrite

La Ministre Glatigny détricote l’espoir d’une Ecole de la réussite de tous

Alors que le monde de l’enseignement se mobilise massivement ce 26 novembre face à diverses mesures d’économie budgétaires sur l’éducation, la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire relaie ses inquiétudes face à diverses mesures prises ou envisagées qui douchent l’espoir d’un enseignement enfin réellement au service de l’égalité entre élèves et de la lutte contre l’échec scolaire. Exclusions de jeunes « en retard » de l’école sans leur en donner le choix ni garantir l’accompagnement, maintien du caractère certificatif du CEB et augmentation du seuil de réussite à 60%, renforcement de mesures de sélection durant le parcours des élèves, fragilisation du tronc commun : plus que jamais, le politique semble vouloir conjuguer éduquer avec reléguer.

Il y a 10 ans déjà : la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire appelait à la fin de l’école de la relégation

Dans la perspective des élections de 2014, face au terrible constat que notre enseignement en FWB était à la fois le champion du redoublement, de relégation et des systèmes éducatifs de l’OCDE qui produisent le plus d’inégalités scolaires, la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire, soutenue par de nombreuses associations de la société civile, ainsi que par le Délégué Général aux Droits de l’Enfant et des académiques, appelait les femmes les hommes politiques à affirmer leur volonté d’évaluer à 360° la situation de l’enseignement en FWB avec toutes ses composantes, en vue d’une refondation de l’École : objectivation des données, identification des freins aux changements, débats pluriels sans tabous pour une évolution globale, concertée et planifiée du système éducatif dans l’objectif de passer d’une école de la relégation et de l’échec massifs à une école de la réussite pour tous.

La suite, on la connait. Les Ministres Milquet puis Schyns (CDH) ont ouvert le grand chantier qui a abouti à l’élaboration de deux rapports fondamentaux : un état des lieux, sans concessions, partagé par l’ensemble des acteurs de l’école mis au travail durant deux années, et une vision d’une école du XXIe siècle. Une feuille de route qui se déroulait sur plusieurs législatures, l’avis numéro 3 du Pacte pour un enseignement d’excellence, a été adoptée par le gouvernement pour reformer notre système éducatif en profondeur. Le projet phare, qui sous-tendait toutes les autres réformes s’y articulant : l’instauration d’un nouveau tronc commun polytechnique jusqu’à l’âge de 15 ans dans le but de fournir à tous les élèves le même socle de base de connaissances et compétences – ce qui impliquait la suppression du caractère certificatif de l’épreuve du CEB.

Après plusieurs entorses, le détricotage

Une sérieuse entorse à ce principe avait déjà été actée sous les précédentes législatures, en ne supprimant pas le caractère certificatif de l’épreuve du CEB. Concrètement, cela signifie que pour poursuivre son parcours dans le tronc commun, il faut obtenir un diplôme. Mais pourquoi maintenir un couperet au milieu d’un parcours qui se veut continu et commun à tous les élèves, alors que le concept même de tronc commun implique de progresser ensemble tout au long de celui-ci, et qu’il y a de toute façon des évaluations qui permettent à l’enseignant de vérifier la progression de l’élève et d’adapter son soutien pédagogique pour permettre l’acquisition de la matière.

La brèche était laissée ouverte, Valérie Glatigny, nouvelle Ministre de l’Education, s’y est engouffrée. Les mesures qui vont être votées au Parlement cette semaine, et de nombreuses autres qui figurent dans l’accord de gouvernement, préfigurent le retour de la vision d’une école sélective, où la réussite n’est pas un objectif pour tous et où on estime que les élèves trop en retard ou en difficultés doivent être parqués, qui dans le spécialisé[1], qui dans une 1re différenciée, qui dans l’enseignement qualifiant… voire même pour les plus en retard, exclus de l’enseignement.

Le projet de décret-programme actuellement à l’examen du Parlement prévoit que les élèves majeurs de 3e et 4e secondaire qui n’auraient pas été régulièrement inscrits seront exclus de l’enseignement obligatoire. Les élèves qui ont déjà un CESS, pareil : il leur sera impossible de s’inscrire pour une spécialisation en 7e technique de qualification ou professionnelle et ils seront dirigés vers la promotion sociale et le travail. Et le futur est pavé des mêmes « bonnes » intentions : nouvelle épreuve externe « CLE » qui compterait pour le bulletin en 3e primaire, élévation du niveau de réussite des épreuves externes à 60%, maintien (jusque quand ?) du premier degré différencié pour y reléguer ceux qui échouent au CEB, renforcement/concentration des activités orientantes en 3e secondaire mettant ainsi à mal le tronc commun, etc.

Concrètement, cela signifie, pour les élèves concernés, la rupture de l’esprit du tronc commun : les élèves n’ayant pas le CEB seront à nouveau séparés des autres à l’entrée dans le secondaire, en dépit du cadre légal repris dans le Code de l’enseignement. Le maintien de la première différenciée, même de manière transitoire, organise structurellement la ségrégation scolaire en créant des groupes permanents homogènes ! Exit la mixité sociale et l’égalité des chances.

Le contrat social scolaire doit être retrouvé

Les craintes pour l’emploi et le statut des enseignants, le définancement de l’enseignement officiel ne sont pas les seules mesures qui inquiètent les acteurs de l’éducation. La mise en place du tronc commun, qui faisait l’objet d’un accord unanime de tous les acteurs de l’école, est en danger. La réforme globale concertée se vide peu à peu de sa substance. Les conséquences de ce recul impacteront évidement les publics les plus fragiles. Est-ce acceptable ?

La Plateforme de lutte contre l’échec scolaire rassemble des acteurs associatifs et syndicaux du monde de l’école et autour du monde de l’école dans l’objectif d’une transformation du système scolaire lui permettant réellement et concrètement de jouer son rôle de service public : celui de l’accès égal de chaque élève aux conditions de sa réussite et son épanouissement, dans le refus de toute production d’inégalités scolaires.


[1] Ce qui est contraire aux objectifs portés par les Conventions des Droits de l’Enfant et des Droits des Personnes handicapées.

Pandémie : pourquoi des écoles ont-elles continué à pratiquer la sélection ?

Pandémie : pourquoi des écoles ont-elles continué à pratiquer la sélection ?

Analyse

Pourquoi de nombreuses orientations et redoublements ont-ils eu lieu en cette période de pandémie, alors que la consigne était de rendre le redoublement exceptionnel ? Pour les enseignants qui ont connu les grandes grèves des années 1990, cette consigne était logique et leur rappelait pas mal de souvenirs. 1996-1997 a vu le taux de redoublement diminuer drastiquement parce que l’année avait été écourtée (voir ci-dessous).


Source Indicateurs de l’enseignement 2011 p 37, montrant la chute significative des taux de redoublement en 1996‑1997, qui résulte vraisemblablement des grèves qui se sont déroulées durant le premier semestre 1996.

On pouvait espérer le même dénouement en 2020. Mais la situation n’est plus la même. En 1996, Les élèves se battaient avec leurs profs pour défendre l’école. Aujourd’hui, l’ennemi est un virus. L’école n’a plus de raison de leur être reconnaissante.

Aussi, dès l’annonce de la Ministre limitant le redoublement pour cause de covid-19, il ne faisait pas l’ombre d’un doute pour les associations qui défendent les droits fondamentaux et les droits des élèves et des familles, que ce ne serait jamais qu’un vœu pieux.

Depuis le Décret Missions, toujours pas respecté depuis 1997, on sait que quand le Gouvernement décide, les écoles disposent. Le Politique l’a bien compris puisqu’il commence la circulaire par ces mots « Il convient tout d’abord de rappeler que c’est le Conseil de classe qui reste compétent pour décider de la réussite ou non d’une année d’études ou de l’ajournement d’un élève ».

Tout est dit : le redoublement doit être limité mais c’est l’école qui, in fine, décide. Autrement dit, ne changeons pas des pratiques qui perdent.

Et qui perdent qui ? Les élèves !

Il est clair que le Gouvernement ne se faisait guère d’illusion, malgré sa demande, un peu plus bas dans la circulaire : « Il conviendra de faire preuve de bienveillance dans l’appréciation des acquis des élèves, particulièrement lorsque les difficultés éprouvées par ceux-ci sont de toute évidence liées au contexte sanitaire. »

Car, toute décision prise, quelle qu’elle soit : passage dans la classe supérieure, examens de passage, redoublement, orientations, a été inévitablement liée au contexte sanitaire. Qu’ont-elles jugé, ces écoles ? Seulement un petit 2/3 d’année ! Plus précisément 118 jours sur 182. Et si on retire les jours blancs inutilement perdus en décembre[1], on tombe à une toute petite centaine de jours sur 182, soit une grosse demi-année.

Qui donc est capable de juger de la capacité à passer dans la classe supérieure sur si peu d’apprentissages ? Personne ! Déjà que les recherches en docimologie ont démontré que personne n’était capable de juger un·e élève avec des points. Alors sur une bonne demi-année, c’est tout simplement du mépris, de la discrimination des élèves à l’état pur. Et pas n’importe lesquels et pas pour n’importe quelle raison. Car ici, il ne s’agira pas de juger de la capacité d’un·e élève à passer dans la classe supérieure – ce qui est impossible – mais de pratiquer une sélection sociale. Bref, de continuer des pratiques de sélection bien ancrées dans nos écoles et qui existent depuis le XVIe siècle.

La question qui mérite d’être posée est « Pourquoi certaines écoles gardent-elles cet objectif de tri et de sélection, malgré la crise qui a frappé toute notre société ? » 

Nous allons vous expliquer pourquoi ces écoles ne vont pas changer. Mieux encore, pourquoi elles ne peuvent pas changer…

Rappelez-vous quand Ignace de Loyola fit de l’école l’instrument de la reconquête catholique (la Contre-Réforme) afin de contrecarrer l’expansion protestante sur l’un de ses terrains de prédilection : l’accès aux savoirs religieux et laïques. Les écoles deviennent élitistes. Il s’agit de privilégier les plus méritants et d’éliminer les autres. Il a donc élaboré un système sélectif qui perdure encore aujourd’hui dans certains pays arriérés sur le plan pédagogique. En FWB nous sommes encore dans l’école du 16e siècle. Et c’est bien de cela que nous parlons aujourd’hui.

Revenons à la question du jour. Pourquoi des écoles vont-elles, envers et contre tout, continuer leurs pratiques de sélection ?

On vient de voir que monsieur de Loyola et les écoles jésuites n’y étaient pas pour rien. L’objectif était de pratiquer une sélection sociale et cet objectif reste prioritaire dans le chef de nombreuses directions d’écoles. Pas sous ces termes-là, bien sûr. Ils ont évolué et se sont transformés en doxa. Autrement dit, en un ensemble plus ou moins homogène d’opinions, de préjugés populaires ou singuliers, et de présuppositions non vérifiées, qui règnent en maître dans les salles de profs (et dans certaines familles). Et la doxa de l’école est puissante. Nous ne citerons que quelques-uns des présupposés qui nous concernent aujourd’hui :

  • « Notre école prépare à l’université, nous ne savons pas faire réussir tout le monde ! » C’est faux, tout le monde est capable[2] ! En outre, aucune école n’a pour mission de préparer à l’université[3] ;
  • « Le redoublement permet aux élèves de reprendre pied ! » C’est faux ! Les études ont démontré que c’était tout le contraire[4] ;
  • « Certains enfants – principalement de milieux populaires – ne sont pas faits pour l’école. Ils ont l’intelligence de la main et doivent être orientés vers le professionnel ou le technique ! » C’est faux ! Tout le monde peut apprendre tous les savoirs. Cela aussi est démontré ;

Et donc, nous nous retrouvons face à des écoles qui pratiquent la sélection sociale depuis des décennies sur aucune base valide, et qui n’imaginent pas qu’il soit possible de faire autrement. Il n’est un secret pour personne que la sélection va continuer à être pratiquée, non pas sur les capacités scolaires des élèves, mais sur des présupposés archaïques, qui ont été invalidés depuis des décennies par les sciences de l’éducation. Bref, ils vont casser des élèves simplement parce qu’ils sont mus par une idéologie archaïque, une idéologie née au XVIe siècle et portée à travers les âges par les écoles jésuites et celles qui voulaient leur ressembler : nos écoles élitistes !

En outre, ces écoles se sont structurées physiquement de manière à ne plus savoir faire autre chose que de pratiquer cette sélection. Elles sont devenues pyramidales.

Exemple d’école pyramidale (chiffres de 2012) : Dans cet exemple, s’il y a 6 classes au premier degré du secondaire, il n’y a plus que
–         5 classes en 3e (-35 élèves)
–          4 classes en 4e (- 6 élèves)
–       et 3 classes au troisième degré (- 42 élèves)
soit une perte de 83 élèves entre 14 et 16 ans (- 53 % de ceux qui avaient commencé en 1ère)

Depuis des années, cette structuration les empêche physiquement de faire passer tou·te·s les élèves, crise sanitaire ou non, simplement parce qu’il n’y a plus de locaux de libres pour créer de nouvelles classes (les rares locaux qui auraient pu servir ont rapidement été affectés à d’autres usages, moins pédagogiques, afin de monopoliser tout l’espace). Autrement dit, elles sont « obligées » d’éliminer progressivement plus de la moitié de la population d’une tranche d’âge, car année après année, il y a de moins en moins de locaux pour les accueillir. Et cela, même si ce sont autant d’Einstein.

C’est profondément ancré dans l’esprit de ces « bonnes » écoles : « On ne peut pas faire réussir tout le monde. C’est rendre service aux élèves que de les orienter vers des métiers de la main ».

Dès lors, il s’agit de pratiquer progressivement la sélection en commençant par les classes sociales les plus fragiles. Car la sélection scolaire se fait prioritairement sur des bases sociales[5]. L’école primaire aura déjà tracé la route en mettant plus de 17% des élèves en retard[6], principalement issus de familles pauvres et qui se tourneront vers des écoles secondaires professionnalisantes. Dès lors, il ne leur restera plus qu’à remonter progressivement de décile social en décile social, en évitant de toucher aux enfants des familles les plus favorisées qui – et c’est la doxa qui le dit – « sont faits pour faire de hautes études ». Ces privilégiés (à leur corps défendant) auraient-ils reçu ce don par un coup de baguette magique dans leur berceau ?

Ce qui est plus certain, c’est que ces élèves – celles et ceux qui réussiront – ressemblent étonnamment aux enfants des professeur·e·s du secondaire général supérieur. Ils sont pour la plupart enfants d’universitaires, comme le sont les mêmes professeur·e·s du secondaire supérieur. Les loups ne se mangent pas entre eux. Et puis, « si tout le monde réussissait, qui viendrait apporter mon courrier ou faire l’entretien de mon SUV très polluant ? »

La crise sanitaire va montrer au grand jour que les redoublement et les orientations que pratiquent les écoles depuis des décennies ne reposent pas sur des arguments pédagogiques mais sont simplement idéologiques et structurels. Pour être une « bonne » école, et être bien positionnée par rapport aux établissements alentour, il faut sélectionner. Ces écoles n’enseignent pas, elles se positionnent sur le marché scolaire en pratiquant la sélection ; en pratiquant simplement l’injustice.

Il est temps que le politique se questionne sur sa responsabilité, lui qui n’a jamais cherché à faire appliquer le Décret Missions. Évidemment, cela arrange tout le monde : écoles et partis politiques. S’il n’y avait plus de sélection, que feraient les écoles techniques et professionnelles ? Faudrait-il mettre au chômage des milliers de professeur·e·s (qui bénéficient de la garantie d’emploi, donc d’un salaire que la FWB se doit de leur verser, avec ou sans élèves) ? Et puis revenons à la question posée par ces « bon·ne·s » professeur·e·s élitistes, mais aussi par des milliers de familles socialement favorisées : « Si tout le monde réussissait, qui viendrait apporter mon courrier ou faire l’entretien de mon SUV très polluant ? ».La crise sanitaire aurait été l’occasion de repenser l’école au profit des plus discriminés. Mais les établissements ne l’entendent pas de cette oreille. L’école n’est pas faite pour les élèves. Elle est faite par des adultes, pour leurs seuls intérêts, que ce soient celui des professeur·e·s (il est plus facile de sélectionner que d’enseigner), des directions d’écoles (un directeur de « bonne » école vaut plus dans leur esprit qu’un directeur d’école professionnelle, pourtant souvent plus efficace) ou des PO (notre établissement doit attirer les publics les plus favorisés, ce qui fera de nous la « meilleure » école, versus nous avons besoin d’élèves pour faire fonctionner nos écoles techniques et professionnelles).

Si la crise sanitaire n’aura pas – ou très peu – fait changer les pratiques de ces « bonnes » écoles, elle permet à tout le moins de mettre en lumière et de dénoncer – c’est ce que nous faisons aujourd’hui – ces pratiques idéologiques archaïques, injustes et indignes d’une société du XXIe siècle. Une école qui n’est pas un lieu qui respecte le Droit n’est pas digne d’exister.

Nous en profitons pour rappeler que la FWB a signé et ratifié la Convention internationale des Droits de l’Enfant et donc que celle-ci s’impose aux écoles, et s’applique à tout·e enfant, quel·le qu’il-elle soit et quelle que soit son origine. Toute école a, dès lors l’obligation – et elle est subsidiée pour cela – de transmettre tous les savoirs à tou·te·s les élèves sans pratiquer la moindre sélection sur base sociale, physique, intellectuelle, de genre, de leur origine ou de leurs préférences sexuelles.

Il faut changer l’école et la crise sanitaire est une opportunité. Bien sûr, elle ne débouchera pas sur « LE » grand soir, mais elle a le mérite de montrer au grand jour les dysfonctionnements internes à ces écoles que sont le tri et la sélection sur base de la classe sociale.

Nous verrons si le Conseil de recours fera respecter l’esprit de la circulaire ; que les parents soient (enfin) de vrais partenaires et que le redoublement soit effectivement exceptionnel tout comme les attestations d’orientations. Il est impossible d’évaluer la capacité ou non d’un·e élève à passer dans la classe supérieure sur un peu plus d’une demi-année. En Droit, le doute doit toujours bénéficier au/à la citoyen·ne, donc à l’élève ! Le contraire ne serait qu’injustice.

C’est au pouvoir subsidiant à imposer les balises de la prochaine reprise de l’école en septembre. Des écoles refusent d’appliquer le Droit et de respecter ceux des élèves. Il est nécessaire qu’un Décret impose à ces écoles les règles pédagogiques à respecter durant l’année 2020-2021, règles qui baliseront également les années suivantes dans l’esprit du Pacte pour un enseignement d’excellence. Ce Décret doit prévoir les moyens de vérifier que ces règles seront respectées et les sanctions financières qui seront appliquées aux PO qui ne les respectent pas. L’expérience du Décret Missions doit servir de guide.

Les écoles ne sont pas au-dessus du Droit. Il serait temps que le Politique prenne les mesures qui s’imposent pour sanctionner ces prétendument « bonnes » écoles qui n’en ont que le nom mais qui, dans les faits, sont vraiment bien mauvaises.


[1] Les seules évaluations légales sont les évaluations formatives (voir l’article 15 du Décret Missions). Le examens sont de prétendues évaluations incapables de juger des connaissances d’un·e élève. Tout au plus de sa capacité à les restituer à un moment donné et dans des conditions défavorables (pression, stress, évaluations construites pour pratiquer une sélection, …). Les examens et les révisions font perdre du temps au profit des apprentissages.

[2] Voir le concept d’éducabilité : https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2019/10/09/en-marche-vers-une-ecole-inclusive-le-principe-deducabilite/

[3] Décret Missions : article 6

[4] Le redoublement engendre, chez les élèves qui le subissent, ce que les psychologues appellent le sentiment d’incompétence acquis (Learned helplessness aussi appelée théorie de la résignation apprise – Seligman, Maier & Solomon 1969). L’élève se résigne à ne pas être compétent. Ses expériences ainsi que les messages envoyés par l’école lui ont démontré qu’il « ne savait pas », qu’il était incompétent et que rien ne pouvait modifier cet état. Le sentiment d’incompétence acquis est difficilement modifiable chez l’enfant qui le ressent. Il a le sentiment de ne pas avoir le contrôle des causes qui l’ont amené à cet échec et qu’elles ne pourront jamais changer. Il est persuadé d’être bête et incapable, une fois pour toute (lire le concept d’éducabilité, ci-dessus).

[5] Indicateurs de l’enseignement 2019 , pages 27 et 27 : « Il existe une disparité socioéconomique importante entre les formes de l’enseignement secondaire ordinaire. Elle commence dès l’entrée dans le secondaire avec un écart important (de 0,52) entre l’indice moyen du premier degré différencié et celui du premier degré commun. Cet écart s’accentue dans le deuxième degré où l’ISE des secteurs de résidences des élèves fréquentant la forme professionnelle est de -0,32 alors que dans la forme technique de l’enseignement de qualification, il est de -0,07. Dans ce degré, l’ISE moyen est de +0,19 pour la forme technique de transition et de +0,23 pour la forme générale. Des disparités similaires sont observables au 3e degré où l’ISE moyen s’élève respectivement à –0,18, +0,01, +0,27 et +0,32. Ces valeurs sont toutefois supérieures à celles observées dans la même forme au 2e degré, ce qui peut s’expliquer par une orientation vers les formes de l’enseignement secondaire les moins réputées ou vers l’enseignement en alternance et par les sorties prématurées qui touchent les élèves issus des secteurs les moins favorisés. Il existe également une disparité socioéconomique entre les formes de l’enseignement secondaire spécialisé. La forme 4, seule forme qui délivre des certificats et diplômes équivalant à ceux délivrés dans l’enseignement secondaire ordinaire, accueille un public dont l’indice est légèrement inférieur à la moyenne (–0,07). Les autres formes accueillent par contre un public moins favorisé, avec un ISE moyen qui s’élève respectivement à –0,21, –0,31, –0,38 dans les formes 1, 2 et 3. » 

[6] Indicateurs de l’enseignement 2019



Le redoublement – chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Le redoublement – chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

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En Belgique comme en France ou au Grand-duché de Luxembourg, penser à une école sans redoublement est inimaginable. De nombreux professeurs sont convaincus que le redoublement aurait une réelle utilité pédagogique : il permettrait de remédier aux difficultés constatées. Puisque les rythmes de développement personnels et d’apprentissage varient d’un élève à l’autre, le redoublement permettrait de corriger ces rythmes en offrant un supplément d’apprentissage aux plus lents. Mieux encore, il servirait aussi de thérapie puisqu’il permettrait aux élèves de gagner en maturité et de repartir sur de meilleures bases.

Comme de nombreux parents qui ne sont pas spécialistes de la pédagogie, les professeurs considèrent encore le redoublement comme un moyen de remédiation efficace. Ils lui attribuent par ailleurs un rôle instrumental. Un sondage[1] d’OpinionWay révèle que 70 % des parents et 64 % des professeurs interrogés sont d’accord avec la phrase « Le redoublement permet réellement à l’élève de rattraper son retard et d’être mieux préparé pour les classes supérieures » .

Le point de vue des parents n’a pas été fort étudié par la recherche scientifique. Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin[2] citent plusieurs études anciennes qui révèlent une adhésion massive au redoublement, mais on manque d’enquêtes récentes. Thierry Troncin[3] a montré que très peu de parents s’opposent au redoublement de leur enfant en première primaire (ou CP). Selon l’auteur, ce serait le signe de la confiance des parents envers les enseignants à ces niveaux scolaires. Mais, rappelons-le, les parents – tout comme les professeurs adeptes du redoublement – ne sont pas experts en pédagogie, ne connaissent rien des études sur les effets psychologiques et le manque d’efficacité du redoublement et encore moins des alternatives que mettent en place les enseignants (contrairement aux professeurs) pour éviter l’échec scolaire et ses dérives.

Non, les professeurs ne sont pas les seuls responsables de l’échec de notre système scolaire. Des parents – principalement ceux issus des classes les plus favorisées et dont la classe sociale tire profit de la sélectivité – manifestent également un triste attachement au redoublement, donc à l’échec scolaire… des enfants des autres.

Tenir à sa classe sociale et refuser de la partager avec les moins nantis est profondément inique. Evidemment, si on veut des riches, il faut des pauvres. Supprimer les pauvres, reviendrait à rendre les gens égaux et donc, à partager les richesses de la société. Cela ne peut être acceptable par une partie minoritaire mais influente de la société. Quels sont les parents qui écrivent des cartes blanches dans la presse, sinon des gens instruits qui défendent leurs acquis sociaux pour leurs propres enfants ? Ce sont des gens qui refusent de partager ces acquis avec l’immense majorité paupérisée de la population. Ce sont ceux qui, en un mot, ne cherchent qu’à protéger leur progéniture et à veiller à leur succès au détriment des plus fragiles. Nous sommes loin du respect du Droit de tous les enfants, mais uniquement de celui d’une minorité de privilégiés prétendument « bien nés ».

L’attachement de ces parents au redoublement renforce celui des enseignants et des établissements élitistes. Il s’agit clairement d’une volonté de maintien de la ségrégation sociale. Il suffit qu’un seul enseignant se pose des questions sur l’inefficacité du redoublement pour, qu’immédiatement, des voix s’élèvent en lui demandant s’il ne vise pas plutôt le « nivellement par le bas » ? Le « nivellement par le bas », vieux fantasme des « élites » libérales qui craignent de partager avec les plus fragiles. Il suffirait simplement de lire la presse qui, en cette matière, fait bien son travail, pour voir que les systèmes scolaires les plus équitables sont aussi les plus performants et donc, qu’ils nivellent vers le haut. Le problème pour ces parents ou grands-parents élitistes belges, c’est que ces systèmes nivellent vers le haut TOUS les élèves, et cela leur est intolérable !

Quant aux familles socialement défavorisées et mal informées des enjeux citoyens, elles imitent ceux qui crient le plus fort sans comprendre les enjeux, en se rassurant que les gens instruits (parents favorisés et enseignants) ont forcément raison. Il est donc important que les médias auxquels ils ont (peu) accès s’engagent, sur le plan citoyen, à expliquer les enjeux sociaux aux personnes les moins bien informées. Nous pensons également aux associations de première ligne, celles qui accueillent les familles et leurs enfants (maisons de quartier, écoles de devoirs, aides en milieu ouvert, services d’accrochage scolaire, médiateurs, …) qui peuvent avoir un rôle fondamental dans l’éducation des classes populaires. Leur faire prendre consciences des enjeux pour l’avenir de leurs enfants leur permettra de ne plus se laisser prendre pour des idiots par l’école qui, elle, a tout intérêt à ce que les parents ne puissent pas contester ses messages. Bref, qu’ils restent dans l’ignorance.

Cependant, les choses sont en train de changer. Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin notent que les familles dites « favorisées » sont beaucoup plus critiques par rapport au redoublement, en ce qui concerne leurs propres enfants. Elles seraient moins disposées à en accepter la décision d’office. Il commence à y avoir un scepticisme à l’égard du redoublement. Dans l’enseignement fondamental, de nombreux parents contestent les décisions de redoublement[4]

Géry Marcoux et Marcel Crahay [5] (2008) expliquent aussi l’adhésion des professeurs au redoublement car ils s’appuient « sur une conception pédagogique selon laquelle l’apprentissage se fait de façon linéaire avec emboîtement des connaissances brique après brique, des professeurs expliquent que le redoublement permet de récupérer les lacunes et de consolider les bases non encore acquises ». En 3e maternelle et en 1ère primaire, 80 % à 90 % des enseignants doutent de l’effet négatif du redoublement sur la confiance en soi d’un élève. Selon eux, un élève qui répète une année le vit rarement comme un échec. Selon eux, on ne « fait pas redoubler une troisième maternelle, on permet à l’élève de mûrir ». Pourtant, aucun professeur n’est formé pour évaluer la maturité d’un enfant. Il s’agit donc bien d’une croyance infondée, telle que le démontrent les parcours d’élèves maintenus en 3e maternelle :



Parcours d’élèves non maintenus en M3 versus parcours d’élèves maintenus
[6]

Comme on peut le voir sur ces graphiques, les élèves qui ont été promus en 1ère primaire (CP) sont 85 % à arriver en 4e année (CM1) sans passer par l’échec. Par contre, ceux qui ont été maintenus en 3e maternelle (grande section) sont un peu moins de la moitié à faire le même parcours. Pire, un quart d’entre eux connaît un second échec et un second quart est orienté vers l’enseignement spécialisé, alors qu’ils sont moins d’un pourcent chez les non maintenus.

Cette conception biaisée fait que le redoublement apparaît dès lors aux professeurs comme une solution adaptée pour solidifier les « bases » des élèves et leur faire gagner en « maturité » afin d’être plus aptes à comprendre les apprentissages et acquérir les compétences visées. « Reposant également sur cette conception cumulative des apprentissages scolaires, bon nombre de professeurs croient aux bienfaits du redoublement précoce[7]»  Comme si l’échec scolaire était un manque de maturité… des élèves ? Personne n’a, fort malheureusement, encore étudié la maturité des professeurs. Pourquoi ceux-ci pratiquent-ils l’échec scolaire alors que les enseignants, eux, ne le font pas. Et ces derniers[8] sont loin d’être des laxistes. Enseigner et transmettre les savoirs à tous les élèves nécessite un engagement professionnel et humain autrement plus important que ce que pratiquent les sélectionneurs. Tout le monde sait donner cours de quelque chose, par contre, enseigner est un art.

Pour Géry Marcoux et Marcel Crahay, « De multiples propos de professeurs traduisent la persistance de croyances sur les effets bénéfiques du redoublement. Celui-ci reste majoritairement vu comme une seconde chance. De manière synthétique, recommencer présenterait différents avantages liés au fait général de donner un supplément de temps. Ainsi, il serait bénéfique de donner du temps aux enfants pas assez mûrs, car on suppose que, durant l’année de redoublement, la maturité va s’acquérir. Il serait également bénéfique de donner du temps aux enfants qui ont des situations familiales difficiles à gérer: on protège ces enfants en ne rajoutant pas une difficulté supplémentaire à leurs problèmes. Le redoublement serait également une manière d’éviter une perte de confiance en soi (par rapport à une promotion qui l’affecterait nécessairement) ou d’aider à la restaurer par la répétition d’activités déjà connues, ce qui réduit la charge cognitive ou la « charge de travail » de l’élève et devrait contribuer à le rassurer sur ses capacités. [9]»

Le redoublement, c’est la roulette russe des professeurs, mais ils mettent le canon du revolver sur la tempe des élèves.

Depuis les années 80, les recherches ont démontré que les professeurs adaptent leurs exigences en fonction de l’établissement scolaire dans lequel ils travaillent, mais également en fonction du niveau moyen de leur classe. C’est une optique peu humaniste mais généralisée. Il leur faudrait, au contraire, se baser sur les plus « faibles » pour pouvoir s’assurer que tout le monde ait compris[10]. En effet, en visant l’élève « moyen », notion que personne au monde n’est capable de définir scientifiquement, il met la barre suffisamment haut pour pratiquer sa sélection, au détriment des plus « faibles ». C’est inéquitable. Non seulement parce que les élèves en difficulté ont été ignorés du début à la fin de l’apprentissage, mais selon la classe dans laquelle il se trouve et les exigences du professeur, l’élève sera placé en échec ou non. Deux élèves aux compétences et connaissances identiques, placés dans deux classes différentes seront pour l’un promu, pour l’autre mis en échec et contraint de redoubler.

Sur les exigences des professeurs en matière d’évaluation, Pierre Merle[11] rappelle que « les recherches sur la notation ont montré l’existence de biais sociaux de notation. Les professeurs sont inconsciemment influencés par le sexe de l’élève, un redoublement éventuel, son âge, son origine sociale, son niveau scolaire, ses notes précédentes, le niveau de la classe, de l’établissement » et, plus étonnant encore, son prénom, comme l’indique une étude intitulée « Name Stereotypes and Teachers’Expectations » dans laquelle deux chercheurs nord-américains ont démontré que les enfants étaient évalués différemment selon la manière dont leur prénom était perçu par leurs enseignants. Il est ainsi apparu qu’une même rédaction se voyait attribuer une note statistiquement supérieure lorsque son «rédacteur» portait un prénom «socialement désirable»[12].

De même on sait que les professeurs tiennent compte des exigences de leurs collègues suivants pour décider du sort d’un élève[13].  

On rappellera toutefois que dans le cadre de l’étude menée par Chenu et al. (2011), deux tiers des institutrices de 3e maternelle (grande section) prenaient en compte les attentes plus ou moins explicites de l’enseignant de première primaire (CP) en termes de maintien. La prise en compte des attentes implicites des collègues de la classe supérieure n’est pas l’apanage exclusif des institutrices de 3e maternelle. Comme le précise Marcel Crahay, « pour un professeur, l’évaluation est aussi un élément crucial dans sa relation avec ses collègues. Au moment de décider de la réussite ou de l’échec des élèves, il est confronté à un dilemme […] : faire échouer un élève dont le niveau de performance est à la limite de ce qu’il croit devoir exiger, c’est courir le risque d’interrompre inutilement la scolarité d’un élève, mais cette erreur possible […], il est fort peu probable qu’on la lui reproche. En revanche, laisser réussir ce même élève, c’est prendre le risque qu’il se montre incapable de suivre l’enseignement du collègue de la classe supérieure ; et là, la probabilité des reproches venant de collègues est bien plus élevée. On touche ici au cœur même de ce qu’il faut bien appeler une culture de l’échec. Un professeur chez qui tous les élèves réussissent est suspect.[14] »

Au quotidien, ces attentes prennent probablement des formes implicites, tacites. On peut penser que c’est aussi par empathie avec le collègue de l’année suivante que certains professeurs décident de ne pas laisser passer un enfant dont la gestion des difficultés risque d’être très lourde pour son collègue[15]. Marcel Crahay cite ensuite différents travaux qui montrent que quand l’enseignant monte avec sa classe, le redoublement est quasi-nul[16].

En résumé, la décision d’un redoublement ne dépend pas des performances d’un élève, mais avant tout des « exigences » du ou des professeurs qui sont, comme on l’a vu, fortement influencées par le niveau de l’école, de la classe et les caractéristiques socioéconomiques et physique de celui -ci. Elle dépend aussi des attentes implicites ou explicite des collègues de la classe supérieure.


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Chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] OpinionWay. Le redoublement à l’école, quels ressentis des enseignants et des parents. Sondage, Novembre 2012. URL http://www.apel.fr/images/stories/apel-opinionway-redoublement.pdf.

[2] Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin. Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire. Rapport 14, Haut conseil de l’évaluation de l’école (HCéé), Décembre 2004.

[3] Thierry Troncin. Le redoublement : radiographie d’une décision à la recherche de sa légitimité. Dijon, Université de Bourgogne, 582 p., Thèse de doctorat, sous la direction de Jean-Jacques Paul. 2005.

[4] Rappelons qu’en Belgique, les parents ont le droit de s’opposer au redoublement tout au long de l’enseignement fondamental. Le CEB (Certificat d’Etudes de Base) que l’on passe à 12 ans est le seul moment de certification et donc de possibilité de redoublement pour un élève. 

[5] Géry Marcoux et Marcel Crahay. Mais pourquoi continuent-ils à faire redoubler ? essai de compréhension du jugement des enseignants concernant le redoublement. Revue suisse des sciences de l’éducation, 30 : 501–518, 2008.

[6] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[7] Géry Marcoux et Marcel Crahay. Ibid.

[8] Nous rappelons que nous faisons une différence fondamentale entre professeur et enseignant. Le professeur, pratique la sélection dans une compétition mortifère, tandis que l’enseignant enseigne… donc vise l’acquisition de tous les savoirs chez tous les élèves. Bref, la « réussite » de tous, contrairement au premier qui, de son côté, n’est pas formé ou ne s’est pas auto-formé pour enseigner. Pour savoir dans quelle catégorie vous situer, demandez-vous si vous pratiquez ou non le redoublement.

[9] Géry Marcoux et Marcel Crahay, Mais pourquoi continuent-ils à faire redoubler? Essai de compréhension du jugement des enseignants concernant le redoublement – Université de Genève, Université de Genève, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, 2008

[10] L’idée étant bien de s’assurer que tous les élèves, les plus « faibles » compris, aient acquis un niveau de compétences élevé.

[11] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes

[12] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes

[13] Chenu, F., Dupont, V., Lejong, M., Staelens, V. Hindryckx, G., & Grisay, A. (2011). Analyse des causes et des conséquences du maintien en 3e maternelle. Rapport de recherche. Administration Générale de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique.

[14] Crahay, M. (1996). Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? (1re éd.). Bruxelles : De Boeck.

[15] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[16] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian, ibid.

Etude : Les notes à l’école

« L’école actuelle veut toujours hiérarchiser; ce qui importe avant tout, c’est de différencier. Cette idée fixe de hiérarchie provient de l’emploi des divers systèmes usités pour aiguillonner les écoliers: bonnes ou mauvaises notes, rangs, punitions, concours, prix… Mais il est entendu que, dans l’école de demain, tous ces expédients seront mis au rancart, ou n’auront en tout cas plus l’importance d’antan. L’intérêt, tel sera le grand levier qui dispensera des autres. »

(Claparède, 1920)

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Introduction

Avec l’évolution des droits fondamentaux, l’école a été obligée de s’affranchir des châtiments corporels ou humiliants. Terminés, les coups de règles sur les doigts, les « mises au piquet » ou « le nez dans le coin », le bonnet d’âne et le banc d’infamie.

On pourrait donc croire que les droits de l’enfant[1] sont maintenant pleinement respectés par l’Ecole. Ce ne serait qu’une illusion, un rêve éveillé, une utopie. Mieux, une naïveté coupable ! Les châtiments corporels ont été remplacés par une violence plus insidieuse, plus dévastatrice et productrice de plus d’inégalités encore : la cotation des élèves.

Bien sûr, la cotation ne date pas d’hier et elle a côtoyé les violences physiques qui, elles, sont antérieures à l’Ecole. Mais, si ces dernières ont disparu, leur violence s’est déplacée sur ce qui restait de « pouvoir » aux professeurs : les notes ! Ne pouvant plus frapper les élèves qui chahutaient ou qui ne comprenaient pas une matière, les professeurs se sont rabattus sur la dernière maîtrise qu’il leur restait : la sanction par les notes !

Cela va donc leur permettre de sanctionner non seulement la manière dont un apprentissage a été réceptionné, mais aussi l’attitude et le comportement de chaque élève durant le cours.

Autrement dit, la note a deux usages. Le premier est de  » régler ses comptes  » avec les élèves qui n’ont pas accroché au cours, qui l’ont perturbé ou été inattentifs, sans avoir à analyser les raisons de ce désintérêt (manque de « sens » de l’apprentissage, cours incompréhensible, mal expliqué, bruits, raisons extrascolaires, …), d’autant plus que cela replacerait le professeur face à ses compétences.

Le second usage de la note est de « sanctionner » et donc de punir les élèves qui n’ont pas compris l’apprentissage, toujours sans devoir analyser les causes qui renverrait encore une fois le professeur face à ses compétences (manque de différenciations pédagogiques, de remédiation, de tutorat, …). Or, un apprentissage ne peut pas être compris par 25 élèves grâce à une seule et même manière de l’enseigner. Si l’on veut que tous les élèves comprennent, il faut mettre en œuvre plusieurs stratégies. Pour 25 élèves, cela signifie mettre en place entre 2 et… 25 méthodes différentes ! Si on ne prend pas la peine de mettre ces approches en place, on abandonne les élèves qui ont le plus besoin d’être aidés. Il est, dès lors, facile de pratiquer la sélection. C’est donc bien un choix personnel de chaque professeur.

Edouard Claparède[2], cité au début, pensait que les droits de l’Enfant auraient cours au XXIe siècle. Or, s’il y a bien un lieu qui est exempt de droits, c’est l’école.

Les notes dans le quotidien de l’école sont une source importante de tensions. Nombreux sont les étudiants qui ne comprennent pas leurs notes et la conteste. Même les parents s’interrogent sur son adéquation en fonction du travail de l’élève.

Sur la manière dont ils la fabrique. Il ne faut éviter les débats en interne et taire le secret de polichinelle qu’il y a des professeurs plus « sévères » que d’autres, ce qui engendre des inégalités d’évaluations. L’Ecole est une machine à sélectionner et à amplifier les inégalités. Cette sélection se fait principalement par la note et par la complicité de professeurs qui ne se posent pas la moindre question sur leurs pratiques, et encore moins sur leur propre compétence et leur responsabilité personnelle dans la fabrication de ces inégalités.

Deux tropismes[4] éclairent notre système scolaire au sujet des notations. Le premier se dit à la salle des « profs[5] » : « Ma classe est composée de quelques élèves “faibles”, d’un gros ventre mou d’élèves “moyens” et de quelques élèves “forts”. Cette distribution, je dois retrouver dans mes résultats ! ».

Le second tropisme s’adresse aux élèves : « Avec les fautes que tu as faites, je n’ai pas d’autre solution que de te donner une moyenne qui te fera redoubler ton année ! » Ce sont deux « actes réflexes » (donc non remis en cause et encore moins analysés), qui vont décider de l’avenir d’un être humain. Et cet avenir va durer 70 ans. Autant d’années à souffrir de la décision inhumaine d’un être qui se prétend humain, et qu’un enfant a croisé par le plus grand des hasards dans une école pendant une petite année. Un être qui ne s’interroge pas sur sa propre humanité, qui n’aura plus jamais aucun lien avec cet élève dont il sacrifie l’avenir, et sur qui cette décision de sélection n’aura pas le moindre impact, au contraire de l’enfant qui devra porter cette marque d’infamie tout au long de son existence.

Evaluer, c’est « porter un jugement sur la valeur de…[6] ». Quand on évalue, il s’agit bien de porter un jugement. Il y a donc à chaque fois subjectivité (jugement de « valeur ») et imprécision (approximation). Ce sont les deux caractéristiques des notes.

Ces jugements de valeur sont souvent basés sur une conception naturaliste de l’intelligence. Des enfants seraient doués pour les études et d’autres, au contraire, seraient doués pour les travaux manuels. Cette conception est régulièrement portée par les partis politiques néolibéraux qui ont une caractéristique commune, c’est qu’ils n’ont aucune personne compétente en matière d’enseignement dans leurs partis. A tout le moins en France et en Belgique. D’ailleurs, cette « vérité » néolibérale est tellement dépassée qu’aucun chercheur en psychologie ou en sociologie ne se lèvera pour la défendre.

Hors les écoles à pédagogie active qui, elle, ont décidé de respecter leurs élèves, La plupart des institutions scolaires persistent à vouloir attribuer une note à toute production. Pourtant, et cela a été démontré depuis plus d’un siècle, le système d’évaluation par notation est tellement subjectif qu’il ne reflète jamais le niveau réel de l’élève en matière d’acquisition des apprentissages. Jean-Jacques Bonniol[7], professeur des universités en sciences de l’éducation, a par exemple calculé qu’il faudrait 78 correcteurs en mathématique et 762 en philosophie pour neutraliser les erreurs de calcul et améliorer l’objectivité de la notation.

La cotation est commode et ne nécessite aucune compétence pédagogique. Il ne faut pas trop réfléchir, elle est vite donnée et le nombre d’échecs déterminera la « qualité » du professeur. Elle permet de mettre les élèves en compétition et de sélectionner ceux qui ont le plus de « facilités scolaires », ceux qui proviennent des milieux les plus favorisés, tout en « criminalisant » les autres et en se débarrassant de ceux qui nécessiteraient plus d’investissement pédagogique. C’est donc de leur faute et de celle de leurs familles qu’ils sont en échec.

La cotation est le signe extérieur de la compétence d’un établissement scolaire. Elle est pratique : le professeur et l’école peuvent ainsi se dédouaner de leurs incompétences ou de leur idéologie de sélection sociale et, par là-même, de leurs décisions touchant à l’avenir des élèves.

Pour la plupart des parents élitistes, la « bonne » école est celle qui pratique l’échec scolaire. Pour eux, les écoles qui font « réussir » seraient « laxistes ». Ceci explique la dévotion qu’ont ces écoles et les professeurs qui y exercent par rapport à la notation.

Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000 notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.

Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000 notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.

Lire la suite :

Evaluer, pour quoi faire ?

Les notes ont-elles toujours existé ?

Les notes, une question qui se pose depuis longtemps 

Alors, pourquoi les professeurs tiennent-ils aux notes ?

Que pensent les parents des notes ?

Les notes antérieures des élèves influencent-elles les professeurs ?

Le redoublement a-t-il un effet sur l’évaluation professorale ?

Comment se passe la relation professeur/élève dans ce contexte ?

Tous les élèves sont-ils logés à la même enseigne ?

Les notes sont-elles imprécises et productrices d’inégalités scolaires ?

Les profs disent que les notes ont un « effet stimulant ». Est-ce prouvé ?

Si la note est inefficace, comment faire, alors ?

En définitive, la notation est-elle une maltraitance ?

Quelles sont les alternatives à la note ?

Supprimer les notes, ne serait-ce pas tromper les élèves ?

Comment font les pédagogies actives, qui n’utilisent pas la note ?

Conclusion


[1] Voir la CIDE (Convention Internationale des Droits de l’Enfant » – ONU 1989.

[2] Edouard Claparède était est un médecin neurologue et psychologue suisse (1873-1940). Ses principaux centres d’intérêt furent la psychologie de l’enfant, l’enseignement et l’étude de la mémoire. Claparède est l’un des deux ou trois psychologues qui ont profondément nourri la psychologie de Piaget, notamment par sa psychologie de l’enfant et par sa psychologie de l’intelligence.

[3] Pierre Merle. Les notes. Secrets de fabrication. PUF 2007

[4] Tropisme : réaction élémentaire ; acte réflexe très simple.

[5] Si, pour nous, l’école de la cotation est un lieu où il ne devrait pas être mis d’enfants, la salle des « profs » est un lieu où il ne faut surtout pas mettre d’enseignants. On y entre avec une idéologie de réussite pour tous et les doxas qui y sont véhiculées par des professeurs d’arrière-garde, vous rendent pareils à eux, discriminants, incompétents et injustes.  

[6] Le Petit Robert, 1999

[7] Ancien professeur des universités, Jean-Jacques Bonniol est le fondateur et ancien directeur du département des sciences de l’éducation à l’Université de Provence, Aix-Marseille (France).

Evaluer, pour quoi faire ?

Evaluer, pour quoi faire ?

La première mission des enseignants est de former des élèves et non d’évaluer, il faut le rappeler car souvent cette priorité est oubliée. Cependant, l’évaluation est nécessaire car on ne peut enseigner sans savoir si on l’a fait correctement. Nous devons savoir si chaque élève a compris, mais aussi comprendre pourquoi certains n’ont pas acquis le savoir transmis. Cela nous permettra de voir la manière dont on peut les aider ainsi que la manière et les types de remédiations immédiates[1] que l’on peut mettre en place.

On distingue généralement trois types d’évaluations des élèves :

  • L’évaluation formative, dans laquelle la note n’a pas de place, n’est donc généralement pas cotée. Les notes sont inutiles pour trouver ce qui fait obstacle à une démarche visée. L’évaluation formative est destinée à chacune des deux parties. D’abord à l’enseignant pour lui permettre de savoir s’il a fait correctement son travail et de mettre en place les remédiations, mais aussi à un élève d’apprécier l’évolution d’un apprentissage et, le cas échéant, de recevoir une remédiation ou de l’aide par tutorat. L’évaluation formative comprend aussi l’autoévaluation, par l’élève, de ses apprentissages et la capacité de détecter et de nommer ses difficultés. L’évaluation formative continuée devient finalement sommative, une fois que tous les élèves ont acquis l’apprentissage. Cela permet gain de temps précieux et évite les évaluations-sanctions-sélection.
  • L’évaluation sommative dresse un bilan. Elle fait la « somme » des savoirs appris par un élève. Ces évaluations sont souvent cotées et participent alors à la mise en compétition des élèves et à la sélection des plus « faibles ». La note est établie en fonction d’une norme, celle du professeur, de l’établissement, ou du système éducatif. Il s’agit d’une évaluation-sanction-sélection. Cependant, l’évaluation sommative peut être le résultat d’une suite d’évaluations formatives non chiffrées.
  • Enfin, l’évaluation certificative, comme le dit son nom, a pour seul objectif de délivrer un « certificat » (diplôme, titre, …). En primaire, il s’agit du CEB, en secondaire des CE1D, ou CESS. L’évaluation certificative est un outil de sélection. On ne donne un « certificat » qu’à ceux qui maîtrisent les savoirs et compétences nécessaires.

L’évaluation par la note n’est en rien une obligation. Au contraire, de nombreuses pratiques issues le plus souvent de mouvements de pédagogies actives, modifient l’évaluation cotée pour aller vers une évaluation bienveillante et empathique, permettant à chaque élève de développer une meilleure estime d’eux-mêmes et ainsi d’être encouragés et poussés vers la réussite[2].

Mais l’évaluation est pervertie…

Loin de l’utiliser comme outil d’aide à la formation des élèves, de trop nombreuses écoles et de trop nombreux professeurs considèrent l’évaluation comme un outil de sélection dans une société où la compétitivité serait une exigence sociale majeure. Dans ce contexte dévoyé, « l’évaluation peut contribuer à la réussite ou à l’échec des élèves ». Selon Charles Hadji, l’évaluation prend une double forme, soit positive à travers une valorisation de l’élève en réussite scolaire, soit négative à travers la stigmatisation de l’élève en échec. Dès lors « l’évaluation peut être la meilleure ou la pire des choses. Elle peut être un facteur aggravant pour l’échec, et un facteur encourageant pour la réussite.[3] »

Les notes sont des outils qui perpétuent les divisions entre les élèves, au lieu d’aider à les réduire. Le système d’évaluation ne fait pas son travail qui doit être d’offrir une visibilité sur les acquis réels des élèves. En France, les inspecteurs dénonçaient cette « tyrannie de la note » en 2005[4] : « les évaluations menées souffrent d’un même défaut : un souci presque religieux de prendre pour référence la moyenne et d’aboutir à un classement, c’est-à-dire à la définition d’une situation relative et non d’une situation absolue. »

Le trait principal du système de notation est qu’il ressemble à une distribution de type gaussien[5], en forme de cloche, avec un petit groupe d’élèves « forts », un gros ventre mou d’élèves « moyens » et un petit groupe d’élèves « faibles ». La seule question que doit se poser le professeur est de définir le point limite. Une fois fixée, les élèves sont classés en fonction des trois critères repris ci-avant. Tout ce qui compte, c’est la « moyenne », le système ne pouvant fonctionner que s’il y a une part suffisante de notes faibles. 


[1] La remédiation n’a de sens que si elle est immédiate, donc placée au cœur de l’apprentissage, pendant le cours et surtout avant tout nouvel apprentissage. La postposer serait ajouter des difficultés car ce nouvel apprentissage est souvent la suite du précédent et ne ferait qu’accumuler difficultés sur difficultés.

[2] Quand nous parlons de « réussite », nous ne parlons évidemment pas « d’avoir les points », mais d’avoir acquis des savoirs.

[3] Charles Hadji, L’évaluation à l’école, Nathan 2015

[4] Les acquis des élèves, pierre de touche de la valeur de l’école ? évaluation du système éducatif  – Rapport IGEN – rapport conjoint IGEN-I.G.A.E.N.R. – juillet 2005

[5] Une fonction gaussienne est une fonction en exponentielle de l’opposé du carré de l’abscisse (une fonction en exp ( − x 2 ). Elle a une forme caractéristique de courbe en cloche. On parle aussi de « courbe de Gauss ».

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