La question de la notation interpelle les parents mais aussi les enseignants depuis ses débuts. On relèvera l’expérience du professeur Laugier en 1930. Il a recherché dans les archives de l’époque 166 copies d’agrégation d’histoire et les a faites recorriger par deux collègues qui avaient une longue expérience, connus pour être capables de corriger méticuleusement. Ceux-ci ont travaillé séparément, sans connaître leurs appréciations respectives. Les résultats furent édifiants : la moyenne de l’ensemble des notes du premier correcteur dépassait de deux points celle du second. Les écarts de notes pour les mêmes copies pouvaient aller jusqu’à 9 points. Le premier a donné 5 à 21 copies qui ont été cotées entre 2 et 14 par le second. Le candidat classé avant dernier par l’un était second chez l’autre. Enfin, la moitié des candidats reçus par le premier étaient refusés par le second. 

Laugier et Weinberg ont montré, ensuite, que la double correction est illusoire. Pour obtenir une « note exacte » (c’est-à-dire une moyenne telle que l’adjonction d’un autre correcteur ne modifierait pas sensiblement la moyenne) il faudrait 127 correcteurs en philosophie, 78 en composition française, 28 en anglais, 19 en version latine, 16 en physique et 13 en mathématiques. Autant dire qu’aucun professeur n’est capable, dans quelque discipline que ce soit, d’obtenir une « note exacte ».

Pour aller plus loin, Laugier et Weinberg en France, ont demandé à un professeur de physiologie de recorriger 37 copies – dactylographiées et anonymisées – qu’il avait corrigées trois ans et demi auparavant. Dans 7 seulement copies sur 37, il remit la même note au même devoir. Dans tous les autres cas, il y eut des divergences comprises entre 1 et 10 points. Avec cette nouvelle correction, la moitié des élèves admis à l’époque aurait été refusées 3,5 ans plus tard, tandis que la moitié des refusés auraient été admis.

Ces expériences ont été reproduites de nombreuses fois, avec à chaque fois des résultats aussi surprenants qui montrent que les élèves « faibles » peuvent être piégés par des notes catastrophiques et que celles-ci débouchent sur une dynamique de dévalorisation qui peut, à terme, devenir irréversible.

A ce titre, l’étude de Jean-Jacques Bonniol et de ses collègues[1], menée en 1972 est éclairante. Ils distribuèrent à deux groupes de correcteurs les copies écrites identiques, rédigées par un groupe d’élèves de 6e. Le premier groupe se vit indiquer que ces copies provenaient d’élèves de « niveau élevé », tandis que le second groupe apprit que les élèves étaient d’un « niveau faible ». Le résultat fut sans appel : les copies des « élèves forts » étaient systématiquement surcotées par rapport aux copies des « élèves faibles ». La note moyenne des élèves supposés « forts » fut de 11,16 sur 20, tandis que celle des élèves supposés « faibles » ne fut que de 9,65. Le seuil critique étant à 10, les chercheurs en ont conclu que, dans l’esprit des correcteurs, les « bons » élèves ne peuvent que bien faire et les « mauvais » ne peuvent que mal faire. Une fois encore l’effet Pygmalion[2] était démontré.


[1] Bonniol, J-J., Caverni, J-P., Noizet, G. (1972). Le statut scolaire des élèves comme déterminant de l’évaluation des devoirs qu’ils produisent. Cahiers de psychologie, N°15, pp.83-92

[2] Sur l’effet Pygmalion, se référer au chapitre « Connaissance des notes antérieures des élèves » de ce dossier.

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