« L’école actuelle veut toujours hiérarchiser; ce qui importe avant tout, c’est de différencier. Cette idée fixe de hiérarchie provient de l’emploi des divers systèmes usités pour aiguillonner les écoliers: bonnes ou mauvaises notes, rangs, punitions, concours, prix… Mais il est entendu que, dans l’école de demain, tous ces expédients seront mis au rancart, ou n’auront en tout cas plus l’importance d’antan. L’intérêt, tel sera le grand levier qui dispensera des autres. »

(Claparède, 1920)

Télécharger l’étude en PDF

Introduction

Avec l’évolution des droits fondamentaux, l’école a été obligée de s’affranchir des châtiments corporels ou humiliants. Terminés, les coups de règles sur les doigts, les « mises au piquet » ou « le nez dans le coin », le bonnet d’âne et le banc d’infamie.

On pourrait donc croire que les droits de l’enfant[1] sont maintenant pleinement respectés par l’Ecole. Ce ne serait qu’une illusion, un rêve éveillé, une utopie. Mieux, une naïveté coupable ! Les châtiments corporels ont été remplacés par une violence plus insidieuse, plus dévastatrice et productrice de plus d’inégalités encore : la cotation des élèves.

Bien sûr, la cotation ne date pas d’hier et elle a côtoyé les violences physiques qui, elles, sont antérieures à l’Ecole. Mais, si ces dernières ont disparu, leur violence s’est déplacée sur ce qui restait de « pouvoir » aux professeurs : les notes ! Ne pouvant plus frapper les élèves qui chahutaient ou qui ne comprenaient pas une matière, les professeurs se sont rabattus sur la dernière maîtrise qu’il leur restait : la sanction par les notes !

Cela va donc leur permettre de sanctionner non seulement la manière dont un apprentissage a été réceptionné, mais aussi l’attitude et le comportement de chaque élève durant le cours.

Autrement dit, la note a deux usages. Le premier est de  » régler ses comptes  » avec les élèves qui n’ont pas accroché au cours, qui l’ont perturbé ou été inattentifs, sans avoir à analyser les raisons de ce désintérêt (manque de « sens » de l’apprentissage, cours incompréhensible, mal expliqué, bruits, raisons extrascolaires, …), d’autant plus que cela replacerait le professeur face à ses compétences.

Le second usage de la note est de « sanctionner » et donc de punir les élèves qui n’ont pas compris l’apprentissage, toujours sans devoir analyser les causes qui renverrait encore une fois le professeur face à ses compétences (manque de différenciations pédagogiques, de remédiation, de tutorat, …). Or, un apprentissage ne peut pas être compris par 25 élèves grâce à une seule et même manière de l’enseigner. Si l’on veut que tous les élèves comprennent, il faut mettre en œuvre plusieurs stratégies. Pour 25 élèves, cela signifie mettre en place entre 2 et… 25 méthodes différentes ! Si on ne prend pas la peine de mettre ces approches en place, on abandonne les élèves qui ont le plus besoin d’être aidés. Il est, dès lors, facile de pratiquer la sélection. C’est donc bien un choix personnel de chaque professeur.

Edouard Claparède[2], cité au début, pensait que les droits de l’Enfant auraient cours au XXIe siècle. Or, s’il y a bien un lieu qui est exempt de droits, c’est l’école.

Les notes dans le quotidien de l’école sont une source importante de tensions. Nombreux sont les étudiants qui ne comprennent pas leurs notes et la conteste. Même les parents s’interrogent sur son adéquation en fonction du travail de l’élève.

Sur la manière dont ils la fabrique. Il ne faut éviter les débats en interne et taire le secret de polichinelle qu’il y a des professeurs plus « sévères » que d’autres, ce qui engendre des inégalités d’évaluations. L’Ecole est une machine à sélectionner et à amplifier les inégalités. Cette sélection se fait principalement par la note et par la complicité de professeurs qui ne se posent pas la moindre question sur leurs pratiques, et encore moins sur leur propre compétence et leur responsabilité personnelle dans la fabrication de ces inégalités.

Deux tropismes[4] éclairent notre système scolaire au sujet des notations. Le premier se dit à la salle des « profs[5] » : « Ma classe est composée de quelques élèves “faibles”, d’un gros ventre mou d’élèves “moyens” et de quelques élèves “forts”. Cette distribution, je dois retrouver dans mes résultats ! ».

Le second tropisme s’adresse aux élèves : « Avec les fautes que tu as faites, je n’ai pas d’autre solution que de te donner une moyenne qui te fera redoubler ton année ! » Ce sont deux « actes réflexes » (donc non remis en cause et encore moins analysés), qui vont décider de l’avenir d’un être humain. Et cet avenir va durer 70 ans. Autant d’années à souffrir de la décision inhumaine d’un être qui se prétend humain, et qu’un enfant a croisé par le plus grand des hasards dans une école pendant une petite année. Un être qui ne s’interroge pas sur sa propre humanité, qui n’aura plus jamais aucun lien avec cet élève dont il sacrifie l’avenir, et sur qui cette décision de sélection n’aura pas le moindre impact, au contraire de l’enfant qui devra porter cette marque d’infamie tout au long de son existence.

Evaluer, c’est « porter un jugement sur la valeur de…[6] ». Quand on évalue, il s’agit bien de porter un jugement. Il y a donc à chaque fois subjectivité (jugement de « valeur ») et imprécision (approximation). Ce sont les deux caractéristiques des notes.

Ces jugements de valeur sont souvent basés sur une conception naturaliste de l’intelligence. Des enfants seraient doués pour les études et d’autres, au contraire, seraient doués pour les travaux manuels. Cette conception est régulièrement portée par les partis politiques néolibéraux qui ont une caractéristique commune, c’est qu’ils n’ont aucune personne compétente en matière d’enseignement dans leurs partis. A tout le moins en France et en Belgique. D’ailleurs, cette « vérité » néolibérale est tellement dépassée qu’aucun chercheur en psychologie ou en sociologie ne se lèvera pour la défendre.

Hors les écoles à pédagogie active qui, elle, ont décidé de respecter leurs élèves, La plupart des institutions scolaires persistent à vouloir attribuer une note à toute production. Pourtant, et cela a été démontré depuis plus d’un siècle, le système d’évaluation par notation est tellement subjectif qu’il ne reflète jamais le niveau réel de l’élève en matière d’acquisition des apprentissages. Jean-Jacques Bonniol[7], professeur des universités en sciences de l’éducation, a par exemple calculé qu’il faudrait 78 correcteurs en mathématique et 762 en philosophie pour neutraliser les erreurs de calcul et améliorer l’objectivité de la notation.

La cotation est commode et ne nécessite aucune compétence pédagogique. Il ne faut pas trop réfléchir, elle est vite donnée et le nombre d’échecs déterminera la « qualité » du professeur. Elle permet de mettre les élèves en compétition et de sélectionner ceux qui ont le plus de « facilités scolaires », ceux qui proviennent des milieux les plus favorisés, tout en « criminalisant » les autres et en se débarrassant de ceux qui nécessiteraient plus d’investissement pédagogique. C’est donc de leur faute et de celle de leurs familles qu’ils sont en échec.

La cotation est le signe extérieur de la compétence d’un établissement scolaire. Elle est pratique : le professeur et l’école peuvent ainsi se dédouaner de leurs incompétences ou de leur idéologie de sélection sociale et, par là-même, de leurs décisions touchant à l’avenir des élèves.

Pour la plupart des parents élitistes, la « bonne » école est celle qui pratique l’échec scolaire. Pour eux, les écoles qui font « réussir » seraient « laxistes ». Ceci explique la dévotion qu’ont ces écoles et les professeurs qui y exercent par rapport à la notation.

Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000 notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.

Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000 notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.

Lire la suite :

Evaluer, pour quoi faire ?

Les notes ont-elles toujours existé ?

Les notes, une question qui se pose depuis longtemps 

Alors, pourquoi les professeurs tiennent-ils aux notes ?

Que pensent les parents des notes ?

Les notes antérieures des élèves influencent-elles les professeurs ?

Le redoublement a-t-il un effet sur l’évaluation professorale ?

Comment se passe la relation professeur/élève dans ce contexte ?

Tous les élèves sont-ils logés à la même enseigne ?

Les notes sont-elles imprécises et productrices d’inégalités scolaires ?

Les profs disent que les notes ont un « effet stimulant ». Est-ce prouvé ?

Si la note est inefficace, comment faire, alors ?

En définitive, la notation est-elle une maltraitance ?

Quelles sont les alternatives à la note ?

Supprimer les notes, ne serait-ce pas tromper les élèves ?

Comment font les pédagogies actives, qui n’utilisent pas la note ?

Conclusion


[1] Voir la CIDE (Convention Internationale des Droits de l’Enfant » – ONU 1989.

[2] Edouard Claparède était est un médecin neurologue et psychologue suisse (1873-1940). Ses principaux centres d’intérêt furent la psychologie de l’enfant, l’enseignement et l’étude de la mémoire. Claparède est l’un des deux ou trois psychologues qui ont profondément nourri la psychologie de Piaget, notamment par sa psychologie de l’enfant et par sa psychologie de l’intelligence.

[3] Pierre Merle. Les notes. Secrets de fabrication. PUF 2007

[4] Tropisme : réaction élémentaire ; acte réflexe très simple.

[5] Si, pour nous, l’école de la cotation est un lieu où il ne devrait pas être mis d’enfants, la salle des « profs » est un lieu où il ne faut surtout pas mettre d’enseignants. On y entre avec une idéologie de réussite pour tous et les doxas qui y sont véhiculées par des professeurs d’arrière-garde, vous rendent pareils à eux, discriminants, incompétents et injustes.  

[6] Le Petit Robert, 1999

[7] Ancien professeur des universités, Jean-Jacques Bonniol est le fondateur et ancien directeur du département des sciences de l’éducation à l’Université de Provence, Aix-Marseille (France).

Accessibilité