Vers une école inclusive pour les élèves à besoins spécifiques – Professeur émérite Ghislain Magerotte – UMons
Les années 60 : naissance et développement de l’enseignement spécial
Si les enfants ayant des déficiences sensorielles ou mentales ont été « éduqués » dès le 19ème siècle par quelques pionniers de l’éducation (comme Itard, Seguin, Bourneville, Valentin Haüy, L’Abbé de l’Epée) et par des associations caritatives, plusieurs écoles s’ouvrent aussi en Belgique (l’IRHOV à Liège en 1819 et l’IRSA à Bruxelles en 1835). Au début du XXème siècle, en 1905, une école s’ouvre à Bruxelles pour les enfants « irréguliers » (qui à l’époque n’étaient pas scolarisés) grâce au travail de Decroly.Cependant, il a fallu attendre la fin des années 50 et les années 60 pour assister à un développement considérable de l’enseignement spécial accessible à ces enfants.
Ce développement est le résultat de la conjonction de trois facteurs : d’une part, les pressions exercées par des associations de parents d’enfants handicapés, notamment d’enfants handicapés physiques et mentaux, qui réclamaient une scolarisation, sans être contraintes de recourir à un « placement en internat » ; d’autre part, la richesse croissante des « golden sixties » favorisant la mise en place d’un système social plus généreux ; et enfin la croissance de la population scolaire permettant à l’enseignement ordinaire de se séparer – sans risque pour lui – de quelques élèves orientés vers l’enseignement spécial.
Dans notre pays, cette évolution a été couronnée par le vote la loi du 6 juillet 1970 sur l’enseignement spécial, loi-cadre devant assurer, grâce aux arrêtés d’application de 1978, la mise en place d’un enseignement autonome pour les élèves « aptes à suivre un enseignement mais inaptes à le suivre dans une école ordinaire ».
Ce développement a eu plusieurs conséquences favorables pour ces élèves. D’une part, il a permis au système scolaire, via l’organisation de huit types d’enseignement, d’accueillir durant l’âge scolaire (2 ans et demi jusque 21 ans) davantage d’élèves qui, antérieurement, étaient exclus de l’école. De plus, cet enseignement a également accueilli, via l’organisation de l’enseignement de type 2, des élèves ayant un retard intellectuel important, soit une déficience modérée ou sévère. En 1970, ces enfants et adolescents handicapés sont dès lors devenus par cette loi des « écoliers » et des « étudiants ».
De plus, elle a permis dans les années qui ont suivi d’accueillir bon an mal an quelque 3,5 % de la population scolaire, répartis en huit types d’enseignement, quatre formes d’enseignement secondaire ainsi que trois niveaux d’enseignement (maternel, primaire et secondaire).
D’autre part, la création d’écoles a permis aux familles de maintenir davantage les relations familiales avec leur enfant, et ce grâce à l’organisation d’un transport scolaire vers l’école spéciale et ainsi, d’éviter ou de retarder le placement en internat.
Enfin, le regroupement au sein de cet enseignement spécial d’élèves handicapés ainsi que le développement parallèle de l’Action sociale aux personnes handicapées – via la loi de 1963 créant le Fonds National de Reclassement Social des Handicapés chargé de promouvoir l’emploi de ces personnes adultes, et l’arrêté 81 de 1967 favorisant le développement de services pour enfants et adultes handicapés – a donné à cette partie importante de la population belge une « existence sociale » et l’a fait entrer dans notre système social.
Cette évolution des lois a permis notamment de créer des catégories de professionnels spécialisés en ce domaine, et donc de contribuer à une mise en place, lente et encore imparfaite, d’une formation spécialisée et d’une recherche universitaire. C’est en effet, à partir des années 80 et 90, qu’on a assisté à un développement considérable des pédagogies adaptées à ces élèves et étudiants.
La deuxième vie de l’enseignement spécialisé : l’intégration scolaire
La loi sur l’enseignement spécial de 1970 a d’abord entraîné la suppression des « classes spéciales annexées » aux établissements d’enseignement ordinaire. Elle a donc favorisé le développement d’un enseignement spécial « autonome », distinct donc de l’enseignement ordinaire, obéissant donc à une réglementation propre – tout en permettant à des enfants handicapés d’être scolarisés dans l’enseignement maternel et primaire ordinaire, grâce à la générosité et au dynamisme de certains directeurs et enseignants et à la demande de parents, dans le cadre de ce qu’on a appelé une « intégration sauvage ». D’ailleurs, dès le départ, l’arrêté d’organisation de l’enseignement spécial prévoyait des possibilités d’intégration sur une base individuelle. Ces possibilités se sont développées ensuite, concernant surtout les élèves relevant des types 4, 6 et 7, en 1995.
La loi a subi elle aussi plusieurs modifications, notamment une modification de la loi de 1970 qui devient la « loi sur l’enseignement spécial et intégré » (1986), puis le « décret sur l’enseignement spécialisé » en 2004. Ce décret a progressivement pris plusieurs dispositions concernant la scolarisation et l’intégration scolaire. Les dispositions les plus importantes concernent les types d’intégration (permanente totale et permanente partielle, temporaire totale et temporaire partielle) et l’accès à l’intégration des élèves de tous les types d’enseignement. L’aspect essentiel a consisté dans une collaboration importante entre l’enseignement spécialisé et l’enseignement ordinaire, via le suivi des enfants bénéficiant d’une intégration individuelle par des professionnels de l’enseignement spécialisé durant un certain nombre d’heures par semaine. Deux aspects particulièrement problématiques consistent, d’une part, dans la mise en place d’un processus d’intégration relativement lourd impliquant un respect contraignant de dates et le subventionnement des écoles ordinaires seulement après une année d’intégration réussie. D’autre part, depuis une quinzaine d’années, des classes spécialisées sont accueillies dans des écoles ordinaires, dans le cadre de l’intégration permanente partielle, les élèves suivant certaines activités dans les classes ordinaires. Ce système connaît un développement récent.
De plus, selon ce décret, la participation de l’élève/étudiant et de ses parents au Plan Individuel d’Apprentissage (PIA) et au Plan Individuel de Transition (PIT) est devenue obligatoire et on a assisté aussi au développement de pédagogies adaptées (concernant le polyhandicap, l’autisme, l’aphasie et la dysphasie, le handicap physique lourd mais pouvant accéder aux apprentissages scolaires). Depuis 2013, d’autres dispositions récentes ont également été prises, concernant l’accueil dans des « Structure Scolaire d’Aide à la Socialisation ou à la resocialisation (SSAS) » au sein des écoles fondamentales spécialisées. De plus, afin de répondre à des situations locales de déficit d’enseignement spécialisé, des élèves peuvent être accueillis, par dérogation annuelle, dans une école d’enseignement fondamental ou secondaire spécialisé qui assure ainsi un autre type d’enseignement spécialisé que celui ou ceux qu’elle organise.
Vers une école inclusive : la « troisième vie » de l’enseignement spécialisé !
Ces dernières années, des questionnements importants se sont accentués concernant l’enseignement spécialisé. Deux facteurs en particulier jouent un grand rôle. D’une part, sous l’influence des recherches en pédagogie qui se sont développées à partir des années 70, mais aussi des tendances internationales, le mouvement en faveur d’une autre organisation de l’école s’est accentué, en particulier suite aux déclarations et prises de position internationales concernant l’accueil des enfants ayant des besoins éducatifs spéciaux dans le système scolaire ordinaire (Déclaration de Salamanque, 1994) et en particulier suite à la Convention des droits des personnes handicapées (2006, et ratifiée par la Belgique en 2009) qui se prononce dans son article 24 en faveur d’une école inclusive.
De plus, on a assisté en Fédération Wallonie-Bruxelles au lancement d’une réflexion systémique sur tout le système d’enseignement, y compris de l’enseignement spécialisé, grâce au Pacte pour un Enseignement d’Excellence. Ce Pacte est encore en voie de finalisation et plusieurs points sont essentiels pour l’avenir de l’enseignement spécialisé. Les documents actuels, et notamment l’avis n° 3, évoquent à plusieurs reprises l’engagement vers une « école inclusive », sans toutefois la définir. Brièvement, une école inclusive est une école qui vise à ce que les élèves en situation de handicap apprennent à vivre au sein d’une « école pour tous » et ainsi à participer à la vie de la cité. Pour ce faire, des changements s’imposent à tous les acteurs. Les responsables des écoles mettront en place une disponibilité de tous les membres des équipes éducatives à une démarche inclusive, avec le soutien des équipes spécialisées. Ils veilleront en particulier à une organisation de la vie de la classe pour que chaque élève apprenne, via notamment une démarche de co-enseignement. Une attention particulière sera accordée aux aménagements raisonnables permettant à chacun de tirer profit des multiples possibilités d’apprentissage qu’offre cette école inclusive. De plus, la collaboration de tous (professionnels, parents, élève) sera renforcée dans une perspective d’individualisation via le PIA et le PIT. L’école doit aussi organiser la vie des élèves, sur plusieurs plans : d’abord via la mise en place organisée par l’enseignant du tutorat (tant sur le plan social que des apprentissages) entre élèves et ensuite de stratégies facilitant particulièrement les périodes de « temps libre » (cour de récréation, salle à manger-réfectoire, …). Il importera aussi de développer l’utilisation des TIC et des outils numériques afin de diminuer certains obstacles à l’apprentissage de ces élèves.Enfin, une école inclusive prône une organisation systémique à trois niveaux : soutien à l’apprentissage pour tous les élèves, prévention et interventions précises pour les élèves en difficultés et enfin Interventions personnalisées pour chaque élève ne répondant pas aux deux démarches précédentes.
De plus, on a assisté ces dernières années à une croissance de la population scolaire de l’enseignement spécialisé, particulièrement depuis l’année 2005-2006, ce qui conduit le pouvoir politique à tenter de diminuer le nombre d’élèves dans l’enseignement spécialisé via un décret relatif à la promotion des aménagements raisonnables dans l’enseignement ordinaire, à partir de l’année 2019. Ce mouvement concerne particulièrement l’enseignement de type 8.
Ensuite, le Pacte envisage la constitution de pôles territoriaux qui, dans son projet d’avis n° 3, « assureront la mutualisation par bassins géographiques des moyens dédiés à l’accompagnement des élèves en intégration permanente totale dans l’enseignement ordinaire. » Son rôle et sa mission sera « de garantir la qualité de l’encadrement et de l’accompagnement que les établissements du pôle territorial pourront proposer pour tenir compte des besoins spécifiques des élèves ». Il est également prévu « la possibilité de créer, sur une base volontaire, de tels pôles en inter-réseaux, en particulier dans les zones dans lesquelles le nombre d’élèves concernés et, par voie de conséquence, les moyens alloués n’atteignent pas le niveau critique minimum ».
D’autre part, si l’école inclusive accueille des élèves avec des besoins spécifiques, elle accueillera aussi, en fonction des années et de sa situation géographique dans la cité, des élèves différents, notamment des élèves issus de milieux défavorisés.
Si l’on se place dans l’optique d’une école inclusive, réclamée à plusieurs reprises dans le projet d’avis, le pôle territorial regrouperait tous les personnels des écoles spécialisées d’un territoire déterminé (en fonction de la population, des moyens de transport public, de l’attraction de certaines villes…) en vue de mettre à disposition de toutes les écoles ordinaires d’un bassin géographique déterminé ce personnel spécialisé ; ces écoles spécialisées deviendraient un « centre de ressources spécialisées » (terme à la mode, mais approprié !). Il est à remarquer que le décret de 2004, revu en 2013, prévoit d’ailleurs l’existence de « zones », essentiellement au niveau de la gestion de l’enseignement spécialisé et de ses personnels ainsi que les entités géographiques qui les composent.
De plus, cela permettrait de revoir le fonctionnement du transport scolaire vers des écoles plus proches du domicile de l’enfant, prônant davantage l’utilisation, accompagnée notamment au début, des transports en commun et évitant de faire perdre progressivement à l’élève ayant des besoins spécifiques ses relations dans son quartier. Cette évolution faciliterait la proximité géographique des élèves de leur école.
D’autre part, la formation initiale des enseignants (et de tous les professionnels d’ailleurs, formés dans les hautes écoles) devrait comprendre tout au long de leur cursus (c’est-à-dire dès la première année) une formation à « la pédagogie différenciée » (y compris la pédagogie adaptée aux élèves/étudiants à besoins spécifiques). Une spécialisation devrait être envisagée en fin de formation.
Quant au tronc commun au niveau du secondaire, il s’agit d’une initiative intéressante, avec une évaluation formative tout au long de la vie scolaire et une seule évaluation certificative en fin de cycle.
Est-ce la mort de l’enseignement spécialisé ? Non, bien sûr ! Les équipes qui maîtrisent cette pédagogie différenciée en feront bénéficier tous les élèves, y compris ceux à besoins spécifiques sans les séparer six heures par jour et durant de longues années, de leurs camarades. En d’autres mots, les équipes spécialisées seront inclues dans une école inclusive, ce qui constitue la façon d’assurer la « troisième vie » de l’enseignement spécialisé, au service du « vivre ensemble » de tous les élèves et étudiants.
Le constat est connu et les résultats des enquêtes PISA successives le démontrent largement. En Belgique, l’Ecole francophone dysfonctionne. Or, le Droit international impose aux États à la fois un enseignement basé sur l’égalité des chances[1] et la mise en place d’une École inclusive[2]. Ces deux exigences sont d’ailleurs indissociables. En effet, donner des chances égales d’émancipation sociale à tous les élèves ne peut se faire que dans une École qui accueille tout le monde, sans distinction d’origines, de genres, de capacités intellectuelles, physiques, sensorielles, etc.
Aujourd’hui, nous sommes encore loin du compte. Notre système scolaire demeure profondément discriminant : il reproduit les inégalités sociales, mais en plus, il les amplifie ! Le taux d’échecs assorti des redoublements et des orientations reste trop important en Fédération Wallonie-Bruxelles. En outre, l’échec concerne prioritairement les élèves qui sont en situation de handicap, avec ou sans ‘dys’, ou issus des milieux les plus défavorisés. Nombre d’entre eux sont dirigés inadéquatement vers l’enseignement spécialisé, qui n’est rien d’autres qu’un enseignement ségrégué. L’égalité des chances à laquelle ils ont pleinement droit leur est confisquée. Leurs possibilités de choix sont réduites de manière drastique. Leur avenir professionnel est compromis. Nous pouvons même affirmer que c’est leur avenir « tout court » qui est compromis.
Ces combats, les militants de la Ligue des Droits de l’Enfant, ainsi que nos partenaires associatifs, les portent depuis plus de 20 ans[3] et déplorent le manque d’ambition du Pacte pour un enseignement d’excellence.
Il faut donc changer l’école de la cave au grenier. Le Pacte pour un enseignement d’excellence a pour vocation d’améliorer l’Ecole, mais il n’a pas pris ses responsabilités de manière complète, privilégiant les intérêts des réseaux et de leurs écoles, alors que c’était celui des élèves qui devait primer. Les écoles ont donc eu tout le loisir de défendre leurs propres intérêts, qu’elles soient de transition (généralement ségrégatives), ou de qualification. Ces dernières reçoivent des élèves scolairement et psychologiquement cassés et n’ont d’autres choix que de ségréger à leur tour sur base de la (dé)motivation de ces élèves (dés)orientés.
Notre enseignement est partagé par trois courants : « l’école ségrégative », « l’école intégrative » et « l’école inclusive ».
« L’école ségrégative »
L’école ségrégative est celle de la massification de l’enseignement d’après-guerre, remise un tout petit peu au goût du jour. Elle reçoit « trop » d’élèves différents et ne sait pas enseigner à tous. C’est celle qui pratique allègrement la compétition entre les élèves, de manière à orienter le plus rapidement possible les élèves qui ne sont pas dans la « norme ». Ce sont des écoles élitistes et sélectives, au sein desquelles rien ou prou n’est mis en place pour aider les élèves qui ont besoin de plus de temps ou de plus d’explications. On n’y enseigne pas, on y donne cours ! Ce sont des écoles pyramidales[4], dont le nombre de classes – et donc de places disponibles – diminue au fur et à mesure qu’on monte dans les années. Exactement comme les étages d’une pyramide. Au sommet subsiste le tiers des classes qu’il y avait à la base. De ce fait, environ 65% des élèves entrés en première secondaire ont été orientés avant d’atteindre ce sommet. L’école ségrégative est une école qui ne pratique aucune pédagogie active, mais seulement l’enseignement frontal.
« L’école intégrative »
L’école intégrative diffère de l’école ségrégative du fait qu’elle accueille des « élèves à besoins spécifiques » et leur permet d’avoir des aménagements raisonnables. Ces élèves ont un ou plusieurs « manque.s » et, pour bénéficier de l’intégration scolaire, doivent bénéficier d’un diagnostic qui permet l’intégration grâce à l’aide de l’enseignement spécialisé. L’école intégrative met la responsabilité de la réussite de cette intégration sur l’élève et sa famille. Elle garde une part de ses anciennes racines ségrégatives dans le fait qu’elle pratique elle aussi la compétition et la sélection. La seule différence est que les élèves en intégration auront un peu plus de moyens pour être compétitifs et seront moins rapidement orientés. L’école intégrative ne pratique pas de pédagogie active et/ou institutionnelle, mais met en place ponctuellement des pratiques pédagogiques qui bénéficient également à tous les autres élèves, grâce aux interventions de l’enseignement spécialisé dans les classes.
« L’école inclusive »
L’école inclusive diffère radicalement des deux autres modèles. Elle s’est donnée pour mission de privilégier, non la compétition, mais la coopération. Elle s’adresse à tous les élèves et s’adapte pour leur permettre d’acquérir tous les savoirs en y mettant tous les moyens possibles. Elle rejette l’échec car elle postule que tous les élèves sont capables d’apprendre et met en place toutes les conditions pour y parvenir. Elle rend les aménagements raisonnables, UNIVERSELS. Toutes et tous les élèves peuvent en bénéficier en fonction de leurs besoins. Les élèves apprennent ensemble et non les uns contre les autres. Ils coopèrent, s’entraident et se soutiennent au travers de pratiques pédagogiques validées, telle le tutorat ou les équipes de coopération. L’école inclusive est une école qui pratique une pédagogie active et institutionnelle.
Quelles bases juridiques ou légales imposent-elles à notre système scolaire de devenir pleinement inclusif ?
C’est le Droit fondamental qui définit le droit des enfants à bénéficier d’un enseignement inclusif. Notamment les deux Conventions internationales qui précisent ce qu’est le Droit à l’éducation :
La Convention internationale des Droits de l’Enfant précise dans son article 29 (Droits à l’Education) que « L’éducation des enfants doit les aider à développer pleinement leur personnalité, leurs talents et leurs capacités. Elle doit leur enseigner à comprendre leurs droits et à respecter les droits et la culture des autres, ainsi que leurs différences. Elle doit les aider à vivre en paix et à protéger l’environnement. »
La Convention des Droits des Personnes handicapées reconnaît en son article 24 que « Les personnes handicapées ont droit à l’éducation sans discrimination. » et qu’elles doivent pouvoir, sur la base de l’égalité avec les autres, (à) avoir accès, à un enseignement inclusif, de qualité et gratuit (lire ci-dessous).
La Belgique et ses entités fédérées ont signé et ratifié ces deux Conventions. Elles sont donc transposées (ou doivent l’être) dans les Lois et Décrets, dont ceux qui concernent l’éducation, et donc l’Ecole. La Belgique a inscrit le Droit à l’inclusion dans la Constitution belge. Celle-ci affirme que « Chaque personne en situation de handicap a le droit à une pleine inclusion dans la société, y compris le droit à des aménagements raisonnables. » (Article 22 ter)
Dès lors, tous les professionnels de l’éducation ont mission de favoriser et de permettre de manière très concrète la scolarisation des élèves en « situation de handicap » dans l’école ou l’établissement du choix de leurs parents.
UNIA[5] nous explique que la notion de « personne en situation de handicap » correspond mieux au modèle « social » du handicap. Celui-ci est différent de l’ancien modèle « médical » du handicap qui s’acharnait sur les déficiences pour tenter d’inclure ces personnes dans la société. Le modèle « social » du handicap, quant à lui, se base sur les compétences des personnes. C’est en se basant sur leurs compétences, que l’inclusion sera possible.
La Convention relative aux droits des personnes handicapées précise que « par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières – comportementales et environnementales – peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. »
Pour la Ligue des Droits de l’Enfant et sa « plate-forme associative pour une Ecole inclusive », et en nous basant sur les définitions de l’Unesco, nous affirmons que L’École inclusive concerne tous les élèves avec leurs diversités, qu’elles soient intellectuelles, physiques, culturelles, sociales, de genre, de langue, d’orientation sexuelle, … tout au long de leur scolarité et non uniquement les élèves en situation de handicap, qualifiés actuellement « à besoins spécifiques ». Cette diversité fait la richesse de nos classes, de nos écoles et de notre société.
Si le terme « Inclusion » progressivement rentré dans le langage scolaire à la place du terme « intégration », il n’en a pas pour autant changé radicalement l’Ecole. Or, c’est bien de cela qu’il s’agit.
Le Pacte pour un enseignement d’excellence nous donne une définition en trompe-l’œil de l’Inclusion, ce qui – et c’est bien naturel – perturbe les professionnels de l’éducation. En son Avis n° 3 – Axe 4, il précise que « L’école inclusive est définie comme « permettant à un élève à besoins spécifiques de poursuivre sa scolarité dans l’enseignement ordinaire moyennant la mise en place d’aménagements raisonnables d’ordre matériel, pédagogique et/ou organisationnel ».
C’est évidemment contraire à la définition de l’Unesco qu’a signé la Belgique et ses entités fédérées. C’est, par ailleurs, cette définition – celle de l’Unesco – qui doit être comprise lorsqu’on lit la Convention des Droits des Personnes handicapées lorsqu’elle impose aux Etats signataires de permettre que les enfants en situation de handicap « puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire » (inclusif également).
Ces deux notions sont bien différentes
L’intégration scolaire
L’inclusion scolaire
L’intégration est le modèle du « manque ». Il est centré sur l’individu et fait référence à une norme. « Il manque quelque chose à cet élève, il faut absolument combler ce manque ou parvenir à le compenser pour atteindre la norme et donc, pour qu’il puisse être scolarisé dans notre école ».
L’inclusion est le modèle de la « diversité ». Il n’y a pas de « norme », autre que la diversité. L’élève ne doit pas se conformer à la « norme » ou aux « normes » de l’école. C’est cette dernière qui s’adapte à toutes les diversités.
Ce manque (handicap, ‘dys’, troubles, maladie chronique grave, milieu social défavorisé, …) va nécessiter l’intervention de spécialistes qui vont poser un diagnostic qui pointera les solutions à apporter au problème de l’enfant (chaise roulante, logopédie, interventions de personnel soignant sur le temps de midi, enseignement spécialisé, …).
L’inclusion n’est pas centrée sur l’individu, mais sur le groupe. Elle s’appuie sur les potentiels et les compétences de chaque élève. Ces derniers ne doivent pas s’adapter à leur environnement, mais c’est l’environnement qui s’adapte constamment à toutes les diversités présentes dans l’école.
C’est donc une approche en termes de déficit.s qui va embarrasser le personnel éducatif car il risque de se sentir incompétent. Les nombreuses demandes d’orientation vers l’enseignement spécialisé sont le signe de cet embarras.
L’école inclusive est une école à pédagogie active et coopérative. Elle est fondée sur le « postulat d’éducabilité[6] » : Tous les élèves, mieux… tous les êtres humains sont capables d’apprendre.
En effet, l’élève a besoin d’un accompagnement spécifique qui lui permettra de combler ses manques. Il a besoin d’aménagements « raisonnables ». Il s’agit d’outils d’ordre matériel, pédagogique ou organisationnels indispensables, qui vont combler son/ses « manque.s ». Ces aménagements raisonnables sont « octroyés » en fonction de son diagnostic.
L’environnement s’adapte constamment en fonction des diversités de l’école. L’accessibilité universelle est une démarche constante. Chaque élève trouve une solution à ses besoins. Les obstacles sont éliminés ou mis entre parenthèse le temps que l’élève termine son parcours scolaire, et cela bénéficie à tout le monde. Les aménagements, les outils mis à disposition des élèves, ont dépassé le simple « raisonnable » pour devenir « UNIVERSELS ». Ils sont disponibles pour toutes et tous, en fonction des besoins de chacune et de chacun.
L’élève est donc accepté seulement sous conditions. L’intégration est une dynamique qui demande à l’enfant, au jeune, de s’adapter pour s’intégrer. En réalité, c’est l’école qui n’est pas adaptée.
C’est donc une école qui accepte tout le monde sans restriction. Les parents y sont partie prenante et impliqués dans le processus. Leur avis et leurs ressentis sont pris en compte.
Définition de l’inclusion par l’Unesco (2005) « L’inclusion est considérée comme un processus visant à tenir compte de la diversité des besoins de tous les apprenants et à y répondre par une participation croissante à l’apprentissage, aux cultures et aux collectivités, et à réduire l’exclusion qui se manifeste dans l’éducation. Elle suppose la transformation et la modification des contenus, des approches, des structures et des stratégies, avec une vision commune qui englobe tous les enfants de la tranche d’âge concernée, et la conviction qu’il est de la responsabilité du système éducatif général d’éduquer tous les enfants (…) [7]» Et d’ajouter : En particulier, quatre éléments essentiels occupent généralement une place importante dans la conceptualisation de l’inclusion :L’inclusion est un processus. En d’autres termes, l’inclusion doit être envisagée comme la recherche perpétuelle de meilleurs moyens de répondre à la diversité. Elle consiste à apprendre comment vivre avec la différence et comment en tirer des leçons. On en vient ainsi à regarder les différences d’une manière plus positive, comme une incitation à favoriser l’apprentissage, chez les enfants comme chez les adultes.L’inclusion s’attache à identifier et à lever les obstacles (physiques ou procéduraux, visibles ou invisibles, intentionnels ou non intentionnels) qui nuisent à la participation et à la contribution des personnes.L’inclusion s’intéresse à la présence, à la participation et aux acquis de tous les enfants.L’inclusion nécessite qu’une attention particulière soit accordée aux groupes susceptibles d’être exposés à un risque de marginalisation, d’exclusion ou d’échec. L’éducation inclusive nécessite un changement de paradigme au sein des écoles. Il s’agit maintenant de déplacer le problème individuel du « manque » de chaque enfant (l’intégration) à un problème collectif. Cela nécessite la modification de ce système centré sur l’individu, de manière à ce que tous les enfants bénéficient d’une éducation de qualité, visant leur réussite, et ce quels que soient leurs besoins. L’UNESCO, en 2017[8] précisait sa définition de l’inclusion par « un processus qui aide à dépasser les barrières limitant la présence, la participation et la réussite des apprenants » et l’éducation inclusive par « un processus de renforcement de la capacité d’un système éducatif donné à s’adresser à tous les apprenants »
Il y a-t-il des modèles d’Ecoles inclusives en Europe ?
La plupart du temps, on nous parle de l’Ecole italienne, où tous les enfants seraient rassemblés dans la même école « ordinaire ». C’est un modèle que nous n’avons pas pu visiter, mais des études ont été faites sur celui-ci. Penchons-nous dessus…
Dès les années 60, l’Italie a mené une réflexion sur une politique d’inclusion de tous et toutes les élèves, souhaitant adopter une voie unique d’éducation pour tous. Celle-ci a abouti à une adaptation du système éducatif italien. Les écoles spécialisées ont été fermées afin de réduire les risques de « différentiation structurelle » pour les élèves porteurs de handicap.s. Cela a amené le fait que la (quasi-)totalité des élèves est scolarisée dans des écoles ordinaires.
L’Italie a ainsi rejoint le groupe des pays européens qui privilégient « la voie de la trajectoire unique », nommée « one track approach », comme la Suède, la Norvège, l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Ceux-ci se sont engagés pour l’intégration de tous les enfants à besoins spécifiques dans des écoles ordinaires. Les écoles spécialisées ne sont pas complétement fermées, mais soutiennent les écoles ordinaires en y étant devenus des centres de ressources de documentation et de soutien. Moins de 0,5% des élèves, ayant des besoins particuliers, y sont accueillis[9].
D’autres pays d’Europe privilégient une « approche multiple de l’intégration », appelée quant à elle, « multi track approach ». Ils adaptent leurs approches aux handicaps des élèves. Ce système est plus souple car il peut évoluer avec les élèves. Ces pays sont l’Angleterre, l’Autriche, le Danemark, la France, l’Irlande, le Luxembourg et la Pologne.
En Belgique, nous pratiquons deux systèmes éducatifs distincts, ce que l’on nomme « two track approach ». Les enfants en situation de handicap se retrouvent dans un enseignement ségrégué, les privant d’une vie sociale dans un environnement inclusif. Très peu d’entre eux ont la chance d’être « intégrés » dans une école ordinaire, avec leurs pairs. Dans cette discrimination, la Belgique n’est pas seule. La Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas ont également deux systèmes d’éducation. Ces deux systèmes d’enseignement sont soumis à des règles et des législations différentes.
Quels sont les résultats de l’integrazione scolastica en Italie ?
En Italie, la réflexion sur la fermeture des établissements d’enseignement spécialisé, contrairement à bien d’autres pays européens, dont la Belgique, a commencé à la fin des années 70[10]. La législation scolaire italienne et le discours pédagogique italien ont créé un cadre positif pour un système basé sur l’inclusion scolaire.
C’est le psychiatre italien Franco Basaglia[11] qui a inspiré la réflexion sur le handicap en général. En 1973, il lance la « psychiatrie démocratique », mouvement social qui s’étend à toute l’Italie en interpellant les forces politiques et syndicales. Que les personnes handicapées soient placées en institutions et déshumanisées le révoltait. Pour lui, « l’institutionnalité totale » portait atteinte aux personnes avec handicap. Il a appelé à la « désinstitutionalisation ». Cela impliquait un changement fondamental, visant à reconnaître la personne comme une qualité et non comme une simple quantité physique ou « nosographique[12] »dans un système thérapeutique. Ce mouvement a conduit à la fermeture des asiles de personnes « aliénées », tout comme des classes et écoles spécialisées, ou des hôpitaux psychiatriques pour adultes[13].
Parallèlement, se sont développées des « structures locales d’aide ou d’accompagnement et de nouveaux supports thérapeutiques [pour] favoriser l’intégration sociale et la reconnaissance du droit à la citoyenneté pour ceux que l’on considérait jusqu’alors comme des non-personnes. »
Dès 1977, le droit à l’instruction et à l’intégration en milieu ordinaire est garanti pour tous les enfants en situation de handicap, de l’école maternelle à la fin du secondaire. Ensuite, dans les années 1990, ce droit a été étendu à la crèche et à l’université.
L’integrazione scolastica oblige les écoles italiennes à mettre en place un aménagement visant à accueillir des services socio-psychopédagogiques ainsi que des « enseignants de soutien ». Ces derniers font du co-enseignement avec leurs collègues « ordinaires », dans les classes accueillant un ou plusieurs élèves en situation de handicap.
En injectant dans l’Ecole inclusive des moyens importants, l’Italie permet de scolariser, dans l’enseignement ordinaire, quasiment tous les enfants en situation de handicap. Les procédures de reconnaissance du handicap sont rapides. Il suffit aux parents de contacter l’établissement et celui-ci les décharge d’une partie de la procédure, grâce à une plus grande implication des personnels de direction et du conseil de classe.
Les résultats doivent être nuancés, comme dans tous les systèmes scolaires qui ne sont pas réellement inclusifs, même s’ils en ont la volonté. Pour Ianes et Demo (2013), les limites du système se situent du côté des finalités. Selon eux, au lieu de se tourner vers un enseignement de qualité et la participation réelle de tous les élèves à la vie scolaire le système s’oriente plutôt vers une série de mesures spéciales correspondant à certains types de publics.
La situation des élèves avec handicap dans les écoles italiennes est bien connue. On a parlé notamment des enseignants de soutien qui permettent à ces élèves une meilleure intégration. Mais elle est plus compliquée pour les élèves ayant des difficultés d’apprentissage ou des troubles du comportement (Ciambrone, 2018). Ceux-ci étaient placés dans des « classes différenciées » jusque dans les années 1990. Ces classes ont été officiellement abolies en 1977 mais n’ont été réellement supprimées qu’en 1992. Ces élèves sont catégorisés comme élèves « à besoins éducatifs particuliers », mais leur statut n’a été reconnu qu’en 2010. Il faut noter que l’on pratique encore de « micro-exclusions » d’élèves dans ce système scolaire qualifié d’inclusif par la législation (Slee, 2013).
D’autres auteurs relèvent les inégalités géographiques de traitement des élèves en situation de handicap. L’Italie est un pays à fortes disparités économiques d’une région à l’autre. Il s’y présente des disparités en matière de représentation du handicap. Malgré la loi nationale, « certaines conceptions de la “malformation”, de la “folie” et des anomalies du corps ou du psychisme, relèvent encore, dans le Sud, de la pensée magique » (Goussot & Canevaro, 2010).
Enfin, il faut également tenir compte du poids de l’église catholique qui considère encore que le handicap est une punition consécutive à une « faute ». Il est un signe de la volonté divine. Selon la conception de chaque enseignant, deux pratiques d’accompagnement en découlent, basées d’une part sur la charité (ce qui est tout, sauf de l’inclusion) et d’autre part sur le respect de la dignité des élèves en situation de handicap (écoles inclsuives).
En conclusion, le cas de l’Ecole italienne démontre bien la pertinence de la conception de l’inclusion par l’Unesco : « L’inclusion est un processus ». Et ce processus prend du temps. Il y a des réfractaires, des professionnels sans beaucoup de motivations, des personnes handicapophobes[14], des structures institutionnelles, etc., que l’on doit convaincre. Ce qui peut prendre plus d’une génération.
Se dire inclusif, c’est se mettre en chemin vers l’inclusion. Or, l’inclusion, c’est notre horizon. Au fur et à mesure que l’on marche, l’horizon recule. On ne l’atteindra jamais. Mais en étant sur le chemin, on progresse et pas après pas, l’on devient de plus en plus inclusif. C’est valable pour tout enseignant, pour toute école, pour tout système scolaire.
Comment prend-on en charge le handicap en Belgique francophone ?
Commençons par rappeler que le droit à l’enseignement est garanti par la Constitution belge. Cela signifie que chaque enfant, quels que soient ses spécificités, a le droit d’être scolarisé.
L’histoire de l’enseignement spécialisé éclaire la situation en Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais commençons par remonter le temps sur l’origine de la prise en charge éducative des enfants ayant des déficiences sensorielles ou mentales en Europe.
1. Le commencement
Cela a commencé au XIXe siècle avec Jean Itard (1774-1838). C’était un médecin français spécialisé dans la déficience auditive et l’éducation spécialisée. Il est essentiellement connu pour son travail dans le cas de l’ « enfant sauvage » : Victor de l’Aveyron.
En 1797, un enfant, alors âgé de 9 ou 10 ans est aperçu dans le Tarn où il vivait de manière sauvage. Il faudra deux années pour l’attraper. « Il marche à quatre pattes, se nourrit de plantes, est velu, sourd et muet ». Victor est alors considéré comme un malade mental, un idiot de naissance. Il est transféré à Paris où il est livré à la curiosité de la foule et des savants.
En 1801, il est confié au docteur Jean Itard. C’est celui-ci qui lui donnera le prénom de Victor. Contrairement à tous ceux qui ne croient pas à sa réinsertion sociale, Jean Itard va se mettre au travail afin de lui permettre de s’intégrer dans la société. Jean Itard travaillera cinq années avec Victor mais considèrera toujours comme un échec personnel l’incapacité de l’enfant à parler.
Cette histoire a été adaptée au cinéma dans le film « L’Enfant sauvage » (1970), réalisé par François Truffaut avec Jean-Pierre Cargol dans le rôle de Victor, l’enfant sauvage, et Truffaut lui-même dans celui du docteur Itard. A voir ou à revoir.
Jean Itard a eu de multiples collaborateurs, dont Edouard Séguin, pédagogue français. Itard le convainc de se consacrer à l’éducation des personnes ayant une déficience intellectuelle. Vers 1840, Séguin crée la première école destinée à l’éducation des « déficients intellectuels ». Il a écrit et publié, notamment, ce qui est considéré aujourd’hui comme le premier manuel systématique sur les besoins parriculiers des enfants avec une déficience intellectuelle « Traitement moral, Hygiène et Education des idiots. »
Cela lui a valu d’être surnommé « l’instituteur des idiots ». N’étant pas reconnu en France, il émigre aux Etats-Unis où il crée son propre modèle d’écoles, dédiées au traitement des « handicapés mentaux ». Il publiera encore plusieurs ouvrages sur la question.
En Belgique aussi quelques écoles pionnières vont s’ouvrir pour soigner les personnes handicapées.
Jean-Baptiste Pouplin, un instituteur belge d’origine française, a fondé une des premières écoles pour sourds-muets sur le continent européen, plus précisément, à Liège. En 1819, il accueille dans sa classe 19 élèves sourds-muets. Deux ans plus tard, l’école de Pouplin devient l’ « Institut des sourds-muets », qui vit toujours et est devenu l’actuel « Institut Royal pour Handicapés de l’Ouïe et de la Vue ».
Seize ans plus tard, en 1835, la Congrégation des Sœurs de la Charité fonde l’Institut Royal pour Sourds et Aveugles à Uccle, dans un parc de 5 hectares.
Il faudra attendre 1905 et le XXe siècle, pour qu’Ovide Decroly organise à Bruxelles une école pour les « enfants irréguliers ». Ovide Decroly refusait de parler d’ « anormaux » ou de « handicapés », leur préférant le terme d’ « irréguliers ». C’est ainsi qu’il fondera l’ « Institut d’enseignement spécial pour enfants des deux sexes ». Ces enfants irréguliers sont libres et sont éduqués avec les trois enfants d’Ovide Decroly et de son épouse Agnès Guisset. Progressivement, il met en place une pédagogie active innovante, soutenue par une approche scientifique de la psychologie de l’enfant. En 1907, il fondera l’Ecole Decroly et l’élargira aux élèves « normaux ».
Enfin, en 1914, l’obligation scolaire impose aux communes d’organiser des classes pour « enfants faiblement doués ou arriérés ou pour enfants anormaux ».
Depuis cette date, nous avons un système ségrégué, c’est-à-dire que nous avons deux systèmes d’enseignement. Le premier est un système d’enseignement « ordinaire » et le second est un système d’enseignement « spécial ». Les législations sont différentes.
Dans les années 60, des associations de parents d’enfant ayant un handicap intellectuel ou un handicap physique militent pour que l’on s’occupe efficacement de leurs enfants. Depuis la fin de la guerre, la population scolaire était en augmentation. C’était l’époque de la « massification » de l’enseignement et des écoles s’ouvraient. Ces associations demandaient qu’on ouvre des écoles pour leurs enfants à besoins spécifiques.
C’étaient les Golden Sixties, l’Etat avait de l’argent, l’enseignement « spécial » fut créé. La loi du 6 juillet 1970 sur l’enseignement spécial, assure la mise en place d’un enseignement spécial autonome, donc ségrégué, pour les élèves « aptes à suivre un enseignement mais inaptes à le suivre dans une école ordinaire ».
3. L’enseignement « spécialisé »
Le Décret Missions du 24 juillet 1997, ainsi que le Décret organisant l’enseignement spécialisé du 3 mars 2004, modifié le 5 février 2009, ont défini les missions prioritaires des enseignement fondamental et secondaire. Ils ont précisé que l’enseignement spécialisé ou intégré est destiné aux « enfants et aux adolescents qui, sur base d’un examen multidisciplinaire, doivent bénéficier d’un enseignement adapté en raison de leurs besoins spécifiques et de leurs possibilités pédagogiques. Pour assurer cette mission, 8 « types » d’enseignements spécialisés sont créés :
L’enseignement de type 1 est destiné aux enfants qui ont un retard mental léger.
L’enseignement de type 2 est destiné aux enfants qui ont un retard mental modéré à sévère.
L’enseignement de type 3 est destiné aux enfants qui ont des troubles du comportement
L’enseignement de type 4 est destiné aux enfants qui ont des déficiences physiques
L’enseignement de type 5 est destiné aux enfants malades ou hospitalisés
L’enseignement de type 6 est destiné aux enfants qui ont une déficience visuelle
L’enseignement de type 7 est destiné aux enfants qui ont une déficience auditive
L’enseignement de type 8 est destiné aux enfants présentant des troubles instrumentaux (problèmes de développement du langage, de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture ou du calcul, sans retard mental, de troubles physiques comportemental ou sensoriel).
4. L’intégration
Le Décret de 2009 a permis à tous les élèves – hormis ceux qui sont malades ou hospitalisés – d’être intégrés dans l’enseignement ordinaire grâce à un projet d’intégration temporaire totale qui est établi conjointement par 4 structures : les deux écoles (ordinaire et spécialisé) et les deux CPMS[15] (ordinaire et spécialisé). En outre, des services d’aide à l’intégration sont subsidiés pour soutenir les processus d’intégration des élèves âgés de 6 à 20 ans.
Il existait alors 4 types d’intégration individuelle : l’ « intégration totale » permanente ou temporaire et l’ « intégration partielle » permanente ou temporaire. La collaboration entre l’enseignement spécialisé et l’enseignement ordinaire consiste à un accompagnement de 4 heures par semaine de chaque élève en intégration (8 heures par semaine pour l’accompagnement des élèves du 3e degré du secondaire ordinaire).
Grâce à ce décret, les enfants avec une déficience intellectuelle ou un trouble du comportement pouvaient bénéficier d’une intégration temporaire totale. Oui, nous avons bien écrit « pouvaient ». Malheureusement, la Fédération Wallonie-Bruxelles ayant besoin d’argent, a trouvé que l’intégration temporaire totale – et donc les enfants qui en bénéficiaient – coûtait trop cher.
La forte augmentation du nombre d’élèves en intégration temporaire totale n’a pas eu d’impact sur la diminution du nombre d’élèves dans le spécialisé. Au contraire, certaines écoles ordinaires, gardant leurs mauvaises habitudes, continuaient à orienter les élèves à besoins spécifiques ou en difficultés vers le spécialisé. Entre 2010 et 2020, l’augmentation de ces orientations s’élevait à 17%, ce qui représentait une augmentation du budget de la FWB passant d’environ 15M€[16] à un budget de 52M€ en 2019-2020.
Plutôt que de maintenir une aide à l’intégration d’enfants ayant une déficience intellectuelle ou comportementale dans l’ordinaire, le gouvernement de la FWB a préféré utiliser cet argent à la mise en place de nouvelles structures, appelées Pôles territoriaux. Ceux-ci ont pour mission d’accompagner les équipes pédagogies afin de mettre en place les aménagements raisonnables nécessaires aux élèves à besoins spécifiques, tels que définis par le Décret du même nom. En intégration permanente totale, le Pôles ont également pour mission de suivre les élèves ayant des troubles sensorimoteurs[17].
Et tant pis pour les enfants les plus fragiles. Pour pouvoir bénéficier à l’avenir d’une intégration, les élèves ayant une déficience intellectuelle ou comportementale devront passer au moins un an dans l’enseignement spécialisé. Et l’école spécialisée aura le dernier mot. Si celle-ci craint de perdre des heures-enseignant en intégrant un enfant dans l’ordinaire, elles auront tout-à-fait le loisir de lui refuser, sous des prétextes futiles, de vivre une vie ordinaire, dans un milieu ordinaire, avec des copains ordinaires.
Comme nous l’avons vu en début de cette analyse, cette décision politique est contraire au Droit fondamental et aux Droits des enfants en situation de handicap. D’ailleurs, le Comité européen des droits sociaux a condamné la Belgique, et plus précisément la Fédération Wallonie-Bruxelles (FBW), pour le manque d’efforts déployés en faveur de l’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap intellectuel[18].
La création des Pôles territoriaux part du constat que les enseignants de l’ordinaire ne savent pas mettre en place des aménagements raisonnables. Ils ont donc besoin d’aides. Les Pôles territoriaux devraient donc permettre d’assurer une prise en charge des élèves à besoins spécifiques (hors déficiences mentales et/ou comportementales) dans toutes les écoles de l’enseignement ordinaire.
5. Le rêve de l’Ecole inclusive
La FWB est encore très loin de l’inclusion. Le Pacte pour un enseignement d’excellence confond encore avec l’inclusion avec l’intégration. Faudra-t-il espérer un Nouveau Pacte en 2030 pour espérer voir le système scolaire de venir réellement inclusif… 15 ans plus tard encore ?
Les écoles ordinaires, ne souhaitant plus accueillir un élève en situation de handicap continuent à proposer aux parents une orientation vers l’enseignement ségrégué. Ceux-ci peuvent refuser, mais quelle alternative ont-ils ? Les Pôles territoriaux sont destinés – en principe – aux seuls élèves diagnostiqués « à besoins spécifiques » ou avec déficience sensorimotrice. Les enfants avec déficience intellectuelle ou comportementale ne sont – en théorie – pas pris en charge. Et, même, si l’on sait que des Pôles territoriaux ont décidé de ne pas faire de différences entre les élèves, ils n’auront jamais les moyens de remplacer l’accompagnement que le spécialisé donnait avant 2020.
Les notions d’exclusion, de ségrégation, d’intégration, d’inclusion, d’école inclusive ne sont pas comprises, pas intégrées par la majorité des actrices et acteurs du système scolaire de la même manière. Encore moins par les parents. S’il est vrai que, sur le plan international, il n’y a pas d’unanimité dans la définition de l’éducation inclusive, parce qu’elle est étroitement liée à des considérations politiques, sociétales, historiques et pédagogiques (Hyatt & Hornby, 2017 ; Beaucher, 2012 ), il semble qu’il en soit de même dans notre quasi-marché scolaire où chaque école a sa liberté pédagogique. Et tant pis si, pour cela, on discrimine les plus fragiles d’entre les plus fragiles.
Pourtant, les définitions existent et sont définies par les Conventions internationales citées au début de cette étude. Le Comité des Personnes handicapées, les a rappelées en 2016 :
« On parle d’exclusion lorsque l’accès à une quelconque forme d’éducation est empêché ou refusé, directement ou indirectement.
On parle de ségrégation lorsque des enfants handicapés sont scolarisés dans des établissements spécifiques, conçus ou utilisés pour accueillir des personnes ayant un handicap particulier ou plusieurs handicaps, et qu’ils sont privés de contact avec des enfants non handicapés.
On parle d’intégration lorsque des enfants handicapés sont scolarisés dans des établissements d’enseignement ordinaires, dans l’idée qu’ils pourront s’adapter aux exigences normalisées de ces établissements. […] l’intégration ne garantit pas automatiquement le passage de la ségrégation à l’inclusion.
On parle d’inclusion dans le cas d’un processus de réforme systémique, impliquant des changements dans les contenus pédagogiques, les méthodes d’enseignement ainsi que les approches, les structures et les stratégies éducatives […] Si elle ne va pas de pair avec des changements structurels […], la scolarisation d’enfants handicapés dans des classes ordinaires ne relève pas de l’inclusion.[19]»
Serge Ebersold (2009), a résumé l’évolution du terme « inclusion ». « Si à l’origine le terme d’inclusion soulignait la volonté de scolariser les enfants présentant une déficience ou un trouble d’apprentissage en milieu ordinaire, il désigne désormais l’exigence faite au système éducatif d’assurer la réussite scolaire et l’inscription sociale de tout élève indépendamment de ses caractéristiques individuelles ou sociales. Sa consécration dépasse en cela largement la question du handicap et de la scolarisation d’un groupe minoritaire ».
Comment permettre à tous les élèves d’apprendre dans l’Ecole inclusive ?
L’école doit s’approprier une pratique inclusive sans laquelle il est vain d’espérer accueillir toutes les différences et leur permettre d’évoluer le plus loin possible.
Se lancer sur le chemin de l’inclusion, c’est aussi se mettre en péril, comme lorsqu’on se met en route sur n’importe quel chemin de randonnée. Quel temps aurons-nous, comment nous équiper pour le chaud, pour le froid, pour la pluie ; quelles chaussures mettre, quel ravitaillement prendre, quel poids maximal porter sur le dos, etc ?
Pour des enseignant.e.s, cela se traduit par des craintes associées aux pratiques inclusives, par la transformation de leur rôle, l’apprentissage du réel travail collaboratif entre eux, mais aussi avec les intervenants et intervenantes extérieurs (CPMS, Pôles territoriaux, associations d’accompagnement, orthopédagogues, professionnel.le.s du handicap, des ‘dys ‘, mais aussi avec les parents, etc.). Leur sentiment de compétence sera mis à rude épreuve. La formation continue sera également questionnée.
Passer de l’intégration scolaire à une véritable pédagogie de l’inclusion nécessite un changement de paradigme éducationnel : « Le paradigme du groupe-classe, traditionnellement conçu comme « 1 X 30 » (un groupe relativement homogène de 30 élèves), est appelé à être remplacé par une nouvelle conception du groupe-classe, qu’on pourrait illustrer par la phrase mathématique de « 30 X 1 » (30 fois 1 ou 30 apprenants individuels) On peut décrire sommairement le défi que pose l’implantation d’une pédagogie de l’inclusion, en disant que cela revient à passer du « 1 X 30 » au « 30 x 1 » ! » (Isaacs, Greene et Valesky, 1995)
L’inclusion scolaire agit sur trois fronts :
Elle est inconditionnelle et automatique. C’est une philosophie du rejet zéro qui donc s’interdit toute forme de rejet.
Elle ne conçoit qu’un seul placement pour tous les élèves, soit la classe ordinaire, quelles que soient les capacités intellectuelles, comportementales, ou les particularités de fonctionnement des élèves avec handicaps ou en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation.
Elle vise une intégration pédagogique optimale ; d’une part, en intégrant le maximum de contenus d’apprentissage des programmes d’études ordinaires, d’autre part, en favorisant la participation active des élèves en difficulté aux activités d’apprentissage de la classe.
Il est donc nécessaire de mettre en place une véritable pédagogie de l’inclusion qui imposera des transformations pédagogiques validées et indispensables. Ce modèle doit permettre la gestion des différences tout en répondant aux besoins particuliers des élèves. Ce modèle, doit faire appel à des pratiques communes pouvant bénéficier à la fois aux élèves en situation de handicap, mais aussi à tous les autres élèves de la classe.
La mise en place de ces pratiques repose sur la coopération entre les différent.e.s intervenant.e.s scolaires et entre les élèves. Ceci, tant sur la reconnaissance de la prise en compte de l’individualité de chaque élève, sur leur pleine participation, le développement de leur autonomie et enfin, sur une pédagogie active favorisant la construction et l’assimilation des savoirs.
Ces pratiques devront, pour certains élèves en situation de handicap en difficulté, être accompagnées d’interventions ou d’accompagnement spécialisé.
La pédagogie de l’inclusion est apparue dans les années 1990 (Stainback et Stainback, 1992). Elle proposait une approche complétement différente de celle de l’intégration. L’inclusion adopte une philosophie éducative qui exclut toute forme de rejet, donnant mission aux écoles de répondre aux besoins éducatifs de tous les élèves. Il s’agit d’un modèle pédagogique qui repose sur le postulat d’éducabilité : chaque élève est unique et tous les élèves peuvent être éduqué. Autrement dit, que toutes et tous peut apprendre, progresser – et s’émanciper comme personne relationnelle, aussi libre, autonome et heureuse que possible.
Les écoles et les pratiques pédagogiques d’apprentissage veillent à ce que chaque élève reçoive une éducation adaptée à ses besoins et ses compétences personnels.
Un modèle d’inclusion totale
Ce modèle est loin d’être nouveau. Il remonte au début du 21e siècle, mais on sait combien l’Ecole en FWB a du mal à regarder au-delà de nos frontières. Rien que la pratique du redoublement en est la preuve. Nous sommes la région de l’OCDE où le redoublement est – de loin – le plus pratiqué. Pire, il ne l’est que par commodité, pour soulager les enseignants.
Ce modèle d’inclusion totale a été établi en 2002 par Raymond Vienneau et comprend cinq composantes :
la normation optimale de l’expérience de scolarisation de chaque élève ;
une participation pleine et entière de chaque enfant à la vie de sa communauté d’appartenance, y compris à sa communauté d’apprenantes et d’apprenants ;
l’individualisation optimale du processus d’enseignement-apprentissage ;
la reconnaissance de la contribution unique et irremplaçable de chacune et de chacun au développement et à l’épanouissement de cette communauté d’apprenantes et d’apprenants ;
l’accès de chaque élève aux ressources et aux milieux d’apprentissage les plus favorables à son développement intégral et tant que personne.
Le tableau suivant reprend chacune des cinq composantes du modèle en précisant les implications éducatives de chacune d’elles.
Composantes et implications éducatives de l’inclusion
Composantes
Implications éducatives de l’inclusion
Normalisation
1.1.
accès aux activités offertes par sa communauté (intégration communautaire) ;
1.2.
inscription à l’école de son quartier ou de son village (intégration physique) ;
accès aux activités sociales, culturelles, sportives de son choix parmi les activités organisées par l’école (intégration sociale) ;
inscription dans un groupe-classe d’élèves de son groupe d’âge ou le plus près possible de son groupe d’âge (intégration pédagogique) ;
programmes et services éducatifs offerts à tous les élèves par la même unité administrative (intégration administrative).
2. Participation
2.1.
participation à la vie communautaire et à la vie sociale de l’école encouragée et soutenue par le milieu (cercle d’amis) ;
2.2.
participation optimale de chaque élève aux activités d’apprentissage vécues en classe ou à l’extérieur de la classe.
Individualisation
3.1.
individualisation maximale des contenus d’apprentissage pour chaque élève ;
individualisation du processus d’enseignement-apprentissage à travers l’utilisation de stratégies et de techniques d’enseignement variées ;
individualisation de la démarche évaluative pour tenir compte des particularités de fonctionnement pouvant influencer la mesure des apprentissages
Unicité
4.1.
sensibilisation de la classe au vécu des élèves en difficulté (activité pour comprendre le vécu d’un élève avec handicap visuel) ;
valorisation du caractère unique de chaque élève (dimensions intrapersonnelle, interpersonnelle, sociale et culturelle) ;
mise en valeur des particularités en vue d’enrichir les expériences d’apprentissage de la classe (apprentissage du braille).
Intégralité
5.1.
équilibre entre les divers types de savoirs visés ;
équilibre entre les pôles d’autonomisation et de socialisation ;
équilibre entre les domaines de développement (prise en compte de toutes les dimensions de la personne).
Au moins trois de ces composantes abordent la dimension pédagogique de l’inclusion :
La composante de la participation : exigence d’une participation optimale de chaque élève aux activités d’apprentissage vécues par le groupe-classe
La composante d’individualisation du processus d’enseignement-apprentissage, composante au cœur même du modèle pédagogique
La composante du développement intégral, dont les objectifs rejoignent les préoccupations des militants de l’approche humaniste en éducation.
La dimension pédagogique de l’Ecole inclusive
L’inclusion scolaire est-elle compatible avec les attentes d’efficacité de notre système scolaire ? Ne va-t-on pas parler de « nivellement par le bas » ?
Nombre d’enseignants et de directions d’école (voire de membres de P.O.[20]) pensent que des classes homogènes sont plus efficaces. Elles permettraient de limiter les stratégies d’enseignement et donc de transmettre de meilleurs apprentissages scolaires, surtout aux élèves qui ont un « bon » niveau. Des parents issus de milieux socialement favorisés vont dans le même sens. Il leur semble qu’enseigner à leurs enfants qui n’ont pas de difficultés spécifiques d’apprentissages ou étant en situation de handicap, permettrait de mettre en place de meilleures stratégies d’enseignement. A l’inverse, rendre les écoles inclusives ne risquerait-il pas d’impacter les apprentissages de leurs enfants.
Voyons ce qu’en dit la littérature scientifique. Les recherches sur l’école inclusive remontent à plus de 20 ans.
Le classement des élèves en groupes homogènes (les ‘forts‘ avec les ‘forts’, les ‘faibles’ avec les ‘faibles’) est, non seulement, largement ségrégatif, mais est critiqué par la recherche sur trois points essentiels : l’absence de gain concernant l’efficacité, le caractère inéquitable de ce groupement et enfin sa contribution à la ségrégation des publics scolaires souvent déjà marginalisés (Dupriez, Draelants, 2004).
Organiser des classes de niveaux scolaires n’améliore pas la moyenne générale de l’ensemble des élèves. Le fait de pousser les élèves prétendument « forts » à devenir encore meilleurs n’améliore pas la moyenne générale de l’ensemble des élèves. Au contraire, cela augmente la perte de performance chez les plus faibles.
Si les élèves prétendument « forts » profitent des classes homogènes, les élèves étiquetés « faibles » en pâtissent. La constitution de classes homogènes contribue à amplifier l’écart qui existe entre les prétendument « forts » et les prétendument « faibles ».
A l’opposé, les classes hétérogènes contribuent à le réduire : elles sont bénéfiques aux élèves ayant le plus de difficultés sans porter préjudice aux autres élèves (Crahay, 1997).
Dans une classe hétérogène, les élèves reçoivent la même qualité d’enseignement. Par contre, dans des classes homogènes, les élèves prétendument « forts » bénéficient d’enseignants qui, conscients des aptitudes élevées de leurs groupes-classes, se montent exigeants et avancent à un bon rythme dans la matière. Par contre, les groupes composés d’élèves injustement étiquetés de « faibles » se retrouvent généralement face à des enseignants quelque peu sceptiques quant à leurs capacités d’apprentissage. Ils reçoivent un enseignement moins exigeant ou de moindre qualité ; notamment, on leur impose moins de matière à étudier. Conséquence logique de ceci : en cours d’année, les premiers bénéficient d’opportunités d’apprentissage bien plus importantes que les seconds. En revanche, dans les classes hétérogènes ceux-ci bénéficient du même enseignement que les prétendument « forts » et l’écart ne se creuse pas.
Enfin, le groupement homogène peut participer à la ségrégation scolaire de publics déjà marginalisés (les enfants en situation de handicap, issus de milieux populaires, migrants, …), tandis que les élèves plus favorisés sur le plan socioculturel et socioéconomique tendent à entretenir leur domination dans le système. Ils n’y sont pas entrés avec les mêmes acquis. Le classement par niveaux va sur-favoriser ces élèves déjà choyés par le système.
Pour celles et ceux qui pensent que l’inclusion c’est parachuter des enfants en situation de handicap dans une classe ou une école, cela ne fait en rien une classe ou une école inclusive, sauf y placer un élève avec handicap ou en difficulté. Le seul placement physique de l’élève avec handicap dans une classe ordinaire constitue une condition nécessaire mais non suffisante en soi, pour une inclusion scolaire réussie.
En ce qui concerne la comparaison entre inclusion scolaire et « classes à visée inclusive » ou écoles spécialisées, la recherche montre clairement que le groupement des élèves à besoins spécifiques (écoles spécialisées) est moins efficace que la scolarisation en classe ordinaire (Tremblay, 2012)
Il ne suffit pas de se déclarer inclusif, mais d’en posséder toutes les caractéristiques. Une école inclusive doit être plus efficace que tous les autres types de scolarisation. La recherche a démontré que la scolarisation en classe inclusive est plus efficace pour les élèves en situation de handicap qu’un enseignement en enseignement spécialisé.
La différence entre l’intégration scolaire et l’inclusion réside dans la dimension pédagogie de celle-ci. C’est faire le choix de travailler à la transformation du système éducatif de manière à augmenter sa capacité de répondre aux besoins de tous les élèves. La mise en place d’une pédagogie inclusive permet précisément de venir en soutien à tous les élèves. Et donc de faire progresser encore plus tous les enfants et tous les jeunes, quel que soit leur niveau.
Pour arriver à cela, il est indispensable de mettre en place des pratiques efficaces pour tous les élèves, sans la moindre exception.
1. Des pratiques efficaces
De nombreuses études, essentiellement anglo-saxonnes, ont mis en lumière les pratiques efficaces d’écoles pratiquant l’inclusion scolaire.
Sur le plan humain, du bien-être, du plaisir d’aller à l’école ou d’y enseigner, (Arceneaux, 1994 ; Gallucci, 1997 ; Slee et Weiner, 2001) et Morefield (2002) relèvent 12 spécificités communes aux écoles inclusives efficaces :
un leadership fort et très humain exercé par la direction de l’école ;
un but commun partagé par tous les intervenants et intervenantes ;
un environnement où l’on se sent aimé et protégé ;
un sentiment de responsabilité partagée (tous les adultes sont responsables de tous les élèves)
un climat disciplinaire ferme, juste, cohérent et positif ;
des attentes élevées pour chaque élève ;
un personnel qui croit que l’enseignement est une « vocation », pas un simple métier ;
un curriculum multiculturel qui s’intègre dans les activités quotidiennes ;
d’excellentes pratiques pédagogiques ;
une croyance ferme dans l’importance du rôle des parents ;
une approche faisant la promotion d’une bonne santé mentale ;
un environnement physique agréable, propre et esthétique.
Le sixième critère permet de rassurer celles et ceux qui pensent que l’école inclusive nivèle par le bas. Dans toute pédagogie active, les objectifs sont bien de pousser tous les élèves le plus loin possible. Parfois, en fonction de leurs capacités moindres, mais sans que cela n’impacte les autres élèves. La quête d’ « excellence » ou de normes élevées doit être une préoccupation de toute école inclusive.
D’autres chercheurs (ex : Forness, 2001 ; Hattie, 2009 ; Slavin et Lake, 2008 ; Mitchell, 2008; Bissonnette, Richard, Gauthier et Bouchard, 2010) ont, quant à eux, pu définir sur base de méta-analyses et de recensions, des pratiques pédagogiques universelles efficaces pour les élèves en situation de handicap scolarisés dans des classes ordinaires[21] :
l’enseignement explicite ;
l’enseignement de stratégies mnémoniques ;
l’enseignement de stratégies métacognitives ;
le tutorat entre élèves ;
l’enseignement réciproque ;
l’apprentissage coopératif ;
l’enseignement stratégique ;
l’évaluation formative ;
l’intervention précoce, etc.
Ces pratiques nous viennent, pour nombre d’entre elles, de l’autre côté de l’Atlantique où elles ont pu prospérer durant des décennies, sans percoler chez nous. C’est grâce aux maisons d’éditions de livres pédagogiques québécoises que, progressivement, ces pratiques nous sont parvenues. Mais elles ont encore beaucoup de mal à entrer dans les écoles. Tremblay (2020) nous rappelle que de nombreux ouvrages sur ces pratiques sont disponibles en langue française. Il ajoute que « des pratiques axées sur des dimensions psychosociales, utilisées au niveau de la vie de l’école et de la classe comme la culture scolaire, la qualité de l’environnement et le climat de la classe (Mitchell, 2008) sont également considérés comme efficaces par la recherche en Education.
Toutes les pratiques citées ci-dessus présentent un caractère universel. C’est-à-dire que leur mise en place seraient tout aussi efficaces pour les élèves en situation de handicap que pour les élèves qui ne présentent pas de difficultés d’apprentissages (Torgensen, 2000 ; Cook et Schirmer, 2003). Ces pratiques efficaces bénéficient à tous les élèves (Tremblay, 2012 ; Thomazet, 2008).
2. Une pédagogie coopérative[22]
Une véritable pédagogie de l’inclusion est avant tout une pédagogie coopérative. Il en existe de nombreuses. La coopération est au cœur de l’inclusion et doit se développer dans tous les domaines : au niveau des équipes pédagogiques, de leur collaboration avec d’autres professionnels, mais également entre apprenants et entre enseignants et apprenants, ainsi qu’entre enseignants et parents.
Une véritable pédagogie de l’inclusion repose tout d’abord sur la coopération et sur la prise en compte du caractère unique de chaque apprenant. Elle est axée sur la participation de tous les élèves et sur l’acquisition progressive d’une autonomie dans tous les domaines (apprentissages, comportements, accessibilité, etc.), ainsi que sur la participation, tant aux apprentissages, qu’à la vie de la classe, de l’école, dans l’élaboration des règles du vivre ensemble et de la construction de l’école inclusive.
Enfin, c’est enfin une pédagogie qui favorise la construction et l’intégration des savoirs pour tous les apprenants, en fonction de leurs capacités sachant que celles-ci progresseront toujours en fonction de l’acquisition de nouveaux savoirs.
Johnson et Johnson (1982, 1982) ont démontré – cela fait plus de 40 ans – que l’apprentissage coopératif favorisait l’apprentissage et le développement social chez tous les élèves, qu’ils soient avec ou sans difficultés, lorsque ceux-ci sont réunis au sein d’équipes hétérogènes coopératives. Dans ces équipes, l’on travaille ensemble afin d’atteindre un/des objectif.s commun.s, mais aussi en s’entraidant dans la poursuite de résultats d’apprentissages propres à certains élèves.
Un des premiers bénéfices que l’on remarque quand on met en place dans sa classe des équipes coopératives, c’est l’accroissement de l’implication des élèves dans les apprentissages. Ils se sentent responsabilisés et, s’ils continuent à craindre l’échec, ce n’est plus sur le plan individuel. Au contraire, cela les motive pour mieux faire réussir l’apprentissage collectif. Aucun élève n’a envie d’être tenu pour responsable d’un échec collectif, fût-il momentané.
Sur le plan cognitif, l’interaction stimule l’activité cognitive dans l’apprentissage de concepts complexes. Les élèves apprennent les uns aux autres, et les uns des autres, en utilisant différentes méthodes : par la discussion, l’exemple, la confrontation de points de vues différents, de raisonnements adéquats ou inadéquats, ou encore la reformulation pour favoriser la compréhension des autres qui favorise l’intégration dans la mémoire.
Sur le plan social, la coopération établit des relations sociales plus harmonieuses entre personnes ayant des spécificités ou provenant de milieux socioculturels différents. Les élèves considèrent davantage les qualités personnelles des autres que ce qui pourrait les différencier sur les plans physiques, ethniques, sociaux, … On observe l’éclosion d’une identité commune, puisque les apprentissages qu’ils font ensemble sont d’un intérêt commun et se font dans un but commun.
Cette identité commune engendre l’acceptation de la diversité et favorise l’intégration de tous dans un système inclusif, au-delà des appartenances particulières. Les élèves acquièrent ainsi une identité sociale qui les rassemble au lieu de les diviser en groupes distincts.
L’apprentissage coopératif forme les jeunes aux exigences d’une vie dans une société démocratique pluraliste. Les pratiques de la coopération reproduisent, en effet, les conditions de la vie relationnelle dans une société démocratique moderne. Les élèves y apprennent à la fois l’autonomie et la responsabilité via la coresponsabilité de la construction de leurs apprentissages. Ils apprennent également à assumer des rôles sociaux et à prendre des responsabilités dans leur environnement social. Les élèves acquièrent une capacité à dialoguer, à régler des conflits, à confronter des points de vue, à co-construire des aménagements sociaux et à participer à l’élaboration de lois et du vivre ensemble.
3. La Conception Universelle de l’Apprentissage[23]
Concernant l’élaboration même des programmes d’études adaptés à chaque élève en situation de handicap, Hitchcock, Meyer, Rose et Jackson (2002) suggèrent un modèle de design pédagogique ambitieux, intitulé Universal Design for Learning (UDL), dont l’objectif est de permettre l’élaboration d’un « curriculum non seulement meilleur pour les élèves en difficulté, mais également pour tous les élèves »
Traduite en français sous le label de La Conception Universelle de l’Apprentissage (CUA), celle-ci s’inspire de l’universal design dont l’objectif est de réfléchir, dès les premiers pas du projet, aux difficultés qui pourraient se présenter aux utilisateurs potentiels. Cela permet d’établir des plans proactifs qui répondent à un besoin avant même que celui-ci ne se manifeste (ascenseur, mains courantes, rampes d’accès, panneaux en braille, etc.).
LA CUA prend exemple sur ce concept pour prévoir la planification rigoureuse des difficultés qui pourraient se présenter afin de mettre en place préalablement les aménagements pédagogiques, organisationnels et physiques qui seront indispensables pour permettre à tous les élèves d’accéder à tous les apprentissages qu’ils seront capables d’acquérir en enseignement inclusif.
Concernant les ressources permettant d’aider les élèves en difficulté dans leurs apprentissages, Lenz et Schumaker (2003) relèvent trois types d’adaptations susceptibles d’être apportées au matériel pédagogique :
transformer le matériel existant (réécrire dans un langage plus simple, ajouter des illustrations ou des exemples, etc ) ;
fournir une médiation des contenus étudiés par l’élève (un enregistrement audio fournissant des directives orales ou des explications détaillées) ;
et enfin, lorsque les deux premiers niveaux d’adaptation ne suffisent pas, choisir un matériel alternatif (un texte de lecture d’un degré de difficulté moindre, un didacticiel adapté aux élèves en difficulté, etc ).
Contrairement aux adaptations reprises ci-dessus, les aménagements raisonnables ne modifient pas les programmes d’études. Pour aider les élèves en situation de handicap, des « arrangements » sont élaborés dans la manière de leur présenter les apprentissages ou dans la manière d’évaluer leurs apprentissages. Prenant l’exemple de l’élève malvoyant, l’arrangement sera d’introduire l’utilisation du braille. Pour un élève avec une dyslexie, on fournira des documents rédigés dans une police adaptée, imprimés sur une feuille jaune, ou on lui permettra l’usage d’un correcteur orthographique. De même, l’élève ayant une dyscalculie pourra utiliser une calculatrice.
4. Des interventions spécialisées
L’application de stratégies et de techniques pédagogiques qui tiennent compte de l’individualité de chaque élève permettra de spécialiser progressivement l’enseignement ordinaire. Il est donc indispensable que chaque élève, quelles que soient ses difficultés, reçoive les adaptions, les aménagements et les modifications (Williams, 2001) nécessaires à un apprentissage de qualité.
Des adaptations des programmes seront nécessaires pour certains élèves. Cela pourra aller d’une diminution du critère visé pour atteindre un apprentissage spécifique (le nombre de mots lus en une minute), à l’allègement des résultats d’apprentissage (reconnaître un triangle parmi d’autres formes géométriques plutôt que d’avoir à préciser la sorte de triangle), jusqu’à la suppression de certains objectifs considérés non indispensables ou de niveau trop difficile (Vienneau, 2006).
Les enseignants ordinaires ne disposent pas de l’expertise de leurs collègues de l’enseignement spécialisé. Adapter son enseignement à différents élèves en situation de handicap, présentant des différences catégorielles (déficience physique, intellectuelle, sensorielle, ‘dys », …) n’est pas évident au début. C’est l’occasion de quitter l’approche médicalisante, c’est-à-dire le modèle médical du handicap (ce qui empêche une personne en situation de handicap de s’intégrer dans la société), pour se baser sur le modèle social du handicap (quelles sont les compétences de cette personne sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour l’aider à progresser). Cela permettra de ne plus considérer les élèves en situation de handicap comme étant objets de pitié, mais comme sujets de droits. Cela permettra un changement de pratiques.
Pour le faire, Tremblay (2020) propose deux pistes possibles : la formation/accompagnement et le coenseignement. La coopération entre l’enseignant ordinaire et un enseignant ou un professionnel spécialisé (orthopédagogue, par exemple) peut permettre aux classes ou écoles inclusives de se spécialiser progressivement (Hagtvet, 2009 ; Johnsen, 2011 ; Pijl et Meier, 1997).
Tremblay (2012) définit le coenseignement « comme un travail pédagogique en commun, dans un même groupe et dans un même temps, de deux ou de plusieurs enseignants se partageant les responsabilités éducatives pour atteindre les objectifs spécifiques. Cette collaboration peut fonctionner à temps partiel (ex : une heure par semaine) ou à temps complet ». Et de préciser que le coenseignement vise à maintenir tous les élèves au sein d’un même groupe (même ceux à besoins spécifiques) par un travail de différenciation de l’enseignement. Le coenseignement est ainsi étroitement associé à une conception d’une orthopédagogie (ou d’une enseignement spécial) non pas corrective, mais plutôt qualitative, c’est-à-dire visant à améliorer la qualité de l’enseignement offert à tous les élèves.
Tremblay cite six configurations du coenseignement :
L’un enseigne, l’autre observe. Cela permet de prendre des informations sur un ou des élèves du groupe, ou permet à un enseignant débutant à analyser comment mailler leur pratique à celle de leur collègue.
L’un enseigne, l’autre aide (enseignement de soutien). Un enseignant mène l’activité et cela permet à l’autre enseignant d’aider un ou des élèves en difficulté.
L’enseignement parallèle. La classe est partagée en deux et chaque enseignant anime une partie plus ou moins importante du groupe-classe. Le contenu est le même mais les méthodes d’enseignement peuvent différer. Les contenus peuvent également être différents et, dans ce cas, les élèves reçoivent les deux enseignements successivement.
L’enseignement en ateliers. Les élèves passent successivement d’un atelier animé par un enseignant aux autres ateliers animés par d’autres enseignants. Les élèves en difficultés sont insérés dans de plus petits groupes.
L’enseignement alternatif. Un enseignant travaille avec la plus grande partie du groupe, tandis que certains élèves clairement identifiés, travaillent dans un petit groupe de soutien, d’apprentissages anticipés, d’enrichissement, de remédiation avec un autre enseignant.
L’enseignement partagé (enseignement en tandem). Les deux co-enseignants présentent la même activité au groupe-classe, en se partageant les rôles et le travail de manière régulière. Cette collaboration nécessite le plus haut degré de coopération et de confiance entre ces deux co-enseignants.
Conclusion
Se dire inclusif en intégrant des enfants à besoins spécifique est tout, sauf de l’inclusion. Sans une pédagogie coopérative, sans pratiques pédagogiques adaptées et efficaces, sans une coopération avec des spécialistes, comme les Pôles territoriaux, les CPMS, les professionnels des ‘dys’, les associations de soutiens aux personnes en situation de handicap, sans collaboration avec les parents et les familles, sans la mise en place de parcours adaptés jusqu’au bout, l’école ne peut pas se dire inclusive et ne le sera pas. Nous parlons bien d’un tronc commun, sans redoublement et sans échecs.
Notre système scolaire ne fonctionne pas ainsi. Mais si les écoles ont une liberté pédagogique qu’elles ont toujours mal employé, préférant la mettre au service de l’échec, de la sélection des prétendus « meilleurs » et au rejet des prétendus « faibles », elles peuvent aujourd’hui décider, pour les sections qu’elles gèrent, que celles-ci seront pleinement inclusives. Elles ont, par ailleurs la liberté pédagogique pour être pleinement inclusis et décider que le cursus dépasserait le (futur) tronc commun et que l’inclusion dans leur établissement irait jusqu’au au terme de la scolarité obligatoire.
L’Ecole inclusive n’efface ni le handicap, ni les difficultés spécifiques d’apprentissage, pas plus que les vécus parfois difficiles des élèves. Elle ne fait pas disparaître, non plus, leurs besoins éducatifs particuliers. Par contre, elle permet à de nombreux élèves de participer à la vie en société avec leurs pairs, sans ne plus être discriminé dans un enseignement ségrégué. De même, ils accèdent à l’apprentissage de la citoyenneté en apportant leur contribution à la vie d’une communauté d’apprenantes et d’apprenants. Dans notre système scolaire exclusif actuel, ils en sont exclus. Selon Vienneau (2004), « Ne serait-ce que pour respecter ce droit d’apprendre en compagnie de ses pairs, ne serait-ce que pour les effets positifs de l’inclusion auprès des élèves de la classe ordinaire, les efforts pour généraliser l’implantation d’une pédagogie de l’inclusion méritent d’être poursuivis.
L’Ecole inclusive, si elle l’est réellement, sera la seule voie possible pour rendre notre enseignement efficace pour tous les élèves et non plus ségrégué, discriminant et maltraitant, comme il l’est de nos jours. Il permettra, non seulement, de fournir dans un contexte de classe et d’école ordinaire, les programmes et les services spécialisés nécessaires à l’épanouissement de tous les élèves, qu’ils soient en situation de handicap, avec des difficultés scolaires ou non. Cela, sans que cela n’impacte le niveau des études. Bien au contraire, l’école inclusive devant avoir des exigences élevées.
L’Ecole inclusive transformera les approches et les pratiques pédagogiques des enseignantes et des enseignants d’écoles ordinaires, de manière à leur permettre d’atteindre le plus haut niveau d’inclusion pédagogique pour le plus grand nombre d’élèves de l’école. Et ce, indépendamment de leurs capacités intellectuelles ou de leurs particularités de fonctionnement.
C’est le système d’éducation tout entier qui profitera des modifications nécessaires pour répondre aux besoins éducatifs des élèves en situation de handicap. En effet, « si l’on parvient à créer une situation d’apprentissage efficace pour les élèves avec handicaps à l’intérieur de l’enseignement ordinaire, on prépare en même temps un contexte éducatif idéal pour tous les élèves » (Van Steenlandt, 1995, p 4).
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[1] Convention internationale des Droits de l’Enfant, 1989, Article 28, 1 : « Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances (…). »
[2] Convention internationale des Droits des Personnes handicapées, 2006, Article 24 § 2 b : « Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire » (version originale : Persons with disabilities can access an inclusive, quality and free primary education and secondary education on an equal basis with others in the communities in which they live. » )
[3] La Plate-forme pour une École inclusive a été lancée en 2001 et la Plate-forme de lutte contre l’échec scolaire, le 1er septembre 2003. Elles font partie de la Ligue des Droits de l’Enfant et, au vu des « avancées » en matière de Droit de l’Enfant à l’Ecole, elles sont loin de mettre la clef sous le paillasson !
[7] Unesco – Principes directeurs pour l’inclusion : Assurer l’accès à « l’Education Pour Tous », 2005, p14
[8] UNESCO (2017). A guide for ensuring inclusion and equity in education. Paris : UNESCO.
[9] La Suède a maintenu ses écoles spécialisées pour les enfants qui ont des déficiences physiques, sensorielles ou mentales sévères.
[10] Rappelons-nous qu’en Belgique, la création d’un enseignement, dit « spécial », date de 1970.
[11] Franco Basaglia (1924-1980) était un psychiatre italien critique de l’institution asilaire et fondateur du mouvement de la psychiatrie démocratique.
[12] La nosographie est la description et la classification méthodique des maladies. Elle est également appelée « histoire de la maladie ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Nosographie
[13] A l’exception des instituts pour malentendants ou malvoyants.
[14] Wikipedia : Handicapophobie – Aversion, traitement défavorable contre les personnes vivant un handicap, physique ou mental.
[17] Troubles sensorimoteurs : troubles qui relèvent à la fois des fonctions sensorielles (handicaps auditifs et visuels, notamment) et de la motricité (difficultés à se mouvoir, se déplacer, …)
La Ligue des Droits de l’Enfant milite pour une école inclusive qui accueille tous et toutes les enfants, en milieu ordinaire, et ce, depuis 2001. Plus de 20 ans de combats ont permis de faire avancer l’accueil de certains enfants, mais il reste du chemin à faire. Pour plus d’informations sur la manière dont nous développons notre point de vue spécifique sur l’inclusion scolaire, voir toutes nos études et analyse, ainsi que les actes de nos colloques et notre Mémorandum sur le site de la Ligue des Droits de l’Enfant.
L’inclusion scolaire est une démarche qui nécessite le soutien de milieux pédagogiques (les Pôles territoriaux, par exemple) ou extrascolaire. Les enseignants et les écoles en général, ne sont pas formés – ou ne se forment pas – à l’inclusion de tous et toutes les élèves, quelles que soient leurs spécificités. Que ce soit un trouble spécifique des apprentissages et, pire encore, des élèves vivant avec un handicap, qu’il soit physique ou… pire, intellectuel ou comportemental. Pourtant, tous et toutes ces élèves ont droit à bénéficier d’un enseignement inclusif dans une école ordinaire, tout au long de leur scolarité.
Cependant, les écoles commencent seulement (2023) à prendre conscience que les Pôles territoriaux existent et que leur mission est de les aider à mettre en places des aménagements raisonnables que, pour bien faire, il faut rendre universels.
Si les écoles découvrent les Pôles territoriaux qui sont récents, il est d’autres structures d’aide bien plus anciennes qu’elles ne connaissent toujours pas et auxquelles elles ne font jamais appel, lors d’une inclusion. Il s’agit des services d’accompagnement.
Dès lors, et afin de les aider, mais aussi et surtout aider les parents, nous avons décidé d’enquêter, c’est-à-dire d’aller à la rencontre de certains de ces services d’accompagnement, tant en Wallonie qu’à Bruxelles, afin qu’ils nous expliquent leurs missions et la manière dont ils fonctionnent.
Voici les résultats de notre recherche. Il ne s’agit pas simplement d’informations. L’objectif est de permettre aux écoles, aux lieux d’accueils extrascolaires et aux familles de faire les meilleurs choix pour leurs enfants/élèves/animés. Dans les faits ces services sont trop peu connus et, de ce fait, les familles, les intervenantes et intervenants, ne les utilises que trop peu ou prou.
Nous avons rencontré trois services d’accompagnement et débattu avec eux de leurs compétences. Nous n’allons pas vous bassiner avec ces débats. Ceci est un résumé de ce que ces services peuvent apporter, tant aux écoles qu’aux familles. Nous espérons maintenant que ceux-ci vont bénéficier de plus de moyens encore car l’Ecole et l’extrascolaire doivent devenir de plus en plus inclusifs.
L’Ecole inclusive est un tout. Voici des services trop peu connus qui s’exprime sur leurs missions :
2. Les questions nécessaires afin de poser un jugement critique sur la question de l’accompagnement d’un enfant avec handicap ?
Pourquoi faire appel à un service d’accompagnement ?
Voici quelques questions que nous avons recueillies et qui, selon ces services sont fréquemment posées pour évaluer le processus de scolarisation de l’enfant :
– L’enfant est-il dans un environnement qui l’aide à progresser ?
– L’enfant continue-t-il à progresser dans les différents domaines du développement ?
– L’enfant semble-t-il heureux et épanoui, aime-t-il aller à l’école ?
– L’enfant a-t-il des amis, des copains dans la classe, dans l’école ?
– L’enfant a-t-il des interactions avec les autres enfants ou seulement avec les adultes, initie-t-il des interactions, est-il la « mascotte » des autres ou a-t-il avec eux un rapport égalitaire, est-il stigmatisé ?
– Comment l’enfant vit-il sa déficience, a-t-il des lieux pour en parler ou en entendre parler, a-t-il des projets, des rêves ?
– L’enfant a-t-il des activités en dehors de l’école, des loisirs, des rencontres avec d’autres enfants atteints de handicaps ou/et sans handicap ?
– Quels sont les aménagements, les réorientations, changements de classe, d’école ou de type d’enseignement nécessaires pour répondre à ses besoins et pour procurer des conditions plus favorables à son développement et à son bien-être ?
– L’aide en classe, s’il y en a, agit-elle en cohérence avec le projet, ne renforce-t-elle pas une stigmatisation, est-elle réellement nécessaire à chaque moment où elle est présente, son temps d’intervention est-il adéquat ?
– Qu’envisage-t-on pour l’année scolaire prochaine ? (Cette question est importante et doit être posée plusieurs mois avant la fin de l’année. Poser et répondre à cette question, même si la réponse à ce moment n’est pas encore définitive, est essentiel car cela permet d’envisager différentes possibilités, de s’y préparer et de ne pas être mis au pied du mur au terme de l’année).
– Au-delà de l’année prochaine, quelles pourraient être les perspectives ? (L’école n’est qu’une étape de vie, elle doit s’inscrire dans une continuité de projet).
3. Avoir un point de vue critique, c’est avant tout se poser la question de « Quels services d’accompagnement dois-je contacter au besoin, afin de permettre à mon enfant/élève/animé de progresser ? »
En Fédération Wallonie-Bruxelles, il existe différents services qui, à la demande, peuvent accompagner l’enfant, le jeune ou l’adulte présentant des besoins spécifiques. Ils travaillent également avec la famille. L’accompagnement se fait généralement par un ou plusieurs professionnels issus d’une équipe pluridisciplinaire. Avec des variations entre les services et selon les besoins de la personne, il pourra s’agir d’un(e) kiné, d’un(e) logo, d’un(e) psychologue, d’un(e) éducateur (trice), d’un(e) assistant(e) social(e),… Ces professionnels peuvent être des ressources pour les écoles.
En effet, l’accompagnement de ces services cible, en fonction des demandes et des besoins, la personne elle-même mais également son réseau et ses milieux de vie, dont l’école fait partie. L’objectif sera d’élaborer ensemble un projet qui corresponde au mieux aux besoins de la personne, dans le souci de son évolution, de son épanouissement et de sa qualité de vie.
« L’accompagnement serait cette façon de considérer la personne comme son égal, de respecter son projet et ses choix tout en la guidant vers plus de réalisme ou vers une solution pour un « mieux-vivre » qui correspondrait à cette personne ». (Ch. Bartholomé, sociologue)
Les professionnels de ces services ne font pas de rééducations. C’est un travail différent qui est proposé, complémentaire au travail des autres professionnels présents dans le suivi « quotidien » de la personne.
Différents types de services d’accompagnement existent actuellement en région wallonne. La plupart sont subventionnés par l’AVIQ (anciennement l’AWIPH) :
Les Services d’Aide Précoce (concernent les enfants à besoins spécifiques qui ont entre 0 et 8 ans) – SAP
Les Services d’Aide à l’Intégration (concernent les enfants et les jeunes ados/adultes qui ont entre 6 et 21 ans) – SAI
Les Services d’Accompagnement (concernent les jeunes adultes et adultes) – SAC
Les Services à initiatives spécifiques (tels que le SAPI, cfr. Ci-dessous).
En région Bruxelloise, il s’agit de services d’accompagnement pouvant accompagner la personne en situation de handicap tout au long de sa vie. Certains services se concentrent davantage sur les enfants alors que d’autres se centrent sur les adultes. Les missions de ces services sont :
Assurer une aide précoce aux enfants en situation de handicap et à leur famille, parfois même avant la naissance de l’enfant. Il s’agit d’une aide éducative, psychologique, social (à l’enfant ou à sa famille) et une aide technique par un soutien individualisé à domicile ou dans les autres lieux de vie de l’enfant
Concernant l’enfant en âge scolaire, il s’agit d’assurer un prolongement à l’aide précoce élaborée pour l’enfant en bas âge en accentuant petit à petit la relation enfant-famille-école. Il s’agit également d’encadrer la scolarité au niveau psychologique, identitaire et relationnel
Par rapport à l’accompagnement de l’adulte en situation de handicap, cela se traduit par une aide à conserver ou à acquérir son autonomie par un soutien individualisé dans les actes de la vie quotidienne. Les services d’accompagnement orientent la personne vers les services qui peuvent lui être utiles et l’accompagnent dans ses démarches auprès de ces services sans pour autant se substituer à l’action de ceux- ci ;
D’assurer le placement familial et organiser, conjointement à l’accompagnement, la recherche et la sélection de familles d’accueil.
Il y a des missions annexes dont l’une est l’aide à l’intégration. Il s’agit d’une aide destinée aux enfants en situation de handicap. Cette aide comprend le soutien de l’enfant en situation de handicap et de son entourage dans les différentes dimensions du processus d’intégration scolaire. A savoir, l’aide à l’utilisation de matériel spécifique, la coordination et la médiation entre les divers intervenants susceptibles d’intervenir à l’exclusion de toute intervention thérapeutique.
Les services d’accompagnement de la région Bruxelloise sont subventionnés par le service « PHARE », anciennement Service bruxellois francophone de la Personne handicapée (SBFPH)
3.1. Les services d’accompagnement
En région wallonne comme à Bruxelles, chaque service fonctionne selon un mode « ambulatoire », c’est-à-dire qu’il se déplace là où la personne se trouve. On parle aussi d’intervention en « milieu ouvert ». Le nombre et la fréquence des interventions sont variables en fonction de chaque situation individuelle. Les interventions s’effectuent dans le respect du cheminement de chacun mais aussi des convictions parentales, des repères familiaux et socioculturels.
Il existe des services spécifiques et des services polyvalents. Les services polyvalents accompagnent les bénéficiaires qui présentent tout type de handicap, les aidant dans la globalité de leurs demandes ou besoins. Les services spécifiques accompagnent des bénéficiaires qui présentent un ou plusieurs handicaps définis. Ils assurent également une mission de support, de formation, de référence pour les services généraux, ils contribuent à la recherche de solutions et à l’avancée de la recherche fondamentale. Quelle que soit la spécificité du service, c’est la personne à part entière qui est d’abord considérée, au-delà de son handicap. Ainsi, parallèlement aux apports et adaptations spécifiques, c’est la qualité de vie, l’épanouissement et l’identité qui sont recherchés. Les projets sont élaborés au départ des compétences, des ressources et des potentialités des personnes.
3.2 Les Services d’Aide Précoce – les SAP (0-8 ans)
« Nous intervenons à la demande des parents d’enfants présentant un retard de développement ou un handicap, que celui-ci soit physique et/ou mental et/ou sensoriel et qu’il soit avéré ou suspecté. «
En effet, un certain pourcentage des enfants suivis par les SAP n’a pas encore pu être diagnostiqué. Peut-être même qu’ils ne pourront jamais l’être : « Soit le handicap ou le syndrome est établi pendant la grossesse de la maman ou dans les jours qui suivent la naissance de l’enfant, soit le handicap se révèle au fur et à mesure du développement de l’enfant. »
Il s’agit alors d’un cheminement des parents vers une démarche diagnostique (analyses génétiques, bilans pluridisciplinaires, équipes médicales, centres de références, …). « Ces démarches, accompagnées par notre service, si les parents le souhaitent, peuvent prendre du temps et demandent de l’énergie aux parents et aux enfants. La recherche génétique progressant à petits pas, il arrive que le diagnostic ne puisse être posé que tardivement voire jamais. »
« De façon générale, nos services ont pour mission d’apporter une aide éducative à l’enfant différent ainsi qu’un soutien éducatif, social et psychologique à sa famille. Notre but est de favoriser le développement de l’enfant et son intégration sociale par une action au niveau de ses différents milieux de vie (domicile, crèche/école, loisirs,…). Nous intervenons pour qu’un projet cohérent pour l’enfant et son devenir soit mis en place en tenant compte des ressources de ces différents milieux. »
Les professionnels de l’équipe pluridisciplinaire ne font pas de rééducation mais, en partenariat avec les parents et les professionnels présents autour de l’enfant (puéricultrices, enseignants, paramédicaux indépendants, équipe médicale, …), ils veillent à optimiser les conditions environnementales de l’enfant et à favoriser ainsi son développement. La généralisation et le transfert des apprentissages d’un lieu à l’autre sont recherchés.
« Une fois par an et pour la plupart des enfants que nous suivons, un bilan de développement peut être réalisé afin de cibler les objectifs à atteindre ensemble à partir des difficultés mais aussi des ressources de l’enfant. »
Lorsque l’enfant approche de l’âge de l’entrée à l’école, les services d’aide précoce peuvent, par exemple, accompagner les parents dans leur recherche de solution(s) qui corresponde (nt) au mieux aux besoins de leur enfant. Ensuite, à la demande des parents et des enseignants, un accompagnement à l’école (ordinaire ou spécialisée) pourra être proposé.
« Un autre axe d’intervention de nos SAP se situe au niveau de la prévention, notamment vis à vis du risque de handicaps surajoutés. Par exemple, en tenant compte des spécificités du développement de chaque enfant, on évite ou on limite l’apparition de handicaps secondaires ; en favorisant son intégration dans les milieux « ordinaires », on évite de le marginaliser. »
« Nous organisons également – mais ponctuellement des activités collectives ou communautaires. Ce sont des actions collectives que nous organisons pour les enfants et les familles bénéficiaires du service. ».
Des actions communautaires peuvent également être organisées. Celles-ci s’adressent à toute personne qui en fait la demande (ex. information générale sur la différence dans une école).
3.3. Les Services d’Aide à l’Intégration – les SAI (6-21 ans)
Si les parents et/ou le jeune le souhaitent, les services d’aide à l’intégration sont là pour prendre le relais des services d’aide précoce ou établir un nouveau projet d’accompagnement. Les Services d’Aide à l’Intégration se donnent pour mission l’épanouissement du jeune en situation de handicap mais aussi la construction de son identité en regard de ses désirs et dans la relation à l’autre.
Les professionnels de ces services peuvent notamment, en fonction des besoins exprimés : soutenir le jeune dans son parcours et son projet de vie, assurer une guidance familiale, collaborer avec l’école, favoriser la participation sociale dans les milieux ordinaires, …
Tout comme pour le SAP, il s’agira d’élaborer ensemble un projet cohérent et au plus proche des besoins du jeune. Encore plus qu’au niveau du SAP, l’avis du jeune sera recherché.
3.4. Les Services d’Accompagnement (adultes)
Les services d’accompagnement ont pour mission d’aider les personnes adultes à mener à bien des projets qui leur apporteront une plus grande autonomie.
Certains services d’accompagnement sont spécialisés dans certains types d’activités (recherche d’emploi, apprentissage des nouvelles technologies, etc.). Ces services ne seront pas développés ici, étant donné que la majorité de leur population n’est plus concernée par l’âge de l’obligation scolaire.
3.5. Quel accompagnement des SAP, services d’accompagnement et des SAI au sein des écoles ?
Pendant la scolarisation, les services sont un lien entre l’école, la famille et l’enfant. Le fait que les professionnels des services connaissent déjà l’enfant et sa famille et qu’un partenariat est, la plupart du temps, déjà établi avec les parents, va aider à ce que le projet scolaire s’inscrive dans le respect de l’enfant et du projet de vie que les parents ont pour celui-ci.
A la demande des parents et avec l’accord des écoles, les équipes proposent des rencontres régulières aux enseignants. Le plus souvent, il s’agira de temps d’observation et/ou d’échanges avec les différents partenaires du projet (parents, école, SAP/SAI, service d’accompagnement, PMS, enfant/jeune en fonction de son âge et selon ses possibilités d’expression). C’est un partenariat qui est recherché entre les différents acteurs afin de mobiliser ensemble les ressources et d’ajuster au mieux les attentes de chacun et les objectifs définis aux réalités de l’enfant ou du jeune (son rythme, ses capacités, ses besoins, son identité, …).
« Il sera important d’« écouter » (observer pour les plus petits) et de respecter le vécu de l’enfant ou du jeune et ses souhaits. C’est en tenant compte de ses difficultés et de ses possibilités, en respectant ses envies, mais aussi ses refus que nous lui permettront de s’épanouir dans l’environnement que nous lui proposons et ainsi de se construire tant sur le plan cognitif que sur le plan personnel et émotionnel. »
Les visites en classe fournissent au service l’occasion d’observer l’enfant ou le jeune, de voir ses progrès, de fixer de nouveaux objectifs, de rechercher ensemble comment pallier aux difficultés qu’il peut rencontrer dans les tâches observées ou dans ses relations aux autres.
« Différents outils guident l’observation, certains sont centrés sur les interactions sociales, sur l’autonomie, d’autres permettent d’observer l’évolution de l’enfant dans le cadre d’activités scolaires spécifiques. »
Les observations complémentaires réalisées dans les autres milieux de vie de l’enfant/du jeune ou au cours de bilans réalisés au service permettent de réfléchir sur un projet global et cohérent pour le bénéficiaire. « A la maison, des aménagements sont éventuellement mis en place pour assurer l’acquisition de notions vues en classe ou pour pallier à des difficultés vécues à l’école. Les objectifs à poursuivre et les moyens pour les atteindre peuvent être fixés en commun. »
La collaboration entre le service, les parents, les enseignants, les autres professionnels et l’enfant n’est jamais définitivement établie. « Elle se construit tout au long des rencontres et ne devient efficace que lorsqu’elle s’établit entre des partenaires qui apportent chacun leur spécificité d’approche, de regard, de compétence sans porter de jugement sur autrui, pour ensemble concourir au développement harmonieux et au bien-être de l’enfant/du jeune. »
3.6. Conventions de soutien à la scolarité
Les écoles (d’enseignement ordinaire et d’enseignement spécialisé) et les services d’accompagnement (SAP-SAI-SAC) signent une convention précisant les objectifs et modalités de leur collaboration autour du projet de l’enfant.
Cette convention est issue d’un accord de coopération entre la Communauté française et la Région wallonne ou la Région Bruxelloise en matière de soutien à la scolarité pour les jeunes présentant un handicap. « C’est une façon d’établir le début de la collaboration et de définir, au début de chaque année, quel rôle chacun va pouvoir jouer pour mener à bien le projet de scolarisation de l’enfant ou du jeune et les objectifs qui y sont liés. »
4. En pratique
En région wallonne, l’AWIPH (Agence Wallonne pour l’Intégration des Personnes Handicapées) agrée et subventionne 20 services d’aide précoce, 28 services d’aide à l’intégration et 41 services d’accompagnement répartis sur l’ensemble du territoire wallon. Une liste de ceux-ci est disponible sur le site de l’AWIPH, aux bureaux régionaux ou au centre de documentation de l’AWIPH. Parmi ces services, on retrouve plusieurs services à missions spécifiques.
En région de Bruxelles Capitale, il y a 20 services d’accompagnement. La liste est disponible sur le site du service « phare ». Tout comme en Wallonie, il y a des spécialisations dans les services.
Le Droit international impose aux États à la fois un enseignement basé sur l’égalité des chances[1] et une École inclusive[2]. Ces deux exigences sont d’ailleurs indissociables. En effet, donner des chances égales d’émancipation sociale à tous les élèves ne peut se faire que dans une École qui accueille tout le monde, sans distinction d’origines, de genres, de capacités intellectuelles, physiques, sensorielles, etc.
Pourtant, nous sommes encore loin du compte. Notre système scolaire demeure profondément discriminant : il reproduit les inégalités sociales, mais en plus, il les amplifie ! Le taux d’échecs assorti des redoublements et des orientations reste trop important en Fédération Wallonie-Bruxelles. De surcroît, l’échec concerne prioritairement les élèves issus des milieux les plus défavorisés ou qui sont en situation de handicap, avec ou sans ‘Dys’. Nombre d’entre eux sont dirigés vers l’enseignement spécialisé : un enseignement ségrégué. L’égalité des chances à laquelle ils ont pleinement droit leur est confisquée. Leurs possibilités de choix sont réduites de manière drastique. Leur avenir professionnel est compromis.
Ces combats, les militants de la Ligue des Droits de l’Enfant et ses partenaires associatifs, les portent depuis plus de 20 ans[3] et déplorent le manque d’ambition du Pacte pour un enseignement d’excellence.
Si l’on se réfère à l’Avis N°3 du Pacte, l’Objectif stratégique 4.3 intitulé : « Répondre aux besoins spécifiques des élèves dans l’enseignement ordinaire », précise la vision de ce que sera à l’avenir une École inclusive en Fédération Wallonie-Bruxelles ; à savoir : L’École inclusive est définie comme « permettant à un élève à besoins spécifiques de poursuivre sa scolarité dans l’enseignement ordinaire, moyennant la mise en place d’aménagements raisonnables d’ordre matériel, pédagogique et/ou organisationnel ». Pour nous, cette vision est étriquée, incomplète et réductrice, quand l’on se réfère aux textes internationaux. En effet, l’Unesco, dans la Charte de Luxembourg (1996) a défini ce que doit être une École inclusive. C’est « L’École pour Tous et pour Chacun ». C’est d’abord une École qui comprend tout le monde, sans exception. Dans laquelle enseignement spécifique et enseignement ordinaire ont une structure administrative commune et où les ressources spécialisées ont leur place sans être pour autant une structure ségréguée. Les enseignants y sont formés en vue de l’enseignement inclusif. La flexibilité et l’adaptation des cursus tiennent compte des besoins de tous les élèves. Et contrairement à l’École exclusive, l’École inclusive travaille en partenariat avec les familles.
Si le Pacte met en œuvre différents chantiers pour améliorer la qualité de notre système scolaire, les objectifs annoncés sont régulièrement rabotés par des compromis réalisés systématiquement dans l’intérêt des institutions et trop rarement dans celui des élèves et des familles.
La législation scolaire d’aujourd’hui ne permet pas la création d’écoles inclusives ; des enfants, des jeunes ne peuvent pas bénéficier d’un enseignement inclusif en raison de leurs troubles ou de leurs déficiences. Des classes prétendument « à visée inclusive » accueillent des élèves avec un handicap intellectuel et/ou de l’autisme sans leur permettre d’être pleinement inclus aux côtés de leurs pairs au sein d’une classe ordinaire. De plus les certifications inadaptées empêchent les élèves avec déficience intellectuelle de rester dans l’enseignement ordinaire pour poursuivre leurs études. Dès lors, ils sont orientés vers l’enseignement spécialisé : un système scolaire qui pratique la ségrégation ne sera jamais inclusif !
La formation des enseignants qui devait passer à cinq ans n’en comptera finalement que quatre. Non dans l’intérêt des futurs professeurs, ni dans celui des élèves, mais uniquement pour raisons budgétaires. Le module de formation des enseignants qui aurait été consacré à l’orthopédagogie s’en trouvera donc réduit. Cette formation pourra être effectuée dans le cadre d’une formation continuée, sur base volontaire : Une École qui ne forme pas initialement ses enseignants à l’accueil de tous ne sera jamais inclusive !
Après un tronc commun jusqu’à 15 ans, durant lequel on peut espérer voir le redoublement interdit, combien d’élèves d’origines sociales moins favorisées et combien d’élèves ayant des déficiences pourront-ils continuer dans l’enseignement de transition ? Les écoles profiteront-elles encore de ce moment charnière pour les orienter vers l’enseignement spécialisé ou professionnel parce qu’ils « n’auraient pas acquis toutes les compétences » ? Une École inclusive doit l’être, par définition, jusqu’à la fin du parcours scolaire, sans induire un sentiment d’échec, sans orientation forcée, autrement, elle n’est pas inclusive !
Ce mémorandum, fruit de 21 années de lutte pour que l’École accueille tous les élèves quelles que soient leurs particularités, a pour objectif de définir clairement ce que doit être l’École inclusive, non seulement pour les enfants et les familles d’enfants à besoins spécifiques, mais également pour tous les élèves, quelles que soient leurs réalités. Une École inclusive est, par définition, une École des Droits de l’Enfant, une École Pour Tous !
[1] Convention internationale des Droits de l’Enfant, 1989, Article 28, 1 : « Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances (…)
[2] Convention internationale des Droits des Personnes handicapées, 2006, Article 24 § 2 b : « Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire » (version originale : Persons with disabilities can access an inclusive, quality and free primary education and secondary education on an equal basis with others in the communities in which they live. » )
[3] La Plate-forme pour une École inclusive a été lancée en 2001 et la Plate-forme de lutte contre l’échec scolaire, le 1er septembre 2003. Elles font partie de la Ligue des Droits de l’Enfant et, au vu des « avancées » en matière de Droit de l’Enfant à l’Ecole, elles sont loin de mettre la clef sous le paillasson !
Il faut savoir qu’historiquement, après la révolution belge, le gouvernement provisoire a proclamé la « Liberté d’enseignement », considérant qu’il s’agissait d’adopter la même solution à la question générale de la liberté d’opinion et la liberté de culte. De ce fait, il a instauré un régime de concurrence entre les écoles et les futurs réseaux, refusant ainsi que qui que ce soit ait le monopole de l’enseignement : ni l’Etat, ni l’Eglise. Cette concurrence est malheureusement toujours porteuse d’inégalités entre les élèves.
Dès lors, chaque acteur et chaque actrice avait une liberté totale en fonction de ses droits : les écoles (pouvoirs organisateurs), les parents et, enfin, les enseignants, les enseignantes, les chercheuses et les chercheurs.
Les pouvoirs organisateurs obtenaient ainsi toute liberté pour ouvrir une école, pour la maintenir, pour déterminer son projet philosophique ou religieux et ses méthodes pédagogiques (en général, on parlait très peu pédagogie à cette époque). Ils avaient le libre choix de leur personnel, des missions de l’école pour concrétiser ses valeurs philosophiques ou pédagogiques et tout pouvoir de décision dans l’organisation de leurs établissements. Les écoles restaient soumises au Droit belge, mais tout ce qui ne relevait pas d’une réglementation par les autorités compétentes ressortait, de ce fait, de l’autorité scolaire. Les établissements subventionnés étaient ainsi quasiment autonomes.
Les parents avaient, quant à eux, le libre choix de l’école et, dans les établissements organisés par l’Etat, de pouvoir choisir entre l’enseignement d’une religion reconnue et la morale non confessionnelle.
Les enseignant.e.s et les chercheurs.euses bénéficiaient de la liberté académique. Autrement dit, de choisir leurs thèmes de réflexion et leurs méthodes pédagogiques.
L’article 6 de la Loi sur le Pacte scolaire (1959) définit que « Chaque pouvoir organisateur est libre en matière de méthodes pédagogiques ». En 1997, le décret « missions » a réaffirmé cette autonomie en indiquant que « le contrôle de la Commission des programmes ne porte pas sur les méthodes pédagogiques ». Ces dernières correspondent donc bien à une prérogative des pouvoirs organisateurs.
Cependant, ce sont les programmes des réseaux qui imposent les options pédagogiques aux enseignants. Mais pour la mise en œuvre de ces derniers, chaque enseignant.e est libre de définir ses pratiques pédagogiques dans sa classe ou en concertation avec ses pair.e.s pour celles qui seront mises en œuvre dans l’établissement.
L’Ecole, lieu de non-droits
Puisque chaque PO est libre d’établir un règlement des études à sa sauce, du moment qu’il ne soit pas en contradiction avec le Droit belge. On y trouve les valeurs morales et parfois religieuses de l’établissement. Cela va du progressisme au réactionnaire, en passant par l’humanisme et le conservatisme. Avec souvent un mélange des genres. Il vise souvent à codifier les rôles des élèves au sein de l’école ou lors d’activités extérieures organisées par les enseignant.e.s. Il a surtout pour mission de protéger l’école et les adultes qui y travaillent, et très peu les élèves. Il reprendra la liste des sanctions applicables et la manière dont doivent se comporter les élèves pour les éviter. On y parle très rarement de Droit, mais le plus souvent de devoirs mâtinés d’un longue liste d’interdits.
Le rôle de l’école doit, notamment, être de « préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste, respectueuse de l’environnement et ouverte aux autres cultures[1] ». Cependant, les Règlements des études, vont la plupart du temps, à l’encontre de cet objectif. Plutôt que de viser l’autonomie de chaque élève, la participation citoyenne et solidaire, elle leur apprend la docilité, l’obéissance et la soumission.
En définitive, un Règlement des études est la « Loi » de l’établissement que seul.e.s les élèves doivent respecter. En effet, il ne s’applique pas aux enseignant.e.s qui n’hésitent pas à le transgresser volontairement ou par ignorance. Ainsi, dans la liste des sanctions reprises ci-dessous, on peut raisonnablement douter que tous les enseignants et toutes les enseignantes respecteront la hiérarchie telle qu’inscrite dans le Règlement des études. L’exclusion d’un.e élève d’un cours (point d.) est souvent la première sanction.
a. le rappel à l’ordre,
b. la remarque au journal de classe,
c. le travail supplémentaire,
d. l’exclusion d’une période de cours,
e. la suppression de permissions et d’avantages (carte de sortie, heures libres en début
et fin de journée, gestion libre des heures d’étude)
f. la retenue après 16h00,
g. la retenue le mercredi après-midi,
h. le travail de réparation/d’utilité collective,
i. la convocation à la direction,
j. l’exclusion de plusieurs périodes de cours,
k. l’ouverture d’un dossier disciplinaire avec convocation des parents,
l. l’exclusion de l’école pour un ou plusieurs jours,
m. l’exclusion définitive
Le Règlement des études est la « Loi » du plus fort. Ainsi, quand on lit que « L’élève qui sera pris à tricher lors d’une évaluation périodique ou d’un examen sera sanctionné d’un zéro pour cette épreuve. », l’école omet les principes élémentaires du Droit. Le premier est la charge de la preuve. Etre pris à tricher, encore faut-il le démontrer. Ensuite, chaque accusé.e à droit d’être défendu. Enfin, la personne qui a surpris l’élève trichant est-elle celle qui a confectionné l’épreuve ? Dans l’affirmative, ce serait contraire au Droit fondamental, puisque « Nul.le ne peut être juge et partie ». Cette personne se ferait justice elle-même, ce qui est interdit par le Droit.
Il s’agit d’un vieux principe de Droit venant de l’expression latine « Aliquis non debet esse judex in propria causa, quia non potest esse judex et pars » qui se traduit par « personne ne doit être juge de sa propre cause, parce qu’on ne peut être à la fois juge et partie ». Bien connue des juristes, elle signifie qu’on ne peut pas rendre une décision juste lorsqu’on a un intérêt à la décision rendue.
Cela vaut pour chaque interrogation, évaluation, bilan ou examen coté réalisé par un ou une professeur.e qui a donné le cours. Ils ou elles ont un intérêt à la décision rendue et sont donc juges et partie. Ce qu’ils ou elles évaluent n’est rien d’autre que leur capacité à transmettre un savoir à l’ensemble des élèves de la classe, sans en oublier aucun.e. Quand on sait que les professeur.e.s qui n’ont pas d’échecs sont traités de « laxistes », ce que la plupart veulent éviter. On peut se dire que le cotation a toutes les chances de ne pas être juste, ou que les questions rédigées ont toutes les chances de veiller à ce que tout le monde ne réussisse pas.
Exemple : La problématique de la tenue des élèves
Avec le mouvement #metoo, on pouvait espérer voir enfin fleurir des Règlements des études dégenrés. Certaines écoles semblent, en effet, ne pas vouloir faire de différences entre les filles et les garçons en ne rédigeant qu’une seule règle valable pour tou.te.s les élèves. Mais à y regarder de plus près, on comprend vite qui, des filles ou des garçons, sont visé.e.s. L’article sur les tenues des élèves du règlement suivant en est un parfait exemple :
Ne sont donc pas toléré(e)s
« Les vêtements exagérément courts, collants, échancrés, provocants ; sont donc à réserver pour d’autres lieux et circonstances les dos nus, épaules découvertes, sous-vêtements apparents, nombrils à l’air, profonds décolletés et jupettes ultra-mini »
Même lorsqu’ils sont rédigés tant pour les filles que pour les garçons, les Règlement des études restent clairement machistes. Dans l’école suivante, en dehors des couvre-chefs, ils visent exclusivement les filles :
La tenue vestimentaire doit être en rapport avec les activités scolaires : il est interdit de porter un couvre-chef dans les bâtiments ;les tops, dos nus, mini-jupes, décolletés, shorts courts et bermudas fantaisies sont interdits dans l’enceinte de l’école.
Dans d’autres écoles, ils sont carrément genrés. Le premier paragraphe concerne les filles, tandis que le second vise les garçons. On remarquera que les filles sont responsables de la bienséance dans l’école car elles risqueraient d’être provocantes, au contraire des garçons. Ces derniers n’ont pas les mêmes interdits que les filles ; ils ne doivent pas avoir de tenue « décente », peuvent avoir les épaules dénudées et le haut de la chemise déboutonnée de manière non discrète. C’est clairement du machisme :
Pour les jeunes filles :
– Tenue décente et non provocante [jupe maximum 10 cm au-dessus du genou], pas d’épaules ni de ventre dénudés, décolleté discret, pas de pantalon troué.
– Pas de piercings autres que des boucles d’oreilles discrètes.
– Maquillage discret, colorations de fantaisie interdites.
Pour les garçons :
– Pas de négligé ni de débraillé, pas de pantalon troué. Le bermuda est seulement autorisé au 1er degré. Pour le 2e et 3e degré, le pantacourt [pantalon ¾] est accepté.
En cas de fortes chaleurs [plus de 29° degrés à l’ombre] le port du bermuda [couleur unie et sans motif] sera autorisé pour les élèves des 2e et 3e degrés.
– Pas de piercings.
– Colorations et coupes de fantaisie interdites.
Les Règlement des études sont rédigés de manière à éviter d’appliquer l’article 6 du Décret Missions (alinéa 3) et, de ce fait, de rendent impossible la formation de citoyennes et citoyens libres et égaux. Que ce soit au niveau de la tenue réglementaire ou des interdits et contraintes imposés par le Règlement des études, tout est mis en place pour former de futur.e.s adultes soumis.es.
La solution existe. Elle se trouve dans la pédagogie institutionnelle. Mais pour appliquer les enseignements de Fernand Oury[2], encore faudrait-il que les écoles pratiquent déjà une pédagogie active et coopérative. Elles utilisent le plus souvent une pédagogie passive et compétitive.
La pédagogie institutionnelle permet aux étudiant.e.s de participer activement à l’élaboration des lois et règlements d’une classe ou d’un établissement scolaire, au travers des différents « conseils de coopération » (de classe, de degrés, d’école). Ils permettent de co-construire les lois, mais également d’établir les sanctions afin que ce ne soient plus les adultes qui fassent la loi – leur loi – mais qu’ils n’aient plus que la charge de la faire respecter, tout en la respectant eux-mêmes.
Quand, dans une classe ou dans une école, les élèves sont co-constructrices et co-constructeurs des règlements et sanctions. Les lois sont beaucoup mieux respectées, parce qu’elles sont les « leurs ».
[1] Code de l’enseignement, Livres 1 et 2, Art 1.4.1-1, 3°
[2] Fernand Oury, instituteur décédé en 1998 est le père de la Pédagogie institutionnelle.
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