Décrochage scolaire : approche générale

Décrochage scolaire : approche générale

Introduction

Ce dossier pédagogique a été réalisé par l’ASBL Ligue des Droits de l’Enfants à la suite de la première soirée sur le décrochage scolaire, en présence de Chantal Massaer et Eric Bruggeman d’Infor Jeunes Laeken (propose une aide à la jeunesse sur demande), Sassia Lettoun de l’ASBL Bravvo (propose notamment de l’aide dans les démarches d’inscription scolaire et un accompagnement du jeune et de la famille lors du décrochage) et Francis Marc ancien directeur d’école. Ils se sont exprimés et ont exposé leurs visions du décrochage scolaire et évoqué des pistes de solution proposé par leur structure.

La Ligue des Droits de l’Enfant, initiatrice du débat autour du décrochage scolaire a, par le biais de ce cycle de conférences, l’intention de créer des ponts et de confronter les points de vue sur le décrochage scolaire afin de voir émerger une école sans échec et pour tous.

Ce premier dossier pédagogique tend à dresser les contours du problème du décrochage scolaire, des conditions sociales de son implantation en évoquant les études, recherches et investigations menées dans les écoles par des professionnels.

« La différence pour la Ligue doit se trouver dans l’école ordinaire, l’école pour tous » J.P Coenen, président de l’ASBL Ligue des Droits de l’Enfant.

Différentes définitions du décrochage scolaire

Les chercheurs de la FUNDP de Namur définissent le décrochage comme « un processus progressif de désintérêt pour l’école, fruit d’une accumulation de facteurs internes et externes au système scolaire». Cette définition « présente le décrochage comme un processus lent et progressif, conséquence d’événements personnels, liés aux apprentissages, à l’affectivité et à la personnalité des jeunes adolescents; d’évènements scolaires, liés au parcours scolaire de chacun, à l’organisation de l’école, et aux relations avec les enseignants et les autres élèves; et enfin d’événements familiaux et socio- culturels, liés au milieu de vie, à la vie de famille et aux valeurs, que ce soit celles de la famille ou celles de la société[i]« .

Infor’jeunes complète cette définition en y ajoutant la sélectivité sociale au sein du système scolaire à différents moments de la scolarité.

L’ASBL Bravvo décrit le décrochage scolaire en tant que le processus de rupture plus large provoqué par plusieurs facteurs, qui aura un effet sur l’obligation scolaire du jeune mais aussi sur son épanouissement personnel.

Les mesures légales

Le décret inscription

Ce texte de la Fédération Wallonie-Bruxelles revu en 2011, prévoit les modalités d’entrée en première année du secondaire ordinaire. Il définit certains concepts tels que :

  • L’ISEF : L’« élève ISEF » est un élève provenant d’une des implantations de l’enseignement fondamental ou primaire moins favorisée, qui organise un encadrement différencié afin d’assurer à chaque élève des chances égales d’émancipation sociale dans un environnement pédagogique de qualité, sont les moins favorisées et qui ensemble scolarisent 40 % des élèves[ii].
Art. 79/7. §1er. Toute demande d’inscription en 1ère année commune du premier degré del’enseignement secondaire est formalisée dans un FUI.Ce formulaire est complété d’abord par l’Administration pour chaque élève inscrit en 6ème année primaire de l’enseignement ordinaire. Ainsi complété, il comporte le nom, le premier prénom, la date de naissance, le domicile de l’élève, un code indiquant que l’élève est ou non considéré comme ISEF, l’indice socio-économique du quartier d’origine de l’élève et un numéro propre à chaque élève. (extrait du décret inscription)

  • Pour Infor’jeunes. La mauvaise connaissance du décret par les différents acteurs est déjà l’un des premiers pas vers l’exclusion et le décrochage. « Dans le décret inscription, l’ISEF est le premier critère pour accorder une place en première secondaire. Si l’ISEF est reconnu, 20% des places sont réservées à ces élèves. Mais on n’en parle pas. Cette règle est méconnue par les parents et n’est pas expliquée clairement sur le formulaire d’inscription. Ce n’est pas un hasard. L’opacité va donc a contrario de l’objectif du décret. » (Infor’Jeunes Laeken)

Stratégie Europe 2020[iii]

« Les Gouvernements régionaux et communautaire entendent opérationnaliser l’éducation et la formation tout au long de la vie, notamment en développant les synergies entre acteurs del’enseignement et de la formation et en développant une offre d’enseignement et de formation de qualité et accessible à tous. Les projets en cours en matière d’enseignement convergent tous vers un objectif commun : la réussite pour chacun par la lutte contre l’échec et l’abandon scolaires. »(…)    
  • Pour Infor’jeunes, un autre par vers l’exclusion et le décrochage se passent lors de l’orientation des élèves vers des filières non adaptées.

En chiffres…

Le décrochage scolaire a été étudié par les Cellules de veille de lutte contre le décrochage scolaire de quinze communes bruxelloises en collaboration avec l’Université catholique de Louvain. L’enquête a été menée sur un échantillon de 3716 élèves de 3ème secondaire toutes filières confondues, réparties dans 66 établissements francophones.

  • De l’enquête, « il ressort que les éléments associés à l’EXPERIENCE SCOLAIRE (valeur accordée à l’école, retrait, avoir des amis qui ont l’intention d’abandonner l’école, fait de harceler d’autres élèves) paraitraient les plus directement liés au risque de décrochage scolaire. Cette « expérience scolaire » semble elle-même influencée en amont par des facteurs liés à la SANTE (niveau de dépression, consommation de psychotropes) d’une part, et à la TRAJECTOIRE SCOLAIRE (sanctions reçues, nombre d’exclusions, aspirations parentales, points au bulletin), d’autre part »[iv].
  • De la même façon, les FACTEURS SOCIAUX (âge, activités socioculturelles, genre, situation familiale) influeraient, à leur tour, sur les aspects de santé et de trajectoire, de sorte que leur effet direct sur le risque de décrochage semble presque négligeable. Dans cet ensemble, quatre facteurs de risque se distinguent clairement dans les analyses. A elles seules, ces variables expliquent 50 % des variations du risque de décrochage entre les élèves.

                              − la valeur attribuée aux apprentissages scolaires (l’utilité, l’importance et l’intérêt que l’élève accorde à l’école)

                              − le retrait en classe (manque d’investissement et d’implication en classe),

                              − les intentions nourries par les amis de l’élève d’abandonner l’école,

                              − la consommation d’alcool, cigarettes ou cannabis rapportée par l’élève.

  • La comparaison des résultats souligne l’intérêt de distinguer cinq profils d’élèves concernant les facteurs liés au risque de décrochage scolaire.
  • Le groupe « impliqués » présente le profil le plus engagé scolairement : haute valeur attribuée à l’école, faible retrait, des amis dont l’intention n’est pas de quitter l’école, peu de consommation d’alcool, tabac et cannabis.
  • Le groupe « amis décrocheurs » possède également un profil « positif », proche de celui des impliqués. Ces élèves sont eux aussi investis scolairement. Cependant, ils se distinguent au niveau de leurs amis : ceux-ci sont perçus comme nourrissant l’intention de quitter l’école.
  • Le groupe « consommateur » lui aussi semble présenter un profil relativement adapté d’un point de vue scolaire. Cependant, ces élèves se distinguent par un score élevé en consommation d’alcool, cigarettes et cannabis.
  • Les « multirisques » semblent cumuler les facteurs de risque. Ils sont significativement plus passifs que les autres groupes, accordent moins de valeur à l’école, ont des amis qui nourrissent le projet de quitter l’école et

                                            consomment plus souvent des psychotropes…

  • Si la consommation de substances est moindre chez les « désengagés » et si leurs amis ont moins souvent l’intention de quitter l’école, ils apparaissent toutefois particulièrement démotivés et désengagés vis-à-vis de l’école. Ils y accordent en effet moins de valeur et sont davantage passifs que les autres groupes, les « multirisques » mis à part.
  • Voir le rapport complet : http://www.urbansecurity.be/IMG/pdf/Etat_des_lieux_du_risque_de_decrochage_scolaire_en_Region_bruxelloise_final.pdf

Points de vue des différents acteurs sur le décrochage

Infor’Jeunes : dualisation de l’enseignement et trois temps propices au décrochage

Infor’Jeunes pointe une dualisation du système scolaire comme l’une des causes du décrochage des élèves.

« Aux permanences d’Infor’Jeunes, on remarque une vraie discrimination de certains élèves par l’école. Les résultats d’une caméra cachée menée dans différentes écoles bruxelloises montraient comment on y sélectionne sciemment un public, par des arguments financiers notamment. Les milieux populaires devraient être bénéficiaires du décret mais les familles y étant issues ne connaissent pas son mécanisme ni l’ISEF (voir ci-dessus) qui a une incidence sur l’inscription en 1ere secondaire. »

La sélection du public s’opère selon l’association par différents mécanismes :

  • Dualisation de l’espace scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles (et surtout à Bruxelles) et compétitivité des écoles : les écoles sont souvent reconnues comme des écoles « élitistes » ou « poubelles ». Les plus défavorisées (public dont l’ISEF est le plus bas) sont celles où le turn-over des enseignants et des enseignés est le plus élevé. Cela marque un problème structurel qui est non propice au développement et à l’épanouissement de l’élève.
  • Cette dualisation s’opère par le choix conscient de certains directeurs d’école d’organiser ou non des classes passerelles et/ou différenciées, principalement investies par des primo-arrivants mais aussi d’organiser les orientations techniques de qualification et professionnelles en marge du général.
  •  Le résultat de l’intégration de ces classes dans le modèle d’établissement engendre une hétérogénéité culturelle et linguistique de la population de l’établissement. Cela provoque dans la plupart des cas des retards en français et donc dans l’intégration au système scolaire plus largement.
  • L’écart entre les résultats au test PISA [v] des élèves en fonction de l’ISEF est, en Belgique, parmi les plus grands des pays de l’OCDE.

Conclusion, la dualisation et le fait de ne pas organiser de classes passerelles favorise une sélection naturelle du public-cible de l’établissement et permet d’avoir un public homogène.

  • Trois temps propices au décrochage scolaire au sein des écoles en FWB qui favorise l’exclusion de l’établissement par des moyens détournés
  • Lors de l’inscription à une année : un refus de réinscription est une exclusion. Elle doit être dûment motivée et répondre à des critères objectifs qui font souvent défaut. Depuis 2 ans, Infor’Jeunes constate que l’exclusion définitive augmente via le refus de réinscription. Elle intervient pendant les vacances scolaires. Bien souvent, au moment où les familles partent en vacances. Ayant un délai de 10 jours pour déposer un recours après le refus de réinscription, il y a de grandes chances pour que les familles soient hors délai. Le manque de connaissance des « règles du jeu » sont également en la défaveur des familles.
  • Lors de la procédure d’exclusion définitive (sanction la plus élevée prise par une école) : Infor’Jeunes constate qu’elle ne respecte pas le principe de proportionnalité (sanction proportionnelle au fait reproché à l’élève). Trop souvent, les faits ne la justifient pas, selon les termes du décret de 1997 (violence grave, entrave au bon fonctionnement de l’école,…). Il faut savoir que l’on ne peut motiver un refus pour deux raisons essentiels : manque de place ou si l’élève est majeur et exclu de manière définitive. Les autres raisons ne sont pas valables (comportements, milieu culturel,…).  L’exclusion devient une ressources pédagogique qui sert à sélectionner.
Un élève régulièrement inscrit dans un établissement d’enseignement de la Communauté française ne peut en être exclu définitivement que si les faits dont il s’est rendu coupable portent atteinte à l’intégrité physique, psychologique ou morale d’un membre du personnel ou d’un élève, compromettent l’organisation ou la bonne marche de l’établissement ou lui font subir un préjudice matériel ou moral grave. Par ailleurs, un élève majeur qui totalise plus de 20 demi-journées d’absence injustifiée au cours d’une même année scolaire peut également être exclu. (Décret du 24/07/1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre) 
  • Lors de l’orientation après la délibération de fin d’année scolaire : La délivrance d’une AOB contraint l’élève à se réorienter vers des un choix d’options proposé par le conseil de classe. Il est dès lors directement exclu pour lui de continuer dans l’option qu’il suivait jusque là pour pouvoir passer dans l’année suivante. Par cette procédure, certaines écoles poussent aux AOB pour réorienter l’élèves vers une autre école organisant l’option. Pour Infor’Jeunes, il s’agit là d’une exclusion déguisée.

Deux tiers des orientations en fin de troisième seraient choisies « par défaut » : « Si vous êtes pas apte à suivre le général, allez en technique de qualification ou en professionnel. Celles-ci préparent à un métier, c’est donc très bien quand l’orientation est adéquate mais  ce processus en entonnoir est une catastrophe si cela est mal choisi. Dans les cas problématiques, les décisions du conseil de classe ne sont pas assez souvent motivées. Cela pose un problème de droit car tout acte administratif doit l’être. Cela pose problème aux parents qui se retrouve dépourvus d’alternative face à la réorientation de leur enfants. » Chantal Massaer d’Infor’Jeunes Laeken

À qui s’adresser?

Pour une meilleure information des jeunes et des familles, Infor’Jeunes proposent des solutions

La régulation du marché scolaire est une solution pour une école plus juste et moins de décrochage des élèves. Le décret-inscription tend à réguler les inscriptions en première secondaire uniquement.

  • Le projet Marguerite  est campagne de sensibilisation et d’information née avec le décret-inscription et régulièrement mis à jour.  Pour Infor’Jeunes, ce décret ne touche non pas à la proximité mais à question de la mixité sociale et à la transparence de la sélection. La marguerite a été proposée sur la place publique aux citoyens. La marguerite propose des adresses utiles sur les différents problème auxquels peuvent être confrontés les enfants.
  • Liens vers les pétales de la marguerite

– Pour tous : http://inforjeunes-bxl.be/wp-content/uploads/2011/02/Pour-tous3.pdf

– Egalitaire : http://inforjeunes-bxl.be/wp-content/uploads/2011/02/Egalitaire.pdf

– Gratuité : http://inforjeunes-bxl.be/wp-content/uploads/2011/02/Egalitaire.pdf

– Pour moi (inscription en première secondaire): http://www.archive-host.com/files/1348825/73fa65d08263e657684023d4af4cfc4b13f12009/Regulation_1e_annee_secondaire.pdf

-Sans échec  (explication des AOB, AOC, conseils de classe et recours possible) : http://www.archive-host.com/files/1348825/73fa65d08263e657684023d4af4cfc4b13f12009/Regulation_1e_annee_secondaire.pdf

– Sans exclusion (quand peut-on exclure un enfant?) : http://inforjeunes-bxl.be/wp-content/uploads/2011/02/Sans-exclusion1.pdf

ASBL Bravvo : soutenir le jeune à tous les niveaux

Dans le projet Bravvo, le décrochage scolaire est décrit comme un processus de rupture large provoqué par plusieurs facteurs qui auront un effet sur l’obligation scolaire mais aussi sur l’épanouissement personnel du jeune. C’est pour cette raison que Bravvo préconise une approche à différents niveaux du décrochage scolaire. 

  • Travailler en réseau

Sassia Lettoun, chargée du projet NotaBene contre le décrochage scolaire à Bruxelles, s’explique. « Face à un jeune en décrochage, il faut chercher des solutions dans son entourage : les structures de jeunesse qu’il fréquente, l’AMO, le centre de jeunes… Le soutien ne doit pas uniquement venir de l’école. Il faut arriver à se mettre en réseau autour du jeune. Communiquer. »

                              Si le directeur prend contact avec la famille pour lui faire part de ses inquiétudes, ce                               nouveau réseau pourra réfléchir ensemble à une solution. La relation en réseau doit                 être vue comme une collaboration et non comme une punition.

  • Personnes et structures ressources
  • Au niveau de la commune, en Fédération Wallonie-Bruxelles, il existe une cellule de veille de lutte contre le décrochage scolaire dont les coordonnées sont disponibles auprès des communes. Dans cette cellule, un conseiller reçoit le jeune et l’aide dans sa recherche d’un nouvel établissement scolaire. Le jeune est aussi accompagné au long d’un cheminement personnel afin de retrouver une certaine motivation. Hors du cadre de l’école, cette structure permet au jeune de sortir de ce rapport d’autorité qui peut le bloquer. Les rendez-vous ne sont pas obligatoires et à disposition d’un public volontaire.

Les SAS  à Bruxelles : il s’agit des Services d’Accrochage Scolaire. Il y en a trois dans la capitale, à Etterbeek, Anderlecht et Bruxelles. Lorsqu’un jeune de ne veut pas retourner à l’école, alors le SAS peut l’accueillir durant une année scolaire maximum avec comme objectif de le remettre sur les rails de l’école. Le SAS ne résout pas immédiatement le décrochage mais met en marche un projet de vie avec le jeune. Il suit des activités collectives et bénéficie d’un suivi individuel.

  • http://www.lesas.be/contacts
  • Les AMO : les services d’aide en milieu ouvert sont en général proche des jeunes et un animateur peut être un référent important pour celui qui décroche.
  • http://public.guidesocial.be/associations/services-aide-milieu-ouvert-amo-1580.html
  • à Bruxelles : http://inforjeunes-bxl.be/wp-content/uploads/2011/02/Pour-tous3.pdf
  • Les éducateurs scolaires : au sein des établissements scolaires, les éducateurs doivent fournir un soutien et entendre les élèves.
  • Le directeur doit être attentif aux comportements de ses élèves et alerter la famille, mettre un réseau en place autour du jeune afin de le soutenir.
  • La famille doit montrer au jeune l’importance de la réussite scolaire pour la famille, se montrer en accord avec la direction de l’école pour ne pas envoyer de message contradictoire. S’intéresser physiquement à la vie scolaire est un geste d’une haute valeur ajoutée : consulter le journal de classe, être présent aux réunions de parents afin de tisser un lien social entre l’école et la famille.

[i] DONNAY J. et allii (2006) « Pourquoi certains élèves décrochent-ils au secondaire alors qu’ils ont bien réussi dans l’enseignement primaire ? », Recherche en Education 2005 n° 114/05, Namur

[ii]  Repris du Décret « missions » – dispositions relatives aux inscriptions en 1ère année commune del’enseignement secondaire ordinaire (consolidation officieuse qui tient compte des modifications adoptées le 9 février 2011 par le Parlement de la Communauté française

[iii]  Stratégie Europe 2020 : Contribution de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles au Programme National de Réforme Belge 2012

[iv] in « Etat des lieux du risque de décrochage scolaire en région bruxelloise. Synthèse du rapport de l’enquête. BRAVO ASBL

[v] PISA est une enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les 34 pays membres de l’OCDE et dans de nombreux pays partenaires. Elle évalue l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire. Les tests portent sur la lecture, la culture mathématique et la culture scientifique et se présentent sous la forme d’un questionnaire de fond. Lors de chaque évaluation, un sujet est privilégié par rapport aux autres. Les premières collectes de données ont eu lieu en 2000, les suivantes en 2003, en 2006 et en 2009. La prochaine collecte est prévue pour 2012. (Rapport 2009 disponible en PDF sur http://www.oecd.org/pisa/pisaproducts/46752663.pdf)

RECHERCHE : Les exclusions vécues par les enfants – L’exclusion scolaire définitive

Yannick va nous parler de l’exclusion scolaire définitive. Il n’est pas concerné par cette problématique mais Yannick va prendre la parole au nom des jeunes concernés pour qui la souffrance était trop forte pour venir vous en parler.

Au Service de Médiation Scolaire de St-Gilles, nous n’avons trouvé aucun jeune pour venir parler de l’exclusion scolaire définitive ou des exclusions qu’il aurait vécue(s). Source d’une grande souffrance, on préfère oublier, ne pas y penser, ne pas en parler ou alors de façon tout à fait confidentielle. Yannick a accepté de nous lire le témoignage d’un jeune qui ne sera pas identifiable. Celui-ci est au courant : il a accepté que l’on parle de sa situation et il a participé à la rédaction de son témoignage.

Témoignage de Yannick

J’ai été exclu définitivement deux fois d’une école. J’ai fait mes primaires dans une école de mon quartier. Je n’ai pas fait de sixième année primaire et j’ai été inscrit directement en première accueil, en secondaire, à 12 ans. Je n’avais pas de bons points.

Mais, je suis quand même passé en deuxième année professionnelle. Là, mes points ont été très mauvais. J’ai eu beaucoup de zéros. J’ai commencé à avoir des remarques sur mon comportement et puis c’est vrai, je n’étais plus motivé en classe. En deuxième professionnelle, j’avais 14 ans.

Vers Pâques, suite à mes problèmes de comportement répétés à l’école, j’ai été exclu définitivement de l’école. Ce n’est qu’à ce moment là que l’école m’a conseillé d’aller avec ma maman au centre PMS. La dame du PMS a fait des tests. « L’intelligence est bonne, me dit-elle, mais le niveau pédagogique est bas. Il y a de grosses lacunes de base. » Le PMS me conseille une orientation vers l’enseignement spécialisé de type 1.

J’ai été renvoyé définitivement de mon école. Je voulais rester dans mon école qui était près de chez moi. Je n’ai pas bien compris. Ma mère non plus. Je devais prendre deux métros pour aller dans ma nouvelle école.

J’ai terminé mon année dans cette école, puis je suis resté un an. J’avais des points incroyables, très bons. Mais à la fin de l’année, dans mon bulletin, il était écrit que je ne pouvais plus me réinscrire dans l’école et que je devais chercher une autre école.

Ma mère a cherché. Mais elle ne trouvait pas d’école. Le PMS a donné une liste d’écoles spécialisées. A chaque fois que ma mère téléphonait, on lui disait qu’il n’y avait plus de place. Je suis resté sans école de septembre à janvier, presque 5 mois.

Finalement, le PMS m’a orienté vers un Cefa (Centre de Formation en Alternance) et je m’y suis inscrit fin janvier. Malheureusement, je n’ai pas fait les examens, car je suis arrivé très tard et j’ai raté mon année.

Brigitte Welter, Service communal de médiation scolaire de Saint-Gilles

Si le jeune qui a rédigé ce témoignage n’avait pas le courage de venir en parler, c’est parce que l’exclusion scolaire définitive est vécue par le jeune comme une situation « honteuse » : on n’a pas envie d’en parler, on a envie d’oublier. C’est surtout une grande souffrance, et pour les parents, et pour le jeune.

Je vais maintenant expliquer mon cadre de travail. Je travaille au Service communal de médiation scolaire, à Saint-Gilles. C’est un service qui se situe en dehors des écoles. C’est un service public à la population. Ce sont les jeunes ou les parents ou, les deux ensemble, qui viennent nous trouver, parce qu’ils ont des questions, un besoin d’information, ou bien parce qu’il y a des soucis scolaire. Dans ce cadre, nous rencontrons régulièrement des jeunes qui sont exclus définitivement de leur école.

L’exclusion scolaire définitive d’une école est la sanction la plus grave au sein de l’institution scolaire. L’exclusion scolaire définitive d’une école, selon la loi, doit rester exceptionnelle. On pourrait dès lors imaginer qu’elles sont rares et peu nombreuses. On pourrait imaginer que « tout à été tenté au sein de l’école avec le jeune, ses parents, avec l’aide du centre PMS, du médiateur ou d’un organisme extérieur et qu’il n’est vraiment plus possible de maintenir l’élève dans l’école ». Nous sommes confrontés à une « banalisation » de ces sanctions : cette sanction, lourde et grave, touche énormément de jeunes.

En analysant les situations individuelles rencontrées au sein de notre service, il apparaît que :

  • Plusieurs élèves ont été définitivement exclus pour un seul fait isolé « grave » ; il peut s’agir d’un accident de parcours, d’une erreur commise par un jeune mineur en construction ; dans les situations analysées, les élèves méritaient une sanction, mais dans ces cas-ci, les écoles avaient choisi l’exclusion définitive. Il n’y a donc pas eu de gradation de sanction.
  • Pour d’autres situations, nous sommes plutôt dans la sphère du décrochage scolaire où les échecs répétés et qui semblent irrémédiables à l’élève, conduisent celui-ci à des comportements perturbateurs répétés; dès lors le renvoi définitif ne résout en rien la problématique sous-jacente d’échec scolaire, cachée par les problèmes de comportement de l’élève.
  • D’une école à l’autre, nous observons de grandes différences dans la gestion des comportements problématiques des élèves : certaines considèrent le renvoi définitif comme une sanction ultime et l’applique très peu, ayant recours à d’autres sanctions et à un encadrement, un suivi positif de l’élève ; ces écoles favorisent « l’inclusion de l’élève ».
  • L’exclusion définitive durant l’année scolaire entraîne, immanquablement, une interruption de la scolarité (pour les mineurs, une rupture du respect de l’obligation scolaire) et le non-respect au droit à l’instruction. Cette interruption peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
  • La déscolarisation de l’élève durant une période relativement longue risque d’induire des difficultés importantes de réadaptation à la nouvelle école ; l’élève se retrouve parfois seul à la maison, livré à lui-même ; de plus, il prend du retard au niveau des apprentissages scolaires qu’il aura de grandes difficultés à combler ; notons qu’à partir du mois de mars, une exclusion définitive d’une école et la rescolarisation de l’élève dans une autre école, le conduisent très souvent à l’échec scolaire et au redoublement.
  • Pour l’école qui va accueillir l’enfant qui a été exclu d’une autre école, en cours d’année, la tâche est très complexe.
  • L’exclusion définitive est source d’une grande souffrance au niveau de l’enfant, du jeune, de sa famille.
  • Il serait important qu’une évaluation globale puisse être réalisée : le nombre d’exclusions pour toutes les écoles de la Communauté Française par année scolaire, le contexte de l’exclusion (dont par exemple la dynamique du groupe-classe, les motifs du renvoi définitif, les sanctions intermédiaires s’il y en a eu et la gradation des sanctions, l’encadrement de l’élève qui a été proposé avant la sanction ultime, le parcours scolaire du jeune exclus, les conséquences de l’exclusion sur le jeune, sa famille, sur sa classe, mais aussi sur l’école qui va l’accueillir et le rescolariser, …).

Ce que nous disent les jeunes et les parents :

  • Ils ont souvent l’impression, qu’une fois que la procédure d’exclusion définitive est lancée, la décision de renvoi a déjà été prise ; que dès lors, la procédure est respectée dans la forme, mais pas dans le fond : quand les parents rencontrent le directeur, le dialogue n’est pas possible ; la recherche d’une solution positive, autre que le renvoi, n’est pas envisagée.
  • Les parents demandent que leur enfant soit sanctionné. Ils trouvent que l’exclusion définitive de l’école est une punition trop sévère et disproportionnée par rapport aux faits reprochés. Le jeune exprime souvent les mêmes sentiments.
  • Les parents s’inquiètent parce que l’enfant est déscolarisé : le jeune se retrouve seul à la maison, alors qu’il est perturbé par la décision de renvoi. Les parents craignent que la sanction ne le conduise directement au décrochage scolaire.
  • Changer d’école, quitter les professeurs, les élèves, le quartier que l’on avait appris à connaître, c’est une source de grandes angoisses pour l’enfant, le jeune. Tout cela induit des tensions importantes à la maison : « c’est honteux d’être renvoyé ». Arriver dans une école que l’on ne connaît pas, rencontrer des élèves que l’on ne connaît pas, être stigmatisé « comme étant l’élève qui a été renvoyé », pour l’enfant, la réadaptation est difficile. Il a besoin d’être soutenu et accompagné, ainsi que sa famille.

Ce que nous proposons

En nous référant au décret « Missions » du 24 juillet 1997 (art 81 et 89), ainsi qu’au décret « Discrimination positive » du 30 juin 1998 (art 25 et 26), nous proposons que :

  • la procédure d’exclusion soit respectée aussi sur le fond, et pas uniquement sur la forme ;
  • l’exclusion définitive soit autorisée uniquement en tout dernier ressort et uniquement dans les cas où la gestion, interne à l’école, de l’élève problématique s’avère tout à fait impossible ;
  • l’exclusion définitive reste la sanction la plus grave et soit proportionnée aux faits reprochés ;
  • la gradation des sanctions soit obligatoire ;
  • les faits reprochés au jeune soient décrits avec attention, en se basant sur des faits établis, avec impartialité ;
  • la procédure d’exclusion définitive soit utilisée aussi à titre préventif ; la procédure mobilise les énergies des différents partenaires potentiels autour du jeune et de l’enfant ; les parents sont informés des comportements problématiques de leur enfant au sein de l’école ; elle permet de dire clairement les choses à l’enfant ou au jeune, de le conscientiser, de lui rappeler les règles et les limites ; la procédure peut l’aider à remédier aux problèmes comportementaux, tout en étant encadré par des adultes et, si possible, accompagné et encouragé à évoluer positivement.

On pourrait également proposer d’instaurer une instance de recours externe indépendante, en s’inspirant du modèle prévu pour les recours externes suite au conseil de classe (art 97 chapitre 1° du décret « Missions »).

RECHERCHE : Les exclusions vécues par les enfants – L’exclusion des enfants handicapés de l’enseignement ordinaire

RECHERCHE : Les exclusions vécues par les enfants – L’exclusion des enfants handicapés de l’enseignement ordinaire

Témoignage de Myriam et Ysaline Leroy

Bonjour, je vous présente Ysaline,

Comme vous le voyez, elle est porteuse de trisomie21 mais, malgré son handicap, elle était scolarisée dans l’enseignement ordinaire depuis qu’elle a deux ans et demi. J’ai eu la chance de trouver des professeurs et une équipe éducative qui étaient partie prenante pour ce projet pédagogique.

Quand elle a commencé l’école, elle n’était pas propre, elle mettait encore tout à la bouche, la colle comme la peinture. Elle ne parlait pas et marchait à peine mais ça n’a pas rebuté ces institutrices merveilleuses qui étaient prêtes à s’investir. Mais, comme c’est souvent le cas, il n’y a pas d’aide extérieure. En tant que parent, j’estime aussi que je ne peux pas exiger d’un professeur qu’il s’occupe de ses 20 élèves et de nos petits bouts spéciaux : Ysaline est très gentille mais il fallait sans cesse la surveiller. Aussi j’ai demandé l’autorisation de l’accompagner, autorisation qui m’a été gentiment accordée après la signature des décharges, bien évidemment. 

Au fur et à mesure qu’elle grandissait, son comportement a changé et j’ai pris mes distances avec elle. Quand nous avions la chance d’avoir une stagiaire, automatiquement je me retirais de la classe. Je la laissais seule avec les professeurs et la stagiaire. Pourquoi ? Parce qu’il est évident, pour moi, que les apprentissages sont importants, mais son autonomie aussi. Lors des sorties, je m’occupais souvent des autres enfants et je laissais Ysaline avec son institutrice. En regardant Ysaline avancer, nous avons remarqué qu’il lui fallait être avec des enfants plus grands qu’elle, parce qu’elle les regardait faire et puis, tout d’un coup, elle essayait de les imiter. C’est pourquoi elle est passée de classe, au fur et à mesure, sans en avoir les compétences. Les compétences, elle les acquérait à force de regarder les autres.

Ysaline a évidemment doublé sa 3ème maternelle. L’année passée, elle avait 6 ans ; elle allait deux heures en 1ère année et le reste en maternelle parce que sa faculté de concentration n’était pas encore assez importante. Malgré une année « chouette », je ne voyais plus assez de progression. J’envisageais de la mettre dans l’enseignement spécial mais vers le mois de mai, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir des signes de lecture : elle reconnaissait le « a », le « i ». Nous avons fait un bilan avec son institutrice de 1ère primaire : elle était tout à fait partante pour essayer une nouvelle année parce qu’Ysaline progressait de nouveau.

Je croyais que la rentrée se ferait agréablement quand j’ai appris, fin juin, qu’Ysaline n’était plus désirée et, encore moins, ma présence ! L’Echevine de l’Education ne nous permettait pas de continuer le projet mis en place. Depuis l’arrivée d’Ysaline, des élections communales avaient eu lieu et on avait changé de majorité politique à la commune !

Mais le 16 juin, il est impossible de visiter les classes, ce sont les examens et la fin de l’école. En septembre, il est trop tard pour parler d’un projet éducatif, trop tard pour faire des demandes d’aides. Quand vous allez les visiter, les écoles vous promettent de vous rappeler et vous attendez toujours. Personne n’ose vous dire que la « trisomie 21 » dérange encore au 21ème siècle ! Alors, vous vous rendez compte qu’une intégration ne se passe pas seulement avec les autres élèves, mais aussi avec les professeurs et les parents d’élèves qui ont appris à ne plus avoir peur de ce nom « trisomie ». Cinq ans d’intégration ! Tout ce temps passé n’était pas en vain ! Ysaline était intégrée, pas juste « tolérée ». Ce n’était pas le petit pion qu’on a accepté dans la classe et qu’on laisse dans un coin. Elle avait de réelles amies : elle était invitée aux anniversaires ; elle participait vraiment à la vie de sa classe!

Ce projet d’intégration n’était pas une lubie de maman qui ne veut pas accepter le handicap de son enfant, mais bien un partenariat entre l’équipe éducative, les professeurs, les directions, sa logopède et le centre PMS. A force d’observation et de travail, ils voulaient tous aider cette enfant à avancer dans les meilleures conditions, pour elle-même.

Quand on parle d’intégration avec les gens, on dirait qu’il n’y a que les génies trisomiques qui ont le droit d’être intégrés : s’ils en ont les capacités, on les tolère. Mais, Mesdames, Messieurs, avec l’intégration de nos enfants, on n’attend pas qu’ils aient le niveau des autres : on sait qu’ils ne l’auront jamais ! Nous savons qu’ils pensent moins vite que les autres ; nous savons qu’ils ont une capacité moindre que les autres d’apprendre !!  Mais on réclame, pour eux, le droit de vivre au milieu des autres pour avoir une vie comme les autres, une vie la plus ordinaire possible !

Bien sûr, je suis allée visiter des écoles spéciales, mais je n’ai pas été enthousiasmée par ce que j’y ai vu. Je n’ai pas eu l’impression d’être entendue, non plus… Mais surtout, c’était si loin du projet en place… Nous avons pris alors la lourde décision de la scolariser à la maison, non pas que je veuille garder mon petit bout avec moi : c’est bien plus facile de la déposer le matin à l’école que de chercher, le soir, des méthodes qui lui conviennent, que d’essayer de porter les 2 casquettes, celle d’institutrice et celle de maman ! Mais, de notre point de vue, c’est la meilleure option pour l’intégrer et la stimuler le plus possible.

Mon but est son autonomie mais, à cause de la bêtise humaine, cela semble un peu compromis. Nous avons bon espoir pour ses apprentissages ! Le calcul reste encore abstrait mais elle commence à lire toutes ses voyelles. Elle connaît 3 consonnes et on commence le syllabique. Elle commence aussi à apprendre de petites poésies. Nous ne savons pas jusqu’ou elle ira, nous ne connaissons pas ses possibilités mais nous l’accompagnerons aussi loin qu’elle nous le permettra, puisque, maintenant, elle n’a plus que ses parents, ses frères et sœurs, à regarder pour avancer.

Quand le matin, je dépose son frère à l’école, Ysaline ne comprend pas pourquoi, elle, elle doit rester dans la voiture et rentrer avec moi, pourquoi elle ne peut rester avec ses copines, pourquoi elle n’a pas le droit, elle, d’y aller !!! Que répondre aux enfants de l’école qui me réclament Ysaline ? C’est inutile de leur faire comprendre la bêtise humaine ! On doit juste apprendre à vivre avec cela !

Mesdames, Messieurs, quand une intégration est réussie, c’est criminel de l’arrêter, juste parce que la « couleur » de la commune a changé ! Non seulement pour nos enfants qui eux en ont besoin mais aussi pour les autres qui apprennent le respect et la tolérance ! Et cette intégration était réussie !!! La loi dit que l’enfant handicapé a le droit d’être intégré mais on ne nous en donne pas les moyens. La loi dit aussi que l’aide doit être extérieure à la famille. Voilà pourquoi, en s’abritant derrière cette loi, on m’interdit, après 5 ans, d’accompagner ma fille en classe.

Dans chaque intégration, il faut faire passer les besoins de l’enfant avant tout. Il faut surtout un peu de bonne volonté – je dis bien un peu – car il faut rarement faire de grands aménagements mais le vouloir juste un petit peu. Quand on le veut, les choses se mettent en place d’elles-mêmes mais quand on ne le veut pas, il y aura toujours une loi, un décret derrière lesquels vous pourrez vous réfugier. Mais avec un peu de bonne volonté, nous gagnerons tous, un peu plus d’humanité.

Pascale Biot, psychologue

Juin 2008, je reçois l’appel de la maman d’Ysaline, ce n’est pas possible ! C’est inimaginable ! Cette maman me raconte, avec force et calme en même temps, l’histoire d’Ysaline. Des multiples questions me viennent en tête… La classe suit-elle vraiment Ysaline ? N’existe-t-il pas des difficultés de gestion de la situation de handicap ? La relation mère-fille n’est elle pas trop forte ? Que dire face à l’idée de faire l’école à la maison ? Quid de la socialisation ?

Puis, j’ai discuté avec la maman d’Ysalyne, à plusieurs reprises. Elle répondait elle-même à mes questions (sans les avoir posées). Oui, la situation avait bien été analysée. 0ui, elle avait pensé à l’enseignement spécialisé mais n’avait pas trouvé ce qu’elle cherchait : on lui a conseillé de laisser Ysaline aller à son rythme ; elle n’avait trouvé ni objectifs ni espace d’écoute. Oui, elle avait cherché la collaboration d’un service d’accompagnement mais elle ne s’est pas sentie entendue dans ses recherches et attentes. Bien sûr, elle avait pensé à la socialisation de sa fille, mais, avec une fratrie de 8 enfants, Ysaline s’y retrouve et a sa place. De plus, elle garde des contacts avec sa classe. Oui, elle avait pensé à sa relation avec sa fille. Elle souhaite que sa fille puisse évoluer à son rythme, mais avec des apprentissages cognitifs, aussi loin qu’elle le pourra. Ysaline a besoin d’être tirée vers le haut et sa maman veut pouvoir lui offrir cela. Je me suis posée la question de savoir si l’école et les parents des enfants de la classe étaient aussi partants que ça… Ysaline continue à être invitée : on lui propose de rejoindre les « copains » comme dit Ysaline, dès que possible. En écrivant ces lignes, je me dis : « Que de questions pour revenir à des conclusions qui étaient justes ! La bêtise humaine, le choix politique empêchent une petite fille d’aller à l’école de son choix !

Face aux constats de la maman d’Ysaline, nous pouvons nous demander pourquoi l’intégration s’est arrêtée sans aucune préparation ? Sans tenir compte de l’évolution d’Ysaline ? Sans tenir compte des désirs des partenaires de terrain (L’ancienne institutrice d’Ysaline se tient au courant de l’évolution de son élève et Ysaline en est fière) ? Pourquoi se base-t-on sur les compétences pédagogiques de l’enfant alors que nous savons très bien qu’elle progresse, mais par rapport à elle-même. Elle ne répondra jamais aux socles de compétences mais un enfant est-il à l’école juste pour le pédagogique ? N’y-a-t-il pas des compétences sociales que l’enfant acquiert à l’école ? La maman d’Ysaline le dit clairement : si sa fille peut se débrouiller, trouver sa place dans le groupe, elle aura acquis quelque chose de bien précieux. Pourquoi n’a-t-on pas tenu compte de cet aspect, des compétences sociales et d’autonomie de l’enfant ? Elle avait encore des choses à vivre dans cette situation.

La maman d’Ysaline a proposé son aide, faute de moyens offerts à sa fille, là où la famille vit. C’est vrai que des services d’accompagnement, des services d’aide à l’intégration existent et font souvent de l’excellent travail. Le souci est qu’il n’y en a pas partout (les parents d’Ysaline ont été loin de chez eux) et que certains de ces services sont jeunes : ils doivent encore mûrir et acquérir de l’expérience. Il n’est pas rare d’entendre des parents nous dire qu’on leur a proposé ce que l’enfant connaît depuis bien longtemps.

La situation d’Ysaline souligne bien des aspects de la dynamique qu’est l’intégration scolaire. Les revendications que nous avons en matière d’intégration scolaire touchent la formation des enseignants : le fait d’aller chercher l’information à partir d’une situation vécue, l’approche du partenariat. Ces revendications concernent aussi la volonté de l’école et de son équipe pédagogique : l’idée d’un projet clair, inscrit et revu avec l’équipe qui entoure l’enfant. Le manque d’information en matière de maladie ou de handicap est également relevé : il y a un besoin important de sensibilisation, d’informations accessibles pour chacun.

En revenant à Ysaline, nous pouvons nous dire que, même si les choses ont évolué, même si pour elle des éléments « revendiqués » étaient mis en place – telle l’information, l’aide en classe, le partenariat-, il reste des a-prioris, des craintes, des représentations qui ne tiennent pas compte de l’identité de l’enfant qui vit la situation. Nous pensons à la formation des enseignants mais ne devons-nous pas aussi penser à celle des politiques ?

RECHERCHE : Les exclusions vécues par les enfants

Pourquoi faire une étude en organisant un colloque sur les exclusions ?

Ceux qui connaissent la Ligue et qui nous soutiennent depuis pas mal d’années savent que nous sommes plutôt actifs dans « l’accueil de tous à l’Ecole ». Maintenant, on utilise plutôt le terme d’« inclusion » : l’inclusion représente un phénomène plus abouti que l’intégration puisqu’il prend le jeune dans toutes ses composantes et veille aussi à son bien-être. Inclure qui ? Inclure tout simplement, des exclus. Il nous paraît important de se rendre compte que ceux qu’on inclut vivent des exclusions AVANT d’être inclus. C’est absolument indispensable de les entendre pour percevoir combien l’inclusion est importante.

Quelles exclusions aborder ? Nous avons travaillé de façon à déterminer les exclusions auxquelles les enfants et les jeunes étaient le plus souvent confrontés. Sur base d’une liste que nous avons établie ensemble, nous avons recherché des associations. En effet, la Ligue est une association de « seconde ligne » : nous avons très peu de contact avec les familles et les jeunes. Quand même, nous sommes interpellés régulièrement. Dans nos plateformes, nous en rencontrons parfois pour tout ce qui concerne l’intégration scolaire. Mais nous ne sommes pas en contact direct avec les souffrances des familles et des jeunes.

Nous avons recherché des associations de première ligne. A la Ligue, nous avons l’habitude de rencontrer des associations de première ligne, des services qui sont sur le terrain, qui connaissent bien les problématiques et les familles. Nous avons trouvé plusieurs associations qui étaient tout de suite prêtes à participer. On pensait que cela serait facile. Cela n’a pas été le cas. Les difficultés que nous avons rencontrées, c’est de trouver des jeunes qui sont prêts à parler. Les jeunes vivent des situations qui sont parfois extrêmement lourdes et ils ne sont pas prêts à en parler. D’ailleurs, à qui en parleraient-ils ? Bien sûr, il y a ces associations de première ligne qui sont là mais qui reçoivent assez peu de jeunes par rapport au nombre important de ceux qui sont touchés par les exclusions. Un jeune ne sait pas où aller… S’il ne peut pas en parler dans sa famille, le seul lieu social où il se trouve, c’est l’école. Mais, à l’école, à qui peut-il parler ? Son enseignant, s’il a une grande confiance en lui ? Mais, pour cela, il faut franchir un grand pas pour parler de choses tellement personnelles qu’on ne le fait pas ! Donc, ça a été difficile : des associations qui étaient motivées et prêtes à participer ont dû se désister. Il y en a même une qui s’est désistée il y deux jours en disant : « Désolés ! Nous n’avons trouvé personne. Nous avons cherché mais nous ne sommes pas arrivés à trouver un jeune qui soit d’accord de s’exprimer. » Pour nous, c’est vraiment très interpellant. Nous sommes dans une société qui a intégré l’idée de « droits des jeunes ». Et pourtant, après 19 ans, les jeunes n’ont pas des lieux de parole. Ce colloque n’est qu’un début pour nous. Il va falloir trouver les moyens avec nos collègues des associations, de donner la parole à tous ces jeunes.

Chaque jeune dont nous allons lire le témoignage est encadré par une association de terrain qui a travaillé avec lui. Ces associations viennent de tous les milieux. Il y a des associations de toutes tendances et des services de terrain qui dépendent des communes. Nous ne les avons pas sélectionnées sur base de critère politique : nous travaillons avec tout le monde sans exclusive…

Nous avons sélectionné les 8 thématiques qui semblent les plus fréquentes. On lira d’abord le témoignage du jeune puis l’association présentera la thématique de manière plus générale, sa façon d’aborder la problématique et ses propositions de solution.

Certains jeunes ne vont pas s’exprimer ; ils seront remplacés par d’autres, tellement la prise de parole est difficile. Certains jeunes ont refusé de s’exprimer ; d’autres n’étaient pas d’accord de lire leur texte. Donc, d’autres jeunes prendront la parole à la place de ceux qui ont une souffrance telle qu’ils ne peuvent l’exprimer.

De l’importance de donner la parole aux enfants

L’échec scolaire

L’exclusion des enfants handicapés de l’enseignement ordinaire

L’exclusion scolaire des enfants malades

L’exclusion scolaire définitive

L’exclusion sur base de la préférence sexuelle

L’exclusion des enfants sans papiers

L’exclusion liée à un transport scolaire indécent

La « troisième vie » de l’enseignement spécialisé

Vers une école inclusive pour les élèves à besoins spécifiques – Professeur émérite Ghislain Magerotte – UMons

Les années 60 : naissance et développement de l’enseignement spécial

Si les enfants ayant des déficiences sensorielles ou mentales ont été « éduqués » dès le 19ème siècle par quelques pionniers de l’éducation (comme Itard, Seguin, Bourneville, Valentin Haüy, L’Abbé de l’Epée) et par des associations caritatives, plusieurs écoles s’ouvrent aussi en Belgique (l’IRHOV à Liège en 1819 et l’IRSA à Bruxelles en 1835). Au début du XXème siècle, en 1905, une école s’ouvre à Bruxelles pour les enfants « irréguliers » (qui à l’époque n’étaient pas scolarisés) grâce au travail de Decroly.Cependant, il a fallu attendre la fin des années 50 et les années 60 pour assister à un développement considérable de l’enseignement spécial accessible à ces enfants.

Ce développement est le résultat de la conjonction de trois facteurs : d’une part, les pressions exercées par des associations de parents d’enfants handicapés, notamment d’enfants handicapés physiques et mentaux, qui réclamaient une scolarisation, sans être contraintes de recourir à un « placement en internat » ; d’autre part, la richesse croissante des « golden sixties » favorisant la mise en place d’un système social plus généreux ; et enfin la croissance de la population scolaire permettant à l’enseignement ordinaire de se séparer – sans risque pour lui – de quelques élèves orientés vers l’enseignement spécial.

Dans notre pays, cette évolution a été couronnée par le vote la loi du 6 juillet 1970 sur l’enseignement spécial, loi-cadre devant assurer, grâce aux arrêtés d’application de 1978, la mise en place d’un enseignement autonome pour les élèves « aptes à suivre un enseignement mais inaptes à le suivre dans une école ordinaire ».

Ce développement a eu plusieurs conséquences favorables pour ces élèves. D’une part, il a permis au système scolaire, via l’organisation de huit types d’enseignement, d’accueillir durant l’âge scolaire (2 ans et demi jusque 21 ans) davantage d’élèves qui, antérieurement, étaient exclus de l’école. De plus, cet enseignement a également accueilli, via l’organisation de l’enseignement de type 2, des élèves ayant un retard intellectuel important, soit une déficience modérée ou sévère. En 1970, ces enfants et adolescents handicapés sont dès lors devenus par cette loi des « écoliers » et des « étudiants ».

De plus, elle a permis dans les années qui ont suivi d’accueillir bon an mal an quelque 3,5 % de la population scolaire, répartis en huit types d’enseignement, quatre formes d’enseignement secondaire ainsi que trois niveaux d’enseignement (maternel, primaire et secondaire).

D’autre part, la création d’écoles a permis aux familles de maintenir davantage les relations familiales avec leur enfant, et ce grâce à l’organisation d’un transport scolaire vers l’école spéciale et ainsi, d’éviter ou de retarder le placement en internat.

Enfin, le regroupement au sein de cet enseignement spécial d’élèves handicapés ainsi que le développement parallèle de l’Action sociale aux personnes handicapées – via la loi de 1963 créant le Fonds National de Reclassement Social des Handicapés chargé de promouvoir l’emploi de ces personnes adultes, et l’arrêté 81 de 1967 favorisant le développement de services pour enfants et adultes handicapés – a donné à cette partie importante de la population belge une « existence sociale » et l’a fait entrer dans notre système social.

Cette évolution des lois a permis notamment de créer des catégories de professionnels spécialisés en ce domaine, et donc de contribuer à une mise en place, lente et encore imparfaite, d’une formation spécialisée et d’une recherche universitaire. C’est en effet, à partir des années 80 et 90, qu’on a assisté à un développement considérable des pédagogies adaptées à ces élèves et étudiants.

La deuxième vie de l’enseignement spécialisé : l’intégration scolaire

La loi sur l’enseignement spécial de 1970 a d’abord entraîné la suppression des « classes spéciales annexées » aux établissements d’enseignement ordinaire. Elle a donc favorisé le développement d’un enseignement spécial « autonome », distinct donc de l’enseignement ordinaire, obéissant donc à une réglementation propre – tout en permettant à des enfants handicapés d’être scolarisés dans l’enseignement maternel et primaire ordinaire, grâce à la générosité et au dynamisme de certains directeurs et enseignants et à la demande de parents, dans le cadre de ce qu’on a appelé une « intégration sauvage ». D’ailleurs, dès le départ, l’arrêté d’organisation de l’enseignement spécial prévoyait des possibilités d’intégration sur une base individuelle. Ces possibilités se sont développées ensuite, concernant surtout les élèves relevant des types 4, 6 et 7, en 1995.

La loi a subi elle aussi plusieurs modifications, notamment une modification de la loi de 1970 qui devient la « loi sur l’enseignement spécial et intégré » (1986), puis le « décret sur l’enseignement spécialisé » en 2004. Ce décret a progressivement pris plusieurs dispositions concernant la scolarisation et l’intégration scolaire. Les dispositions les plus importantes concernent les types d’intégration (permanente totale et permanente partielle, temporaire totale et temporaire partielle) et l’accès à l’intégration des élèves de tous les types d’enseignement.  L’aspect essentiel a consisté dans une collaboration importante entre l’enseignement spécialisé et l’enseignement ordinaire, via le suivi des enfants bénéficiant d’une intégration individuelle par des professionnels de l’enseignement spécialisé durant un certain nombre d’heures par semaine. Deux aspects particulièrement problématiques consistent, d’une part, dans la mise en place d’un processus d’intégration relativement lourd impliquant un respect contraignant de dates et le subventionnement des écoles ordinaires seulement après une année d’intégration réussie. D’autre part, depuis une quinzaine d’années, des classes spécialisées sont accueillies dans des écoles ordinaires, dans le cadre de l’intégration permanente partielle, les élèves suivant certaines activités dans les classes ordinaires. Ce système connaît un développement récent.

De plus, selon ce décret, la participation de l’élève/étudiant et de ses parents au Plan Individuel d’Apprentissage (PIA) et au Plan Individuel de Transition (PIT) est devenue obligatoire et on a assisté aussi au développement de pédagogies adaptées (concernant le polyhandicap, l’autisme, l’aphasie et la dysphasie, le handicap physique lourd mais pouvant accéder aux apprentissages scolaires). Depuis 2013, d’autres dispositions récentes ont également été prises, concernant l’accueil dans des « Structure Scolaire d’Aide à la Socialisation ou à la resocialisation (SSAS) » au sein des écoles fondamentales spécialisées. De plus, afin de répondre à des situations locales de déficit d’enseignement spécialisé, des élèves peuvent être accueillis, par dérogation annuelle, dans une école d’enseignement fondamental ou secondaire spécialisé qui assure ainsi un autre type d’enseignement spécialisé que celui ou ceux qu’elle organise.

Vers une école inclusive : la « troisième vie » de l’enseignement spécialisé !

Ces dernières années, des questionnements importants se sont accentués concernant l’enseignement spécialisé. Deux facteurs en particulier jouent un grand rôle. D’une part, sous l’influence des recherches en pédagogie qui se sont développées à partir des années 70, mais aussi des tendances internationales, le mouvement en faveur d’une autre organisation de l’école s’est accentué, en particulier suite aux déclarations et prises de position internationales concernant l’accueil des enfants ayant des besoins éducatifs spéciaux dans le système scolaire ordinaire (Déclaration de Salamanque, 1994) et en particulier suite à la Convention des droits des personnes handicapées (2006, et ratifiée par la Belgique en 2009) qui se prononce dans son article 24 en faveur d’une école inclusive.

De plus, on a assisté en Fédération Wallonie-Bruxelles au lancement d’une réflexion systémique sur tout le système d’enseignement, y compris de l’enseignement spécialisé, grâce au Pacte pour un Enseignement d’Excellence. Ce Pacte est encore en voie de finalisation et plusieurs points sont essentiels pour l’avenir de l’enseignement spécialisé. Les documents actuels, et notamment l’avis n° 3, évoquent à plusieurs reprises l’engagement vers une « école inclusive », sans toutefois la définir. Brièvement, une école inclusive est une école qui vise à ce que les élèves en situation de handicap apprennent à vivre au sein d’une « école pour tous » et ainsi à participer à la vie de la cité.  Pour ce faire, des changements s’imposent à tous les acteurs. Les responsables des écoles mettront en place une disponibilité de tous les membres des équipes éducatives à une démarche inclusive, avec le soutien des équipes spécialisées. Ils veilleront en particulier à une organisation de la vie de la classe pour que chaque élève apprenne, via notamment une démarche de co-enseignement. Une attention particulière sera accordée aux aménagements raisonnables permettant à chacun de tirer profit des multiples possibilités d’apprentissage qu’offre cette école inclusive. De plus, la collaboration de tous (professionnels, parents, élève) sera renforcée dans une perspective d’individualisation via le PIA et le PIT. L’école doit aussi organiser la vie des élèves, sur plusieurs plans : d’abord via la mise en place organisée par l’enseignant du tutorat (tant sur le plan social que des apprentissages) entre élèves et ensuite de stratégies facilitant particulièrement les périodes de « temps libre » (cour de récréation, salle à manger-réfectoire, …). Il importera aussi de développer l’utilisation des TIC et des outils numériques afin de diminuer certains obstacles à l’apprentissage de ces élèves.Enfin, une école inclusive prône une organisation systémique à trois niveaux : soutien à l’apprentissage pour tous les élèves, prévention et interventions précises pour les élèves en difficultés et enfin Interventions personnalisées pour chaque élève ne répondant pas aux deux démarches précédentes.

De plus, on a assisté ces dernières années à une croissance de la population scolaire de l’enseignement spécialisé, particulièrement depuis l’année 2005-2006, ce qui conduit le pouvoir politique à tenter de diminuer le nombre d’élèves dans l’enseignement spécialisé via un décret relatif à la promotion des aménagements raisonnables dans l’enseignement ordinaire, à partir de l’année 2019. Ce mouvement concerne particulièrement l’enseignement de type 8.

Ensuite, le Pacte envisage la constitution de pôles territoriaux qui, dans son projet d’avis n° 3, « assureront la mutualisation par bassins géographiques des moyens dédiés à l’accompagnement des élèves en intégration permanente totale dans l’enseignement ordinaire. » Son rôle et sa mission sera « de garantir la qualité de l’encadrement et de l’accompagnement que les établissements du pôle territorial pourront proposer pour tenir compte des besoins spécifiques des élèves ». Il est également prévu « la possibilité de créer, sur une base volontaire, de tels pôles en inter-réseaux, en particulier dans les zones dans lesquelles le nombre d’élèves concernés et, par voie de conséquence, les moyens alloués n’atteignent pas le niveau critique minimum ».  

D’autre part, si l’école inclusive accueille des élèves avec des besoins spécifiques, elle accueillera aussi, en fonction des années et de sa situation géographique dans la cité, des élèves différents, notamment des élèves issus de milieux défavorisés. 

Si l’on se place dans l’optique d’une école inclusive, réclamée à plusieurs reprises dans le projet d’avis, le pôle territorial regrouperait tous les personnels des écoles spécialisées d’un territoire déterminé (en fonction de la population, des moyens de transport public, de l’attraction de certaines villes…) en vue de mettre à disposition de toutes les écoles ordinaires d’un bassin géographique déterminé ce personnel spécialisé ; ces écoles spécialisées deviendraient un « centre de ressources spécialisées » (terme à la mode, mais approprié !). Il est à remarquer que le décret de 2004, revu en 2013, prévoit d’ailleurs l’existence de « zones », essentiellement au niveau de la gestion de l’enseignement spécialisé et de ses personnels ainsi que les entités géographiques qui les composent.

De plus, cela permettrait de revoir le fonctionnement du transport scolaire vers des écoles plus proches du domicile de l’enfant, prônant davantage l’utilisation, accompagnée notamment au début, des transports en commun et évitant de faire perdre progressivement à l’élève ayant des besoins spécifiques ses relations dans son quartier. Cette évolution faciliterait la proximité géographique des élèves de leur école.

D’autre part, la formation initiale des enseignants (et de tous les professionnels d’ailleurs, formés dans les hautes écoles) devrait comprendre tout au long de leur cursus (c’est-à-dire dès la première année) une formation à « la pédagogie différenciée » (y compris la pédagogie adaptée aux élèves/étudiants à besoins spécifiques). Une spécialisation devrait être envisagée en fin de formation.

Quant au tronc commun au niveau du secondaire, il s’agit d’une initiative intéressante, avec une évaluation formative tout au long de la vie scolaire et une seule évaluation certificative en fin de cycle.

Est-ce la mort de l’enseignement spécialisé ? Non, bien sûr ! Les équipes qui maîtrisent cette pédagogie différenciée en feront bénéficier tous les élèves, y compris ceux à besoins spécifiques sans les séparer six heures par jour et durant de longues années, de leurs camarades. En d’autres mots, les équipes spécialisées seront inclues dans une école inclusive, ce qui constitue la façon d’assurer la « troisième vie » de l’enseignement spécialisé, au service du « vivre ensemble » de tous les élèves et étudiants.    

Le décrochage scolaire : état des lieux en Fédération Wallonie-Bruxelles :

Le décrochage scolaire : état des lieux en Fédération Wallonie-Bruxelles :

En Belgique, un élève en décrochage scolaire est un élève en âge d’obligation scolaire et qui pourtant, n’est ni inscrit dans un établissement scolaire, ni inscrit pour des cours par correspondance. Un jeune est aussi considéré en décrochage s’il présente plus de 20 demi-journées d’absences non-justifiées.

Qui sont ces jeunes à risque?

D’après Catherine Blaya, une pédagogue française, Il n’existe pas qu’un seul profil de décrocheur. En effet, celle-ci a tenté de relevé quatre “profils” de jeunes à risque de décrochage scolaire1.

  • Le premier groupe concerne des élèves aux comportements appelés “contestataires” et qui ont donc tendance à montrer leur mécontentement de façon voyante.
  • Le deuxième groupe sont des élèves qui ne trouvent aucun intérêt à suivre une scolarité et adoptent donc une attitude passive.
  • Le troisième groupe sont des élèves dont les problèmes familiaux prennent le dessus sur le quotidien du jeune et provoque un impact négatif sur ses résultats scolaires.
  • Le quatrième et dernier groupe, sont des élèves en états dépressifs. Par conséquence, ceux-ci ont du mal à se concentrer.

Malgré la volonté de vouloir énumérer les différents portraits de jeunes en décrochage scolaire, il existe une multitude de profil différents. Cette variété implique qu’un “groupe homogène”2 n’existe pas.

Divers facteurs comme la relation avec le corps enseignant, la pédagogie, l’ambiance scolaire, la relation avec la famille, influencent fortement le jeune.

Quelles en sont les causes?

Les facteurs qui influencent le jeune sont multiples. Si nous voulons trouver une définition complète à ce phénomène complexe, il est :

“multidimensionnel et multifactoriel résultant d’une combinaison de facteurs interagissant les uns avec les autres”3 et ou chacun des acteurs de la vie du jeune a une part de responsabilité.

Il est notamment important de noter qu’un facteur a lui tout seul ne peux expliquer le décrochage scolaire du jeune et en être la seule cause. C’est un phénomène à analyser de façon systémique, c’est à dire qu’il faut tenir compte du réseau entier de l’élève et non pas se focaliser sur une seule cause.

En voici quelques-unes :

  • Les facteurs individuels

Ce phénomène peut être lié à des facteurs propres à l’élève comme une inadaptation au système scolaire traditionnel ou encore, à la question du genre (on remarque que les garçons sont les plus touchés), à un comportement inadapté, violent, à un état dépressif, une démotivation, à des difficultés d’apprentissage, à un haut potentiel, etc.

  • Les facteurs familiaux

La famille a un rôle important dans la réussite scolaire de l’enfant. En effet, si le jeune ne se sent pas épaulé ou soutenu dans son parcours, ceci aura un impact sur sa motivation ou son intérêt à suivre une scolarité et donc, sur sa réussite.

Les relations conflictuelles peuvent également être un facteur considèrent du décrochage scolaire.

De plus, Il est important de souligner que tous les jeunes ne sont pas égaux face à l’institution scolaire. Les enfants issus de famille ayant une situation socioéconomique familiale faible, sont plus susceptible de décrocher que les autres.

  • Les facteurs scolaires

Ce facteur est prédominant parmi les causes énumérées ci-dessus.

Le fonctionnement général du système scolaire est souvent problématique pour ces jeunes qui ont du mal à trouver leur place. Le climat qui règne dans l’établissement scolaire, l’implication et le soutien des professeurs dans les apprentissages, l’étiquetage, la clarté du règlement d’ordre intérieur de l’école, l’orientation, etc. sont “un tout” qui fait que l’élève peut se retrouver en décrochage.

Catherine Blaya et al., met l’accent sur deux points importants qui sont pour eux, centraux4:

  1. L’étiquetage :

Soit on rentre dans la colonne “bon élève”, soit on rentre dans la colonne “mauvais élève”. De façon implicite, quand un jeune est face à une difficulté, celui-ci va intérioriser son sentiment d’échec. L’institution aura tendance à “naturaliser” la situation et, pire encore, à le maintenir dans cette croyance. Conséquence : L’élève pensera qu’il n’est pas fait pour apprendre car le système scolaire le rejette.

Ces jeunes devront faire face au redoublement mais aussi à la relégation et à la ségrégation. Ce sentiment d’échec à répétition et cette impression de ne pas “être à sa place”, aura tendance à les regrouper dans “une sous-culture d’opposition au système et à l’image qu’il leur renvoie, dans un processus réactionnel à la stigmatisation ou à l’exclusion qu’ils subissent”4.

  • Le climat scolaire :

Le climat d’une classe, la motivation ainsi que la pédagogie apportée par le professeur sont des facteurs primordiaux dans la réussite scolaire de l’élève. Si les relations entre les différents acteurs (professeur-élèves, élèves-élèves) intra-muros sont mauvaises, il est clair que le jeune aura tendance à décrocher. Sans oublier la problématique du harcèlement scolaire qui n’est pas à exclure et qui doit être pris en charge en amont afin d’éviter le repli sur soi, le décrochage, voir encore – et cela arrive trop souvent – le suicide.

La question de l’orientation choisie ou subie est aussi une véritable problématique. C’est dans les filières professionnelles que l’on retrouve un taux de décrochage élevé. D’après l’étude PISA, les élèves issus d’une famille pauvre seraient plus sujets au décrochage.

La culture de l’école est aussi à prendre en compte. Bien souvent, des élèves ne comprennent pas ce qu’on leur demande et se sentent donc exclus du système scolaire.

  • L’absentéisme et l’ennui

L’absentéisme est à la fois une cause et une conséquence de ce phénomène sociétal.  Ainsi, l’élève qui adopte une “stratégie d’évitement” et, de ce fait, a des absences à répétition sera à terme, déscolarisé.

Le jeune se sent donc “inadapté” en milieu scolaire. Un sentiment qu’il traînera derrière lui une fois qu’il entrera dans le marché du travail, voire tout au long de sa vie.

En ce qui concerne l’ennui, celui-ci n’augmente pas le phénomène de décrochage scolaire mais il doit être considéré comme “symptomatique” d’un dysfonctionnement institutionnel et social.

  • L’intériorisation

Cette problématique est décelable chez des jeunes en difficulté scolaire. Bien souvent, ils ont intériorisé l’échec comme une normalité par conflit de loyauté envers les parents (papa, maman qui ont arrêté prématurément leur scolarité) ou parce qu’ils sont harcelés et cela va parfois même jusqu’à la phobie scolaire. Ou encore, parce que l’enseignement traditionnel n’est pas adapté à leurs besoins. Tout ceci conduit à une sorte de fatalité dont ils pensent ne pas y échapper. Ce qui les plongent plus facilement dans le décrochage scolaire.

Quelles sont les pistes de solutions ?

L’accrochage : “Mieux vaut prévenir que guérir”.

Et pour cause, le décrochage scolaire n’est pas un phénomène qui s’opère du jour au lendemain mais bien une situation que l’on peut prendre en main, voire éradiquer en amont si les moyens mis en place sont présent. Et c’est l’école qui y joue un rôle essentiel!

  • Nous devons penser à “un changement de culture de l’école”, revoir le fonctionnement scolaire et renverser la tendance.
  • La formation des enseignants face à ce fléau est aussi un point important dont il faut remédier absolument. Trop peu de futur enseignants sont en manque d’informations sur la gestion de situations de décrochage scolaire et se sentent donc impuissant.
  • Un “climat scolaire positif” semble avoir toute son importance pour répondre aux besoins de l’élève. Adopter un comportement bienveillant, empathique et à l’écoute peut apporter à l’élève un soutien tout au long de son parcours et ainsi, le faire progresser.
  • Un travail de réseau entre les écoles, les intervenants sociaux et les familles est nécessaire pour que les mesures d’interventions soient efficaces. Adopter une intervention plus individualisée, s’assurer que le jeune ait trouvé sa place au sein de sa classe (et donc, dans la société) et refuser les étiquettes qu’on pourrait lui coller, peut anticiper la situation de décrochage.

Dans le cas de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’accrochage scolaire est pris en charge par par différents organismes comme :

  • Les Centres Psycho Médico Sociaux (CPMS);
  • Les services de la médiation scolaire bruxellois et wallons;
  • Les éducateurs de quartiers ainsi que les Maisons de Jeunes (MJ);
  • A Bruxelles, des contrats de préventions sont financés par les 19 communes de façon individuelle, pour la mise en place d’écoles de devoirs, par exemple.

Le raccrochage : Une utopie?

Plus difficile mais pas impossible!

Il existe différentes mesures dites de “réparation ou de compensation” dans l’enseignement comme par exemple, la formation qualifiante (filières techniques, professionnelle et en alternance qui semblent bien fonctionner pour certains jeunes mais qui souffre de visibilité).

Elle se fait donc soit par la formation qualifiante, soit par les études.

  • Par formation qualifiante :

Par ce biais, le jeune peut se former à un métier bien spécifique ou entrer directement dans le monde du travail. Cependant, sans diplôme, il risque d’avoir des difficultés à trouver un travail sans pénibilité et précarité.

Il existe des médiateurs emploi qui ont pour mission de rencontrer les jeunes en conflit avec l’école et les informer sur le système du marché du travail et les familiariser avec celui-ci.

Ensuite, les Missions Locales, Bruxelles-Formation et le Forem qui proposent des formations professionnelles. Et pour finir, le système de la formation par alternance qui réoriente le jeune dans l’enseignement technique ou professionnel.

Le service citoyen peut aussi être efficace pour ces jeunes en rupture scolaire car il vise le “développement personnel” et responsabilise le jeune en tant que citoyen actif et critique dans la société par une réinsertion aux études ou formation professionnelle.

  • Par la réinsertion aux études :

Il existe les services d’accrochage scolaires (S.A.S) et sont au nombre de 12 en Wallonie et à Bruxelles. Ceux-ci accueillent les jeunes qui sont en décrochage scolaire de façon provisoire, avec comme objectif de les réinsérer dans au milieu scolaire le plus rapidement possible. Le but est que le jeune se rende compte de ses compétences et qu’il puisse reprendre confiance en lui.

Des dispositifs d’accrochages scolaires (DAS) sont également mis en place pour apporter un réel travail de prévention. Le but est de créer une “dynamique autour de l’école” en rassemblant les divers acteurs sociaux et scolaire autour de la table pour agir ensemble sur la question de façon la plus efficace possible.

Les “alliances éducatives” sont sans nuls doutes la bonne marche à suivre pour aider les élèves en décrochage scolaire. Penser à réorganiser le système est loin d’être impossible mais prendra du temps. POUR LA SOLIDARITE-PLS propose de renforcer l’alternance, une voie développée au Québec et en Allemagne. Le jeune est confronté au monde du travail, parallèlement à deux jours de cours généraux en centre de formation.

1Pour la solidarité, Marie SCHULLER, “Décrochage scolaire, un phénomène complexe et multifactoriel”, Novembre 2017.

2Ibid.

3Ibid.

4Ibid.

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