Anaïs représente le jeune qui a rédigé le témoignage et qui n’a pas voulu s’exprimer en direct. Ce témoignage a été recueilli par le service « Episode »

Témoignage de Christelle T.

Bonjour,

Je m’appelle Christelle et j’ai maintenant 17ans et demi.

Je suis actuellement en 4ième Technique de qualification, option économie.

Mon expérience de l’échec date du début des secondaires. En effet, dès la première année, j’ai éprouvé des difficultés à suivre le rythme et le niveau des cours de l’école que je fréquentais à l’époque. C’est une école considérée comme « bonne » avec un « bon niveau ». Malgré mes difficultés, au bout de ma deuxième année, je passe en 3ième avec quelques examens de passage. Mais dès le début de l’année, les mêmes problèmes recommencent et je me retrouve à nouveau en échec dans plusieurs matières.

A Noël, dans mon bulletin, ma titulaire estime que je ne fais pas assez d’effort et que je manque d’intérêt pour les matières. Elle conseille à mes parents, via mon bulletin, de chercher une option qui me conviendrait mieux.

Moi je me dis qu’il sera difficile de rattraper tous mes échecs, mais qu’avec quelques examens de passage, je devrais à nouveau pouvoir m’en sortir.

Mais en fin d’année, je suis toujours en échec et le titulaire note dans mon bulletin que « … c’est maintenant une évidence, Christelle doit être orientée vers une formation plus conforme à ses aspirations. Nous espérons qu’elle s’y épanouira davantage et qu’elle y trouvera la motivation qui lui a fait défaut tout au long de cette année ».

L’école m’oriente donc vers le professionnel. Dans la partie de l’attestation destinée au « Plan de guidance » pour l’année suivante, l’école n’inscrit aucune indication concernant une prise de contact avec le Centre PMS pour l’orientation ou sur ce qui semble poser problème dans mon travail scolaire. Aucune des cases pré-imprimées n’est cochée (cours de méthode de travail, rattrapage en telle matière, études du soir,…).

Ma maman se rend dans un service dont elle a entendu parler et qui pourrait l’aider à me trouver une nouvelle école. Entre son travail et mes petits frères dont elle doit s’occuper, elle n’a pas assez de temps pour continuer à faire cela toute seule. En plus, aucune des démarches qu’elle a entreprises pour le moment n’a abouti.

La dame qui la reçoit prend note du souhait de ma maman : trouver une école qui m’accepterais en 3ième, avec un bon niveau et bien fréquentée, car je me laisse facilement influencer, selon elle. La dame souhaite cependant me rencontrer et discuter avec moi avant de commencer des recherches.

Lors de mon premier rendez-vous, voyant mon attestation d’orientation, une AOC, c’est à dire une attestation selon laquelle je peux monter de classe mais avec une restriction pour l’enseignement de transition dans le général, le technique et l’artistique, et voyant les conseils du titulaire, elle me demande quel est mon projet. Pour moi, c’est simple, je veux refaire ma troisième année, pour cette fois-ci, bien comprendre la matière et repartir sur de bonnes bases. Je ne veux pas aller en professionnel, d’abord parce qu’aucune option ne m’intéresse et, ensuite, parce que j’aimerais poursuivre des études supérieures. Mais je veux changer d’école. Car, là où je suis, les professeurs auront déjà un a-priori sur moi, et toutes mes copines seront en quatrième. Je resterais toute seule avec les petits.

Il a été très difficile de trouver une école qui m’accepte. Mes parents ne comprenaient pas pourquoi on ne voulait pas m’accepter en troisème. Mon papa a, lui aussi, voulu rencontrer la dame pour qu’on lui explique pourquoi on ne me donnait pas une deuxième chance, pourquoi j’étais obligée, à 14 ans, de choisir entre le métier de coiffeuse ou celui de puéricultrice, sans aucune autre perspective d’épanouissement dans des études supérieures.

Apparemment, seule l’école où je ratais était obligée de me reprendre. Les autres n’étaient pas obligées de m’inscrire en troisième. Une directrice nous a même dit : « Qui mieux que l’établissement qui a constaté mes lacunes pourrait proposer des mesures de remédiation adéquate ». Mais moi, je ne voulais pas y retourner, malgré le fait que ma maman le souhaitait. J’avais trop honte.

Finalement, nous trouvons une école qui m’accepte mais en posant comme condition à mon maintien dans le général, une réussite pour le mois de novembre.

Dans ma nouvelle école, les choses ne se passent pas trop mal, je n’ai qu’un échec à Noël. La dame du PMS dit qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. A la fin de l’année, j’ai à nouveau un examen de passage, que je réussis en le préparant à l’école des devoirs de mon quartier.

Pour l’année suivante, mon entrée en 4ième générale, je souhaite à nouveau changer d’école. Celle de l’année précédente était trop loin de chez moi, et la discipline laissait vraiment à désirer ! Dans ma première école, c’était beaucoup plus strict mais je m’y sentais mieux. Comme ma maman n’était pas sûre de ma réussite en septembre, elle n’avait pas cherché d’école. Nous sommes donc début septembre et je n’ai pas encore de nouvelle école.

J’en trouve finalement une dont l’ambiance et la discipline sont encore plus mauvaises que l’école que je quitte. L’année ne se passe pas très bien, mais je n’en parle pas à ma maman ou à la dame qui nous avait aidés dans la recherche d’une école. En fin d’année je rate à nouveau.

J’ai 16 ans et je viens de rater ma 4ième. Cette fois-ci, je me dis que le général ce n’est pas pour moi. Je voudrais monter en 5ième Technique de qualification ou en professionnel. Ma maman me demande de retourner chez la dame qui nous avait reçu en fin de ma deuxième. Elle n’est pas d’accord avec mon choix d’orientation, et surtout ne comprend pas ce qui s’est passé et pourquoi je suis toujours en échec. Elle ne sait plus quoi me proposer pour m’aider à réussir et se plaint du peu de communication que j’ai avec elle.

Avec la dame du service d’aide, j’envisage les pistes possibles et les débouchés. Très vite, je lui avoue que rien ne m’intéresse vraiment dans les options proposées, mais je ne veux pas encore une fois refaire mon année. Je n’apprendrai pas mieux ni plus, en recommençant là où j’ai déjà raté. En plus, toutes mes amies d’enfance seront deux classes au-dessus de moi. Finalement, en réfléchissant beaucoup et en discutant avec mes parents, je décide de refaire ma 4ième année générale.

Dans une nouvelle école encore, je refais donc ma quatrième. Elle se passe sans plus de bonheur que toutes les autres années et encore une fois, je suis en échec en math. Malgré les cours de rattrapage et l’école des devoirs, cet échec que je traîne depuis le début de l’année me mène à une orientation en fin d’année scolaire.

Comme il n’est pas envisageable, ni pour moi, ni pour mes parents que je triple mon année, je m’inscris en 5ième technique de transition, option économie. Vous allez me dire que c’est un choix bizarre pour quelqu’un qui rate en math chaque année. Mais c’était la moins pire des options et puis, on m’a dit qu’avec un diplôme de technique je pourrais m’inscrire à la faculté de droit. En tout cas, pour la première fois depuis longtemps, je ne suis plus en échec.

Nicky Djunga, Episode, Service du Contrat de société et de prévention de la commune d’Ixelles

Je parle aujourd’hui pour le Service Episode, Service psychosocial pour le scolaire et la famille. C’est un service communal, faisant partie du Contrat de Société et de prévention de la commune d’Ixelles. Il s’agit d’une équipe pluridisciplinaire (une psychologue, une criminologue et une assistante sociale) qui, dans le cadre de son axe de travail individuel, reçoit les jeunes et / ou leur famille pour toute question d’ordre scolaire ou familial. 

L’urgence portant sur la question de l’échec scolaire n’est plus à démontrer : on en entend parler, aussi bien par des études nationales et internationales, que par les acteurs de terrain et même les politiques. C’est pourquoi, je ne reprendrai pas ici les grandes études, les chiffres, les statistiques, que l’on peut lire partout ailleurs. Je ne suis par ailleurs pas une « spécialiste » de la question mais un acteur de terrain : je souhaite partager avec vous les situations que nous rencontrons au quotidien et vous transmettre le vécu des enfants, des jeunes et des familles.

La première chose que j’aimerais évoquer est la souffrance que représente l’échec scolaire, aussi bien pour l’élève concerné que pour sa famille. La difficulté que nous avons eu à ce qu’un jeune nous accompagne pour s’exprimer devant vous aujourd’hui et soutenir sa parole, témoigne de la profondeur de cette souffrance. Des témoignages, nous aurions pu vous en présenter par dizaine. Mais le stigmate de l’échec, la souffrance et la honte qu’il provoque nous ont rendu la tâche bien compliquée : cette difficulté d’accompagner un jeune à venir s’exprimer sur ce vécu aujourd’hui, a contribué à rendre plus importante encore pour nous la nécessité de venir en témoigner.

Face à l’échec, l’enfant et sa famille se retrouvent bien seuls. L’école fait part de sa constatation : « Il est en échec, il ne suit pas, il ne travaille pas assez, il rêve en classe, il n’arrive pas a se concentrer »… Et c’est aux parents, lorsqu’ils en ont la possibilité et la capacité, ou à l’enfant, d’imaginer ce qu’ils pourraient mettre en place pour remédier à cet état de fait. Remédier, le mot est lâché. Mais est-ce bien aux parents, à l’enfant lorsque son milieu familial ne possède pas les ressources suffisantes, de mettre en place les outils de la remédiation ? On demande aux familles de diagnostiquer un problème et d’y apporter le remède alors que ce n’est pas leur rôle premier et qu’ils ne sont pas formés pour cela.

Devant un bulletin disant simplement « mathématique : insuffisant, ne travaille pas assez », le parent devrait pouvoir savoir s’il s’agit d’un manque d’étude, d’une incompréhension, d’une difficulté d’apprentissage, de dyscalculie … Et ensuite, il pourrait y apporter la solution ad hoc. La remédiation devrait se faire dès que les difficultés se manifestent (et non, après le bulletin ou après un redoublement), directement au sein de l’établissement scolaire, voire même au sein de la classe. 

Pour la famille, à ce stade, à la douleur et la déception de l’échec, s’ajoute la culpabilité de ne pas pouvoir, de ne pas savoir ou de ne pas arriver à trouver la solution au problème. C’est la famille qui est pointée, désignée comme déficitaire et non l’école qui, elle, semble uniquement chargée de dispenser un savoir.

C’est à l’élève et sa famille « d’intégrer » la culture de l’école, de se conformer aux exigences de celles-ci. Le symptôme de l’échec est à évacuer et à adresser à l’extérieur, ce qui est plus confortable pour l’école, dans un premier temps du moins. Quelle école se remet en question, quel enseignant ? On n’a jamais entendu cela !!

Je parlais de souffrance. Vous n’imaginez pas combien d’enfants se relèvent de leurs difficultés grâce à la confiance, à la reconnaissance et au regard positif d’un autre. Ensuite, si par manque de connaissance ou capacité (financière, sociale, culturelle…), la famille ne parvient pas à redresser la barre, c’est l’étiquette du cancre qui se pose alors sur le dos de l’enfant avec son lot de démotivation, perte de confiance en soi et décrochage.

Si des changements structurels sont nécessaires, il s’agit également d’amorcer des changements culturels et de représentations. En effet, si les familles endossent si facilement ce rôle de « coupable » c’est aussi parce que, selon notre culture, un bon prof est un prof chez qui il est difficile de réussir, un professeur qui en « pète » beaucoup. Une bonne école est celle où il est ardu de s’inscrire !

Il nous semble important de rendre à chacun sa place (pédagogue, enfants, parent) et ainsi, de rendre à chacun le rôle qui s’y rattache afin que tous puissent s’y épanouir pleinement. Trop peu d’écoles, de structures scolaires, d’enseignants sont en mesure d’assumer un réel partenariat avec le jeune et sa famille et les services d’aide.

Pour permettre à chaque acteur de retrouver son rôle, il est important de leur en donner les moyens. Cela implique, pour les écoles et leur personnel, une révision de la formation des professeurs qui inclut une aptitude à dépister les difficultés spécifiques d’apprentissage et une capacité à mettre en place une pédagogie différenciée. Il s’agit aussi de permettre aux écoles de mettre en place des dispositifs de remédiation multiples comme avoir au sein de chaque établissement des spécialistes des difficultés d’apprentissage (logopèdes, spécialistes de la dyscalculie, maîtres d’adaptation à la langue…).

Il y a des pistes et des actions concrètes visant à donner ces moyens à des acteurs externes à l’école (centre de guidance, écoles de devoirs, professeurs particuliers, …). Mais ces pistes, lorsqu’elles ne creusent pas l’inégalité (professeurs particuliers), voient leur capacité d’accès très rapidement limité : les écoles de devoirs souvent contraintes de refuser des enfants par manque de place, les logopèdes des centres de guidance sont surchargés…. De plus, tous ces dispositifs imposent de fait que la remédiation soit différée dans le temps. 

Il ne faut pas ignorer l’aspect lucratif de l’échec scolaire qui profite à nombres d’asbl bienveillantes, proposant un coaching à prix d’or. Il serait également intéressant d’évaluer le nombre d’enfants qui bénéficient d’un suivi logopédique. Comment expliquer cette recrudescence de symptômes dys- ? Quand tant d’enfants ont tant de difficultés à s’adapter à l’école, ne s’agit-il pas de réévaluer le système scolaire et ce qu’il produit ?

Il nous semble primordial que l’échec scolaire soit et reste la question de l’école, des professionnels de l’école. Par l’échec scolaire, nous entendons le redoublement mais aussi les orientations non choisies, car elles sont aussi le résultat d’un échec : celui du projet de l’enfant, du projet des parents pour leur enfant, je dirais même du projet d’une société pour sa jeunesse. Et ce, même si souvent dans un premier temps, l’enfant et ses parents se disent « tout va bien puisqu’il passe de classe ». Ce n’est que plus tard qu’ils se rendent compte que ce n’était qu’un leurre et que les compétences n’étaient pas acquises. L’enfant « monte de classe », non pas parce qu’il a intégré la matière et les acquis, mais uniquement, parce qu’il est trop âgé ou a passé le maximum du temps imparti dans le degré. Mais ce temps, il l’a passé à quoi ? Il l’a passé pour quoi ? Visiblement, dans la majorité des cas, pas à remédier à ses difficultés, mais à faire l’expérience de l’échec ; il a passé du temps à, petit à petit, accepter l’image de « cancre » et à, de plus en plus, perdre goût à l’école.

Si le redoublement est un indicateur de l’échec scolaire, il nous semble important de ne pas se voiler la face en se disant qu’il suffirait d’éliminer le redoublement pour éliminer l’échec scolaire. En effet, dans notre système, l’élève peut monter de classe sans avoir acquis les connaissances et compétences de base. C’est ainsi qu’un élève en retard ou en échec se retrouvera orienté vers une filière technique ou professionnelle. Ce système contribue ainsi à dévaloriser l’image de ces filières qui ne sont plus vues comme des filières qualifiantes mais comme des filières de relégation.

Il est donc important, selon nous, pour lutter contre l’échec, d’instaurer un véritable « tronc commun polytechnique ».

Le système scolaire a un fonctionnement incompréhensible, compliqué, qui le rend inaccessible aux parents et aux jeunes eux-mêmes. La majorité d’entre eux ignore les lois, les règles, les sanctions, les évaluations de l’école qui, pourtant, applique un code étroit et particulier. Un énorme travail d’information reste à faire, et à répéter sans cesse.

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