Il faut savoir qu’historiquement, après la révolution belge, le gouvernement provisoire a proclamé la « Liberté d’enseignement », considérant qu’il s’agissait d’adopter la même solution à la question générale de la liberté d’opinion et la liberté de culte. De ce fait, il a instauré un régime de concurrence entre les écoles et les futurs réseaux, refusant ainsi que qui que ce soit ait le monopole de l’enseignement : ni l’Etat, ni l’Eglise. Cette concurrence est malheureusement toujours porteuse d’inégalités entre les élèves.

Dès lors, chaque acteur et chaque actrice avait une liberté totale en fonction de ses droits : les écoles (pouvoirs organisateurs), les parents et, enfin, les enseignants, les enseignantes, les chercheuses et les chercheurs.

Les pouvoirs organisateurs obtenaient ainsi toute liberté pour ouvrir une école, pour la maintenir, pour déterminer son projet philosophique ou religieux et ses méthodes pédagogiques (en général, on parlait très peu pédagogie à cette époque). Ils avaient le libre choix de leur personnel, des missions de l’école pour concrétiser ses valeurs philosophiques ou pédagogiques et tout pouvoir de décision dans l’organisation de leurs établissements. Les écoles restaient soumises au Droit belge, mais tout ce qui ne relevait pas d’une réglementation par les autorités compétentes ressortait, de ce fait, de l’autorité scolaire. Les établissements subventionnés étaient ainsi quasiment autonomes.

Les parents avaient, quant à eux, le libre choix de l’école et, dans les établissements organisés par l’Etat, de pouvoir choisir entre l’enseignement d’une religion reconnue et la morale non confessionnelle.

Les enseignant.e.s et les chercheurs.euses bénéficiaient de la liberté académique. Autrement dit, de choisir leurs thèmes de réflexion et leurs méthodes pédagogiques.

L’article 6 de la Loi sur le Pacte scolaire (1959) définit que « Chaque pouvoir organisateur est libre en matière de méthodes pédagogiques ». En 1997, le décret « missions » a réaffirmé cette autonomie en indiquant que « le contrôle de la Commission des programmes ne porte pas sur les méthodes pédagogiques ». Ces dernières correspondent donc bien à une prérogative des pouvoirs organisateurs.

Cependant, ce sont les programmes des réseaux qui imposent les options pédagogiques aux enseignants. Mais pour la mise en œuvre de ces derniers, chaque enseignant.e est libre de définir ses pratiques pédagogiques dans sa classe ou en concertation avec ses pair.e.s pour celles qui seront mises en œuvre dans l’établissement.

L’Ecole, lieu de non-droits

Puisque chaque PO est libre d’établir un règlement des études à sa sauce, du moment qu’il ne soit pas en contradiction avec le Droit belge. On y trouve les valeurs morales et parfois religieuses de l’établissement. Cela va du progressisme au réactionnaire, en passant par l’humanisme et le conservatisme. Avec souvent un mélange des genres. Il vise souvent à codifier les rôles des élèves au sein de l’école ou lors d’activités extérieures organisées par les enseignant.e.s. Il a surtout pour mission de protéger l’école et les adultes qui y travaillent, et très peu les élèves. Il reprendra la liste des sanctions applicables et la manière dont doivent se comporter les élèves pour les éviter. On y parle très rarement de Droit, mais le plus souvent de devoirs mâtinés d’un longue liste d’interdits.

Le rôle de l’école doit, notamment, être de « préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste, respectueuse de l’environnement et ouverte aux autres cultures[1] ». Cependant, les Règlements des études, vont la plupart du temps, à l’encontre de cet objectif. Plutôt que de viser l’autonomie de chaque élève, la participation citoyenne et solidaire, elle leur apprend la docilité, l’obéissance et la soumission.

En définitive, un Règlement des études est la « Loi » de l’établissement que seul.e.s les élèves doivent respecter. En effet, il ne s’applique pas aux enseignant.e.s qui n’hésitent pas à le transgresser volontairement ou par ignorance. Ainsi, dans la liste des sanctions reprises ci-dessous, on peut raisonnablement douter que tous les enseignants et toutes les enseignantes respecteront la hiérarchie telle qu’inscrite dans le Règlement des études. L’exclusion d’un.e élève d’un cours (point d.) est souvent la première sanction.

a. le rappel à l’ordre,

b. la remarque au journal de classe,

c. le travail supplémentaire,

d. l’exclusion d’une période de cours,     

e. la suppression de permissions et d’avantages (carte de sortie, heures libres en début

et fin de journée, gestion libre des heures d’étude)

f. la retenue après 16h00,

g. la retenue le mercredi après-midi,

h. le travail de réparation/d’utilité collective,

i. la convocation à la direction,

j. l’exclusion de plusieurs périodes de cours,

k. l’ouverture d’un dossier disciplinaire avec convocation des parents,

l. l’exclusion de l’école pour un ou plusieurs jours,

m. l’exclusion définitive

Le Règlement des études est la « Loi » du plus fort. Ainsi, quand on lit que « L’élève qui sera pris à tricher lors d’une évaluation périodique ou d’un examen sera sanctionné d’un zéro pour cette épreuve. », l’école omet les principes élémentaires du Droit. Le premier est la charge de la preuve. Etre pris à tricher, encore faut-il le démontrer. Ensuite, chaque accusé.e à droit d’être défendu. Enfin, la personne qui a surpris l’élève trichant est-elle celle qui a confectionné l’épreuve ? Dans l’affirmative, ce serait contraire au Droit fondamental, puisque « Nul.le ne peut être juge et partie ». Cette personne se ferait justice elle-même, ce qui est interdit par le Droit.

Il s’agit d’un vieux principe de Droit venant de l’expression latine « Aliquis non debet esse judex in propria causa, quia non potest esse judex et pars » qui se traduit par « personne ne doit être juge de sa propre cause, parce qu’on ne peut être à la fois juge et partie ». Bien connue des juristes, elle signifie qu’on ne peut pas rendre une décision juste lorsqu’on a un intérêt à la décision rendue.

Cela vaut pour chaque interrogation, évaluation, bilan ou examen coté réalisé par un ou une professeur.e qui a donné le cours. Ils ou elles ont un intérêt à la décision rendue et sont donc juges et partie. Ce qu’ils ou elles évaluent n’est rien d’autre que leur capacité à transmettre un savoir à l’ensemble des élèves de la classe, sans en oublier aucun.e. Quand on sait que les professeur.e.s qui n’ont pas d’échecs sont traités de « laxistes », ce que la plupart veulent éviter. On peut se dire que le cotation a toutes les chances de ne pas être juste, ou que les questions rédigées ont toutes les chances de veiller à ce que tout le monde ne réussisse pas. 

Exemple : La problématique de la tenue des élèves

Avec le mouvement #metoo, on pouvait espérer voir enfin fleurir des Règlements des études dégenrés. Certaines écoles semblent, en effet, ne pas vouloir faire de différences entre les filles et les garçons en ne rédigeant qu’une seule règle valable pour tou.te.s les élèves. Mais à y regarder de plus près, on comprend vite qui, des filles ou des garçons, sont visé.e.s. L’article sur les tenues des élèves du règlement suivant en est un parfait exemple :

Ne sont donc pas toléré(e)s

« Les vêtements exagérément courts, collants, échancrés, provocants ; sont donc à réserver pour d’autres lieux et circonstances les dos nus, épaules découvertes, sous-vêtements apparents, nombrils à l’air, profonds décolletés et jupettes ultra-mini »

Même lorsqu’ils sont rédigés tant pour les filles que pour les garçons, les Règlement des études restent clairement machistes. Dans l’école suivante, en dehors des couvre-chefs, ils visent exclusivement les filles :

La tenue vestimentaire doit être en rapport avec les activités scolaires : il est interdit de porter un couvre-chef dans les bâtiments ; les tops, dos nus, mini-jupes, décolletés, shorts courts et bermudas fantaisies sont interdits dans l’enceinte de l’école.

Dans d’autres écoles, ils sont carrément genrés. Le premier paragraphe concerne les filles, tandis que le second vise les garçons. On remarquera que les filles sont responsables de la bienséance dans l’école car elles risqueraient d’être provocantes, au contraire des garçons. Ces derniers n’ont pas les mêmes interdits que les filles ; ils ne doivent pas avoir de tenue « décente », peuvent avoir les épaules dénudées et le haut de la chemise déboutonnée de manière non discrète. C’est clairement du machisme :

Pour les jeunes filles :

– Tenue décente et non provocante [jupe maximum 10 cm au-dessus du genou], pas d’épaules ni de ventre dénudés, décolleté discret, pas de pantalon troué.

– Pas de piercings autres que des boucles d’oreilles discrètes.

– Maquillage discret, colorations de fantaisie interdites.

Pour les garçons :

– Pas de négligé ni de débraillé, pas de pantalon troué. Le bermuda est seulement autorisé au 1er degré. Pour le 2e et 3e degré, le pantacourt [pantalon ¾] est accepté.

En cas de fortes chaleurs [plus de 29° degrés à l’ombre] le port du bermuda [couleur unie et sans motif] sera autorisé pour les élèves des 2e et 3e degrés.

– Pas de piercings.

– Colorations et coupes de fantaisie interdites.

Les Règlement des études sont rédigés de manière à éviter d’appliquer l’article 6 du Décret Missions (alinéa 3) et, de ce fait, de rendent impossible la formation de citoyennes et citoyens libres et égaux. Que ce soit au niveau de la tenue réglementaire ou des interdits et contraintes imposés par le Règlement des études, tout est mis en place pour former de futur.e.s adultes soumis.es.

La solution existe. Elle se trouve dans la pédagogie institutionnelle. Mais pour appliquer les enseignements de Fernand Oury[2], encore faudrait-il que les écoles pratiquent déjà une pédagogie active et coopérative. Elles utilisent le plus souvent une pédagogie passive et compétitive.

La pédagogie institutionnelle permet aux étudiant.e.s de participer activement à l’élaboration des lois et règlements d’une classe ou d’un établissement scolaire, au travers des différents « conseils de coopération » (de classe, de degrés, d’école). Ils permettent de co-construire les lois, mais également d’établir les sanctions afin que ce ne soient plus les adultes qui fassent la loi – leur loi – mais qu’ils n’aient plus que la charge de la faire respecter, tout en la respectant eux-mêmes.

Quand, dans une classe ou dans une école, les élèves sont co-constructrices et co-constructeurs des règlements et sanctions. Les lois sont beaucoup mieux respectées, parce qu’elles sont les « leurs ».


[1] Code de l’enseignement, Livres 1 et 2, Art 1.4.1-1, 3°

[2] Fernand Oury, instituteur décédé en 1998 est le père de la Pédagogie institutionnelle.

Accessibilité