Pourquoi de nombreuses orientations et redoublements ont-ils eu lieu en cette période de pandémie, alors que la consigne était de rendre le redoublement exceptionnel ? Pour les enseignants qui ont connu les grandes grèves des années 1990, cette consigne était logique et leur rappelait pas mal de souvenirs. 1996-1997 a vu le taux de redoublement diminuer drastiquement parce que l’année avait été écourtée (voir ci-dessous).
Source Indicateurs de l’enseignement 2011 p 37, montrant la chute significative des taux de redoublement en 1996‑1997, qui résulte vraisemblablement des grèves qui se sont déroulées durant le premier semestre 1996.
On pouvait espérer le même dénouement en 2020. Mais la situation n’est plus la même. En 1996, Les élèves se battaient avec leurs profs pour défendre l’école. Aujourd’hui, l’ennemi est un virus. L’école n’a plus de raison de leur être reconnaissante.
Aussi, dès l’annonce de
la Ministre limitant le redoublement pour cause de covid-19, il ne faisait pas
l’ombre d’un doute pour les associations qui défendent les droits fondamentaux
et les droits des élèves et des familles, que ce ne serait jamais qu’un vœu
pieux.
Depuis le Décret
Missions, toujours pas respecté depuis 1997, on sait que quand le Gouvernement
décide, les écoles disposent. Le Politique l’a bien compris puisqu’il commence
la circulaire par ces mots « Il
convient tout d’abord de rappeler quec’est le Conseil de classe qui reste compétent pour décider de la
réussite ou non d’une année d’études ou de l’ajournement d’un élève ».
Tout est
dit : le redoublement doit être limité mais c’est l’école qui, in fine, décide. Autrement dit, ne
changeons pas des pratiques qui perdent.
Et qui perdent qui ?
Les élèves !
Il est clair que le Gouvernement ne se faisait guère d’illusion, malgré sa demande, un peu plus bas dans la circulaire : « Il conviendra de faire preuve de bienveillance dans l’appréciation des acquis des élèves, particulièrement lorsque les difficultés éprouvées par ceux-ci sont de toute évidence liées au contexte sanitaire. »
Car, toute décision prise, quelle qu’elle soit : passage dans la classe supérieure, examens de passage, redoublement, orientations, a été inévitablement liée au contexte sanitaire. Qu’ont-elles jugé, ces écoles ? Seulement un petit 2/3 d’année ! Plus précisément 118 jours sur 182. Et si on retire les jours blancs inutilement perdus en décembre[1], on tombe à une toute petite centaine de jours sur 182, soit une grosse demi-année.
Qui donc est capable de
juger de la capacité à passer dans la classe supérieure sur si peu
d’apprentissages ? Personne ! Déjà que les recherches en docimologie
ont démontré que personne n’était capable de juger un·e élève avec des points. Alors sur une bonne demi-année, c’est tout
simplement du mépris, de la discrimination des élèves à l’état pur. Et pas
n’importe lesquels et pas pour n’importe quelle raison. Car ici, il ne s’agira
pas de juger de la capacité d’un·e élève à passer dans la classe supérieure –
ce qui est impossible – mais de pratiquer une sélection sociale. Bref, de
continuer des pratiques de sélection bien ancrées dans nos écoles et qui
existent depuis le XVIe siècle.
La question qui mérite
d’être posée est « Pourquoi certaines écoles gardent-elles cet objectif de
tri et de sélection, malgré la crise qui a frappé toute notre société ?
»
Nous allons vous expliquer pourquoi ces écoles ne vont pas changer. Mieux encore, pourquoi elles ne peuvent pas changer…
Rappelez-vous quand Ignace de Loyola fit de l’école l’instrument de la
reconquête catholique (la Contre-Réforme) afin de contrecarrer l’expansion
protestante sur l’un de ses terrains de prédilection : l’accès aux savoirs
religieux et laïques. Les écoles deviennent élitistes. Il s’agit de privilégier
les plus méritants et d’éliminer les autres. Il a donc élaboré un système sélectif
qui perdure encore aujourd’hui dans certains pays arriérés sur le plan
pédagogique. En FWB nous sommes encore dans l’école du 16e siècle.
Et c’est bien de cela que nous parlons aujourd’hui.
Revenons à la question du jour. Pourquoi des écoles
vont-elles, envers et contre tout, continuer leurs pratiques de
sélection ?
On vient de voir que monsieur de Loyola et les écoles jésuites n’y étaient pas pour rien. L’objectif était de pratiquer une sélection sociale et cet objectif reste prioritaire dans le chef de nombreuses directions d’écoles. Pas sous ces termes-là, bien sûr. Ils ont évolué et se sont transformés en doxa. Autrement dit, en un ensemble plus ou moins homogène d’opinions, de préjugés populaires ou singuliers, et de présuppositions non vérifiées, qui règnent en maître dans les salles de profs (et dans certaines familles). Et la doxa de l’école est puissante. Nous ne citerons que quelques-uns des présupposés qui nous concernent aujourd’hui :
« Notre école prépare à l’université, nous ne savons pas faire réussir tout le monde ! » C’est faux, tout le monde est capable[2] ! En outre, aucune école n’a pour mission de préparer à l’université[3] ;
« Le redoublement permet aux élèves de reprendre pied ! » C’est faux ! Les études ont démontré que c’était tout le contraire[4] ;
« Certains enfants – principalement de milieux populaires – ne sont pas faits pour l’école. Ils ont l’intelligence de la main et doivent être orientés vers le professionnel ou le technique ! » C’est faux ! Tout le monde peut apprendre tous les savoirs. Cela aussi est démontré ;
…
Et donc, nous nous retrouvons
face à des écoles qui pratiquent la sélection sociale depuis des décennies sur
aucune base valide, et qui n’imaginent pas qu’il soit possible de faire
autrement. Il n’est un secret pour personne que la sélection va continuer à
être pratiquée, non pas sur les capacités scolaires des élèves, mais sur des
présupposés archaïques, qui ont été invalidés depuis des décennies par les
sciences de l’éducation. Bref, ils vont casser des élèves simplement parce
qu’ils sont mus par une idéologie archaïque, une idéologie née au XVIe siècle
et portée à travers les âges par les écoles jésuites et celles qui voulaient
leur ressembler : nos écoles élitistes !
En outre, ces écoles se sont structurées physiquement de manière à ne plus savoir faire autre chose que de pratiquer cette sélection. Elles sont devenues pyramidales.
Exemple d’école pyramidale (chiffres de 2012) : Dans cet exemple, s’il y a 6 classes au premier degré du secondaire, il n’y a plus que – 5 classes en 3e (-35 élèves) – 4 classes en 4e (- 6 élèves) – et 3 classes au troisième degré (- 42 élèves) soit une perte de 83 élèves entre 14 et 16 ans (- 53 % de ceux qui avaient commencé en 1ère)
Depuis des années, cette structuration les empêche physiquement de faire passer tou·te·s les élèves, crise sanitaire ou non, simplement parce qu’il n’y a plus de locaux de libres pour créer de nouvelles classes (les rares locaux qui auraient pu servir ont rapidement été affectés à d’autres usages, moins pédagogiques, afin de monopoliser tout l’espace). Autrement dit, elles sont « obligées » d’éliminer progressivement plus de la moitié de la population d’une tranche d’âge, car année après année, il y a de moins en moins de locaux pour les accueillir. Et cela, même si ce sont autant d’Einstein.
C’est profondément ancré dans
l’esprit de ces « bonnes » écoles : « On ne peut pas faire réussir tout le monde. C’est rendre service
aux élèves que de les orienter vers des métiers de la main ».
Dès lors, il s’agit de pratiquer progressivement la sélection en commençant par les classes sociales les plus fragiles. Car la sélection scolaire se fait prioritairement sur des bases sociales[5]. L’école primaire aura déjà tracé la route en mettant plus de 17% des élèves en retard[6], principalement issus de familles pauvres et qui se tourneront vers des écoles secondaires professionnalisantes. Dès lors, il ne leur restera plus qu’à remonter progressivement de décile social en décile social, en évitant de toucher aux enfants des familles les plus favorisées qui – et c’est la doxa qui le dit – « sont faits pour faire de hautes études ». Ces privilégiés (à leur corps défendant) auraient-ils reçu ce don par un coup de baguette magique dans leur berceau ?
Ce qui est plus certain, c’est
que ces élèves – celles et ceux qui réussiront – ressemblent étonnamment aux
enfants des professeur·e·s du secondaire général supérieur. Ils sont pour la
plupart enfants d’universitaires, comme le sont les mêmes professeur·e·s du
secondaire supérieur. Les loups ne se mangent pas entre eux. Et puis, « si tout le monde réussissait, qui viendrait
apporter mon courrier ou faire l’entretien de mon SUV très polluant ? »
La crise sanitaire va montrer
au grand jour que les redoublement et les orientations que pratiquent les
écoles depuis des décennies ne reposent pas sur des arguments pédagogiques mais
sont simplement idéologiques et structurels. Pour être une « bonne » école,
et être bien positionnée par rapport aux établissements alentour, il faut
sélectionner. Ces écoles n’enseignent pas, elles se positionnent sur le marché
scolaire en pratiquant la sélection ; en pratiquant simplement
l’injustice.
Il est temps que le politique se questionne sur sa responsabilité, lui qui n’a jamais cherché à faire appliquer le Décret Missions. Évidemment, cela arrange tout le monde : écoles et partis politiques. S’il n’y avait plus de sélection, que feraient les écoles techniques et professionnelles ? Faudrait-il mettre au chômage des milliers de professeur·e·s (qui bénéficient de la garantie d’emploi, donc d’un salaire que la FWB se doit de leur verser, avec ou sans élèves) ? Et puis revenons à la question posée par ces « bon·ne·s » professeur·e·s élitistes, mais aussi par des milliers de familles socialement favorisées : « Si tout le monde réussissait, qui viendrait apporter mon courrier ou faire l’entretien de mon SUV très polluant ? ».La crise sanitaire aurait été l’occasion de repenser l’école au profit des plus discriminés. Mais les établissements ne l’entendent pas de cette oreille. L’école n’est pas faite pour les élèves. Elle est faite par des adultes, pour leurs seuls intérêts, que ce soient celui des professeur·e·s (il est plus facile de sélectionner que d’enseigner), des directions d’écoles (un directeur de « bonne » école vaut plus dans leur esprit qu’un directeur d’école professionnelle, pourtant souvent plus efficace) ou des PO (notre établissement doit attirer les publics les plus favorisés, ce qui fera de nous la « meilleure » école, versus nous avons besoin d’élèves pour faire fonctionner nos écoles techniques et professionnelles).
Si la crise sanitaire n’aura
pas – ou très peu – fait changer les pratiques de ces « bonnes »
écoles, elle permet à tout le moins de mettre en lumière et de dénoncer – c’est
ce que nous faisons aujourd’hui – ces pratiques idéologiques archaïques,
injustes et indignes d’une société du XXIe siècle. Une école qui n’est pas un
lieu qui respecte le Droit n’est pas digne d’exister.
Nous en profitons pour rappeler que la FWB a signé et ratifié la Convention internationale des Droits de l’Enfant et donc que celle-ci s’impose aux écoles, et s’applique à tout·e enfant, quel·le qu’il-elle soit et quelle que soit son origine. Toute école a, dès lors l’obligation – et elle est subsidiée pour cela – de transmettre tous les savoirs à tou·te·s les élèves sans pratiquer la moindre sélection sur base sociale, physique, intellectuelle, de genre, de leur origine ou de leurs préférences sexuelles.
Il faut changer l’école et la crise sanitaire est une opportunité. Bien sûr, elle ne débouchera pas sur « LE » grand soir, mais elle a le mérite de montrer au grand jour les dysfonctionnements internes à ces écoles que sont le tri et la sélection sur base de la classe sociale.
Nous verrons si le Conseil de recours fera respecter l’esprit de la
circulaire ; que les parents soient (enfin) de vrais partenaires et que le
redoublement soit effectivement exceptionnel tout comme les attestations
d’orientations. Il est impossible d’évaluer la capacité ou non d’un·e élève à
passer dans la classe supérieure sur un peu plus d’une demi-année. En Droit, le
doute doit toujours bénéficier au/à la citoyen·ne, donc à l’élève ! Le
contraire ne serait qu’injustice.
C’est au pouvoir subsidiant à imposer les balises de la prochaine
reprise de l’école en septembre. Des écoles refusent d’appliquer le Droit et de
respecter ceux des élèves. Il est nécessaire qu’un Décret impose à ces écoles
les règles pédagogiques à respecter durant l’année 2020-2021, règles qui
baliseront également les années suivantes dans l’esprit du Pacte pour un
enseignement d’excellence. Ce Décret doit prévoir les moyens de vérifier que
ces règles seront respectées et les sanctions financières qui seront appliquées
aux PO qui ne les respectent pas. L’expérience du Décret Missions doit servir
de guide.
Les écoles ne sont pas au-dessus du Droit. Il serait temps que le Politique prenne les mesures qui s’imposent pour sanctionner ces prétendument « bonnes » écoles qui n’en ont que le nom mais qui, dans les faits, sont vraiment bien mauvaises.
[1] Les seules
évaluations légales sont les évaluations formatives (voir l’article 15 du Décret
Missions). Le examens sont de prétendues évaluations incapables de juger des
connaissances d’un·e élève. Tout au plus de sa capacité à les restituer à un
moment donné et dans des conditions défavorables (pression, stress, évaluations
construites pour pratiquer une sélection, …). Les examens et les révisions font
perdre du temps au profit des apprentissages.
[4] Le redoublement engendre, chez les élèves qui le subissent, ce que les psychologues appellent le sentiment d’incompétence acquis (Learned helplessness aussi appelée théorie de la résignation apprise – Seligman, Maier & Solomon 1969). L’élève se résigne à ne pas être compétent. Ses expériences ainsi que les messages envoyés par l’école lui ont démontré qu’il « ne savait pas », qu’il était incompétent et que rien ne pouvait modifier cet état. Le sentiment d’incompétence acquis est difficilement modifiable chez l’enfant qui le ressent. Il a le sentiment de ne pas avoir le contrôle des causes qui l’ont amené à cet échec et qu’elles ne pourront jamais changer. Il est persuadé d’être bête et incapable, une fois pour toute (lire le concept d’éducabilité, ci-dessus).
[5] Indicateurs de l’enseignement 2019 , pages 27 et 27 : « Il existe une disparité socioéconomique importante entre les formes de l’enseignement secondaire ordinaire. Elle commence dès l’entrée dans le secondaire avec un écart important (de 0,52) entre l’indice moyen du premier degré différencié et celui du premier degré commun. Cet écart s’accentue dans le deuxième degré où l’ISE des secteurs de résidences des élèves fréquentant la forme professionnelle est de -0,32 alors que dans la forme technique de l’enseignement de qualification, il est de -0,07. Dans ce degré, l’ISE moyen est de +0,19 pour la forme technique de transition et de +0,23 pour la forme générale. Des disparités similaires sont observables au 3e degré où l’ISE moyen s’élève respectivement à –0,18, +0,01, +0,27 et +0,32. Ces valeurs sont toutefois supérieures à celles observées dans la même forme au 2e degré, ce qui peut s’expliquer par une orientation vers les formes de l’enseignement secondaire les moins réputées ou vers l’enseignement en alternance et par les sorties prématurées qui touchent les élèves issus des secteurs les moins favorisés. Il existe également une disparité socioéconomique entre les formes de l’enseignement secondaire spécialisé. La forme 4, seule forme qui délivre des certificats et diplômes équivalant à ceux délivrés dans l’enseignement secondaire ordinaire, accueille un public dont l’indice est légèrement inférieur à la moyenne (–0,07). Les autres formes accueillent par contre un public moins favorisé, avec un ISE moyen qui s’élève respectivement à –0,21, –0,31, –0,38 dans les formes 1, 2 et 3. »
Le redoublement est du « prêt-à-porter » là où il
faudrait du « sur mesure »[1]. Le redoublement n’est jamais que le résultat de l’échec d’un système,
d’une école (et donc des humains qui y travaillent) qui, pour des raisons
diverses et variées n’a pas voulu ou pas su transmettre les savoirs qu’il a
mission de transmettre, à tous les élèves. On sait la doxa[2]
qui règne dans les salles de profs : « On
ne peut pas faire réussir tout le monde », « Si un élève est en
échec, c’est parce qu’il n’a pas étudié », « Un prof qui fait réussir
tout le monde est laxiste », « Si tu n’as pas ta courbe de Gauss,
c’est que tu es mauvais professeur », etc[3].
Mais passons sur le refus de certaines « bonnes » écoles de faire réussir[4]
tout le monde, et voyons pourquoi ces professeurs n’ont « p)as pu »
transmettre ces savoirs.
Elles sont aussi diverses que variées. Commençons par la « culture scolaire » et donc les exigences de l’école par rapport à son corps professoral (« notre école prépare ses élèves à l’université, donc ne veut pas faire réussir tout le monde » ; « on passe de 5 à 4 classes entre la S2 et la S3 (NDLR entre 13 et 14 ans), il faut donc mettre 15 élèves en échec », …). En fonction de sa place sur le quasi-marché scolaire, l’école a des attentes différentes de la part de ses professeurs ou enseignants. Celle-ci exigera un taux d’échec correspondant à la place qu’elle veut occuper ou conserver. Une école à pédagogie active incitera ses enseignants à faire acquérir les savoirs par tous leurs élèves, tandis qu’une école élitiste[5] attendra de ses professeurs qu’ils « saquent dans le tas », en privilégiant les élèves – évidemment – les plus fragiles, ceux qu’elle ne veut pas (« dys », porteurs de handicaps, élèves socialement défavorisés, étrangers, etc.).
Ensuite, la formation initiale des « enseignants » qui, selon les cursus, va de « moyennement formé » à « pas formé du tout ». En Belgique, l’institutrice ou l’instituteur reçoit une formation en 3 ans[6] qui correspond grosso-modo à une demi-formation. Idem pour le régent (qui enseigne en début de secondaire = le collège en France), mais pour qui la partie « disciplinaire » prend plus de place au détriment de la partie pédagogique. Enfin, le/la licencié·e (qui enseigne au lycée) qui sort de l’université ne reçoit qu’une vague approche de ce qu’est enseigner, via l’agrégation. Celle-ci ne forme pas des enseignants mais se contente de faire croire à des universitaires qu’avec leur bagage disciplinaire et les quelques heures de cours et de stage qu’ils ont fait, ils savent enfin tout sur le métier d’enseignant. En effet, ils savent comment mettre un élève en échec, cela l’université le leur a bien appris[7].
Enseigner, c’est un
art, l’art de savoir pratiquer une pédagogie active qui permettra à tou·te·s
d’acquérir tous les savoirs. Lorsqu’un élève éprouve des difficultés à
comprendre une matière, il ne sert à rien de l’évaluer et de passer à
l’apprentissage suivant. Le cours n’a pas été correctement donné (trop peu de
différenciations, d’explications, d’échanges entre pairs, …) ce qui rend la
matière trop complexe pour lui ou pour elle. Ce serait le mettre en échec. Il
est indispensable, alors, de mettre en place une remédiation efficace, voire de
pratiquer la différenciation. La réponse doit être IMMEDIATE (c’est-à-dire
pendant le cours et non après). Dans le cas contraire, cela reviendrait à
mettre intentionnellement en place toute les conditions nécessaires pour le conduire
à l’échec.
Les psychologues
connaissent bien les dégâts provoqués par le redoublement chez les jeunes qui
en sont victimes. Nous utilisons intentionnellement le terme de « victime » et
non pas celui de « responsable ». On vient de le voir, le redoublement ne sert
strictement à rien. Il s’agit d’une décision émanant de l’école, de
l’enseignant ou du conseil de classe et donc d’un choix politique, stratégique
ou philosophique qui concerne le jeune et sur laquelle il n’a aucune emprise.
Cette décision profondément injuste – on vient de le voir – est prise la
plupart du temps sans débat contradictoire. Le jeune n’a pas le droit de
s’exprimer (encore l’aurait-il qu’il faudrait qu’il ait accès à des arguments
qui ne sont pas de son niveau) et – pire –
d’être défendu. Les personnes qui la prennent sont celles qui, le plus
souvent, sont responsables de cet échec (on a vu que la plupart du temps, les
professeurs évaluent dans le seul but d’hiérarchiser leur groupe classe et non
pour mesurer les acquis) avec pour seule rambarde un droit d’appel de trois
jours, pas toujours respecté, pour des familles qui la plupart du temps ne
possèdent pas les codes de l’école et ne reçoivent pas toujours l’explication
des raisons réelles de l’échec.
On l’a vu, faire
recommencer une année scolaire à un élève est inefficace. Au mieux, l’effet est
limité et à court terme. Cette pratique est, en outre, contre-productive. Les
conséquences du redoublement sont connues depuis des décennies. Plus l’élève
est jeune, plus le redoublement va le marquer psychiquement. Les effets sont
DEVASTATEURS : le redoublement opère un marquage social des élèves qui le
subissent : les mauvais élèves ! A partir de celui-ci se développe un processus
de stigmatisation. Ces élèves vont être affublés d’une série de stéréotypes
négatifs : bête, idiot, têtu, lent, mauvais, médiocre, faible, nul, paresseux,
fait le pitre, indiscipliné, lent d’esprit, travaille mal, méchant, pas
développé, étranger, …
Ils vivent dans la
peur des sarcasmes des camarades, voire des enseignants. La perte des tissus
sociaux établis n’est pas la moindre des souffrances. Se retrouver dans une
classe avec de plus jeunes élèves fait perdre le lien qui existait avec les
copains d’avant. Il faut tout recommencer avec, en plus, une étiquette très
lourde à porter.
Les élèves qui ont
vécu un redoublement ressentent divers sentiments : de honte, de tristesse, de
gêne. Ils vivent un véritable malaise intérieur, ont des sentiments
d’incapacité et d’infériorité. Le doute s’installe, la confiance s’étiole,
l’auto-dévalorisation se développe[8].
La loi du silence est générale. Ces élèves taisent leur souffrance, leur honte
vis-à-vis de leurs condisciples. La plupart ne savent même pas pourquoi ils
redoublent. A l’école, tout est fait pour faire taire les redoublants. Rien
n’est mis en place pour rencontrer leurs difficultés propres.
Il semble que ce
n’est qu’à la maison que l’on parle du redoublement. Le plus souvent c’est
l’engueulade, alors que l’élève n’y est pour rien. Mais la pression de l’école
et le discours culpabilisant des enseignants et des directions font retomber,
aux yeux des parents, la faute de l’échec sur le dos de l’élève. Il ne faut pas
oublier la souffrance et la honte des familles qui sont importantes. Non
contente de maltraiter l’élève, l’Ecole met des dizaines de milliers de
familles en souffrance et les culpabilise de ses propres manquements.
Le redoublement
engendre, chez les élèves qui le subissent, ce que les psychologues appellent
le sentiment d’incompétence acquis[9].
L’élève se résigne à ne pas être compétent. Ses expériences ainsi que les
messages envoyés par l’école lui ont démontré qu’il « ne savait pas », qu’il
était incompétent et que rien ne pouvait modifier cet état. Le sentiment
d’incompétence acquis est difficilement modifiable chez l’enfant qui le
ressent. Il a le sentiment de ne pas avoir le contrôle des causes qui l’ont
amené à cet échec et qu’elles ne pourront jamais changer. Il est persuadé
d’être bête et incapable, une fois pour toute[10].
En outre, les
recherches ont démontré qu’un élève qui redouble son école maternelle ou en
début d’école primaire a toutes les chances de redoubler une seconde, voire une
troisième fois dans la suite de leur scolarité. Les élèves qui ont redoublé
durant leurs primaires ou au début de l’école secondaire abandonnent plus
souvent l’école que leurs condisciples confrontés aux mêmes difficultés
scolaires mais qui n’ont jamais redoublé. Bref, le redoublement appelle
d’autres redoublements et augmente le risque de décrochage scolaire.
L’origine sociale
des familles influe sur le risque de redoublement. Au plus la famille d’un
élève est défavorisée, au plus le risque d’échec scolaire augmente. A titre
d’exemple, on redouble plus à Charleroi qu’ailleurs. Les derniers chiffres
disponibles, pour l’année 2017-2018 le montrent clairement. Le taux d’échec, y
est le plus élevé, avec 14,5% d’échecs. Alors que le Luxembourg a le plus bas
taux de redoublement avec moins de 10%, et que la moyenne de la Région
Wallonie-Bruxelles est à 12,5%. Charleroi est deux points au-dessus, comme
Bruxelles et Mons[11].
On observe le même
effet à l’échelle d’une implantation ou d’un établissement, un élève défavorisé
voit sa probabilité de redoubler augmenter si l’implantation qu’il fréquente
est fréquentée par un public plus défavorisé[12].
Enfin, les
orientations consécutives à un échec scolaire augmentent les discriminations
sociales. Ce sont essentiellement les enfants issus de milieux les moins
favorisés qui sont orientés vers les enseignements qualifiant et professionnalisant.
Certaines filières regroupent davantage d’élèves en retard que d’autres, comme
l’indique la figure ci-dessous. Notez qu’en général, les filles sont moins en
retard que les garçons. En 2011-2012, dans le primaire, 19 % des garçons et 16
% des filles étaient en retard scolaire d’au moins un an ; dans le secondaire,
c’étaient 53 % des garçons et 49 % des filles qui étaient en retard scolaire
d’au moins un an[13] ».
[1] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique,
Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014
[2] La doxa est l’ensemble des opinions reçues sans discussion, comme
évidentes. La salle des profs est un lieu où règnent des idées reçues et où
leur remise en cause est taboue. Les remettre en cause serait se remettre en
cause, remettre en cause ses pratiques et faire le constat de son incompétence
éventuelle, une impossibilité pour la plupart des professeurs.
[4] Sur le terme « réussir », il s’agit, bien entendu, non pas de « donner les points » comme pourraient le penser certain·e·s qui ne connaissent rien à l’enseignement, mais de « faire acquérir tous les savoirs ».
[5] Pour la liste des écoles élitistes, se référer à celles qui ont eu des files lors de la première année de la mise en place du Décret Inscription/mixité. Mais nous vous la déconseillons, ces écoles étant tout, sauf des écoles.
[6] Il est prévu que cette formation passe en 4 ans, ce qui sera mieux mais restera incomplète.
[7] L’échec et l’abandon des étudiants qui entament des études supérieures en première année est en moyenne de 60%! Autrement dit, le taux de réussite moyen est de 40%. C’est ce merveilleux exemple que les licencié·e·s qui arrivent dans l’enseignement vont tenter de reproduire dans leurs classes. « On a toujours fait comme cela, mon bon monsieur… ».
[8] Crahay 2003 : Peut-on lutter contre l’échec scolaire p 228 et suivantes.
[9] Learned helplessness aussi appelée théorie de la résignation apprise (Seligman, Maier & Solomon 1969).
[10] Tous les élèves sont capables – Lire notre dossier sur le Postulat d’éducabilité. Un élève ne devrait donc jamais être persuadé qu’il est incompétent puisque, précisément, il est parfaitement doué pour l’étude. C’est l’Ecole en CF qui n’est pas capable.
[11] TéléSambre, 7 juin 2019 – A Charleroi, on redouble plus qu’ailleurs, mais on travaille contre l’échec scolaire
[12] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014
Le redoublement est, avec les orientations précoces, le signe le plus visible de l’échec scolaire. La Belgique, et plus spécifiquement la Fédération Wallonie-Bruxelles, est constamment sur le podium des pays de l’OCDE qui font redoubler massivement et cassent[1] le plus d’élèves. Chaque année un peu moins de 60 000 élèves sont contraints de perdre une année de leur vie à recommencer une classe, 17 000 sont orientés précocement vers des filières de relégation dont ils ne veulent pas (spécialisé, technique ou professionnel) et un peu moins de 20 000 étudiants abandonnent sans diplôme du secondaire supérieur, complètement cassés par des échecs successifs générés par un enseignement trop souvent inefficace. Ils sont 14,8% en Région de Bruxelles-Capitale et 10,3% en Région wallonne ( contre 6,8% en Région flamande, soit 8,8% au niveau belge) [2] .
Même si la communauté scientifique débat sur la pertinence de leurs conclusions, les recherches sur les effets du redoublement montrent qu’au mieux, celui-ci est inefficace, au pire, c’est de la maltraitance[3]. Non seulement, il ne permet pas à un élève de « repartir du bon pied », mais il a l’effet inverse : un redoublement décourage, démotive et induit le « sentiment d’incompétence acquis » qui va bloquer le jeune, non seulement tout au long de ses études, l’empêchant d’apprendre, mais sans doute aussi le bloquer psychologiquement tout au long de sa vie professionnelle.
Comment se fait-il
qu’au XXIe siècle (bien entamé) des professeurs considèrent encore que le
redoublement soit efficace pour remettre l’élève à « niveau » ? Les
résultats des pays en tête des enquêtes PISA ont largement démontré depuis des
décennies que c’est le non-redoublement et son remplacement par des pratiques
pédagogiques validées qui leur permettent d’afficher de tels taux de réussite.
Pour les enseignants de ces pays, le redoublement est comparé aux supplices
médiévaux et ils n’imaginent pas que des systèmes scolaires qui se disent
développés utilisent encore de telles pratiques barbares.
Mais comme ces valeureux gaulois, nous résistons encore et toujours aux pratiques pédagogiques efficaces. C’est moins fatigant ; il ne faut pas enseigner, il suffit de casser de l’élève…
Quelle est l’importance du redoublement en Fédération
Wallonie-Bruxelles ?
Comme le rappellent les indicateurs de l’enseignement, en Fédération Wallonie-Bruxelles, un enfant entre en première année primaire l’année civile durant laquelle il atteint 6 ans. Après un parcours de 12 ans, il devrait, en théorie, sortir de l’enseignement secondaire l’année de ses 18 ans. C’est loin d’être le cas le plus fréquent. Le pourcentage d’élèves à l’heure diminue de manière quasi linéaire dès la troisième maternelle[5] (M3). En cinquième et sixième années primaire (P5 et P6), près de 20 % des élèves sont en retard scolaire. En première secondaire (S1), le taux de retard s’élève à 29 %. Il est encore plus important en deuxième (36 %). En cinquième année, ce sont plus de 61 % des élèves qui ont dépassé l’âge légal de scolarisation.
L’abandon scolaire est un des effets du l’échec scolaire et par corrélation, du redoublement. En Fédération Wallonie-Bruxelles, parmi les élèves âgés de 15 à 22 ans en 2016‑2017 et qui fréquentaient une troisième, quatrième ou cinquième année de l’enseignement secondaire ordinaire de plein exercice en 2015‑2016, 5,1 % ne sont plus inscrits ni dans l’enseignement ordinaire de plein exercice ou en alternance (CÉFA), ni dans l’enseignement spécialisé en 2016‑2017[6].
Taux de redoublement, année après année, dans l’enseignement fondamental et dans l’enseignement secondaire, en 2016-2017[7]
[1] Même s’ils déplaisent – et tant mieux s’ils choquent – nous utilisons intentionnellement des mots forts car ce sont les seuls à exprimer combien le redoublement est une véritable maltraitance et a des effets dramatiques sur l’avenir de nombreux élèves. Pour rappel, nous défendons les droits humains et ne sommes donc pas dans le consensus, mais dans un combat contre l’obscurantisme A-pédagogique (notez l’ἄλφα privatif) qui règne dans de nombreuses écoles et chez de nombreux professionnels.
[3] « Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées. » Le Tartuffe, III, 2 (v. 860-862)
[4] Source : Indicateurs de l’enseignement 2018 – En troisième maternelle, le taux de retard est le rapport (%) entre le nombre d’élèves de 6 ans et plus inscrits en maternel et le nombre d’élèves âgés de 5 ans et plus inscrits en maternel.
[7] La sixième primaire présente le taux de redoublants le plus bas. Cela peut s’expliquer par le fait que, sauf dérogation, les élèves de 13 ans ou ayant déjà redoublé en primaire passent directement en secondaire. Aussi, le taux d’obtention du CEB et l’entrée dans le premier degré différencié peuvent également expliquer les fluctuations du taux de redoublants observées en sixième primaire.
[8] Le faible taux de redoublants s’explique par la récente suppression de la première année complémentaire (1S). Parallèlement, le taux de redoublants est en nette augmentation pour les élèves qui fréquentent une deuxième.
« L’école actuelle veut toujours hiérarchiser; ce
qui importe avant tout, c’est de différencier. Cette idée fixe de hiérarchie
provient de l’emploi des divers systèmes usités pour aiguillonner les écoliers:
bonnes ou mauvaises notes, rangs, punitions, concours, prix… Mais il est
entendu que, dans l’école de demain, tous ces expédients seront mis au rancart,
ou n’auront en tout cas plus l’importance d’antan. L’intérêt, tel sera le grand
levier qui dispensera des autres. »
Avec l’évolution
des droits fondamentaux, l’école a été obligée de s’affranchir des châtiments
corporels ou humiliants. Terminés, les coups de règles sur les doigts, les
« mises au piquet » ou « le nez dans le coin », le bonnet
d’âne et le banc d’infamie.
On pourrait
donc croire que les droits de l’enfant[1] sont
maintenant pleinement respectés par l’Ecole. Ce ne serait qu’une illusion, un
rêve éveillé, une utopie. Mieux, une naïveté coupable ! Les châtiments
corporels ont été remplacés par une violence plus insidieuse, plus dévastatrice
et productrice de plus d’inégalités encore : la cotation des élèves.
Bien sûr, la
cotation ne date pas d’hier et elle a côtoyé les violences physiques qui,
elles, sont antérieures à l’Ecole. Mais, si ces dernières ont disparu, leur
violence s’est déplacée sur ce qui restait de « pouvoir » aux
professeurs : les notes ! Ne pouvant plus frapper les élèves qui
chahutaient ou qui ne comprenaient pas une matière, les professeurs se sont
rabattus sur la dernière maîtrise qu’il leur restait : la sanction par les
notes !
Cela va donc
leur permettre de sanctionner non seulement la manière dont un apprentissage a
été réceptionné, mais aussi l’attitude et le comportement de chaque élève
durant le cours.
Autrement dit, la note a deux usages. Le premier est de » régler ses comptes » avec les élèves qui n’ont pas accroché au cours, qui l’ont perturbé ou été inattentifs, sans avoir à analyser les raisons de ce désintérêt (manque de « sens » de l’apprentissage, cours incompréhensible, mal expliqué, bruits, raisons extrascolaires, …), d’autant plus que cela replacerait le professeur face à ses compétences.
Le second usage de la note est de « sanctionner » et donc de punir les élèves qui n’ont pas compris l’apprentissage, toujours sans devoir analyser les causes qui renverrait encore une fois le professeur face à ses compétences (manque de différenciations pédagogiques, de remédiation, de tutorat, …). Or, un apprentissage ne peut pas être compris par 25 élèves grâce à une seule et même manière de l’enseigner. Si l’on veut que tous les élèves comprennent, il faut mettre en œuvre plusieurs stratégies. Pour 25 élèves, cela signifie mettre en place entre 2 et… 25 méthodes différentes ! Si on ne prend pas la peine de mettre ces approches en place, on abandonne les élèves qui ont le plus besoin d’être aidés. Il est, dès lors, facile de pratiquer la sélection. C’est donc bien un choix personnel de chaque professeur.
Edouard Claparède[2],
cité au début, pensait que les droits de l’Enfant auraient cours au XXIe siècle.
Or, s’il y a bien un lieu qui est exempt de droits, c’est l’école.
Les notes dans
le quotidien de l’école sont une source importante de tensions. Nombreux sont
les étudiants qui ne comprennent pas leurs notes et la conteste. Même les
parents s’interrogent sur son adéquation en fonction du travail de l’élève.
Sur la manière dont ils la fabrique. Il ne faut éviter les débats en interne et taire le secret de polichinelle qu’il y a des professeurs plus « sévères » que d’autres, ce qui engendre des inégalités d’évaluations. L’Ecole est une machine à sélectionner et à amplifier les inégalités. Cette sélection se fait principalement par la note et par la complicité de professeurs qui ne se posent pas la moindre question sur leurs pratiques, et encore moins sur leur propre compétence et leur responsabilité personnelle dans la fabrication de ces inégalités.
Deux tropismes[4]
éclairent notre système scolaire au sujet des notations. Le premier se dit à la
salle des « profs[5] » :
« Ma classe est composée de quelques élèves
“faibles”, d’un gros ventre mou d’élèves “moyens” et de quelques élèves
“forts”. Cette distribution, je dois retrouver dans mes résultats ! ».
Le second tropisme s’adresse aux élèves : « Avec les fautes que tu as faites, je n’ai pas d’autre solution que de
te donner une moyenne qui te fera redoubler ton année ! » Ce sont deux
« actes réflexes » (donc non remis en cause et encore moins analysés),
qui vont décider de l’avenir d’un être humain. Et cet avenir va durer 70 ans. Autant d’années à souffrir de la décision
inhumaine d’un être qui se prétend humain, et qu’un enfant a croisé par le plus
grand des hasards dans une école pendant une petite année. Un être qui ne
s’interroge pas sur sa propre humanité, qui n’aura plus jamais aucun lien avec
cet élève dont il sacrifie l’avenir, et sur qui cette décision de sélection
n’aura pas le moindre impact, au contraire de l’enfant qui devra porter cette
marque d’infamie tout au long de son existence.
Evaluer, c’est
« porter un jugement sur la valeur de…[6] ».
Quand on évalue, il s’agit bien de porter un jugement. Il y a donc à chaque
fois subjectivité (jugement de « valeur ») et imprécision
(approximation). Ce sont les deux caractéristiques des notes.
Ces jugements
de valeur sont souvent basés sur une conception naturaliste de l’intelligence.
Des enfants seraient doués pour les études et d’autres, au contraire, seraient doués
pour les travaux manuels. Cette conception est régulièrement portée par les
partis politiques néolibéraux qui ont une caractéristique commune, c’est qu’ils
n’ont aucune personne compétente en matière d’enseignement dans leurs partis. A
tout le moins en France et en Belgique. D’ailleurs, cette « vérité »
néolibérale est tellement dépassée qu’aucun chercheur en psychologie ou en
sociologie ne se lèvera pour la défendre.
Hors les
écoles à pédagogie active qui, elle, ont décidé de respecter leurs élèves, La
plupart des institutions scolaires persistent à vouloir attribuer une note à
toute production. Pourtant, et cela a été démontré depuis plus d’un siècle, le
système d’évaluation par notation est tellement subjectif qu’il ne reflète
jamais le niveau réel de l’élève en matière d’acquisition des apprentissages. Jean-Jacques Bonniol[7],
professeur des universités en sciences de l’éducation, a par exemple calculé
qu’il faudrait 78 correcteurs en mathématique et 762 en philosophie pour
neutraliser les erreurs de calcul et améliorer l’objectivité de la notation.
La cotation est commode et ne nécessite aucune compétence pédagogique.
Il ne faut pas trop réfléchir, elle est vite donnée et le nombre d’échecs
déterminera la « qualité » du professeur. Elle permet de mettre les
élèves en compétition et de sélectionner ceux qui ont le plus de
« facilités scolaires », ceux qui proviennent des milieux les plus
favorisés, tout en « criminalisant » les autres et en se débarrassant
de ceux qui nécessiteraient plus d’investissement pédagogique. C’est donc de leur faute et de celle de
leurs familles qu’ils sont en échec.
La cotation est le signe extérieur de la compétence d’un établissement
scolaire. Elle est pratique : le professeur et l’école peuvent ainsi se dédouaner
de leurs incompétences ou de leur idéologie de sélection sociale et, par
là-même, de leurs décisions touchant à l’avenir des élèves.
Pour la plupart des parents élitistes, la « bonne » école est celle qui pratique l’échec scolaire. Pour
eux, les écoles qui font « réussir » seraient « laxistes ». Ceci explique la
dévotion qu’ont ces écoles et les professeurs qui y exercent par rapport à la
notation.
Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les
actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000
notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et
sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.
Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000 notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.
[1] Voir la CIDE (Convention Internationale des Droits de l’Enfant » –
ONU 1989.
[2] Edouard Claparède était est un médecin neurologue et psychologue suisse
(1873-1940). Ses principaux centres d’intérêt furent la psychologie de
l’enfant, l’enseignement et l’étude de la mémoire. Claparède est l’un des deux
ou trois psychologues qui ont profondément nourri la psychologie de Piaget,
notamment par sa psychologie de l’enfant et par sa psychologie de
l’intelligence.
[3] Pierre Merle. Les notes. Secrets de fabrication. PUF 2007
[4] Tropisme : réaction élémentaire ; acte réflexe très simple.
[5] Si, pour nous, l’école de la cotation est un lieu où il ne devrait pas
être mis d’enfants, la salle des « profs » est un lieu où il ne faut
surtout pas mettre d’enseignants. On y entre avec une idéologie de réussite
pour tous et les doxas qui y sont véhiculées par des professeurs
d’arrière-garde, vous rendent pareils à eux, discriminants, incompétents et
injustes.
[7] Ancien professeur des universités,
Jean-Jacques Bonniol est le fondateur et ancien directeur du département des
sciences de l’éducation à l’Université de Provence, Aix-Marseille (France).
La première mission des enseignants est de former des
élèves et non d’évaluer, il faut le rappeler car souvent cette priorité est
oubliée. Cependant, l’évaluation est nécessaire car on ne peut enseigner sans
savoir si on l’a fait correctement. Nous devons savoir si chaque élève a compris,
mais aussi comprendre pourquoi certains n’ont pas acquis le savoir transmis.
Cela nous permettra de voir la manière dont on peut les aider ainsi que la
manière et les types de remédiations immédiates[1]
que l’on peut mettre en place.
On distingue généralement trois types d’évaluations
des élèves :
L’évaluation formative, dans laquelle la note n’a pas de place, n’est donc généralement pas cotée. Les notes sont inutiles pour trouver ce qui fait obstacle à une démarche visée. L’évaluation formative est destinée à chacune des deux parties. D’abord à l’enseignant pour lui permettre de savoir s’il a fait correctement son travail et de mettre en place les remédiations, mais aussi à un élève d’apprécier l’évolution d’un apprentissage et, le cas échéant, de recevoir une remédiation ou de l’aide par tutorat. L’évaluation formative comprend aussi l’autoévaluation, par l’élève, de ses apprentissages et la capacité de détecter et de nommer ses difficultés. L’évaluation formative continuée devient finalement sommative, une fois que tous les élèves ont acquis l’apprentissage. Cela permet gain de temps précieux et évite les évaluations-sanctions-sélection.
L’évaluation sommative dresse un bilan. Elle fait la « somme » des savoirs appris par un élève. Ces évaluations sont souvent cotées et participent alors à la mise en compétition des élèves et à la sélection des plus « faibles ». La note est établie en fonction d’une norme, celle du professeur, de l’établissement, ou du système éducatif. Il s’agit d’une évaluation-sanction-sélection. Cependant, l’évaluation sommative peut être le résultat d’une suite d’évaluations formatives non chiffrées.
Enfin, l’évaluation certificative, comme le dit son nom, a pour seul objectif de délivrer un « certificat » (diplôme, titre, …). En primaire, il s’agit du CEB, en secondaire des CE1D, ou CESS. L’évaluation certificative est un outil de sélection. On ne donne un « certificat » qu’à ceux qui maîtrisent les savoirs et compétences nécessaires.
L’évaluation
par la note n’est en rien une obligation. Au contraire, de nombreuses pratiques
issues le plus souvent de mouvements de pédagogies actives, modifient
l’évaluation cotée pour aller vers une évaluation bienveillante et empathique,
permettant à chaque élève de développer une meilleure estime d’eux-mêmes et
ainsi d’être encouragés et poussés vers la réussite[2].
Mais
l’évaluation est pervertie…
Loin de
l’utiliser comme outil d’aide à la formation des élèves, de trop nombreuses
écoles et de trop nombreux professeurs considèrent l’évaluation comme un outil
de sélection dans une société où la compétitivité serait une exigence sociale
majeure. Dans ce contexte dévoyé, « l’évaluation
peut contribuer à la réussite ou à l’échec des élèves ». Selon Charles Hadji,
l’évaluation prend une double forme, soit positive à travers une valorisation
de l’élève en réussite scolaire, soit négative à travers la stigmatisation de
l’élève en échec. Dès lors « l’évaluation
peut être la meilleure ou la pire des choses. Elle peut être un facteur
aggravant pour l’échec, et un facteur encourageant pour la réussite.[3]
»
Les notes sont des outils qui perpétuent les divisions entre les élèves,
au lieu d’aider à les réduire. Le système d’évaluation ne fait pas son travail
qui doit être d’offrir une visibilité sur les acquis réels des élèves. En
France, les inspecteurs dénonçaient cette « tyrannie de la note » en 2005[4] : « les
évaluations menées souffrent d’un même défaut : un souci presque religieux de
prendre pour référence la moyenne et d’aboutir à un classement, c’est-à-dire à
la définition d’une situation relative et non d’une situation absolue. »
Le trait principal du système de notation est qu’il ressemble à une distribution de type gaussien[5], en forme de cloche, avec un petit groupe d’élèves « forts », un gros ventre mou d’élèves « moyens » et un petit groupe d’élèves « faibles ». La seule question que doit se poser le professeur est de définir le point limite. Une fois fixée, les élèves sont classés en fonction des trois critères repris ci-avant. Tout ce qui compte, c’est la « moyenne », le système ne pouvant fonctionner que s’il y a une part suffisante de notes faibles.
[1] La remédiation n’a de sens que si elle est immédiate, donc placée au
cœur de l’apprentissage, pendant le cours et surtout avant tout nouvel
apprentissage. La postposer serait ajouter des difficultés car ce nouvel
apprentissage est souvent la suite du précédent et ne ferait qu’accumuler
difficultés sur difficultés.
[2] Quand nous parlons de « réussite », nous ne parlons évidemment
pas « d’avoir les points », mais d’avoir acquis des savoirs.
[3] Charles Hadji, L’évaluation à l’école, Nathan
2015
[4] Les acquis des élèves, pierre de touche de la
valeur de l’école ? évaluation du système éducatif – Rapport IGEN – rapport conjoint
IGEN-I.G.A.E.N.R. – juillet 2005
[5] Une fonction gaussienne est une fonction en
exponentielle de l’opposé du carré de l’abscisse (une fonction en exp ( −
x 2 ). Elle a une forme caractéristique de courbe en
cloche. On parle aussi de « courbe de Gauss ».
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