Les études le démontrent, le niveau de diplôme
de la mère est un des meilleurs prédicteurs de la réussite des enfants[1].
En effet, ce sont essentiellement les mamans[2]
qui investissent le plus dans l’accompagnement du travail scolaire à la maison
et ce, quel que soit le milieu social. Au passage, cela déconstruit la doxa des
parents démissionnaires, chère à de nombreux professionnels peu avertis et qui
se dédouanent de leurs responsabilités en invoquant cet argument erroné.
Nombreuses sont les familles qui s’impliquent fortement dans les devoirs de leurs enfants. Même dans les milieux populaires. Comme les autres familles, celles-ci souhaitent avoir le contrôle sur le parcours scolaire de leur enfant. La réussite scolaire est devenue importante pour s’insérer socialement et professionnellement[3]. Cependant, au vu de la diversité des familles, la mobilisation peut être très inégale, selon le milieu social : plus de 90 % des parents bacheliers aident leurs enfants, tandis qu’ils ne sont que 65 % chez les non bacheliers[4]. Dans les familles aisées, une partie de la vie familiale est tournée vers la scolarité et s’organise par rapport à elle, même en surinvestissant parfois l’enfant avec des activités périphériques à l’école. Cela ne veut pas dire que les familles d’autres milieux démissionnent puisque, quel que soit le milieu social, le suivi scolaire est fort.
La sous-traitance du travail scolaire a des
limites. Les élèves qui fréquentent les mêmes écoles n’ont pas tous les mêmes
accès et les mêmes opportunités[5].
Toutes les familles n’ont pas les outils pour aider leur enfant. Soit à cause
de leur faible niveau scolaire qui les empêche de comprendre les tâches
demandées, soit parce que les savoirs et compétences enseignés à l’école ont
fortement évolué depuis leur propre scolarité.
Les parents ayant fait peu d’études sont de plus en plus rapidement confrontés
à l’impuissance. Ils ne comprennent plus ce qu’attend le professeur. Ils se
contentent donc faire le travail au mieux, selon leurs valeurs : un
travail propre et une leçon apprise par cœur, sans que celle-ci ne soit
nécessairement comprise. Parfois même, le devoir est détourné au profit de
nouveaux objectifs qui semblent plus importants à leurs yeux, comme savoir lire
un texte avec expression, alors que celui-ci devrait être compris, ou encore inculquer
une autre méthode de résolution d’exercices, telle celle qu’ils ont apprise
durant leur scolarité.
De nombreux parents disent ne pas comprendre les devoirs de leur enfant, même s’ils passent malgré tout plus de deux heures par semaine à tenter de les aider. 54% des parents interrogés sont en difficulté. Les sujets des devoirs ne leur sont pas familiers, devenant source d’embarras, de frustration et d’une fort sentiment d’incompétence[6].
[4] Géry C., 2004, Les représentations des
enseignants de l’élémentaire par rapport au travail scolaire à la maison,
Mémoire de Maîtrise, Sc. de l’éducation, dir. M.
Derycke, Univ. Jean Monnet, St-Etienne
[5] Hancock J., avril 2001, “Homework : a literature review”, Center
for Research and Evaluation
[6] Etude de la BBC (publiée en mai 2000 dans
Independant)
Les devoirs relèvent du « paradoxe de la clôture
scolaire[1] ».
Alors que l’école a pour mission de décharger les familles de la tâche
d’instruction, elle la leur renvoie à travers les devoirs à la maison. De ce
fait, l’école brouille la distinction entre « chargés d’instruction »
(les professionnels de l’enseignement) et « chargés d’éducation[2] »
(les familles).
La majorité des parents se transforment ainsi en professeur d’école pendant les devoirs. 95 % des familles disent consacrer du temps au devoirs de leurs enfants[3], notamment par le guidage scolaire et les activités parascolaires. Ils disent consacrer entre 1 à 3 heures par semaine à aider d’une façon ou d’une autre leurs enfants à faire leur travail à la maison[4]. Les enjeux qui tournent autour de la réussite des enfants créent, chez les parents, de l’anxiété pour leur avenir. Pour tenter de sauver leur épingle du jeu, les familles adaptent leur environnement afin qu’il devienne un lieu de scolarisation « secondaire ». Le temps et l’espace sont adaptés aux devoirs, voire aux apprentissages complémentaires. Les leçons, les devoirs, les stages « pédagogiques » rythment la vie familiale. Les chambres, si elles le permettent, accueillent des bureaux, sinon c’est la cuisine ou la salle à manger qui sont transformées en salles d’études. Quand c’est possible !
On y instaure des rituels (goûter – devoirs – télé) et des procédures de contrôle, sans oublier les punitions (ou les récompenses : télé, console, ordinateur, jouer avec des amis, les inviter pour su anniversaire, …).
Loin d’un monde idéal, ces aménagements perturbent la vie familiale plus souvent qu’il ne faut. On est loin des apprentissages sereins, les parents se contentant de poser le cadre dans lesquels leurs enfants pourraient travailler. Énervements des enfants et des parents, stratégies d’évitement pour ne pas faire les devoirs, pertes de temps à tenter de réexpliquer des notions non comprises, malentendus sur ce qu’attend le professeur qui n’a pas été clair dans ses attentes, etc.
[1] Maulini O., 2000, « Entre l’école et la maison,
un seul devoir : la circulation des savoirs », Bulletin du Groupement Cantonal
genevois des Parents d’élèves des écoles Primaires et enfantines (GAPP), n°80 –
2000, p 24 – 26
[2] Art 18 de la CIDE : « La responsabilité d’élever l’enfant et
d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas
échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par
l’intérêt supérieur de l’enfant. » Cela implique évidemment que les
parents instruisent aussi leur enfant mais dans d’autres domaines que le fait
l’école et que, d’autre part, les enseignants s’ils instruisent sont aussi des
éducateurs sur la base de l’article 28 de la CIDE « Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et
en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur
la base de l’égalité des chances : Ils rendent l’enseignement primaire
obligatoire et gratuit pour tous; Ils encouragent l’organisation de différentes
formes d’enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent
ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées, telles
que l’instauration de la gratuité de l’enseignement et l’offre d’une
aide financière en cas
de besoin; (…) »
[3] Goupil, Comeau, Dore, 1997, « Les devoirs et
leçons : perceptions d’élèves recevant les services orthopédagogiques »,
Education et Francophonie, revue scientifique virtuelle, n°25 (2) – 1997
[4] Scott Jones (1995), (rapporté par Van Hooris, 2003)
Toutes les études concordent. De manière
générale, les familles ne remettent pas en cause devoirs et leçons à faire à la
maison. Elles estiment que cela participe à la réussite de leurs enfants. La
plupart des parents apprécient les devoirs[1],
mais c’est sans compter sur l’avis de leurs enfants qui affirment ne faire
leurs devoirs que pour faire plaisir aux adultes (parents ou professeurs), ou
encore pour leur prouver qu’ils ont bien écouté en classe. Les élèves ne
comprennent pas l’utilité des devoirs dans leurs apprentissages ou pour
l’acquisition d’une autonomie. Pour eux, les devoirs ne sont pas utiles pour
développer leur autonomie ou de « bonnes »
habitudes de « travail »[2].
La conséquence en est que de nombreux
parents demandent encore plus de travail à la maison aux professeurs. Pour eux,
le maître est bon s’il donne des devoirs régulièrement, voire en quantité.
Quant aux autres, ils seraient, dès lors, au mieux inefficaces, au pire
incompétents. Le problème est que les parents n’ont pas connaissance de ce qui
a été donné en classe, et ce n’est pas une masse de leçons et de devoirs qui
les en informera. Les études le prouvent, les devoirs ne montrent jamais la
réalité de la classe qui a bien évolué depuis qu’ils ont quitté les bancs de
l’école. Comment peuvent-ils dès lors imaginer que les travaux à domicile sont
le reflet de ce qu’a appris leur enfant en classe[3]
? S’ils pouvaient regarder mieux, ils sauraient que les apprentissages ont bien
été donnés aux élèves en classe, durant les cours ! Pourtant, 66% des personnes
interrogées estiment encore et toujours qu’il faut pouvoir donner des devoirs
aux élèves de 1ère et 2ème primaire (alors que c’est interdit)[4].
Finalement, peu leur importe et il faut
les entendre. L’école est avant tout un lieu de compétition où les parents
sont, soit découragés par les échecs successifs, soit encouragés par la
réussite de leurs enfants sur les autres élèves. Il ne leur reste pas d’autres
prises pour espérer les sauver ou creuser plus encore l’écart, que ces satanés devoirs.
La question est de savoir si une augmentation de la pression permettra de
résoudre les problèmes ou de booster leur enfant. Cela ne risque-t-il pas, au
contraire, de le décourager plus encore, et de le démobiliser ?
Pour répondre à cette question, l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse a consulté les règlements d’études, projets d’établissement et règlements d’ordre intérieur d’une vingtaine d’écoles primaires[1]. Ils ont agi par coup de sonde. L’échantillonnage n’est donc pas représentatif de toutes les écoles mais donne une idée de la manière dont les écoles considèrent les devoirs en Fédération Wallonie-Bruxelles (et sans aucun doute ailleurs aussi). Les écoles sont référencées en fonction de leur indice socioéconomique[2].
1
6
12
13
16
18
19
20
Référence explicite au décret dans le projet d’établissement + quelques suggestions de devoirs à proposer aux élèves : exercices de mémorisation, finir un travail commencé en classe pour acquérir un rythme de travail, une autonomie, travaux personnels d’intégration et de créativité pour renforcer l’esprit d’analyse et de synthèse…
L’école a pour fonction de faire apprendre. Dans ce sens, le travail doit se faire en classe. Les leçons ne doivent servir qu’à une révision, un entraînement de la matière. Puisqu’il y a de la place pour un travail intelligent en classe, plus besoin de le faire à la maison. (dans le règlement des études)
Le travail à domicile est conçu comme un appui aux tâches essentielles effectuées en classe (règlement des études)
L’école stimulera l’autonomie… en proposant des travaux de recherche, en leur apprenant à utiliser un centre de documentation et à consulter des ouvrages de référence (projet d’établissement
Réaffirme l’utilité des devoirs en primaire : ils permettent aux enfants de faire des exercices de systématisation et d’exercer leur mémoire.
Travaux à domicile : recherche, applications et mémorisation / trois types d’activités : les devoirs écrits, la recherche et l’étude des leçons N’aborde pas de compétences ou de matières n’ayant pas fait l’objet d’un apprentissage Travaux : prolongement des exigences développées en classe
Entraînement essentiel à la fixation des savoirs. Les élèves exerceront leur mémoire, leur concentration et leur capacité d’investigation Exclut l’avancement dans une matière non travaillée en classe, l’achèvement d’exercices non terminés, la correction d’exercices faisant appel à la compréhension d’une matière complexe
L’étude des
leçons est
prioritaire
Première conclusion, les travaux repris sont conformes
au Décret. Il ne s’agit pas de faire appel « à la compréhension d’une matière
complexe » (école 19), à « des matières n’ayant pas fait l’objet d’un
apprentissage » (école 18).
Secundo, les divergences entre écoles sont
importantes. L’école 1 parle de « finir un travail commencé en classe pour
acquérir un rythme de travail », tandis que l’école 19 exclut « l’achèvement
d’exercices non terminés ».
Enfin, ils attirent l’attention, sur la suggestion des « travaux personnels d’intégration et de créativité pour renforcer l’esprit d’analyse et de synthèse » de l’école 1 qui a l’indice socioéconomique le plus faible et se demandent s’il est bien légitime et utile de proposer ce type de travail, à domicile, sans encadrement…
[1] La place des travaux à domicile dans
la vie des enfants de l’enseignement primaire, France Neuberg aSPe, Université
de Liège,2012
[2] L’indice socioéconomique 1 est le plus bas.
L’indice socioéconomique 20 désigne les écoles où le public provient des
milieux sociaux les plus favorisés.
La question mérite d’être posée car les professeurs, dans leur immense majorité, ne savent rien des devoirs à la maison[1]. En cela, ils ignorent complètement une partie du processus des apprentissages qu’ils donnent en classe, ce qui est un comble pour des professionnels. Il s’agit d’un « trou noir » dont ils ne se soucient guère, alors qu’il dit beaucoup sur la manière dont les apprentissages sont faits à la maison. De même que sur le temps passé aux activités exigées, ainsi que sur les difficultés résultantes des explications qu’ils ont données durant leurs cours.
Pour les professeurs, les devoirs permettraient à l’élève de revoir et
mémoriser ce qui a été appris en journée, dans un contexte plus détendu que
celui de la classe. Les devoirs favoriseraient la réussite scolaire en
permettant aux élèves d’avoir de meilleures notes ou les aideraient à élaborer
des méthodes de travail et à développer leur autonomie. Cette position serinée
et répétée aux parents, depuis qu’ils sont enfants, est forcément partagée par
nombre d’entre eux.
Les objectifs des devoirs écrits peuvent répondre à
plusieurs finalités[2] :
les devoirs de
pratique : pour renforcer les acquisitions ;
les devoirs de
préparation : pour donner aux élèves une connaissance du sujet prochainement
étudié en classe ;
les devoirs de
poursuite : pour faire utiliser aux élèves des concepts dans d’autres
situations ;
les devoirs de
créativité : qui relèvent davantage de l’analyse.
Fort heureusement, certains enseignants ne sont pas favorables aux devoirs. Ils n’entrent pas ou peu dans la dynamique des travaux à faire à domicile. Lorsque c’est une politique d’école, l’engagement leur est facile à prendre. C’est déjà plus difficile quand on enseigne dans une école où les devoirs sont une habitude venue de la « nuit des temps » et qui n’est jamais requestionnée. Dans ce cas, seuls ceux qui ont, non seulement de la bouteille, mais aussi du caractère et de précieux arguments pédagogiques, peuvent se lancer dans des apprentissages qui ne sortent pas ou sortent peu de la classe. Les jeunes professeures et professeurs n’osent généralement pas aller à contre-courant et n’ont pas le cran de devoir se justifier devant des collègues ou une direction conservatrice et peu pédagogue. Ce dossier devrait les outiller, leur fournir assez d’arguments pour refuser d’encore bombarder leurs élèves de travaux à domicile.
Pourtant Dominique Glasman et Leslie Besson de préciser que « les devoirs ne s’inscrivent que rarement dans une politique d’établissement. Ce sont en effet essentiellement les choix individuels qui guident les pratiques de travail dans chaque classe. (…) les professeurs donnent des devoirs davantage pour se conformer à la règle et répondre aux attentes des parents que pour leur utilité pédagogique. Le travail à la maison actuel n’est pas représentatif de l’évolution de l’institution scolaire mais correspond davantage au vécu et aux attentes des parents. De plus, outre le regard des familles, c’est celui des pairs qui justifie a priori le comportement de certains professeurs. En effet, le ‘sérieux’ du professeur semble être associé au fait de donner ou non des devoirs aux élèves.[4]»
Si le fait de ne pas donner de devoirs est une
politique dans la plupart des écoles à pédagogie active et/ou soucieuses du
bien des enfants et des familles, le fait d’en donner ne s’inscrit que rarement
dans une politique d’établissement. Plusieurs choses motivent les professeurs à
en donner. D’abord, le désir d’affirmer leur indépendance par rapport à des pressions
de l’extérieur[5]
réelles ou fantasmées. Ensuite, s’ils donnent des devoirs, c’est le plus
souvent pour se conformer à la règle et répondre aux attentes des parents (du
moins de ceux qui sont demandeurs). Enfin, outre le regard des parents, c’est
celui des collègues qui justifie le comportement de certains professeurs,
craignant que leur « sérieux » ne soit remis en cause. A ce titre, la
position de la direction semble importante dans le fait de donner ou non des
devoirs aux élèves[6].
Ajoutons à ces trois raisons plus qu’étonnantes[7], l’individualisme
des pratiques et le manque de communication – et donc de réflexion – entre les professeurs.
Si en primaire, les maîtres sont seuls à gérer une classe, en secondaire ils
sont parfois une dizaine à devoir gérer le même groupe-classe. Cela génère un
casse-tête pour les élèves qui doivent gérer les agendas de plus de dix profs
et leurs exigences en termes de travail à la maison. La coordination interne entre
disciplines est rarement efficiente[8]. Seuls 6% des lycéens reconnaissent ne jamais être
débordés pendant l’année scolaire[9].
Les élèves et leurs familles doivent donc s’adapter et comprendre le rôle et le
contenu de chaque devoir en fonction de chaque professeur.
[1] Kravolec E., Buell J., 2001, “End homework now”, Educational
leadership, n°58 ( 7) – 2001, p 39 – 42
[2] Glasman Dominique & Besson Leslie : Le
travail des élèves pour l’école en dehors de l’école. Rapport public.
Paris: Haut conseil de l’évaluation de l’école (2004).
[4] Glasman Dominique et Besson Leslie,
Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école, Haut Conseil de
l’Evaluation de l’Ecole, Paris, décembre 2004, pp. 34-35 dans Les écoles de
devoirs : au-delà du soutien scolaire, op. cit., page 9.
[5] Tedesco E., 1985, Les attitudes et
comportements des maîtres à l’égard du travail scolaire à la maison dans
l’enseignement élémentaire, INRP
[6] Tedesco (1982) citée par Glasman Dominique
& Besson Leslie : Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école.
Rapport public. Paris: Haut conseil de l’évaluation de l’école (2004).
[7] On peut, en effet, s’interroger sur
les compétences pédagogiques de ces professeurs qui ont pour mission de faire
de leurs élèves des citoyens réflexifs, progressistes et soucieux des autres,
aptes à construire une société plus équitable, alors qu’eux-mêmes démontrent
leur incapacité de le faire dans leurs propres pratiques professionnelles.
[8] Glasman D. et al, 1992, L’école hors l’école :
soutien scolaire et quartiers, Paris ESF
« L’aide au travail personnel de l’élève doit nous aider à (re)faire vraiment de la classe“un lieu où les élèves travaillent”… Sinon quelle dérision cela serait que de vouloir les aider à quelque chose que l’on n’a pas déjà engagé avec eux ! »
Philippe Meirieu, 2006.
INTRODUCTION
La première chose que les élèves apprennent quand ils entrent à l’école (parfois même en maternelle), c’est qu’après l’école, c’est encore l’école. Si la première est inscrite dans le temps, la seconde ne l’est pas et peut investir les dernières heures de la journée d’un enfant, que ce soit déjà en primaire, mais tout au long de la scolarité. Au point qu’une fois devenu adulte, le parent va trouver normal que son enfant soit investi de travail supplémentaire après une journée déjà bien chargée, qui l’a fatigué à l’extrême. Non content de cela, si le maître ne donne pas assez de devoirs à faire à la maison, il s’insurgera, en réclamera et si ses désirs d’adulte gâté ne sont pas rencontrés, conclura et fera savoir à qui veut l’entendre sur le trottoir de l’école que tel professeur est incompétent.
Les devoirs sont une prescription de l’école que doit
porter l’élève entre deux ou trois sphères différentes : l’école, la
famille et parfois l’aide aux devoirs. Cette triple localité du travail
scolaire explique aussi pourquoi le travail des élèves en dehors du temps
scolaire reste un domaine peu connu, notamment par tous les intervenants
scolaires. C’est cette méconnaissance, voire ce refus de savoir, qui fonde le
discours professoral sur le manque de travail supposé des élèves et la
démission des familles.
La question des
devoirs remonte à un temps que les moins de 150 ans ne peuvent pas connaître.
Capolarello et Wunsche[1]
ont analysé la revue « l’Educateur » et recherché les articles qui
traitent des travaux à domicile. Ils ont pu constater que ceux-ci font objet de
débats depuis 1865 et en ont relevé plus de 70 entre 1865 et 1900. Il s’agit
donc bien d’une controverse qui alimente l’école et les familles depuis très
longtemps, et qui n’a visiblement toujours pas été tranchée.
La société et la famille
ont beaucoup changé ces dernières décennies. La maman a fort heureusement
acquis son indépendance. Elle n’est plus cantonnée à la gestion du ménage et travaille
en journée. Dans de nombreuses maisons, le parent qui reste assume seul le
quotidien et donc les charges de la famille.
Les recours aux
services de garde après la classe ont augmenté de manière importante ces
dernières décennies et les difficultés pour aider les devoirs des enfants à
domicile se sont accrues dans le même ordre. C’est d’autant plus prégnant quand
l’enfant a des difficultés d’apprentissage et lorsque les parents ne parlent
pas la langue de scolarisation ou lorsque la culture scolaire leur est
étrangère.
Les devoirs deviennent alors sources de stress. Les tensions familiales qu’ils génèrent engendrent de forts ressentiments par rapport à l’école, et impactent la persévérance des enfants et des familles face à la masse de devoirs qui leur est imposée. Tous les élèves ne sont pas égaux face aux travaux à domicile, mais les professeurs se soucient très peu des conditions dans lesquelles se passent les devoirs de leurs élèves les plus fragiles.
Pourtant, de manière
générale, la plupart des parents, tous milieux sociaux confondus, tiennent aux
devoirs, même si leurs effets sur la réussite des élèves sont loin d’avoir été
démontrés. En outre, il arrive, à ces mêmes parents, de poser de gros problèmes
à leurs enfants, notamment pour l’acquisition de bonnes méthodes de travail. Les
travaux à domicile permettent aux familles de suivre la scolarité de leur
enfant. Cette participation, en établissant un lien régulier entre famille et
école, est un facteur important dans la réussite de leur progéniture.
Les études scientifiques ne montrent pas d’effets des devoirs sur les
résultats scolaires tant en primaire qu’en début de secondaire. Par ailleurs,
l’idée que se font les professeurs et les parents que les devoirs
renforceraient le sens de l’effort et la discipline personnelle n’a pas été
validée par les recherches, peu nombreuses sur ce point, il est vrai.
L’Ecole attend des enfants qu’ils s’investissent pendant des heures en
classe puis, qu’une fois fatigués, ils prolongent leur journée par des travaux
supplémentaires au sein de la sphère familiale. Toutefois, cette attente ne devrait
concerner que les élèves de secondaire, les devoirs étant interdits depuis 2001
en Communauté française de Belgique, et les travaux à domicile fortement
régulés. Mais les limites de cette interdiction pour l’école primaire montrent
à quel point les professeurs sont réticents à l’appliquer et à respecter les
droits de leurs élèves. Malgré la loi, des devoirs continuent à être donnés aux
enfants d’école primaire.
L’école n’est pas un ascenseur social et ne l’a
jamais été, loin s’en faut. Sans doute l’a-t-elle été un jour dans les abbayes
pour quelques clercs ou enfants illégitimes d’un seigneur local, mais depuis la
création de l’école, celle-ci a toujours différencié les élèves sur base de
leurs origines sociales. Les familles l’ont bien compris et le « travail hors la classe pour
l’école », comme les chercheurs appellent prosaïquement les « devoirs
et leçons », est un enjeu important. Tous les parents, quel que soit leur
milieu social ont pris conscience de la relation de plus en plus forte entre
niveau de diplôme et chances d’échapper à la misère.
Les devoirs sont souvent le seul lien qu’elles
ont avec l’école. Dès lors, elles l’investissent dans l’espoir d’aider leurs
enfants à mieux réussir leurs études. A l’heure où un certificat de fin de
secondaire ne signifie plus rien sur le marché de l’emploi, ou même un
baccalauréat et un master ne garantissent plus un emploi à vie, la bataille
pour l’avenir de la progéniture commence parfois avant l’école maternelle, par
les premiers stages de langue, la psychomotricité ou l’hypothérapie.
Si la pratique des devoirs perdure, c’est sans
doute parce qu’elle est considérée par les professeurs et les familles comme un
compromis social. Interdits à l’école primaire en France depuis 1956 et en
Belgique depuis 2001, cette pratique « désirée
et rejetée, nécessaire et inutile, efficace et inefficace, sécurisant et source
de tension[2]», est toujours passée outre son interdiction.
Ce compromis social entre l’école et les familles, apparaîtrait comme le
moins mauvais possible[3]
mais serait plus important que le compromis cognitif[4],
tant pour certains professeurs que par la majorité des familles qui les
plébiscite. Même pour les familles dont les enfants en sont les premières
victimes[5]. En
effet, les devoirs structurent l’emploi du temps des élèves après l’école. C’est
le moment où l’autorité parentale peut enfin s’exercer en lien avec les loisirs
autorisés ou non, en fonction de l’avancée des devoirs.
Seule une réflexion globale menée au sein de chaque école qui donne
encore des devoirs permettra de changer les pratiques, tant en primaire qu’au
secondaire. Il est important de questionner la pertinence des devoirs, leur
type, et les conditions de réalisation de ceux-ci pour chaque enfant et chaque
famille. De même que de s’interroger sur d’autres manières de proposer des
renforcements aux élèves. Enfin, comment aider les familles qui n’ont pas les
codes de l’école et quels soutiens les professeurs peuvent-ils leur offrir (en
dehors de l’externalisation des apprentissages vers l’extrascolaire). Il est important que si le choix des
professeurs est de se décharger d’une partie de leur mission sur les familles, chaque
élève doit pouvoir tirer pleinement profit de chacun de ces apprentissages et
que ceux-ci ne soient plus discriminants et vecteurs d’échecs scolaires.
DE QUOI PARLE-T-ON ?
On parle ici du travail explicitement demandé par l’école, c’est-à-dire des « leçons » et des « devoirs » donnés par les maîtres, pendant l’année scolaire ou les vacances. Nous ne parlerons pas du travail « en plus » délibérément choisi par les élèves, ou imposé par leurs parents, en lien direct ou non avec les exigences scolaires, notamment les « cours particuliers ».
[1] Capolarello, Wunsche, 1999, Le pour et le
contre. Une analyse historique de articles consacrés aux devoirs à domicile
dans l’Educateur 1865 – 1992, Université de Genève, Mémoire de Licence
[2] Favre B., Steffen N., 1988, « Tant qu’il y aura
des devoirs… », Service de la recherche pédagogique, cahier n°25 – 1988
[3] Kus Stéphane & Martin-Dametto Sylvie
(2015). Quelles collaborations locales pour améliorer l’accompagnement à la
scolarité. Rapport du Centre Alain-Savary. Lyon : ENS de Lyon, Institut
français de l’Éducation.
[4] Caillet Valérie & Sembel Nicolas (2009).
Points de vue et pratiques des partenaires du travail hors la classe. In
Patrick Rayou (dir.), Faire ses devoirs : enjeux cognitifs et sociaux d’une
pratique ordinaire. Rennes : Presses universitaires de Rennes, p. 33- 70.
[5] Bonasio Rémi & Veyrunes Philippe (2016).
Activité collective et apprentissages dans la pratique des devoirs. Education & formation, n° 304-01, p. 73-86.
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