Synthèse du forum du 28 février 2019 « Vers une école inclusive : des pistes pour relever le défi »

Synthèse du forum du 28 février 2019 « Vers une école inclusive : des pistes pour relever le défi »

  1. Les exposés

D’entrée de jeu, il est réaffirmé que l’école est un droit pour tous les enfants et il s’agit de mettre en place sans tarder un enseignement gratuit et inclusif. L’enseignement maternel pourrait être le premier concerné.

La mise en place d’aménagements dits raisonnables est certes un premier pas mais cela ne suffit pas. La logique intégrative doit faire place à une logique inclusive.

Certes l’école idéale n’existe pas et nombre d’enseignants ont une pratique inclusive sans le savoir. Mais il s’agit d’aller plus loin, de concerner toute l’école et tous les acteurs du système scolaire. Il s’agit d’une approche systémique visant la transformation tant des contenus, des méthodes que l’organisation même de l’école.

Il n’est sans doute pas inutile de sa rappeler que les premières réponses aux besoins des enfants qualifiés à cette époque d’ « irréguliers » puis d’ « anormaux » datent des années 1800 et que l’on crée en 1924 des classes annexées au sein des écoles ordinaires. C’est en 1970, sous la pression des associations de parents, que se crée un enseignement spécial (qui deviendra spécialisé en 2004), organisé en 8 types d’enseignement et prévoyant déjà l’intégration de certains élèves en enseignement ordinaire. Divers arrêtés, circulaires et avis du Conseil supérieur sont promulgués pour encourager l’intégration des élèves relevant de l’enseignement spécialisé. Quatre formules d’intégration sont envisagées. L’enseignement spécialisé vient en support de l’élève intégré sous la forme de périodes octroyées à un personnel de soutien. On tente de favoriser les collaborations entre les structures d’enseignement ordinaire et d’enseignement spécialisé. Mais la démarche est soumise à de nombreuses contraintes administratives. Par ailleurs, on encourage la création de classes intégrées (appelées aujourd’hui, de manière erronées, classes inclusives).

En 2009, la Belgique ratifie la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées et s’engage à faire évoluer son enseignement vers un enseignement inclusif comme le précise l’article 24 de cette Convention. Il sera précisé que placer des enfants handicapés dans des classes ordinaires sans faire en même temps des changements organisationnels, curriculaires, pédagogiques ne constituent pas l’inclusion. De plus, l’intégration ne garantit pas automatiquement la transition de la ségrégation vers l’inclusion.

Ce Forum veut interroger le rôle d’une fonction clé : celle de la direction de l’établissement. Celle-ci favorise la disponibilité de tous à une démarche inclusive et promeut des stratégies individualisées. Elle veille à mettre en place les adaptations nécessaires et elle organise la vie des élèves tout au long de la journée en ce compris pendant les temps libres. Elle favorise l’utilisation des technologies. Elle recherche comment faire face aux troubles du comportement de certains élèves.

On le voit donc : pour promouvoir une école inclusive, il faut l’adhésion et l’implication du plus grand nombre. Il s’agit de favoriser un travail collaboratif et penser une école qui s’adapte à l’enfant et non le contraire. Il faut également renforcer les collaborations avec les services relevant de l’aide sociale ainsi que de tous les centres de consultation.

Dans la logique inclusive, les tâches des enseignants sont multiples et peuvent prendre diverses formes :

  •  Travail à deux dans une classe, préparant les activités ensemble, travaillant ensemble, intégrant d’autres fonctions que celle d’enseignant (par exemple une logopède)
  • Organisation de la classe pour que chaque élève apprenne, en prévoyant plusieurs endroits avec des fonctions différentes, en maintenant un niveau de bruit supportable, en répartissant les élèves de manière adéquate et en restant flexible
  • Mise en place d’un tutorat entre élèves en choisissant les tuteurs et en les préparant
  • Mise en place d’aménagements « de bon sens » comme par exemple davantage de temps pour exécuter une tâche, une modification de la taille des caractères, des évaluations individuelles, l’utilisation d’un logiciel. Ces aménagements sont faits pour tous les élèves.

Les apports d’un enfant à besoins spécifiques en classe sont nombreux tant pour lui que pour les pairs. Les apports sont aussi évidents pour toute la communauté scolaire.

Par ailleurs, le principe de réalité nous conduit à réfléchir à partir du cadre actuel : celui du Pacte pour un enseignement d’excellence. Celui-ci suit une logique intégrative. Mais il faut se demander quelles mesures prévues par le Pacte vont permettre d’avancer vers une école inclusive. Par exemple, la création de pôles territoriaux transformant des écoles spécialisées en centres de ressources va-t-elle permettre cette évolution vers l’école inclusive ?

Le constat de départ du travail sur le Pacte est que les modes de séparation selon les profils des élèves conduisent à des taux trop importants de redoublement, de décrochage et d’orientation vers l’enseignement spécialisé qui compte aujourd’hui 36.OOO élèves soit une augmentation de 21% depuis 2005. De plus une grande iniquité s’observe puisque les élèves issus de familles dont le niveau socio-économique est le plus faible, accusent un plus grand retard scolaire et sont plus souvent orientés vers l’enseignement spécialisé.

Le Pacte prône une approche systémique et la co-construction de l’école avec tous les acteurs. Il veut répondre tant aux besoins de l’enseignement ordinaire qu’à ceux de l’enseignement spécialisé. Pour ce faire, il propose une réforme du pilotage des établissements scolaires en se donnant des indicateurs pour permettre une augmentation progressive des situations d’intégration. Il veut par ailleurs répondre aux besoins spécifiques des élèves dans l’enseignement ordinaire en déployant les aménagements et en réformant le système actuel d’intégration. Le Décret de décembre 2017 propose le maintien de ces élèves et propose des outils aux enseignants. La création de pôles territoriaux vont permettre à des écoles d’enseignement spécialisé d’accompagner plusieurs établissements d’enseignement ordinaire. Enfin le Pacte veut décloisonner l’enseignement spécialisé et ordinaire en encourageant des implantations de l’enseignement spécialisé dans l’enseignement ordinaire et en réformant les procédures d’orientation. Des mesures plus spécifiques sont également prévues pour l’enseignement spécialisé comme la prolongation du type 8 jusqu’à la fin du tronc commun et en délivrant des certificats de compétences pour les formes 1 et 2 de l’enseignement secondaire spécialisé.

De son côté, UNIA, centre interfédéral pour l’égal des chances, a organisé début octobre 2018, un séminaire avec des experts internationaux, séminaire au cours duquel quatre principaux axes ont été discutés :

  • quelle vision de l’inclusion et quelle stratégie à long terme ? Comment le système d’éducation inclusive devrait-il être organisé ?
  • comment un système d’éducation inclusive peut-il permettre aux enseignants de se sentir compétents et motivés ?
  • comment répartir les ressources pour promouvoir, soutenir et réaliser un système d’éducation inclusive ?
  • comment les gouvernements pourraient organiser la transition entre la situation actuelle et un modèle d’école inclusive ?

Des échanges tenus lors de ce séminaire, on retiendra

  • Une disparité entre les trois communautés en Belgique
  • Le fait que le système éducatif en Belgique ne répond pas aux normes internationales et européennes en matière d’inclusion
  • Or, seuls les systèmes inclusifs peuvent garantir à la fois la qualité de l’enseignement et le développement social des personnes en situation de handicap
  • Penser un système inclusif revient à améliorer l’enseignement en général
  • Un système inclusif implique l’élimination d’une série de préjugés et de barrières comportementales concernant les compétences des élèves et en particulier ceux qui sont reconnus comme ayant des besoins spécifiques
  • Il s’agit que le politique donne un signal clair et s’engage dans la planification d’un système inclusif
  • Tous les acteurs de l’enseignement doivent être impliqués : professionnels, parents, élèves, …
  • Les pratiques inclusives doivent être soutenues et étayées par des recherches scientifiques et une évaluation systématiques des objectifs et moyens consentis pour rencontrer les besoins de tous les élèves
  • Il s’agit de penser la formation initiale et continuée de telle façon qu’elle puisse renforcer les compétences des enseignants à développer des pratiques inclusives
  • Il s’agit de promouvoir une collaboration entre tous les membres de l’équipe éducative et développer une culture de l’éducation inclusive : il s’agit de développer des communautés apprenantes
  • L’expertise acquise dans l’enseignement spécialisé doit être formalisée et mise à disposition des professionnels de l’enseignement ordinaire
  • Au niveau budgétaire, il s’agit moins d’allouer de nouvelles ressources financières pour « faire de l’inclusion » que de répartir différemment les ressources en n’augmentant pas celles actuellement octroyées à l’enseignement spécialisé
  • Par ailleurs il s’agit de promouvoir une approche transversale et une meilleure coordination entre tous les Départements ministériels et administrations concernées par l’enseignement
  • La logique inclusive doit prévaloir dès la petite enfance
  • Au niveau de l’école, il s’agit de repenser la certification des élèves
  • Un travail de sensibilisation, d’information et de formation doit être engagé au niveau du grand public

Dans son exposé, Philippe Tremblay nous a montré combien le fait de rendre les écoles plus inclusives contribuent à lutter contre toute forme de discriminations et permet de donner une assise solide pour une société inclusive.

L’école inclusive doit répondre aux besoins de chaque élève et se doit d’être créative, innovant sans cesse.

Le conférencier met l’accent sur les divers facteurs favorisant le processus inclusif dans l’enseignement :

  • Une vision et une volonté forte de la part de tous les acteurs concernés
  • Une reconnaissance explicite dans les législations aux droits à une éducation inclusive, se traduisant par l’allocation de ressources adéquates
  • Un engagement collectif à tous les niveaux
  • Une accessibilité aux espaces et à l’information
  • Un enseignement de qualité, des enseignants flexibles, une évaluation formative
  • Mise en œuvre de la différenciation pédagogique avant, pendant et après les apprentissages
  • Un soutien adéquat à chaque élève s’organisant autour d’une planification commune (plan d’intervention)
  • Une anticipation des difficultés que peuvent rencontrer les élèves
  • Une vision non catégorielle des élèves
  • Une collaboration avec les parents et plus largement, la communauté
  • Une collaboration entre les professionnels pouvant prendre diverses formes : consultation collaborative, co-intervention et co-enseignement.
  • La formation et l’accompagnement des professionnels.
  • Les tables rondes

Les questions posées aux directions d’école primaire et secondaire étaient centrées sur les forces et obstacles rencontrés dans la mise en place d’une école plus inclusive, sur le rôle plus spécifique de la direction et sur la manière de rencontrer les attentes des parents.

Au niveau des forces, on a souligné

  • La possibilité de répondre de manière plus spécifique aux élèves qui en ont besoin ;
  • Le changement de regard des pairs et l’acceptation par eux de la différence
  • L’attention portée au projet et à son élaboration constante renforce le travail collectif et aussi le sentiment que tout enfant peut apprendre
  • On observe un plus grand respect du rythme des élèves
  • La nécessité que les enseignants s’approprient le concept d’inclusion et cheminent
  • Des parents qui sont demandeurs d’un projet et obligent ainsi un processus à se mettre en route
  • La nécessité d’inscrire dès le départ, la volonté d’une école plus inclusive dans le projet d’établissement
  • Les plans de pilotage sont une opportunité pour re-définir le projet et mieux préciser là où on veut conduire les élèves
  • Le Décret de 2017 peut être une opportunité mais dans les faits, beaucoup de dispositions contenues dans ce Décret sont déjà réalisées sur le terrain.
  • Les enseignants qui vivent une école qui recherche à être plus inclusive sont contents et ne voudraient certainement pas faire marche arrière

Au niveau des obstacles, on relève

  • Le fait que les parents sont amenés de facto à prendre conscience des difficultés de leur enfant mais aussi que certains parents refusent la mise en place d’aménagement raisonnable
  • Le manque d’une vision plus globale sur l’enfant et son parcours : comment l’élève fonctionne, s’adapte, évolue dans le temps
  • La difficulté parfois de s’investir dans une pratique collaborative
  • La difficulté d’éviter toute forme de discriminations
  • Le manque de moyens
  • La nécessité d’intégrer les nouveaux enseignants
  • La contrainte que représentent les évaluations externes ou non : elles sont normatives et inconciliables avec la philosophie de l’inclusion
  • Des parents qui refusent la mise en place d’aménagements raisonnables, sans doute par peur d’une stigmatisation
  • Des obstacles sur le plan administratif et la difficulté de jongler lorsqu’il y a des élèves intégrés provenant de différentes écoles ; il est parfois difficile de trouver des écoles partenaires
  • L’ambiguïté de la législation qui conduit de facto à ne pas permettre à des élèves avec déficience intellectuelle de bénéficier d’un enseignement inclusif
  • Par ailleurs des élèves qui ont été scolarisées en enseignement spécialisé et sont actuellement intégrés en milieu scolaire ordinaire ne veulent plus entendre parler de soutien venant de cet enseignement
  • Des difficultés au niveau des activités extrascolaires
  • Au niveau secondaire, plusieurs difficultés sont évoquées comme la difficulté de poursuivre un projet d’intégration pour un élève venant du primaire, une législation contraignante pour l’accès au secondaire, la gestion du temps et l’octroi d’un tiers temps, la difficulté de connaître les élèves de manière individuelle, le repérage et la prise en considération des situations de handicap invisibles et toutes les questions liées à la certification finale.
  • Le fait qu’on navigue dans un flou permanent : on impose plusieurs choses sans donner vraiment les moyens. De plus, les directions sont débordées par les tâches administratives et souhaitent être secondées
  • La difficulté de comprendre les dossiers établis par des spécialistes : il faut prendre la question en sens inverse et se demander ce que l’on doit mettre en place par rapport aux difficultés de tous les élèves plutôt que de stigmatiser et passer du temps à faire des bilans axés sur les (non)performances de l’élève et, en l’état, inutiles pour construire un projet pédagogique
  • Enfin comment convaincre les parents que la démarche inclusive est un plus pour leur enfant ?

Quant au rôle de la direction, il s’agit

  • Qu’elle soit et reste informée, à l’écoute et apporte son soutien logistique
  • Qu’elle mette en place des espaces d’échanges et puisse rencontrer les inquiétudes du personnel
  • Qu’on lui reconnaisse une expertise pédagogique et qu’elle puisse être un facilitateur
  • Qu’elle soutienne et valorise les initiatives et porte un regard positif sur les réussites
  • Qu’elle soit elle-même soutenue

Enfin, pour les parents, les attentes sont centrées sur la mixité et l’équité. Il faut leur montrer qu’un élève à besoin spécifique est un élève qui booste les autres élèves. Un travail correct avec les parents permettant le tricotage de la relation de confiance, c’est de considérer les besoins de l’enfant à un moment donné et ce, sur base d’observations et de considérer l’enfant tel qu’il est avec ses forces et faiblesses. Les parents doivent cependant comprendre que la démarche n’est pas « magique ». L’intégration de l’élève à besoins spécifiques ne doit pas se confondre avec un besoin de réussite à tout prix !

Les participants présents de la salle se sont posés plusieurs questions :

  • Le fait d’être une école à pédagogie active est-elle une condition de départ : il semble que non. Ceci étant il est vrai que dans les écoles à pédagogie active, l’élève ne se retrouve pas en principe dans une situation d’échec. Il y a toujours des activités dans lesquelles ils peuvent valoriser leurs compétences. Les erreurs sont permises et les points ou évaluations sélectives n’ont pas leur place.
  • Le fait d’avoir un projet pédagogique fort et cohérent aide à créer une culture
  • Ne faut-il pas accentuer l’impact des formations tant initiales que continuées et informer sur les aménagements raisonnables, la nécessaire collaboration avec les parents. On constate une méconnaissance à la fois des droits et des dispositifs mis en place.
  • Quelle formation en Haute Ecole Pédagogique : faut-il aborder davantage les besoins spécifiques ou au contraire, aborder la différenciation de manière transversale dans tous les cours ?
  • Quelle formation manque-t-elle aux directions d’établissements ?
  • Vise-t-on à terme la disparition de l’enseignement spécialisé ? Est-ce envisageable ?
  • Comment rencontrer les problèmes de comportement chez des élèves ?
  • Quid de l’arrivée d’orthopédagogues cliniciens ?
  • N’y a-t-il pas un travail à faire au niveau des communes, en créant un réseau et en lui apportant des ressources et du soutien ?
  • Pourquoi est-ce si difficile de sortir de la démarche de catégorisation des élèves et de cette propension à coller des étiquettes sur des enfants qui sont en difficulté ?
  • Que penser de directions qui accueillent des élèves à besoins spécifiques mais ne sont pas là pour soutenir leurs enseignants ?

Une troisième table ronde a permis de donner la parole à des enseignants. Ceux-ci ont à nouveau souligné l’impact négatif des étiquettes et l’importance du regard à avoir sur tout enfant.

On évoque aussi l’idée d’un service référent au sein de l’école pour les élèves à besoins spécifiques.

Les parents semblent venir avec des demandes précises en termes d’aménagements et ces demandes sont négociées. Mais un bilan fait par des spécialistes est nécessaire Pour les enseignants, le sentiment est de ne pas en faire assez alors qu’on pourrait être satisfait avec de petites réussites.

La différenciation s’opère dans les classes en réponse à des situations où l’élève est ségrégué. De fait, en primaire, on abandonne l’enseignement frontal. Une série d’aménagements (par exemple des feuilles) se font d’office.

Un soutien venant de l’extérieur est apprécié. Parfois ces intervenants extérieurs sont requis et payés par les parents eux-mêmes.

Restent des difficultés entre enseignants d’écoles différentes.

Par ailleurs, on souligne l’effet toxique que peuvent avoir certains aménagements comme le tiers temps par exemple qui prive l’enfant d’un temps de récréation…

Les classes intégrées (appelées erronément classes inclusives) posent question : les élèves se sentent discriminés et stigmatisés et ce, malgré des activités communes avec les autres élèves de l’école.

En secondaire, les élèves sont davantage amenés à travailler en autonomie avec un plan individuel

On souligne encore le rôle important d’un orthopédagogue au sein de l’école ainsi que le fait de travailler à plusieurs, ce qui favorise les échanges.

Enfin le co-enseignement peut être intéressant comme formule mais suppose une très bonne entente entre les enseignants

  • Conclusions

Dans son exposé final, Jean-Jacques Detraux souligne les points suivants :

  • La nécessité de distinguer logique intégrative et logique inclusive en appréhendant bien les enjeux d’une école inclusive
  • Voir l’inclusion comme un processus à co-construire pas à pas, en se préoccupant de tous les élèves et en particulier des élèves à risque
  • Il s’agit de partager au sein de la communauté scolaire, des valeurs communes et de considérer que tout enfant peut apprendre
  • La ségrégation n’est pas une option défendable ni sur le plan éthique et philosophique ni sur le plan scientifique ni sur le plan des pratiques pédagogiques
  • Il s’agit d’initier un double mouvement : au niveau de la base, informer, former, construire un langage conceptuel commun et s’engager au sein des équipes éducatives avec le soutien inconditionnel de la direction ; au niveau des responsables, indiquer clairement l’objectif à atteindre et planifier les diverses étapes pour y arriver
  • C’est le projet qui est au centre et non l’élève stigmatisé. C’est le projet qui relie les acteurs
  • Le regard sur l’élève doit changer, à commencer au niveau des pratiques évaluatives qui doivent être davantage axées sur la compréhension du fonctionnement de l’élève et ses compétences plutôt que sur une approche catégorielle. Les élèves doivent être impliqués dans le projet qui les concerne
  • Il s’agit de penser formation initiale et formation continuée ensemble, de renforcer les compétences des enseignants à l’observation et la connaissance du comment l’enfant apprend, mais aussi à la pédagogie différenciée et aux diverses approches qui ont fait leurs preuves
  • Les chercheurs devraient davantage s’investir dans le domaine de l’éducation inclusive
  • Le système de financement devrait aussi être revu et ne plus se faire uniquement sur la base de l’élève

L’objectif final est contenu dans la pyramide des interventions, dont plusieurs versions circulent.

Enfin, l’approche proposée par la Pacte s’inscrit dans une logique intégrative et non inclusive. Cette approche n’est pas systémique. La logique de concevoir des aménagements raisonnables au cas par cas risque fort de conduire les enseignants à un épuisement. On le voit, plusieurs équipes éducatives, bien soutenues par leur direction, pratiquant une pédagogie active ou non, se sont clairement engagées dans un travail de construction de cette école inclusive. Même si le chemin sera long, il nous faut être résolument optimiste.

Jean-Jacques Detraux

Professeur émérite de psychologie et pédagogie à l’Université de Liège et à l’Université Libre de Bruxelles

LA PLACE DES ECOLES DE DEVOIRS

LA PLACE DES ECOLES DE DEVOIRS

LA PLACE DES ECOLES DE DEVOIRS

L’idée que l’école est un passage obligé vers une insertion socioprofessionnelle réussie reste tenace. Pourtant la réalité est toute autre car loin d’assurer la réussite de tous, l’école produit massivement de l’échec scolaire, tout spécialement chez les enfants et jeunes issus des milieux défavorisés. Leurs parents n’ont souvent ni les moyens financiers, ni les compétences ni les codes nécessaires pour y faire face. Pour ces familles, les écoles de devoirs ou EDD représentent la seule forme de soutien et d’accrochage scolaire accessible hors de l’école.

Actuellement, plus de 16.000 enfants et jeunes âgés entre 6 et 18 ans fréquentent chaque jour les 346 EDD[1] réparties sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. De plus en en plus de parents cherchent l’aide et l’encadrement qu’elles offrent. L’Observatoire de l’enfance estimait en 2017 à 70 %[2] le nombre des EDD qui ont une liste d’attente. Ce pourcentage est encore plus élevé à Bruxelles où il est très difficile de trouver une place libre.

Un constat qui donne l’occasion de s’interroger sur ce succès grandissant des EDD et sur la place et le rôle qu’elles occupent entre l’école et la famille.

Sur base du constat que l’école ne faisait que reproduire les inégalités sociales et devant l’absence de réponse face à ces inégalités, des citoyens et des associations se sont mobilisés au début des années 70 pour créer les premières EDD à Bruxelles.

Contrairement à leur nom, les écoles de devoirs ne sont pas des écoles et leur objectif depuis leur début n’est pas de faire les devoirs ou de pallier aux lacunes du système scolaire mais de réduire les inégalités sociales et scolaires pour des populations dont le rapport à l’école et au savoir est difficile.

Elles sont implantées généralement dans des quartiers populaires pour offrir à des enfants et jeunes en âge scolaire issus pour la plupart de milieux défavorisés, un soutien scolaire et un lieu d’accueil, de découvertes et de rencontres. C’est souvent une occasion unique pour ces enfants et jeunes de sortir de leur cadre familial et scolaire. C’est probablement cette  ouverture sur le monde qui constitue le principal atout des EDD[3].

Mais qu’est–ce qu’une EDD ou école des devoirs au juste?

Selon la définition donnée par la FWB « Les écoles de devoirs sont des structures d’accueil des enfants et des jeunes en âge d’obligation scolaire, après l’école, et parfois également durant le week-end et/ou les vacances scolaires, qui développent, sur base d’un plan d’action élaboré, un travail pédagogique, éducatif et culturel de soutien et d’accompagnement à la scolarité et à la formation citoyenne, de façon indépendante des établissements scolaires, même si elles bénéficient parfois de leurs infrastructures ou collaborent avec ceux-ci ».[4]

Cette définition permet d’abord de se rendre compte que les EDD ne sont pas des cours particuliers à bon marché. Leur mission et leur fonctionnement sont très différents aussi bien des cours privés que des écoles.

Les EDD sont des structures associatives situées au carrefour des domaines scolaire, familial, social et culturel. Elles jouent un rôle de cohésion sociale face à une société qui exclut de plus en plus.  Leur mission ne s’arrête pas au soutien scolaire. Loin de là ! Elles accompagnent leur public dans leurs différents apprentissages, aussi bien scolaires, sociaux, citoyens que culturels. Elles visent l’épanouissement global de l’enfant et du jeune et « mènent des projets qui contribuent à faire des jeunes accueillis de futurs citoyens actifs, réactifs et responsables, capables de poser un regard critique sur le monde qui les entoure et d’en comprendre le fonctionnement. »[5]

Qui sont les encadrants des enfants et jeunes dans une EDD ?

L’équipe encadrante se compose de personnes qualifiées, salariées ou volontaires. La plupart des EDD sont majoritairement composées de bénévoles, parfois même rien que de bénévoles. 

Comment se déroulent les activités dans une EDD ?

L’EDD commence par un temps d’accueil avec le goûter. Un moment qui permet de faire la transition entre école et EDD. Après ce temps de « pause », débutent les activités scolaires proprement dites avec la consultation du journal de classe de l’enfant. L’encadrant travaille ensuite le devoir avec ce dernier pour d’abord le soutenir, le mettre à l’aise mais surtout pour l’autonomiser face à son travail scolaire.

Après le soutien scolaire, les EDD proposent de travailler ce qu’on appelle les compétences transversales telles que développer l’esprit critique, le vivre ensemble, le respect, l’écoute, le partage, via des activités ludiques, créatives, culturelles, et sportives. Ces activités sont organisées dans un esprit de coopération et d’éducation à la citoyenneté, sans oublier la dimension multiculturelle et le respect de l’autre.

Quelle est précisément la mission d’une EDD ?

Les EDD ont pour mission de favoriser :

  • « le développement intellectuel de l’enfant, notamment par l’accompagnement aux apprentissages, à sa scolarité et par l’aide aux devoirs et autres travaux à domicile ;
  • le développement et l’émancipation sociale de l’enfant, notamment par un suivi actif et personnalisé, dans le respect des différences, dans un esprit de solidarité et dans une approche interculturelle;
  • la créativité de l’enfant, son accès et son initiation aux cultures dans leurs différentes dimensions, par des activités ludiques, d’animation, d’expression, de création et de communication;
  • l’apprentissage de la citoyenneté et de la participation ».[6]

Ces missions ont pour objectif de répondre aux attentes d’une société qui demande des compétences que l’enseignement traditionnel ne dispense pas toujours. Et avec l’avènement de la société de l’information et d’internet, l’école ne détient plus le monopole de l’apprentissage.

Les EDD vont dans ce sens et visent plutôt à déscolariser les apprentissages scolaires pour promouvoir une autre approche du savoir qui favorise l’apprendre à apprendre, en cherchant à éveiller d’abord l’envie et le plaisir d’apprendre. Elles privilégient l’acquisition de compétences et attitudes qui serviront fortement à l’enfant et au jeune dans leur avenir.

Mener un tel défi n’est déjà pas aisé après une journée d’école ; elle l’est encore moins quand le travail des EDD est freiné à cause des travaux scolaires. Les encadrants en EDD tout comme leur public sont freinés et envahis quotidiennement par les devoirs[7]. Ils n’ont le choix que d’accorder beaucoup de temps à ces derniers au détriment des autres missions et compétences que cherchent à développer les EDD.

Or justement le devoir est l’une des causes des inégalités scolaires.

Une étude de l’Université de Liège commanditée par l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse a révélé à quel point les devoirs contribuent à accentuer ces inégalités:

« Les travaux à domicile –  ou à tout le moins certains types de travaux à domicile (notamment les devoirs de « prolongement » et les devoirs créatifs) – renforcent clairement les inégalités entre enfants. En effet, ceux-ci requièrent un encadrement et des ressources matérielles auxquels tous les enfants n’ont pas nécessairement accès.

Les facteurs d’inégalités s’accentuent encore quand les devoirs sont perçus comme outil de remédiation : ce sont les enfants qui ont le plus de difficultés qui prendront le plus de temps pour les faire et qui auront besoin d’aide d’un parent ou d’une aide externe pour y parvenir, voire pour leur réexpliquer la matière. Par ailleurs, pour les enfants ayant déjà compris en classe, le travail à domicile sera inutile. » [8]

Face à des parents fatigués après une journée de travail, qui n’ont pas les compétences pour aider leur enfant ou qui n’ont pas les moyens de payer des cours privés ou bien encore des enfants qui ne peuvent bénéficier du calme et de l’espace nécessaire pour travailler chez eux, les devoirs sont aussi sources de tensions, de frustrations et même de souffrances au sein de nombreuses familles. Tous ces facteurs pèsent en temps et en émotions sur tous les acteurs concernés, sur les parents, les enfants et les EDD et concourent à cristalliser les inégalités scolaires et sociales.

Dès lors, on peut comprendre que ces parents n’ont d’autre choix que de se tourner vers les EDD.

Quels sont les rapports entre parents et EDD?

Les Ecoles de Devoirs jouent un rôle très important auprès des parents d’abord parce qu’elles offrent le soutien scolaire que ces derniers ne peuvent offrir à leurs enfants mais aussi parce que les EDD contribuent à réconcilier ces parents dans leur propre rôle.  Des parents qui ressentent une atmosphère de bienveillance et qu’ils ne trouvent pas dans l’école de leur enfant.

Des réunions, des sorties, des fêtes et d’autres occasions sont organisées avec eux pour leur permettre de découvrir leur enfant sous un angle différent. Ces moments privilégiés favorisent la communication parent-enfant en leur permettant de vivre ensemble des activités communes.

 En valorisant les compétences des enfants, les EDD valorisent aussi les compétences des parents, ce qui crée des conditions rassurantes et propices au dialogue et à la confiance mutuels entre parents, enfants et EDD.

Ce soutien à la parentalité passe aussi par des ateliers directement destinés aux parents eux-mêmes. De nombreuses associations dispensent parallèlement à leur EDD, des ateliers d’alphabétisation, d’initiation à l’informatique et des activités culturelles. Ces activités répondent à des besoins des parents et contribuent parallèlement à renforcer leur « accrochage » face à l’éducation et à la scolarité de leur enfant.

Pour construire ce partenariat solide, les EDD adoptent d’emblée une approche d’ouverture, de bienveillance et d’écoute que ces parents ne trouvent pas à l’école de leur enfant. Une approche que le guide de soutien à la parentalité de l’ONE résume bien : « le non-jugement, la non-disqualification, l’empathie, l’écoute active et respectueuse, la construction d’un lien de confiance réciproque, la prise en compte des références culturelles de la famille, le respect, la non-stigmatisation, la co-construction des solutions et l’alliance éducative »[9].

 C’est l’intégration de cette pratique et de cette philosophie dans la vie quotidienne des EDD qui fait d’elles un acteur incontournable.

Dans l’intérêt des enfants et jeunes, cette pratique peut être fortement améliorée si les 3 acteurs concernés, à savoir l’EDD, la famille et l’école qui forment un triangle éducatif autour de l’enfant communiquent efficacement ensemble.

Quels sont les rapports entre écoles et EDD ?

Ces rapports sont différents et bien moins réguliers que ceux entre EDD et parents.

Une situation qui alimente les préjugés basés sur une méconnaissance de l’autre. Ce manque de contacts réguliers peut s’expliquer par des horaires difficilement conciliables, et c’est l’EDD qui fait quasiment à chaque fois la démarche.

Cette collaboration à sens unique vers l’enseignant ou la direction d’école suscite un manque de compréhension, de confiance mutuelle et de reconnaissance du travail fait par les EDD  de la part de l’école:  « Les enseignants et les accompagnateurs ont souvent de la peine à se comprendre. Chacun craint que l’autre ne vienne empiéter sur ses prérogatives. La méconnaissance des rôles et des attributions de chacun crée des malentendus qui pourraient certainement être évités (…). » [10]

L’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse pointait il y a 10 ans déjà ce manque de dialogue entre elles[11].

La majorité des EDD soit 72% avaient à peine une fois par mois à une fois par semestre des contacts avec l’école.

Aujourd’hui, force est de constater que les échanges entre ces deux acteurs de l’éducation sont encore trop peu nombreux, même si d’après la Fédération Francophone des Ecoles de Devoirs et les Coordinations régionales, le climat est à l’apaisement et vise une collaboration accrue entre les équipes des encadrants dans les EDD et les enseignants. Connaissant le contact privilégié entre parents et EDD, certains enseignants expriment d’ailleurs le souhait de voir ces dernières jouer un rôle de médiation entre l’école et les familles[12].

Conclusion                                                   

Les EDD sont complémentaires de la mission de l’école pour que celles-ci tendent d’abord vers une école de la réussite pour tous. Elles visent non seulement le développement des capacités intellectuelles ou cognitives mais travaillent aussi la maturité sociale et affective de l’enfant et du jeune. Il s’agit de les rendre aptes à trouver leur place et à s’insérer dans la société. 

Les EDD sont tout aussi conscientes qu’informer, écouter les parents et leurs besoins, reconnaître leurs compétences, construire une relation de confiance  avec eux influe favorablement sur leur relation et implication dans la scolarité et l’éducation de leur enfant. Cette relation de confiance conjuguée au caractère familial des EDD, consolide encore plus ce partenariat constructif et l’inscrit dans la durée.

Elles contribuent à jouer aussi un rôle de médiation et même de déminage entre écoles et familles précarisées[13]. Même si elles n’ont pas un rôle aussi central que les deux acteurs que sont les parents et l’école, les EDD occupent une place importante dans les synergies de la mission éducative et dans leur mission au sein du triangle éducatif école-parents- EDD.

Dans le grand chantier du Pacte d’Excellence, les EDD sont très attentives sur la réforme des rythmes scolaires. Ce dispositif pourrait être une opportunité pour une meilleure reconnaissance de leurs missions et pour consolider leur place de partenaire privilégié des écoles.

Les EDD pourraient alors mieux développer une action complémentaire à celle des enseignants en ménageant aux enfants plus de temps libre, du temps pour apprendre autrement et comme le rappelle l’article 31 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, pour passer plus de temps de loisirs et de partage en famille.

Espérons qu’à l’aube d’une nouvelle décennie, le pacte permettra aux enfants et jeunes d’avoir enfin une vie après l’école. La fin des devoirs permettrait alors aux écoles des devoirs de mieux remplir leur mission de combat pour plus d’égalité scolaire et d’émancipation sociale, pour plus de soutien à la parentalité et de cohésion sociale.


[1] http://www.ecolesdedevoirs.be/qui-sommes-nous

[2] https://www.rtbf.be/info/regions/detail_70-des-ecoles-de-devoirs-doivent-placer-les-eleves-sur-liste-d-attente?id=9759285

[3] Les écoles de devoirs : au-delà du soutien scolaire.  La Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente asbl. Étude réalisée Valérie Silberberg et Antoine Bazantay

[4] http://www.faitsetgestes.cfwb.be/telechargement/FG_2003/faits_&_gestes_9.pdf , p5.

[5] http://www.ecolesdedevoirs.be/qui-sommes-nous/edd

[6] Décret relatif à la reconnaissance et au soutien des écoles de devoirs du 22 mai 2013 : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/28805_005.pdf

[7] http://coj.be/rapport-des-ecoles-de-devoirs/

[8]http://www.oejaj.cfwb.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=8147550380bb08c84e4ad6659c1b3051aff8c652&file=fileadmin/sites/oejaj/upload/oejaj_super_editor/oejaj_editor/pdf/Rapport_final_Travaux_a_domicile.pdf

[9] Écoles de devoirs. Exploitation des rapports d’activités 2008‐2009.Exploitation des données et rédaction : Alice Pierard, stagiaire. 2010.

[10] SIMONATO Alain, Rendre les élèves autonomes dans leurs apprentissages – En finir avec « les devoirs à la maison »,  p. 47.

[11] PIERARD Alice, Ecoles de devoirs – Exploitation des rapports d’activités 2008-2009 – Analyse partielle, Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse, décembre 2010, p. 26-31

[12] https://www.ecolesdedevoirs.be/ressources/ressource-213

[13] La Filoche, février 2008, p.14

Etude : Les notes à l’école

« L’école actuelle veut toujours hiérarchiser; ce qui importe avant tout, c’est de différencier. Cette idée fixe de hiérarchie provient de l’emploi des divers systèmes usités pour aiguillonner les écoliers: bonnes ou mauvaises notes, rangs, punitions, concours, prix… Mais il est entendu que, dans l’école de demain, tous ces expédients seront mis au rancart, ou n’auront en tout cas plus l’importance d’antan. L’intérêt, tel sera le grand levier qui dispensera des autres. »

(Claparède, 1920)

Télécharger l’étude en PDF

Introduction

Avec l’évolution des droits fondamentaux, l’école a été obligée de s’affranchir des châtiments corporels ou humiliants. Terminés, les coups de règles sur les doigts, les « mises au piquet » ou « le nez dans le coin », le bonnet d’âne et le banc d’infamie.

On pourrait donc croire que les droits de l’enfant[1] sont maintenant pleinement respectés par l’Ecole. Ce ne serait qu’une illusion, un rêve éveillé, une utopie. Mieux, une naïveté coupable ! Les châtiments corporels ont été remplacés par une violence plus insidieuse, plus dévastatrice et productrice de plus d’inégalités encore : la cotation des élèves.

Bien sûr, la cotation ne date pas d’hier et elle a côtoyé les violences physiques qui, elles, sont antérieures à l’Ecole. Mais, si ces dernières ont disparu, leur violence s’est déplacée sur ce qui restait de « pouvoir » aux professeurs : les notes ! Ne pouvant plus frapper les élèves qui chahutaient ou qui ne comprenaient pas une matière, les professeurs se sont rabattus sur la dernière maîtrise qu’il leur restait : la sanction par les notes !

Cela va donc leur permettre de sanctionner non seulement la manière dont un apprentissage a été réceptionné, mais aussi l’attitude et le comportement de chaque élève durant le cours.

Autrement dit, la note a deux usages. Le premier est de  » régler ses comptes  » avec les élèves qui n’ont pas accroché au cours, qui l’ont perturbé ou été inattentifs, sans avoir à analyser les raisons de ce désintérêt (manque de « sens » de l’apprentissage, cours incompréhensible, mal expliqué, bruits, raisons extrascolaires, …), d’autant plus que cela replacerait le professeur face à ses compétences.

Le second usage de la note est de « sanctionner » et donc de punir les élèves qui n’ont pas compris l’apprentissage, toujours sans devoir analyser les causes qui renverrait encore une fois le professeur face à ses compétences (manque de différenciations pédagogiques, de remédiation, de tutorat, …). Or, un apprentissage ne peut pas être compris par 25 élèves grâce à une seule et même manière de l’enseigner. Si l’on veut que tous les élèves comprennent, il faut mettre en œuvre plusieurs stratégies. Pour 25 élèves, cela signifie mettre en place entre 2 et… 25 méthodes différentes ! Si on ne prend pas la peine de mettre ces approches en place, on abandonne les élèves qui ont le plus besoin d’être aidés. Il est, dès lors, facile de pratiquer la sélection. C’est donc bien un choix personnel de chaque professeur.

Edouard Claparède[2], cité au début, pensait que les droits de l’Enfant auraient cours au XXIe siècle. Or, s’il y a bien un lieu qui est exempt de droits, c’est l’école.

Les notes dans le quotidien de l’école sont une source importante de tensions. Nombreux sont les étudiants qui ne comprennent pas leurs notes et la conteste. Même les parents s’interrogent sur son adéquation en fonction du travail de l’élève.

Sur la manière dont ils la fabrique. Il ne faut éviter les débats en interne et taire le secret de polichinelle qu’il y a des professeurs plus « sévères » que d’autres, ce qui engendre des inégalités d’évaluations. L’Ecole est une machine à sélectionner et à amplifier les inégalités. Cette sélection se fait principalement par la note et par la complicité de professeurs qui ne se posent pas la moindre question sur leurs pratiques, et encore moins sur leur propre compétence et leur responsabilité personnelle dans la fabrication de ces inégalités.

Deux tropismes[4] éclairent notre système scolaire au sujet des notations. Le premier se dit à la salle des « profs[5] » : « Ma classe est composée de quelques élèves “faibles”, d’un gros ventre mou d’élèves “moyens” et de quelques élèves “forts”. Cette distribution, je dois retrouver dans mes résultats ! ».

Le second tropisme s’adresse aux élèves : « Avec les fautes que tu as faites, je n’ai pas d’autre solution que de te donner une moyenne qui te fera redoubler ton année ! » Ce sont deux « actes réflexes » (donc non remis en cause et encore moins analysés), qui vont décider de l’avenir d’un être humain. Et cet avenir va durer 70 ans. Autant d’années à souffrir de la décision inhumaine d’un être qui se prétend humain, et qu’un enfant a croisé par le plus grand des hasards dans une école pendant une petite année. Un être qui ne s’interroge pas sur sa propre humanité, qui n’aura plus jamais aucun lien avec cet élève dont il sacrifie l’avenir, et sur qui cette décision de sélection n’aura pas le moindre impact, au contraire de l’enfant qui devra porter cette marque d’infamie tout au long de son existence.

Evaluer, c’est « porter un jugement sur la valeur de…[6] ». Quand on évalue, il s’agit bien de porter un jugement. Il y a donc à chaque fois subjectivité (jugement de « valeur ») et imprécision (approximation). Ce sont les deux caractéristiques des notes.

Ces jugements de valeur sont souvent basés sur une conception naturaliste de l’intelligence. Des enfants seraient doués pour les études et d’autres, au contraire, seraient doués pour les travaux manuels. Cette conception est régulièrement portée par les partis politiques néolibéraux qui ont une caractéristique commune, c’est qu’ils n’ont aucune personne compétente en matière d’enseignement dans leurs partis. A tout le moins en France et en Belgique. D’ailleurs, cette « vérité » néolibérale est tellement dépassée qu’aucun chercheur en psychologie ou en sociologie ne se lèvera pour la défendre.

Hors les écoles à pédagogie active qui, elle, ont décidé de respecter leurs élèves, La plupart des institutions scolaires persistent à vouloir attribuer une note à toute production. Pourtant, et cela a été démontré depuis plus d’un siècle, le système d’évaluation par notation est tellement subjectif qu’il ne reflète jamais le niveau réel de l’élève en matière d’acquisition des apprentissages. Jean-Jacques Bonniol[7], professeur des universités en sciences de l’éducation, a par exemple calculé qu’il faudrait 78 correcteurs en mathématique et 762 en philosophie pour neutraliser les erreurs de calcul et améliorer l’objectivité de la notation.

La cotation est commode et ne nécessite aucune compétence pédagogique. Il ne faut pas trop réfléchir, elle est vite donnée et le nombre d’échecs déterminera la « qualité » du professeur. Elle permet de mettre les élèves en compétition et de sélectionner ceux qui ont le plus de « facilités scolaires », ceux qui proviennent des milieux les plus favorisés, tout en « criminalisant » les autres et en se débarrassant de ceux qui nécessiteraient plus d’investissement pédagogique. C’est donc de leur faute et de celle de leurs familles qu’ils sont en échec.

La cotation est le signe extérieur de la compétence d’un établissement scolaire. Elle est pratique : le professeur et l’école peuvent ainsi se dédouaner de leurs incompétences ou de leur idéologie de sélection sociale et, par là-même, de leurs décisions touchant à l’avenir des élèves.

Pour la plupart des parents élitistes, la « bonne » école est celle qui pratique l’échec scolaire. Pour eux, les écoles qui font « réussir » seraient « laxistes ». Ceci explique la dévotion qu’ont ces écoles et les professeurs qui y exercent par rapport à la notation.

Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000 notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.

Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000 notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.

Lire la suite :

Evaluer, pour quoi faire ?

Les notes ont-elles toujours existé ?

Les notes, une question qui se pose depuis longtemps 

Alors, pourquoi les professeurs tiennent-ils aux notes ?

Que pensent les parents des notes ?

Les notes antérieures des élèves influencent-elles les professeurs ?

Le redoublement a-t-il un effet sur l’évaluation professorale ?

Comment se passe la relation professeur/élève dans ce contexte ?

Tous les élèves sont-ils logés à la même enseigne ?

Les notes sont-elles imprécises et productrices d’inégalités scolaires ?

Les profs disent que les notes ont un « effet stimulant ». Est-ce prouvé ?

Si la note est inefficace, comment faire, alors ?

En définitive, la notation est-elle une maltraitance ?

Quelles sont les alternatives à la note ?

Supprimer les notes, ne serait-ce pas tromper les élèves ?

Comment font les pédagogies actives, qui n’utilisent pas la note ?

Conclusion


[1] Voir la CIDE (Convention Internationale des Droits de l’Enfant » – ONU 1989.

[2] Edouard Claparède était est un médecin neurologue et psychologue suisse (1873-1940). Ses principaux centres d’intérêt furent la psychologie de l’enfant, l’enseignement et l’étude de la mémoire. Claparède est l’un des deux ou trois psychologues qui ont profondément nourri la psychologie de Piaget, notamment par sa psychologie de l’enfant et par sa psychologie de l’intelligence.

[3] Pierre Merle. Les notes. Secrets de fabrication. PUF 2007

[4] Tropisme : réaction élémentaire ; acte réflexe très simple.

[5] Si, pour nous, l’école de la cotation est un lieu où il ne devrait pas être mis d’enfants, la salle des « profs » est un lieu où il ne faut surtout pas mettre d’enseignants. On y entre avec une idéologie de réussite pour tous et les doxas qui y sont véhiculées par des professeurs d’arrière-garde, vous rendent pareils à eux, discriminants, incompétents et injustes.  

[6] Le Petit Robert, 1999

[7] Ancien professeur des universités, Jean-Jacques Bonniol est le fondateur et ancien directeur du département des sciences de l’éducation à l’Université de Provence, Aix-Marseille (France).

Evaluer, pour quoi faire ?

Evaluer, pour quoi faire ?

La première mission des enseignants est de former des élèves et non d’évaluer, il faut le rappeler car souvent cette priorité est oubliée. Cependant, l’évaluation est nécessaire car on ne peut enseigner sans savoir si on l’a fait correctement. Nous devons savoir si chaque élève a compris, mais aussi comprendre pourquoi certains n’ont pas acquis le savoir transmis. Cela nous permettra de voir la manière dont on peut les aider ainsi que la manière et les types de remédiations immédiates[1] que l’on peut mettre en place.

On distingue généralement trois types d’évaluations des élèves :

  • L’évaluation formative, dans laquelle la note n’a pas de place, n’est donc généralement pas cotée. Les notes sont inutiles pour trouver ce qui fait obstacle à une démarche visée. L’évaluation formative est destinée à chacune des deux parties. D’abord à l’enseignant pour lui permettre de savoir s’il a fait correctement son travail et de mettre en place les remédiations, mais aussi à un élève d’apprécier l’évolution d’un apprentissage et, le cas échéant, de recevoir une remédiation ou de l’aide par tutorat. L’évaluation formative comprend aussi l’autoévaluation, par l’élève, de ses apprentissages et la capacité de détecter et de nommer ses difficultés. L’évaluation formative continuée devient finalement sommative, une fois que tous les élèves ont acquis l’apprentissage. Cela permet gain de temps précieux et évite les évaluations-sanctions-sélection.
  • L’évaluation sommative dresse un bilan. Elle fait la « somme » des savoirs appris par un élève. Ces évaluations sont souvent cotées et participent alors à la mise en compétition des élèves et à la sélection des plus « faibles ». La note est établie en fonction d’une norme, celle du professeur, de l’établissement, ou du système éducatif. Il s’agit d’une évaluation-sanction-sélection. Cependant, l’évaluation sommative peut être le résultat d’une suite d’évaluations formatives non chiffrées.
  • Enfin, l’évaluation certificative, comme le dit son nom, a pour seul objectif de délivrer un « certificat » (diplôme, titre, …). En primaire, il s’agit du CEB, en secondaire des CE1D, ou CESS. L’évaluation certificative est un outil de sélection. On ne donne un « certificat » qu’à ceux qui maîtrisent les savoirs et compétences nécessaires.

L’évaluation par la note n’est en rien une obligation. Au contraire, de nombreuses pratiques issues le plus souvent de mouvements de pédagogies actives, modifient l’évaluation cotée pour aller vers une évaluation bienveillante et empathique, permettant à chaque élève de développer une meilleure estime d’eux-mêmes et ainsi d’être encouragés et poussés vers la réussite[2].

Mais l’évaluation est pervertie…

Loin de l’utiliser comme outil d’aide à la formation des élèves, de trop nombreuses écoles et de trop nombreux professeurs considèrent l’évaluation comme un outil de sélection dans une société où la compétitivité serait une exigence sociale majeure. Dans ce contexte dévoyé, « l’évaluation peut contribuer à la réussite ou à l’échec des élèves ». Selon Charles Hadji, l’évaluation prend une double forme, soit positive à travers une valorisation de l’élève en réussite scolaire, soit négative à travers la stigmatisation de l’élève en échec. Dès lors « l’évaluation peut être la meilleure ou la pire des choses. Elle peut être un facteur aggravant pour l’échec, et un facteur encourageant pour la réussite.[3] »

Les notes sont des outils qui perpétuent les divisions entre les élèves, au lieu d’aider à les réduire. Le système d’évaluation ne fait pas son travail qui doit être d’offrir une visibilité sur les acquis réels des élèves. En France, les inspecteurs dénonçaient cette « tyrannie de la note » en 2005[4] : « les évaluations menées souffrent d’un même défaut : un souci presque religieux de prendre pour référence la moyenne et d’aboutir à un classement, c’est-à-dire à la définition d’une situation relative et non d’une situation absolue. »

Le trait principal du système de notation est qu’il ressemble à une distribution de type gaussien[5], en forme de cloche, avec un petit groupe d’élèves « forts », un gros ventre mou d’élèves « moyens » et un petit groupe d’élèves « faibles ». La seule question que doit se poser le professeur est de définir le point limite. Une fois fixée, les élèves sont classés en fonction des trois critères repris ci-avant. Tout ce qui compte, c’est la « moyenne », le système ne pouvant fonctionner que s’il y a une part suffisante de notes faibles. 


[1] La remédiation n’a de sens que si elle est immédiate, donc placée au cœur de l’apprentissage, pendant le cours et surtout avant tout nouvel apprentissage. La postposer serait ajouter des difficultés car ce nouvel apprentissage est souvent la suite du précédent et ne ferait qu’accumuler difficultés sur difficultés.

[2] Quand nous parlons de « réussite », nous ne parlons évidemment pas « d’avoir les points », mais d’avoir acquis des savoirs.

[3] Charles Hadji, L’évaluation à l’école, Nathan 2015

[4] Les acquis des élèves, pierre de touche de la valeur de l’école ? évaluation du système éducatif  – Rapport IGEN – rapport conjoint IGEN-I.G.A.E.N.R. – juillet 2005

[5] Une fonction gaussienne est une fonction en exponentielle de l’opposé du carré de l’abscisse (une fonction en exp ( − x 2 ). Elle a une forme caractéristique de courbe en cloche. On parle aussi de « courbe de Gauss ».

Les notes ont-elles toujours existé ?

Les notes ont-elles toujours existé ?

L’école a existé sans la note pendant des siècles jusqu’à ce que les  Jésuites[1] créent un peu partout leurs Collèges avec, pour objectif l’émergence d’une jeunesse instruite et disciplinée, apte à assumer des responsabilités de « leadership ». Au XVIe siècle, Ignace de Loyola, en fit l’instrument de la reconquête catholique (la Contre-Réforme) afin de contrecarrer l’expansion protestante sur l’un de ses terrains de prédilection: l’accès aux savoirs, religieux et laïques. Ces écoles se veulent élitistes. Il s’agit de privilégier les plus méritants et d’éliminer les autres. Il s’agira donc d’élaborer un système obligatoirement sélectif.

Pour créer l’émulation – et donc la compétition – ils vont tester différents procédés. Les collèges sont régis par un code, le Ratio studiorum, qui pose comme principe que l’enseignant se doit de favoriser une honnête émulation qui fera effet de grand aiguillon pour l’étude. Les collèges vont commencer par élaborer tout un système complexe de récitations, compositions, « disputes », concours, prix, joutes, devoirs écrits, révisions quotidiennes, mensuelles, trimestrielles et annuelles. Les élèves sont placés dans des groupes hiérarchisés, placés en situation de concurrence perpétuelle[2].   

Chez les Jésuites (…), les élèves étaient divisés en deux camps, les Romains d’une part et les Carthaginois de l’autre, qui vivaient pour ainsi dire sur le pied de guerre, s’efforçant de se devancer mutuellement. Chaque camp avait ses dignitaires. En tête du camp, il y avait un « imperator », appelé aussi dictateur ou consul, puis venaient un préteur, un tribun et des sénateurs. Ces dignités, naturellement enviées et disputées, étaient attribuées à la suite d’un concours qui se renouvelait chaque mois. D’un autre côté, chaque camp était divisé en décuries, comprenant chacune dix élèves, et commandée par un chef nommé décurion et pris parmi les dignitaires dont nous venons de parler. Ces décuries ne se recrutaient pas indifféremment. Il y avait entre elles une hiérarchie. Les premières comprenaient les meilleurs élèves, les dernières les écoliers les plus faibles et les moins laborieux. Et ainsi, de même que le camp dans son ensemble s’opposait au camp adverse, dans chaque camp chaque décurie avait dans l’autre sa rivale immédiate, de force sensiblement égale. Enfin, les individus eux-mêmes étaient appariés, et chaque soldat d’une décurie avait son émule dans la décurie correspondante. Ainsi le travail scolaire impliquait une sorte de corps à corps perpétuel (…). A l’occasion, le maître ne devait pas craindre de mettre aux prises des élèves de force inégale. Par exemple, on faisait corriger le devoir d’un élève plus fort par un élève moins fort « afin que ceux qui ont fait des fautes en soient plus honteux et plus mortifiés » (…). C’est grâce à ce partage entre le maître et les élèves qu’un professeur pouvait diriger sans trop de difficulté des classes qui atteignaient parfois deux cents et trois cents élèves[3].

Au début, les maîtres comptaient les fautes et ordonnaient les copies selon le mérite. Ils transmettaient par correspondance ces résultats, parfois laconiques, aux familles. Voici par exemple le bulletin obtenu en 1780 par un interne du collège royal de Cahors (Compère, 1985):

Moeurs et religion: excellentes

Caractère: excellent, trop timide

Place sur 52 écoliers (novembre, décembre, janvier):

Thème: 27e, 39e, 35e, 26e

Version: 13e, 30e, 14e

Vers: 44e, 26e

Ces indications de rang vont être progressivement remplacées par des appréciations chiffrées : Au collège de Caen, on optera pour une échelle à 4 niveaux : 1 = bien; 2 = assez bien; 3 = médiocre; 0 = mal. En fin d’année, les classements permettront de distinguer « le bon grain de l’ivraie » : Les « optimi » seront promus dans la classe supérieure, au contraire des « inepti ». Les « dubii » seront admis dans la classe suivante, mais à l’essai et à conditions.

Les jésuites ont ainsi inventé le favoritisme encore en vogue dans nos écoles élitistes : les « dubii » (doubleurs) restent en principe dans leur classe, sauf si la famille insiste ou si des « personnages considérables » interviennent en leur faveur. C’est en 1890 que sera officialisée, en France, l’échelle de notation des compositions de 0 à 20, seulement dans le secondaire pour les compositions trimestrielles et le baccalauréat. Elles ne sont en revanche pas obligatoires en classe, tout au long de l’année, où les professeurs font comme ils veulent. L’idée fondamentale à l’époque est de noter les compositions pour pouvoir décerner des prix. Il s’agit donc de faire des moyennes pour départager les gagnants[4].

L’Etat français, en se substituant aux collèges religieux, va poursuivre le même objectif, former les élites bourgeoises sur la base de leur mérite. Les hyènes ne se mangent pas entre elles… et perfectionner la notation. Chaque cohorte va donc être « notée » et ces notes découlent du découpage imaginé par les Jésuites. Les « rangs », les « notes », les « grades » participent tous d’une sélection des élèves, les plus hautes notes étant attribuées aux élèves les plus « méritants », alors que les notes les plus basses seront attribuées aux « médiocres, insuffisants ou mauvais ».

Les « bons » élèves siègeront au banc d’honneur[5], tandis que les cancres seront relégués au banc de la honte ou au « coin ». En fin d’année, ils étaient – et sont toujours – condamnés à un infâme redoublement. Mais le maître avait-il d’autres solutions, dans des classes qui pouvaient compter jusque 200 élèves ? C’est à ce prix que la République française a pu scolariser des millions d’enfants qui ne l’étaient pas auparavant.

Notre histoire, en Communauté française, mais aussi notre école a toujours été et est toujours fortement influencée par ce qui se passe outre-Quiévrain. L’école française, encore aujourd’hui, a les mêmes faiblesses que la nôtre et les médias n’aidant pas, les professeurs belges se dédouanent de leurs pratiques de sélection et du taux de redoublement parce « qu’on a toujours fait ainsi ». Le « on », c’est la France et les images qu’elle nous renvoie de son propre système scolaire. Relisons « Le Petit Nicolas[6] » ou plus récemment « L’élève Ducobu[7] » mais aussi les films qui parlent de l’école en la montrant sous l’aspect sélection, ou incompétence des élèves (Rappelons-nous la série des Sous-doués, Mauvais élèves, Les Profs, Le Maître d’école, Le plus beau métier du monde, …). Car non, « on » n’a pas toujours fait ainsi…

Depuis la Révolution française, les hiérarchies sociales ne sont plus basées sur la naissance mais sur le mérite. Du moins, c’est ce que l’Ecole voudrait nous faire croire. On sait, cependant que celle-ci discrimine les élèves essentiellement sur base des origines sociales.

D’ailleurs, l’idéologie républicaine a fait long feu. C’est Octave Gérard[8] qui, sous Napoléon III a mis en place un modèle d’école que nous connaissons encore aujourd’hui en Belgique, qui a ensuite été repris et généralisé à partir des années 1880 par Jules Ferry. « La note sur 20 est choisie dans le secondaire car plus pointue que la note sur 10 du primaire. Les résultats sont théâtralisés et deviennent un moyen de discipline alors jugé très efficace. La mauvaise note est d’ailleurs une punition autorisée, au même titre que la retenue ou les devoirs. »[9]

En 1868, Octave Gérard crée un cursus divisé en trois cycles de deux ans chacun (élémentaire, moyen et supérieur). Octave Gréard impose dans tous les cours l’enseignement simultané[10]. Le passage d’un cours à l’autre est alors déterminé par des examens de passage. Dès lors, un élève peut rester 4 ou 5 années durant dans le cours élémentaire. Les passages de classe en classe font office de sélection de telle sorte que seuls les meilleurs atteignent le cours supérieur, puis le certificat d’études. En 1888, seulement 30 % des élèves parviennent à terminer leur cursus sans redoublement. Comme quoi, l’école d’aujourd’hui n’a rien inventé et nous reproduisons les mêmes croyances que ces ancêtres de l’école obligatoire.

Même si, dans les années qui ont suivi, l’objectif de régression de l’analphabétisme a fait massivement diminuer le redoublement, la répartition des élèves par classe est restée inégale au début du XXe siècle. Les cours élémentaires regroupaient les élèves qui n’avaient « pas assimilé les bases »[11]

Sous Jules Ferry[12], si la scolarité devient obligatoire, les passages de classe en classe sont filtrés de telle sorte que seuls les meilleurs atteignent le cours supérieur et le certificat d’études. L’école républicaine tend à privilégier la scolarité des « meilleurs », ceux qui sont issus des meilleures familles. Les tensions avec les parents ne datent pas d’hier. A l’époque déjà, les familles s’insurgeaient sur le choix des élèves présentés aux examens du certificat d’étude primaire, l’école ne s’intéressant qu’à ses « bons » élèves et délaissant déjà les autres.

Le processus d’industrialisation en cours en Europe va entraîner une énorme demande de main d’oeuvre. Le système scolaire va devoir répondre à cette demande et préparer les élèves à assumer différentes fonctions sociales tributaires de leurs compétences professionnelles et donc de leurs mérites individuels[13] : la sélection des élites sera un des principaux facteurs qui vont influencer durablement les pratiques d’évaluation.

L’évaluation notée a donc été pensée pour pratiquer une sélection entre les élèves, dans un objectif de formation d’« élites ». Nous en sommes toujours là aujourd’hui et, même si les professeurs n’en sont pas conscients (il suffirait pourtant qu’ils ouvrent leur ordinateur et s’intéressent un tout petit peu à la docimologie), ils participent à l’amplification des inégalités sociales. Il s’agit déjà bien d’un modèle scolaire qui tire vers le haut les plus « forts » et ignore les plus « fragiles ».

Les notes, une question qui se pose depuis longtemps


[1] Lire Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer [les notes à] l’école ? Olivier MAULINI, Enseignement primaire, Genève. Texte édité par l’association Agatha, en marge des deux débats organisés le 29 février 1996: Abolir la note à l’école: Quels effets ? & Des notes à l’école, pour quoi faire ?

[2] Emile Durkheim voit dans cette machinerie classificatoire l’une des sources du génie national français.

[3] Durkheim, Emile (1938). L’évolution pédagogique en France, Paris, PUF (Quadrige). P 298-299.

[4] Claude Lelièvre, l’historien de l’éducation in Supprimer les notes, «c’est le contraire du laxisme» – Le Figaro, 11/12/2014.

[5] Les bancs à l’avant de la classe, près du maître.

[6] Le Petit Nicolas, Sempé & Goscinny. Paris : Denoël, 1960, 120 p. et livres suivant…

[7] Ducobu des belges Zidrou (scénario) et Godi (dessins), 1992, repris par le cinéma… français.

[8] Octave Gréard, 1828-1904 est un pédagogue français. Il a élaboré en 1868 une nouvelle organisation des écoles primaires en trois cycles de deux ans chacun (cours élémentaire, cours moyen et cours supérieur) aboutissant au certificat d’études.

[9] Diane Galbaud, Une pratique toujours en vogue, malgré les critiques, in Le monde de l’éducation n°344, dossier « Que valent les notes ? », Février 2006.

[10] L’enseignement, dans sa forme la plus générale, peut être individuel, mutuel, ou simultané. L’enseignement simultané consiste, comme mode, à ordonner l’école de manière que tous les élèves ou du moins une partie notable des élèves puissent recevoir ensemble l’enseignement sur les diverses parties du programme. http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3642

[11] Jérome Krop, La méritocratie républicaine : élitisme et scolarisation de masse sous la IIIe République, Presses universitaires de Rennes, 2014

[12] Jules Ferry est l’auteur des lois restaurant l’instruction obligatoire et gratuite. Il est ainsi vu comme le promoteur de « l’école publique laïque, gratuite et obligatoire ».

[13] Barbier, J-M (1983). Pour une histoire et une sociologie des pratiques d’évaluation en formation, Revue française de pédagogie, n°63, pp.47-60.

Ecole : Quelle est l’efficacité de la notation ?

Ecole : Quelle est l’efficacité de la notation ?

La question de la notation interpelle les parents mais aussi les enseignants depuis ses débuts. On relèvera l’expérience du professeur Laugier en 1930. Il a recherché dans les archives de l’époque 166 copies d’agrégation d’histoire et les a faites recorriger par deux collègues qui avaient une longue expérience, connus pour être capables de corriger méticuleusement. Ceux-ci ont travaillé séparément, sans connaître leurs appréciations respectives. Les résultats furent édifiants : la moyenne de l’ensemble des notes du premier correcteur dépassait de deux points celle du second. Les écarts de notes pour les mêmes copies pouvaient aller jusqu’à 9 points. Le premier a donné 5 à 21 copies qui ont été cotées entre 2 et 14 par le second. Le candidat classé avant dernier par l’un était second chez l’autre. Enfin, la moitié des candidats reçus par le premier étaient refusés par le second. 

Laugier et Weinberg ont montré, ensuite, que la double correction est illusoire. Pour obtenir une « note exacte » (c’est-à-dire une moyenne telle que l’adjonction d’un autre correcteur ne modifierait pas sensiblement la moyenne) il faudrait 127 correcteurs en philosophie, 78 en composition française, 28 en anglais, 19 en version latine, 16 en physique et 13 en mathématiques. Autant dire qu’aucun professeur n’est capable, dans quelque discipline que ce soit, d’obtenir une « note exacte ».

Pour aller plus loin, Laugier et Weinberg en France, ont demandé à un professeur de physiologie de recorriger 37 copies – dactylographiées et anonymisées – qu’il avait corrigées trois ans et demi auparavant. Dans 7 seulement copies sur 37, il remit la même note au même devoir. Dans tous les autres cas, il y eut des divergences comprises entre 1 et 10 points. Avec cette nouvelle correction, la moitié des élèves admis à l’époque aurait été refusées 3,5 ans plus tard, tandis que la moitié des refusés auraient été admis.

Ces expériences ont été reproduites de nombreuses fois, avec à chaque fois des résultats aussi surprenants qui montrent que les élèves « faibles » peuvent être piégés par des notes catastrophiques et que celles-ci débouchent sur une dynamique de dévalorisation qui peut, à terme, devenir irréversible.

A ce titre, l’étude de Jean-Jacques Bonniol et de ses collègues[1], menée en 1972 est éclairante. Ils distribuèrent à deux groupes de correcteurs les copies écrites identiques, rédigées par un groupe d’élèves de 6e. Le premier groupe se vit indiquer que ces copies provenaient d’élèves de « niveau élevé », tandis que le second groupe apprit que les élèves étaient d’un « niveau faible ». Le résultat fut sans appel : les copies des « élèves forts » étaient systématiquement surcotées par rapport aux copies des « élèves faibles ». La note moyenne des élèves supposés « forts » fut de 11,16 sur 20, tandis que celle des élèves supposés « faibles » ne fut que de 9,65. Le seuil critique étant à 10, les chercheurs en ont conclu que, dans l’esprit des correcteurs, les « bons » élèves ne peuvent que bien faire et les « mauvais » ne peuvent que mal faire. Une fois encore l’effet Pygmalion[2] était démontré.


[1] Bonniol, J-J., Caverni, J-P., Noizet, G. (1972). Le statut scolaire des élèves comme déterminant de l’évaluation des devoirs qu’ils produisent. Cahiers de psychologie, N°15, pp.83-92

[2] Sur l’effet Pygmalion, se référer au chapitre « Connaissance des notes antérieures des élèves » de ce dossier.

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