Les réformes gouvernementales et leur impact sur les droits de l’Enfant

Les réformes gouvernementales et leur impact sur les droits de l’Enfant

Un combat politique encore trop d’actualité 

De Giorgia Meloni à Geert Wilders, en passant par Bart de Wever et Georges-Louis Bouchez, l’Europe connaît une radicalisation de la droite et une banalisation de l’extrême-droite depuis quelques années. 

En Belgique francophone, cette radicalisation se fait ressentir à tous les niveaux de pouvoir. En Région wallonne et en communauté française, le Mouvement Réformateur et Les Engagé·e·s procèdent à une libéralisation des mesures encadrant les droits des jeunes depuis leur entrée en fonction.

Au niveau fédéral, le détricotage méthodique des droits sociaux, ainsi que le durcissement des conditions d’accès à certains droits fondamentaux (regroupement familial, chômage, allocations familiales etc.) impactent directement ou indirectement les enfants, dont les parents sont visés par ces mesures.  

Les droits des jeunes et des enfants sont déjà fragiles, trop souvent instrumentalisés ou négligés par les politiques qui sont sensés les défendre. Sans voix politique, ils n’ont pas de moyen d’agir directement sur la politique, alors que ces dernières impactent directement les vies des jeunes. 

Les droits des jeunes au croisement des dominations  

Dans une perspective sociologique, cette étude portera sur l’impact des réformes gouvernementales fédérales, régionales et communautaires sur les droits de l’enfant. Nous entendons donc par droits des enfants toute mesure garantissant l’égalité et la liberté des jeunes. Ces droits de l’enfant sont, pour certains, encadrés par le droit belge et le droit international. D’autres demeurent un objet de lutte sociale et politique. En ce sens, nous ne nous limiterons pas à l’étude des droits de l’enfant en soi, mais nous nous attarderons également aux systèmes sociaux qui augmentent les inégalités sociales, souvent avec l’appui du droit et des politiques. 

La lutte pour les droits des Enfants est une lutte contre toutes les discriminations 

Dans un monde qui se radicalise, quel avenir laissons-nous à nos enfants ? Et quelle place leur accordons-nous dans nos combats politiques ? Les inégalités sociales se mettent en action dès la naissance. Défendre les droits des enfants devient alors indissociable de la lutte pour une société juste et égalitaire, qui serait antiraciste, antisexiste, anticapitaliste etc. La Ligue des Droits de l’Enfant réitère la nécessité de mener un combat contre toutes les formes de discrimination, à toutes les échelles, pour oser un jour atteindre une société réellement juste et égalitaire pour tout·e·s. Lorsque les enfants grandiront sans distinction de classe, de race, de genre, d’orientation sexuelle etc… alors peut-être auront nous enfin atteint l’égalité. 

Le placement pour cause de précarité

Le placement pour cause de précarité

En Belgique, de nombreux enfants grandissent dans des conditions de précarité qui compromettent l’exercice effectif de leurs droits fondamentaux. La pauvreté ne se limite pas à un simple indicateur économique, elle constitue une atteinte directe au droit à un niveau de vie suffisant, à la santé, à l’éducation, au logement et à la protection. La Ligue des droits de l’enfant rappelle que la pauvreté infantilise les droits. En effet, elle les rend abstraits, inaccessibles et conditionnels. Elle crée une inégalité structurelle entre enfants, dès le plus jeune âge, et compromet ainsi les principes d’égalité des chances et de non-discrimination pourtant consacrés par la Convention relative aux droits de l’enfant, que la Belgique a ratifiée en 1991.

Une violation du droit à la vie familiale de l’enfant

Cette réalité devient d’autant plus préoccupante lorsque la précarité sociale ou économique conduit au placement d’enfants en dehors de leur milieu familial. En effet, les services de protection de la jeunesse et les juges de la jeunesse peuvent être amenés à retirer un enfant de son environnement familial, non pas à cause d’une maltraitance avérée ou d’un danger, mais tout simplement parce que les parents sont en situation de pauvreté extrême ou d’exclusion sociale. Cette pratique pose de sérieuses questions juridiques et éthiques : la précarité peut-elle, en tant que telle, justifier le retrait d’un enfant de sa famille ? 40 000 enfants sont placés (en institution, en maison d’accueil ou au sein de structure spécialisée) en Belgique et sont par conséquent, éloignés de leur famille [1].

Les textes de référence internationaux rappellent que la pauvreté, à elle seule, ne saurait justifier la séparation d’un enfant de sa famille. Ces normes imposent aux États l’obligation de soutenir les familles vulnérables pour leur permettre d’élever leurs enfants dans des conditions dignes, plutôt que de recourir au placement comme solution par défaut.

Le placement, une réponse institutionnelle ? 

En Belgique pourtant, de nombreux professionnels du secteur soulignent un phénomène préoccupant: des familles en situation de pauvreté sont jugées inaptes à assumer leur rôle parental en raison de leur précarité matérielle, de leur logement insalubre ou de leur accès limité aux soins [2]. Ce constat a été dénoncé à plusieurs reprises par les acteurs du secteur associatif, par les services de défense des droits humains, et récemment par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU dans ses observations adressées à la Belgique. Le placement devient alors, non pas un outil de protection de l’enfant contre un danger direct, mais une réponse institutionnelle à la pauvreté, ce qui constitue une forme d’injustice sociale [3].

Or, les conséquences de ces placements sont lourdes : rupture du lien parental, stigmatisation, instabilité affective et parfois institutionnalisation prolongée. Au lieu de renforcer les droits de l’enfant, le système peut contribuer à leur fragilisation. Cette situation révèle une forme de défaillance systémique car l’État ne remplit pas son obligation de soutenir les familles se trouvant en situation de précarité, et pallie cette carence par des mesures intrusives, voire répressives [4].

L’urgence de renforcer le soutien aux familles

Face à cette réalité, il est impératif de réaffirmer que la pauvreté ne doit jamais être criminalisée. Elle est un fait social, non une faute parentale. Le droit des enfants à vivre en famille, dans un cadre sécurisant, doit être garanti à travers des politiques sociales robustes, centrées sur la prévention, l’accompagnement des familles, l’accès effectif au logement, à l’aide sociale, aux soins et à l’éducation.

Il est donc urgent de repenser le rôle de la protection de la jeunesse et de renforcer les mécanismes de soutien aux familles, afin que le placement ne soit plus une réponse à la pauvreté, mais uniquement une mesure de dernier recours lorsqu’il y a une « situation de danger », comme l’exige les dispositions juridiques nationales et internationales [5].

[1] L’ilot, « Placement en institution et précarité : causes et alternatives », aout 2025, https://ilot.be/placement-en-institution-et-precarite/

[2] J. Giltaire, « Faut-il placer un enfant uniquement parce que sa famille est très pauvre ? », RTBF Actus, https://www.rtbf.be/article/faut-il-placer-un-enfant-uniquement-parce-que-sa-famille-est-tres-pauvre-10097265

[3] C. Trifaux, « Les recommandations du Comité des Droits de l’enfant des Nations Unies : un indicateur de l’état de santé des droits de l’enfant en Belgique… », Dossier Mémorandum, Liguedh.

[4] J. Giltaire, « Faut-il placer un enfant uniquement parce que sa famille est très pauvre ? », RTBF Actus, https://www.rtbf.be/article/faut-il-placer-un-enfant-uniquement-parce-que-sa-famille-est-tres-pauvre-10097265

[5] L’ilot, « Placement en institution et précarité : causes et alternatives », aout 2025, https://ilot.be/placement-en-institution-et-precarite/

L’inceste en 10 idées reçues : Vrai ou faux ?

L’inceste en 10 idées reçues : Vrai ou faux ?

Nouvelle analyse

    L’inceste, se définit comme étant « toute relation sexuelle entre deux ou plusieurs membres d’une même famille » [1]. Les actes sexuels sont commis entre membres d’une même famille ou entre personnes liées par un lien familial, de parenté ou une relation d’autorité similaire [2].

    L’inceste demeure un sujet profondément tabou dans la société belge, comme ailleurs. Malgré sa gravité et ses lourdes conséquences psychologiques pour les victimes, il reste souvent enfoui dans le silence familial et social.

    En Belgique, les cas d’inceste sont difficilement quantifiables, en raison d’une forte sous-déclaration. Parce qu’il demeure tabou, ce silence, souvent entretenu par la peur, la honte, la culpabilité ou encore le déni familial, rend l’identification et la prise en charge des victimes extrêmement complexes. Pourtant, les conséquences de ces violences sont profondes et durables, notamment lorsqu’elles touchent des enfants : troubles psychologiques, traumatismes, perte de repères, difficultés relationnelles, voire altérations majeures du développement émotionnel.

    Au-delà de l’atteinte individuelle subie par l’enfant, l’inceste constitue une violation grave de ses droits fondamentaux. En ratifiant la Convention internationale des droits de l’enfant en 1991, la Belgique s’est engagée à garantir à chaque enfant la protection, le respect et la réalisation de ses droits. Or, l’inceste bafoue de manière directe plusieurs articles de cette convention. L’article 19 stipule que les États parties doivent prendre toutes les mesures appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, y compris les abus sexuels, qu’ils soient exercés par des parents ou toute autre personne ayant autorité sur lui. L’article 34 quant à lui renforce cette obligation en imposant aux États de protéger les enfants contre toutes les formes d’exploitation et de violence sexuelle. Ces dispositions ne sont pas symboliques. Celles-ci impliquent des devoirs concrets, tant en matière de prévention que de protection des enfants et de leurs droits [3].

     

    Que fait la Belgique ?

    Néanmoins, malgré ces engagements, la Belgique peine encore à faire de la lutte contre l’inceste une priorité claire et systémique. Longtemps ignoré ou mal nommé dans le droit belge, l’inceste n’a été reconnu explicitement qu’avec l’adoption du nouveau Code pénal sexuel, entré en vigueur en 2022. Ce progrès législatif marque une avancée importante, mais il ne résout pas à lui seul les nombreux obstacles que rencontrent les victimes pour dénoncer les faits et obtenir réparation.

    Le climat de silence qui entoure l’inceste, combiné à la dépendance affective et matérielle vis-à-vis de l’agresseur, rend souvent la parole de l’enfant extrêmement difficile, voire impossible. Or, selon l’article 12 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ce dernier a le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question le concernant, et de voir ses propos pris en considération avec sérieux et respect, en fonction de son âge et de sa maturité.

     

    Que faire ?

    Dans ce contexte, la lutte contre l’inceste ne peut se limiter à un cadre juridique. Cette prise en compte nécessite une approche globale, incluant la sensibilisation du public, la formation des professionnels, la création de lieux d’écoute sécurisés pour les enfants, et le développement de structures spécialisées dont l’objectif est l’accompagnement des victimes sur le long terme. Il est également primordial de garantir un accès effectif à la justice, avec des procédures adaptées aux enfants, évitant la double victimisation et favorisant leur reconstruction.

    En définitive, protéger les enfants contre l’inceste, c’est faire respecter leurs droits les plus fondamentaux, au cœur même de la cellule familiale, là où ils devraient être les plus en sécurité, raison pour laquelle ce combat semble essentiel pour la Ligue des Droits de l’Enfant. Cette nouvelle analyse prend la forme de vrai ou faux dont les dix préjugés sont listés ci-dessous, afin de permettre d’explorer un thème sensible tout en facilitant sa compréhension.

     

    Vrai ou faux ?

    1. L’inceste est un synonyme de violences sexuelles
    2. La notion de « famille » se rapporte seulement aux parents
    3. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant protège les enfants contre l’inceste
    4. L’inceste n’est pas puni par la loi
    5. Le nombre de cas d’enfants victimes d’inceste en Belgique est actuellement beaucoup plus élevé qu’auparavant
    6. L’inceste laisse des séquelles psychologiques
    7. Il est facile de déceler les situations d’inceste
    8. L’EVRAS permet de prévenir l’inceste
    9. La parole de l’enfant n’a pas beaucoup d’importance
    10. Il n’existe pas de lieu de prise en charge en Belgique pour les enfants victime d’inceste et de violences sexuelles

    [1] Action enfance, « L’inceste : une forme de violence intrafamiliale », 2023, https://www.actionenfance.org/actualites/inceste-une-forme-de-violence-intrafamiliale/

    [2] Ibidem.

    [3] Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies le 20 novembre 1989, approuvée par la loi du 17 janvier 1992, M.B., 15 janvier 1992, p. 805, Art. 12, 19 et 34.

    Les enfants parlent de la pauvreté

    Les enfants parlent de la pauvreté

    La Ligue des droits de l’enfant tire la sonnette d’alarme face à une réalité encore trop ignorée en Belgique : la pauvreté infantile. De nombreux enfants grandissent dans des conditions socio-économiques précaires qui entravent leur accès à des droits fondamentaux tels que l’éducation, la santé, la culture ou un cadre de vie digne. La pauvreté rend ces droits abstraits, inaccessibles, voire conditionnels, et compromet ainsi leur développement. Cette situation, bien que préoccupante, est souvent banalisée et réduite à de simples chiffres économiques, alors qu’elle touche profondément le quotidien et l’avenir de nombreux enfants.

    Face à cette urgence sociale, la Ligue place la lutte contre la pauvreté infantile au cœur de son action, en exigeant des politiques publiques plus justes, ambitieuses et humaines. Dans ce cadre, un dossier pédagogique a été élaboré pour mieux comprendre les multiples dimensions de la pauvreté vécue par les enfants. Le premier chapitre aborde la pauvreté à la fois sous son aspect matériel et subjectif, en prenant en compte le ressenti des enfants et les conséquences sur leur développement. Le deuxième met en lumière le rôle essentiel des associations qui soutiennent quotidiennement les familles en difficulté. Le troisième donne la parole aux enfants, qui s’expriment sur des notions telles que la pauvreté, la famille, l’école, la santé ou encore la solidarité. Leurs témoignages révèlent une réalité faite de stigmatisation, d’isolement, de difficultés économiques, mais aussi d’un attachement profond aux relations humaines, perçues comme une richesse véritable.

    Même s’ils ne se définissent pas comme pauvres, ces enfants sont conscients de leur position sociale et de l’injustice qui en découle. Ils ne se sentent pas riches non plus, mais trouvent leur richesse dans l’amour de leur famille et de leurs amis. Avoir un petit logement ou des moyens limités n’est pas un drame pour eux, tant qu’ils ressentent de l’amour et ne sont pas isolés. La plupart disposent d’un minimum de biens matériels (télévision, ordinateur, jeux vidéo), ce qui leur permet de ne pas se sentir exclus parmi leurs pairs. Pourtant, leur parole reste encore trop peu écoutée. Dans de nombreuses écoles et institutions, leur avis n’est ni sollicité ni pris en compte, malgré leur capacité à exprimer un regard critique sur le monde qui les entoure.

    L’école, censée être un lieu d’épanouissement, devient pour beaucoup un espace de souffrance et d’exclusion. Ces enfants savent que leur avenir sera semé d’obstacles, et ressentent que la société ne veut pas d’eux, tout comme elle a souvent rejeté leurs parents. En ignorant ce cri, nous risquons de créer une génération en rupture, qui rejettera à son tour les valeurs de solidarité nécessaires à la construction d’une société plus équitable.

    La Belgique s’est pourtant engagée à garantir à chaque enfant ses droits fondamentaux : logement, santé, éducation, alimentation et accès à la culture. Cependant, les politiques actuelles restent fragmentées et insuffisantes. Près de 18 % de la population, dont de nombreux enfants, vit sous le seuil de pauvreté, et les familles monoparentales sont particulièrement touchées. Des mesures ont été mises en place, comme la Garantie européenne pour l’enfance, la revalorisation des prestations sociales depuis 2024, ou encore le Plan 2030 qui vise à réduire significativement la pauvreté, notamment celle de 93 000 enfants. Ces initiatives vont dans le bon sens, mais doivent être renforcées et coordonnées pour être réellement efficaces.

    Lutter contre la pauvreté infantile, ce n’est pas seulement venir en aide aux plus vulnérables : c’est garantir un avenir plus juste pour l’ensemble de la société. Écouter les enfants, prendre en compte leur parole et agir en conséquence, c’est poser les bases d’une société plus solidaire, inclusive et respectueuse des droits humains.

    Télécharger l’étude (551 Ko).

    Entre égalité et liberté : l’uniforme scolaire face aux droits de l’enfant

    Entre égalité et liberté : l’uniforme scolaire face aux droits de l’enfant

    « Porter un uniforme, c’est d’une certaine façon se rappeler l’autorité hiérarchique de l’équipe éducative vis-à-vis de ses élèves ; il a pour but de marquer une certaine discipline en classe. Il a aussi pour fonction d’enlever les marqueurs d’identité sociale et d’instaurer une certaine standardisation ». L’uniforme est défini comme « un habit réglementaire, que tous les membres d’un groupe doivent porter selon des règles précises ». Nombreuses sont les écoles où les élèves devaient – ou doivent encore parfois – porter l’uniforme. Dans le cadre de la présente analyse, son impact sur la construction de l’identité des enfants sera analysé. En effet, contraints de devoir porter tous la même tenue au sein d’un établissement, les enfants ne peuvent s’habiller selon leurs goûts ou leur personnalité et doivent ressembler les uns aux autres d’un point de vue vestimentaire.

     

    L’uniforme à l’école : entre utilité sociale et respect des droits de l’enfant

    L’uniforme est un signe d’appartenance et, dans certains pays, il n’est en aucun cas question de ne point le porter pour se rendre à l’école. Chez nous, aujourd’hui, il est plutôt une exception car peu nombreuses sont les écoles où il est encore obligatoire. Permettant d’aplanir les différences entre enfants, l’uniforme pourrait leur permettre de « se consacrer à leurs apprentissages, mieux réussir à l’école, sans la distraction engendrée par les tenues dictées par l’appartenance à un groupe donné » et qu’ils « ne s’attachent pas aux aspects extérieurs de la personne, mais qu’ils puissent découvrir la valeur de l’autre sans se préoccuper de l’apparence ». Néanmoins, chacun a ses goûts vestimentaires, que le port de l’uniforme empêche d’affirmer, ce qui peut être problématique surtout à la préadolescence.

    L’école a pour objectif d’enseigner des matières, des valeurs, de transmettre des connaissances et d’instaurer un savoir-vivre ensemble. En effet, il ne s’agit pas d’un lieu banal, des normes claires et précises l’encadrent et en font un microcosme du monde adulte. Au fil des années, l’institution scolaire, les normes et les mentalités ont évoluées. En effet, dans leur histoire, nombreux sont les établissements scolaires marqués par l’instauration d’un uniforme obligatoire. Par ailleurs, force est de constater que les filles et les garçons ne portaient pas la même tenue, le pantalon étant totalement exclu pour les filles pour qui la jupe était requise.

    Avec la mise en place de l’uniforme obligatoire est apparue une certaine homogénéisation des tenues des élèves, une volonté d’égalité entre tous les enfants d’un même établissement, l’idée d’être davantage concentré en classe ; par ailleurs, l’uniforme, pour certains parents, offrirait une facilité pour habiller l’enfant. Cependant, son port dans les établissements scolaires est peu à peu délaissé après mai 1968, ce qui laisse place au style vestimentaire de chacun. Néanmoins, actuellement, les réflexions sur le retour de l’uniforme au sein des écoles sont nombreuses. Certes, il présente de nombreux aspects positifs, notamment en termes de non-discrimination, principe présent dans l’article 2 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant ; ainsi, les enfants d’un même établissement sont égaux d’un point de vue vestimentaire, ce qui empêche les différences entre enfants dont les parents sont mieux lotis financièrement et ceux moins aisés. Néanmoins si cela est vrai au sein d’un même établissement, ce principe doit être nuancé en ce qui concerne les différences entre les écoles aux uniformes différents, montrant ainsi la position sociale de l’enfant et de son groupe d’appartenance.

    De facto, l’uniforme aurait pour fonction d’instaurer une certaine égalité entre tous les élèves d’un même établissement, pourtant, l’affirmation de son identité et de sa personnalité peut être impactée et les inégalités subsister. Par conséquent, il est erroné de certifier que l’uniforme conduit à une totale égalité entre les enfants. En effet, il confirme déjà pour ceux le portant qu’ils appartiennent à un groupe et à une classe sociale spécifiques. Ainsi, à cet égard, pour le sociologue H. DRAELANTS, cet uniforme est « un instrument de sélection sociale et de construction d’une image élitiste des institutions scolaires. L’uniforme est censé uniformiser les élèves. Au fond, il différencie les écoles. Dans ces écoles à uniforme, comptez le nombre d’élèves issus de milieux populaires, je suis certain que vous n’arrivez pas à 3 % ».

     

    Autonomie et affirmation de soi : des besoins essentiels pour les droits de l’enfant

    Plus l’enfant grandit, plus il a besoin d’autonomie pour affirmer ce qu’il est et ce qu’il aime, ce qui passe notamment par le style vestimentaire. Ce besoin d’affirmation de soi est renforcé surtout lors de la préadolescence, et puis avec l’adolescence. Petit, il sera habillé selon le choix de ses parents, mais au fur et à mesure il aura tendance à vouloir contrôler son propre corps et ses préférences vestimentaires et ressent le besoin de contrôler son apparence et de s’habiller selon ses propres goûts. Le fait d’imposer le port de l’uniforme l’empêche de s’exprimer physiquement, d’affirmer sa personnalité en termes vestimentaires. Les garçons sont contraints de porter le pantalon et les filles, la jupe. Or, certaines pourraient ne pas aimer la porter en y étant contraintes en cas d’obligation du port de l’uniforme. En outre, de par cette dichotomie entre les uniformes spécifiques en fonction du genre attribué à la naissance, les enfants se voient imposés dès leur plus jeune âge des codes sociaux qui ne correspondent pas forcément à leur ressenti, voire à l’évolution des mœurs, et les empêche de s’exprimer par rapport à leur personnalité.

    De surcroît, un argument contre le port de l’uniforme est le fait qu’il entrave la construction de l’identité de l’enfant étant donné que « la manière de s’habiller fait partie des moyens dont dispose un enfant pour exprimer son identité, son originalité, voire sa créativité ». Sa construction identitaire passe notamment par son style vestimentaire, qui serait par conséquent entravée par l’imposition de l’uniforme. Il est important d’insister sur le fait que les différentes pratiques vestimentaires de chacun fournissent de nombreuses informations sur l’identité de l’enfant en pleine construction et plus encore pendant la préadolescence et l’adolescence. Chacun a ses goûts et une personnalité différente qui se transmet à travers ses vêtements, ce qui n’est pas forcément possible avec l’uniforme même si des accessoires peuvent néanmoins le personnaliser. D’un point de vue vestimentaire, chaque enfant est identique et ne peut dévoiler sa personnalité, alors que sa construction identitaire est importante. L’uniforme impose une standardisation. Or l’école, une institution légitime, est l’un des premiers endroits où l’enfant peut se développer et s’affirmer sans le contrôle de ses parents et où il pourra trouver quelle est sa place.

    Le vêtement « permet à chacun de nous renseigner sur les caractéristiques de l’autre mais aussi sur la culture de la société à laquelle il appartient ». L’enfant, en pleine construction identitaire, se cherche et a besoin de s’affirmer, de se sentir mis en valeur et d’affirmer sa personnalité, ce qui passe par l’affirmation de son style qui lui permet également de se démarquer des autres et d’imposer d’une certaine manière son état d’esprit. Les préférences de chacun sont affirmées par le choix de vêtements et s’intensifient plus l’enfant grandit. Les vêtements sont perçus comme une « communication non verbale symbolique » et comme un indicateur important de la construction identitaire et de l’affirmation de la personnalité.

    La manière dont chacun s’habille reflète son propre caractère, son humeur et sa personnalité, et cela est important afin de se construire et d’acquérir une confiance en soi, et ce surtout pendant l’enfance où l’on commence à se découvrir et s’affirmer. Il est important de faire un parallèle avec l’article 29 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant qui stipule que « les États parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à : favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ». Cette disposition tend à favoriser son épanouissement, notamment par l’affirmation de sa personnalité. Néanmoins, selon le point de vue de madame ELISABETTINI, institutrice primaire que nous avons rencontrée, lors de la petite enfance, la tenue vestimentaire n’a pas d’importance mais elle en prend, lorsqu’il grandit, notamment à la préadolescence lorsqu’il se soucie de son apparence. Force est de constater que l’article 1er de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant n’opère pas de distinction juridique entre d’une part, l’enfant et d’autre part, l’adolescent. Néanmoins, d’un point de vue sociologique, le fait d’être adolescent est une réalité qui ne peut être ignorée par le droit et un adolescent ne se perçoit pas de la même façon qu’un jeune enfant.

    Dans les établissements où l’uniforme est encore obligatoire ou s’il était réimposé, l’une des solutions pourrait être de permettre de le personnaliser et de ne pas imposer aux filles la jupe ou encore d’envisager simplement un code couleurs.

     

    Conclusion

    Ainsi, nombreux sont les points positifs de l’uniforme tels que l’objectif d’égalité entre les élèves d’un même établissement scolaire, en masquant le milieu social duquel ils proviennent, même si selon l’avis du sociologue H. DRAELANTS, l’uniforme peut « créer une image élitiste des institutions scolaires ». L’article 29 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant consacre spécifiquement le principe selon lequel l’épanouissement de sa personnalité est primordial et passe notamment par l’affirmation de son style vestimentaire qui offre des indications sur sa personnalité et ses goûts. Le fait de porter un uniforme peut dès lors entraver cette affirmation de soi et de la personnalité de l’enfant en ce sens que tous sont habillés de la même façon et ne peuvent choisir leurs vêtements les jours d’école. En pleine construction de leur identité et de leur personnalité, il est important pour eux de l’affirmer pour se découvrir, s’affirmer, développer la confiance en soi et montrer aux autres qui ils sont.

    En définitive, il est vrai que l’uniforme peut présenter des avantages tels que l’instauration d’une certaine égalité entre les élèves et d’une homogénéisation conforme à l’article 2 de la CIDE, ou encore en ce qu’il facilite le choix des parents qui ne doivent pas réfléchir à la façon d’habiller l’enfant. Mais la manière dont est habillé un enfant reflète sa personnalité et son identité, ce qui ne peut être affirmé en cas du port de l’uniforme. Par ailleurs, malgré cette idée d’égalité, le port de l’uniforme par un enfant affirme déjà qu’il appartient à un certain groupe social, ce qui n’est pas l’idée à l’origine de cette volonté. Pour toutes ces raisons, il nous semble que la réinstauration de l’uniforme au sein des écoles belges ou sa conservation là où il est toujours obligatoire ne sont pas judicieux étant donné que cela pourrait entraver la construction identitaire, la confiance en soi et l’épanouissement de l’enfant, ce qui est contraire à l’article 29 de la CIDE.

     

    Bibliographie

    •  Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies le 20 novembre 1989, approuvée par la loi du 17 janvier 1992, M.B., 15 janvier 1992, p. 805, art. 1, 2 et 29.
    • DE WAELE M, HUBERT M et PACQUE H., « Regards croisés clinique et juridique sur l’enfant et ses environnements », Cours du master MASDENF de C. MATHYS et A-S. CALANDE, ULB, 2021-2022.
    • HSIA S., « Les dessous d’une tenue scolaire. Sociologie du genre au prisme du code vestimentaire à l’école », Mémoire sous la supervision de B. WYNANTS, Uclouvain, 2019-2020, pp. 1-82.
    • LORIERS B., « L’uniforme scolaire peut-il effacer les inégalités et est-il adapté à nos réalités actuelles ? », Union Francophone des Associations de Parents de l’Enseignement Catholique, Bruxelles, 2013, pp. 1-8.
    • TERRAL S., « Les pratiques vestimentaires des jeunes, l’apparence au service de la sociabilité adolescente », Trajet de sociologie sous la direction de A. MEIDANI, Toulouse, 2012-2013, pp. 1-98.
    • Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Uniforme
    • X, « Pour ou contre l’uniforme scolaire ? Controverses et arguments », Mon uniforme scolaire, 2020, https://www.mon-uniforme-scolaire.fr/blog/2020/09/14/pour-ou-contre-l-uniforme-scolaire/

    Témoignage

    •  Rencontre avec Madame PAULINE ELISABETTINI, institutrice primaire

    Pour une éducation sans violence : la Belgique doit dire non aux violences dites éducatives ordinaires

    Pour une éducation sans violence : la Belgique doit dire non aux violences dites éducatives ordinaires

    « Une fessée n’a jamais tué personne », « une bonne correction fait la bonne éducation »… Ces adages, encore trop présents dans notre culture, traduisent une vision dépassée, voire dangereuse, de l’éducation. Ils reposent sur l’idée qu’une dose de violence – physique ou psychologique – serait nécessaire pour bien élever un enfant. Pourtant, cette idée ne tient plus. Elle est non seulement inefficace, mais elle est aussi contraire aux droits fondamentaux des enfants.

    Les violences dites « éducatives ordinaires » (VEO) – gifles, fessées, cris, humiliations, menaces – sont encore tolérées dans de nombreux foyers, sous prétexte qu’elles feraient partie de l’autorité parentale. Mais ce sont bel et bien des violences, qu’il faut nommer comme telles. Ce ne sont pas de “petites” violences. Elles sont banalisées, invisibilisées, mais leurs conséquences sont bien réelles. Elles nuisent au développement émotionnel, cognitif et affectif des enfants, compromettent leur sécurité intérieure, abîment leur confiance en eux… et transmettent l’idée qu’on peut obtenir l’obéissance par la peur.

    Historiquement, l’enfant était vu comme une propriété du père, sur lequel pesait un « droit de correction » jamais consacré légalement mais socialement admis. Il obéissait, et le père pouvait punir. Aujourd’hui, cette conception est incompatible avec les valeurs d’une société démocratique et respectueuse des droits humains. L’enfant n’est plus un objet de droit, il est une personne à part entière, vulnérable, mais titulaire de droits fondamentaux reconnus par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, que la Belgique a ratifiée en 1991.

    Pourtant, malgré les engagements internationaux pris, notre pays n’a toujours pas adopté de législation fédérale interdisant explicitement les violences dites éducatives ordinaires. Ce flou juridique est une faille grave. En 2003, 2015 et 2018, le Comité européen des droits sociaux a déjà rappelé à l’ordre la Belgique pour cette absence. Et en 2025, rien n’a changé : aucune loi claire, aucune interdiction explicite.

    Les chiffres, eux, parlent d’eux-mêmes : en 2024, SOS Enfants a recensé plus de 6 154 signalements de violences éducatives. La réalité est d’autant plus alarmante que ces chiffres ne représentent que la partie visible de l’iceberg. Beaucoup d’enfants grandissent dans des environnements où la violence est encore perçue comme “normale”, voire “éducative”.

    Face à cela, la Ligue des Droits de l’Enfant s’engage. Parce que défendre les droits des enfants, c’est aussi remettre en question des pratiques éducatives héritées, ancrées et nuisibles. Une éducation bienveillante ne signifie pas une absence de cadre ou de limites. Elle repose sur le respect, l’écoute, la fermeté sans brutalité, et le refus de toute forme de violence – même celle que la tradition a longtemps maquillée en “bonne intention”.

    Aujourd’hui encore, certains justifient leur opposition à une telle loi en invoquant le respect de la vie privée, la crainte d’une ingérence dans le foyer, ou la peur de perdre l’autorité parentale. D’autres évoquent la complexité du paysage institutionnel belge ou la sensibilité de ce sujet dans l’opinion publique. Mais protéger un enfant n’a jamais été une ingérence. C’est un devoir. Ce n’est pas restreindre les parents, c’est les accompagner. C’est offrir des outils, des ressources, des alternatives : montrer qu’il est possible d’éduquer sans frapper, sans hurler, sans rabaisser.

    Interdire les VEO, ce n’est pas imposer un modèle éducatif unique. C’est fixer une limite claire : aucune violence n’est acceptable dans la relation adulte-enfant. Ce n’est pas un combat idéologique, c’est une exigence de dignité humaine. C’est affirmer que la société n’a pas à tolérer ce qu’elle reconnaît comme inacceptable dans toutes les autres sphères de la vie.

    L’éducation non violente ne fabrique pas des “enfants-rois”, elle forme des adultes équilibrés, autonomes et respectueux. Elle impose des règles, sans recourir à la violence. Elle cultive la confiance, la sécurité affective, l’estime de soi. Elle ne fait pas l’impasse sur les conflits ou les frustrations, mais elle y répond avec des outils respectueux.

    Aujourd’hui, plus de 60 pays dans le monde ont déjà légiféré pour interdire toute forme de violence éducative. La Belgique, pourtant classée parmi les États les plus respectueux des droits de l’enfant, reste à la traîne. Ce retard est incompréhensible et inexcusable. La société civile se mobilise. Des voix s’élèvent. Des actions en justice, comme celle initiée en janvier 2025 par Défense des Enfants International – Belgique, rappellent l’urgence de cette réforme.

    L’année 2025 doit être celle du changement. Une législation fédérale claire et ambitieuse est indispensable. Elle doit interdire sans ambiguïté toute forme de violence éducative, et s’accompagner d’une politique publique de sensibilisation, de formation et de soutien à la parentalité. Car la loi, seule, ne suffira pas. Il faudra aussi changer les mentalités. Déconstruire les habitudes. Ouvrir le dialogue. Offrir aux familles des repères et des ressources.

    La Ligue des Droits de l’Enfant en fait une de ses priorités majeures. Chaque enfant a le droit de grandir dans un environnement sécurisé, respectueux et aimant. La violence n’a pas sa place dans leur éducation. Ce combat est celui de la dignité humaine, du respect de l’enfance, et de l’avenir même de notre société.

    Protéger les enfants, ce n’est pas punir les parents. C’est construire ensemble une société plus juste, plus humaine, plus forte.

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