Août 15, 2024 | Discrimination - Violence, Ecole - Education - Inclusion
Mme Alexander nous livre son témoignage
Merci, de nous donner la parole aujourd’hui, à la suite d’un courrier que j’ai envoyé au Ministre du Logement, des Transports et du Développement Territorial.
Je suis la maman de Cannelle Alexander. Je suis invitée à m’exprimer sur un problème récurrent : le transport scolaire. Cannelle ne parle pas : sa maladie l’en empêche. Aussi je m’exprime pour elle, ainsi que pour les autres enfants, dans la même situation qu’elle.
Avant de développer mon intervention, je tiens à vous rappeler que le transport scolaire dans l’enseignement spécialisé est un droit acquis depuis 1974, en raison de la distance plus importante à parcourir pour les enfants handicapés.
Comment cela fonctionne-t-il ? Le MET (Ministère de l’Equipement et des Transports) délègue au TEC (Transport en Commun) le soin d’organiser les transports et, pour cela, le TEC fait appel à des sociétés privées. Mais les conditions de transport sont loin d’être idéales ! Pour beaucoup d’enfants, le temps de transport est incroyablement trop long. A titre d’exemple, Cannelle aurait 5 heures de car par jour pour aller à l’école, distante de 40 km de la maison. Quel parent accepterait que son enfant, valide, fasse autant d’heures de bus tous les jours ?
Par ailleurs, quand votre enfant monte en voiture, l’attachez-vous ? Sachez que, dans les bus du TEC, les enfants ne le sont pas toujours : tous les véhicules ne sont pas équipés de ceinture et, donc, ne respectent pas les mesures de sécurité en vigueur dans notre pays, mesures qui sont plus que nécessaires pour des enfants qui ne sont pas autonomes. Imaginez un enfant autiste, avec des troubles du comportement. Cet enfant doit être drogué pour qu’il reste calme durant ces interminables heures de bus. Je vous invite à visiter la page qui parle du transport scolaire sur le site de la Ligue des Droits de l’Enfant et qui reprend l’ensemble des dysfonctionnements dont je parle.
Maintenant, je souhaite vous lire le courrier que j’ai envoyé au Ministre, ainsi qu’à tous les responsables du transport. Je vais demander à mon mari de vous distribuer un petit fascicule dans lequel j’ai repris la lettre, ainsi qu’un document joint en annexe.
Monsieur le Ministre,
Je vous adresse ce courrier, suite au premier passage d’un bus de transport scolaire, ce lundi 3 novembre.
Bonne nouvelle a-priori puisque nous l’attendions depuis le 1er septembre. Quel sens de l’humour a le TEC puisqu’on m’annonçait : « Nous passerons chercher Cannelle à 6 h 35 ! » C’est une bonne blague, me dis-je, au vu de ses problèmes de santé. Non, ce n’est pas une blague !
Vous excuserez d’avance le ton quelque peu déconcertant de ce courrier. Mais, après quelques années de grande galère avec le transport scolaire et, n’ayant plus rien à perdre puisque, quoi qu’on fasse, on est toujours perdant avec vous, autant me libérer un peu.
Je parlais donc de problème de santé. Il apparaît en effet que vos services soient plus à même qu’un médecin pour juger de la nécessité ou non d’un transport scolaire individuel ou en groupe restreint afin d’en diminuer le temps (voir les certificats médicaux remis en début de chaque année scolaire). Je me permettrai donc de vous joindre en annexe, la dernière radio de ma fille. On pourrait croire que cela fait partie du secret professionnel, auquel tout patient a droit mais, dans notre cas, un transport décent me semble un droit plus important. Voilà à quoi ressemble un enfant handicapé (pas tous, mais la mienne, oui) vue de l’intérieur ! Un enfant handicapé, c’est un peu plus qu’un peu de bave qui dégouline, des cris effrayants, un air débile.
Un enfant handicapé, ma fille en l’occurrence, souffre de problèmes orthopédiques et d’une lourde scoliose – d’une énorme, gigantesque, extraordinaire scoliose – qui lui cause quelques souffrances.
Cannelle aura 15 ans bientôt, elle pèse 19 kg et elle mesure 135 cm. Sa colonne vertébrale fait les « montagnes russes ». Elle ne sait pas s’asseoir seule ; elle ne sait pas marcher ; elle ne sait pas parler pour me dire : « Maman, j’ai mal, atrocement mal dans ce p… de bus. Aide-moi ! »
Il n’est vraisemblablement pas permis ni au MET, ni dans ces messieurs-dames politiques – ministres de tous genres et de tous bords -, qu’il y ait un enfant handicapé, sinon on aurait revu la situation depuis longtemps et on aurait trouvé l’argent ou, au moins, une façon plus intelligente de le gérer. Donc, airs compatissants et mines de circonstances en notre présence. Mais, c’est bien connu, « Loin des yeux, loin du cœur ».
Pour conclure, je me demande si la mettre dans un bus à 6 h 35 pour commencer l’école à 9 h, sans oublier le retour, serait bien raisonnable, sauf … si je veux la tuer. Et, dans ce cas, merci le transport scolaire ou « comment se débarrasser de sa fille handicapée, un peu gênante et encombrante, en quelques semaines » … sans risque d’être inquiété par la justice, puisque voilà comment contourner le meurtre par négligence ou encore, la non-assistance à personne en danger… Merci encore le transport scolaire
…
Je vous remercie d’avoir lu ce courrier jusqu’au bout et vous prie de recevoir, Monsieur le Ministre, mes meilleures salutations.
En lisant ceci, vous aurez compris que 5 h de route pour aller à l’école, c’est vraiment beaucoup !
A ce jour, mon courrier est resté sans nouvelles. Après cette lecture, moi, je me demande si le transport de bestiaux n’est pas plus réglementé dans notre pays car, très vite, Gaïa monterait au créneau, avec la couverture médiatique que l’on connaît, et les soutiens de toutes parts. Pour nos enfants, qui crie au scandale ?
Mon souhait aujourd’hui, c’est simplement de vous interpeller pour que vous preniez conscience de cette situation qui est intolérable pour la maman que je suis. Sachez que nos enfants handicapés sont des enfants avant tout et pourraient être les vôtres. La voix de ces enfants n’est pas entendue. Aussi, aujourd’hui, je parle en leur nom, au nom de toutes les souffrances qu’ils endurent par une politique qui fait fi de tout cela.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de m’avoir écoutée mais, plus encore, de m’entendre.
Mr Coenen, Ligue des Droits de l’Enfant
Merci, Mme Alexander.
Au nom de la Ligue des Droits de l’Enfant, je vais maintenant exposer nos revendications en matière de transport scolaire.
Les transports scolaires concernent environ 15 000 enfants en Communauté Française (Région de Bruxelles-Capitale et Région wallonne). Pour plus de 90 % d’entre eux, cela se passe sans problèmes. Malheureusement, pour 9 % des enfants, la durée des trajets est une réelle souffrance, jusqu’à cinq heures par jour (et parfois au-delà). Cela génère des horaires trop lourds. Certains enfants quittent leur domicile avant 6h30 pour le retrouver 12 heures plus tard. Il leur reste deux bonnes heures pour faire leurs devoirs, souper, se détendre, … Tôt levés, tôt couchés. Peu de vie de famille.
Il s’agit clairement, pour certains enfants (ceux qui sont plus d’une heure par trajet dans le bus) d’une situation inhumaine, voire carrément dégradante. Le terme de maltraitance que nous utilisons depuis 2006 n’est nullement usurpé. En effet, cette situation génère une véritable souffrance, tant au niveau psychologique que physique, selon les déficiences des enfants. Pour plus de détails, nous vous conseillons de relire notre dossier de presse de novembre 2006 http://www.ligue-enfants.be/?p=28
La Ligue rappelle ses revendications dans l’intérêt supérieur des enfants concernés
Nous demandons qu’une règle soit établie en direction des TECs organisateurs des tournées, afin que celles-ci aient une durée maximale pour chaque enfant. Nous estimons que 60 minutes est un maximum au-delà duquel ce n’est plus rendre service à l’enfant. Dans les cas exceptionnels, on pourrait (si le handicap de l’enfant le permet) monter à 90 minutes maximum. Mais cela devrait rester des exceptions et ne pas durer plus d’une année dans la scolarité d’un enfant. Pour rappel, les normes de l’AWIPH sont de deux heures maximum aller ET retour !!!
Favoriser, pour les enfants ayant les horaires les plus lourds, l’utilisation de véhicules de catégorie 3 (8 places + chauffeurs) tels que ceux utilisés par les ASBL qui organisent les transports scolaires.
De même, nous demandons que les bus soumissionnés par les TECs auprès des firmes de car, aient un confort minimal véritable, permettant aux enfants de passer ce temps dans les meilleures conditions qui soient. Au niveau sécurité, ils doivent être équipés de sièges individuels, d’appuie-têtes et de ceintures de sécurité.
Nous demandons également que les convoyeuses soient correctement formées aux handicaps et à ce qui doit être mis en œuvre pour leur favoriser la période passée dans le bus, ainsi qu’à la gestion d’un groupe d’enfants dans un espace clos. De même une équipe suffisante de convoyeuses doit être mis en place pour palier aux absences.
Nous demandons que tout transport scolaire d’enfant soit établi en concertation avec la famille ou l’institution en charge de l’enfant, ainsi qu’avec l’institution scolaire. Chacune de ces parties ayant son mot à dire et pouvant exiger un meilleur service. La seule gestion actuelle par les TECs ayant montré ses limites et son unique souci financier, au mépris total de la problématique des enfants.
Août 15, 2024 | Discrimination - Violence, Immigration
Témoignage de Mullem
Je m’appelle Mullem. J’ai 15 ans. Et je viens du Liban. Je pense que vous connaissez bien la situation au Liban.
Je suis arrivé en Belgique, parce que j’étais en danger. Il y avait la guerre et j’étais menacé par l’ex-mari de ma mère. Je suis arrivé en Belgique. J’ai été envoyé dans un centre, près d’Anvers, à Linkeroever. La vie au centre était difficile : il y avait 350 personnes de différentes nationalités et ils étaient tous des étrangers pour moi. J’étais habitué à une vie normale au Liban, avec ma famille.
Plus tard, nous avons reçu une lettre de Caritas, annonçant que nous allions vivre dans une maison à Ypres. Dans cette maison, je me sentais plus à l’aise. Je suis allé à l’école et j’ai appris le « dialecte local ». J’ai beaucoup d’amis à Ypres maintenant et j’aimerais bien y rester. Mais, parfois, des personnes ne sont pas gentilles envers moi comme, par exemple, un professeur à l’école. Il m’a dit qu’il me mettrait dans une enveloppe et qu’il me renverrait dans mon pays d’origine. Je pense que cet homme n’avait vraiment aucun respect pour moi.
Quand j’aurai 16 ans, j’aimerais bien travailler comme jobiste étudiant. Mais je sais que ce ne sera pas possible. Après mes études, j’aimerais bien devenir ingénieur ou dentiste. Mais ce ne sera possible que si j’ai des papiers. Merci pour votre écoute et votre invitation.
Anne Dussart, Caritas International
Rechercher un enfant sans papiers, ça n’a pas été simple, non plus, dans notre association. On aurait bien voulu trouver un enfant qui vit en région francophone. Malheureusement, c’est un enfant néerlandophone. On aurait pu faire écrire un témoignage et le lire. Mais je crois qu’il est important d’avoir un visage devant soi. Un « sans-papiers », c’est un enfant, ce sont des parents, c’est toute une famille. C’est la raison pour laquelle on a demandé à Mullem de venir témoigner et de dire qui il est. Mullem se sent bien. C’est la raison pour laquelle on a pu trouver un enfant. Mais, à Caritas, nous sommes confrontés à beaucoup d’enfants qui n’auraient jamais voulu témoigner. Toute sa famille est ici. On les remercie de venir de si loin, tous ensemble, pour soutenir Mullem parce que être sans-papiers, ça fait peur.
Les gens sans-papier vivent dans une anxiété constante d’expulsion : ils ne savent pas, quand ils se lèvent, ce qu’ils vont faire le soir, s’ils seront toujours en Belgique, s’ils vont se retrouver dans un centre fermé, si le lendemain, ils vont être dans un avion. Je crois que c’est très difficile à vivre. Même si Mullem se sent relativement bien, je crois que c’est ce qu’il vit au quotidien avec sa famille.
- Qui sommes-nous?
Caritas International est une ONG d’inspiration chrétienne, membre d’un des plus grands réseaux internationaux : Caritas Internationalis, comprenant 163 organisations présentes et actives dans environ 200 pays et régions.
Caritas International est spécialisé en deux matières : le volet étranger (urgence, réhabilitation et développement) et le volet intérieur. Dans le cadre de ce colloque, seule la dimension intérieure sera développée. Nous venons en aide aux migrants nouvellement arrivés en Belgique et plaidons pour que chaque migrant soit traité dignement, quel que soit son statut.
- Le volet « migration » de notre travail
Caritas International organise l’accueil, le logement et l’accompagnement à petite échelle des demandeurs d’asile durant toute la durée de la procédure. Elle met à leur disposition 192 unités de logement dans toute la Belgique. Elle leur offre également un accompagnement professionnel dans le cadre d’une Convention conclue avec le Ministère de l’Intégration Sociale. Caritas International estime que l’autonomie et la vie de famille des personnes concernées doivent être garanties. Avoir un foyer constitue le premier pas vers l’autonomie, le renforcement de l’esprit d’initiative et l’intégration sociale.
Les migrants en difficulté peuvent s’adresser au service social de Caritas International à Bruxelles. De plus en plus de personnes sans-papiers et de familles avec enfants viennent nous trouver pour demander des conseils. Des professionnels essaient de les aider via les moyens qui sont à leur disposition, ce qui est extrêmement difficile car ces personnes se trouvent dans une situation de détresse sans issue.
En réponse aux demandes du service social de Caritas International, plusieurs projets sont développés.
Depuis la fin des années 80, Caritas International est l’une des organisations qui visitent les personnes enfermées dans les centres 127 (Melsbroek) et 127 bis (Steenokkerzeel). Grâce à nos visites hebdomadaires, nous voulons briser l’isolement des personnes enfermées, assurer l’information du monde extérieur et, si nécessaire, intervenir comme médiateur entre les instances et les personnes concernées.
Depuis 1984, Caritas International organise le retour accompagné en vue d’une réintégration durable dans le pays d’origine, ceci en partenariat avec l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Le service social de Caritas International encadre les migrants qui désirent rentrer volontairement dans leur pays d’origine et ce, pendant toute la durée de la procédure (projet REAB). Dans ce cadre, Caritas International fait appel à son réseau international afin de mieux préparer et informer les personnes qui souhaitent rentrer dans leur pays. Une fois rentrées, les partenaires locaux se chargent de l’accompagnement de ces personnes.
Depuis 2005, Caritas International a engagé trois tuteurs professionnels. Chacun assume la tutelle de 25 mineurs étrangers non-accompagnés (Mena) en moyenne.
- L’exclusion des enfants sans papiers
Via les assistants sociaux et leur contact au quotidien avec les migrants, Caritas International dispose d’une expertise considérable en matière d’exclusion des enfants étrangers et des enfants sans papiers en particulier. Elle aimerait transmettre ici quelques problèmes liés à l’exclusion des enfants sans-papiers et des revendications à ce sujet.
- Les enfants sans-papiers subissent une grande pression psychologique sur plusieurs plans. Au niveau scolaire, les enfants se contraignent souvent à atteindre de bons résultats car pour eux, les résultats scolaires font preuve d’une bonne intégration, ce qui faciliterait la régularisation (ce qui n’est pas correct). L’enfant ne peut pas servir de traducteur, ce qui est souvent le cas vu que les parents ne connaissent pas la langue du pays. Parfois, les enfants doivent transmettre des informations qu’ils ne sont pas capables d’assumer à leur jeune âge. Les enfants sont victimes de la situation et doivent jouer le rôle d’adulte.
- Les enfants éprouvent une anxiété continue de se faire expulser. L’enfant ne peut pas envisager de plans pour le futur (projets d’études, de loisirs…). Un bon accompagnement ethno-psychologique (par le PMS) est nécessaire pour aider l’enfant à comprendre sa situation et à alléger ses tâches.
- La procédure est souvent dure, longue et difficile à comprendre pour un enfant sans-papiers. Les interviews doivent être adaptées à l’âge et la maturité de l’enfant et doivent être données par du personnel qualifié et dans un environnement adéquat.
- Les enfants se sentent souvent stigmatisés de façon relative par rapport à leurs compagnons. N’ayant pas de papiers, ils n’ont pas l’autorisation de quitter le pays, même pas pour des activités scolaires. Les activités obligatoires, comme la natation, et les excursions scolaires en Belgique sont souvent trop chères pour les parents. L’Etat pourrait prendre en charge les frais scolaires de tous les enfants de milieux modestes. Les enfants ne peuvent pas souvent participer à des activités extrascolaires, ce qu’ils perçoivent comme une exclusion.
- Les enfants sans-papiers ont droit à l’aide médicale d’urgence. Caritas International plaide pour un accès à tous les soins médicaux, qu’ils soient urgents ou non.
- Caritas International demande que la durée du séjour en Belgique soit prise en compte dans le processus décisionnel. Les enfants s’adaptent à un nouvel endroit, apprennent la langue et la culture et perdent souvent tout contact avec le pays d’origine. Caritas International demande le respect du temps maximal d’un an pour la durée de procédure de la demande d’asile. Elle demande également de statuer rapidement après une demande de régularisation.
- En aucun cas, des enfants peuvent être enfermés. Plusieurs recherches démontrent qu’un enfermement engendre des conséquences négatives pour l’état psychosocial de l’enfant car ces centres ne sont pas adaptés à la vie de l’enfant. L’alternative à l’enfermement des enfants dans les centres fermés, proposée par la Ministre de la Politique de migration et d’asile Annemie Turtelboom, n’est valable que pour les nouveaux arrivés : les familles déjà présentes dans les centres fermés n’ont pas droit au déplacement. L’accueil alternatif ne prend pas en considération la totalité des enfants sans-papiers, mais n’est qu’offert aux familles expulsées en fin de procédure. En outre, ce qui se passera avec les enfants et leurs parents qui demandent l’asile à la frontière n’est pas clair. C’est également le cas pour les enfants enfermés dans le cadre du respect de l’accord Dublin (enfermés en attente d’une expulsion vers le pays européen où ils ont effectué leur première demande d’asile). Cette dernière catégorie d’enfants représente 50 à 70% des enfants dans les centres fermés.
- En ce qui concerne les mineurs étrangers non-accompagnés, Caritas International demande un renforcement de la structure de la tutelle. Un mineur sans parents est toujours plus fragile qu’un jeune accompagné de sa famille. Tout en respectant le bon travail fourni par les tuteurs volontaires, nous plaidons pour un investissement supplémentaire de la part du gouvernement pour la professionnalisation des tuteurs et pour une reconnaissance des tuteurs travaillant comme employés dans une institution. Le travail en équipe aide le tuteur à trouver une solution personnalisée et durable pour les jeunes.
Août 15, 2024 | Discrimination - Violence, LGBTQI+ - Egalité de genre
Témoignage de Matthieu (Matthieu, donne sa voix à un jeune qui est victime de discriminations au sein de l’école, parce qu’il est homosexuel)
Lorsque je suis rentré à l’école cette année, j’étais loin de me douter que j’allais être confronté à une sorte d’enfer qu’on appelle communément « discrimination ».
A cause d’une erreur que j’ai commise, je vis chaque jour avec la hantise de ce qu’il va m’arriver à l’école. Je m’explique… Je suis un jeune homosexuel de 18 ans. Je suis élève dans une école de la région liégeoise, en dernière année d’études secondaires. Je dois dire que, plus jeune, je n’aurais jamais imaginé être attiré par un garçon. Mais, en arrivant dans ma nouvelle école, à Liège, il y a 2 ans, j’ai dû me rendre à l’évidence : ce ne sont pas les filles qui me plaisent ni qui attirent mon regard. Quel choc pour moi de tomber amoureux d’un garçon ! Mais il fallait faire avec ! J’ai donc assimilé le fait de ne pas être comme les autres. J’ai bien dit « assimiler », pas « accepter »… Deux années ont passé. Je me suis forgé une place dans l’école : élève modèle, toujours « délégué » ou « co-délégué » de la classe, dévoué à l’école, qui ne rate jamais une journée – même malade – et qui s’est donné pour but dans la vie, de travailler dans cet établissement. En bref, j’adorais cette école !
Un jour, j’ai commis l’énorme bêtise d’aller sur un site de rencontre homo. Quel acte stupide… qui a entraîné de graves conséquences ! Peu de temps après, une prof a découvert que j’avais été sur ce site et ne l’a pas du tout caché à la classe dont elle était titulaire. Elle s’est empressée d’imprimer les « preuves » de mon « crime » et les a apportées au directeur. Les élèves, de leur côté, se sont empressés de répandre la nouvelle : « L’élève modèle de l’école est un homosexuel ! » Une information qui vaut de l’or… En très peu de temps, la nouvelle avait fait le tour de l’école. Les premiers ragots voyaient le jour et j’ai été convoqué chez le directeur. J’ai eu un jour de renvoi, qui était prévu pour la semaine suivante.
Le lendemain, les premières réflexions désobligeantes ont commencé. On me montrait du doigt… On murmurait sur mon passage… Ou alors, on ne se gênait pas de dire tout haut ce qu’on pensait. C’est alors qu’un sentiment de vide et de solitude est né en moi. Malgré le soutien des mes amis, je me sentais seul, triste, perdu. Le coup que la vie m’infligeait me laissait un sale goût amer. Les jours ont passé. Les remarques ont empiré.
Le jour de mon renvoi est arrivé. Les élèves de ma classe ont alors refusé d’aller au cours : ils n’étaient pas d’accord que je sois puni, alors que d’autres élèves vont sur des sites de rencontre hétéro. Parce que, moi, c’était un site gay, je devais être sanctionné. Non, disaient-ils ! Et ils ont eu gain de cause, après seulement 50 minutes. Mon jour de renvoi a été annulé et j’ai pu retourner aux cours. Leur soutien m’a fait chaud au cœur et m’a donné un peu de courage, un courage qui a – hélas – rapidement disparu, lorsque même des profs ne cachaient pas leur opinion à l’égard de mon homosexualité. Certains ont eu un changement radical envers moi : plus un « bonjour », plus un sourire, rien !
Les jours ont continué à s’écouler, chaque jour apportant son lot d’insultes, de moqueries, d’intolérance. Pendant un moment, je me suis laissé abattre : je ne voyais plus de raison de vivre… Pour quoi avancer ? Pour quoi continuer ? A quoi bon ces souffrances ? L’école où je me sentais si bien devenait mon cauchemar. Cela a dû se voir car une éducatrice m’a fait appeler au PMS de l’établissement. Là, j’y ai trouvé une oreille qui a écouté ma douleur et le calvaire que je vivais. Alors, la psychologue du PMS m’a conseillé d’aller au CHEL, un centre pour les jeunes homosexuels liégeois. Je dois avouer : je n’étais pas très emballé par l’idée. Mais j’y suis quand même allé. Car ma tristesse se transformait peu à peu en haine, une haine telle un poison qui se répandait dans mes veines et qui faisait de moi quelqu’un d’autre, complètement différent… un être qui ne ressentait plus qu’une immense colère, mais une colère que j’ai gardée au fond de moi. C’est sans doute cela qui m’a poussé à aller au CHEL.
Là, j’y ai trouvé des gens semblables à moi, avec la même différence. Je m’y suis même fait un ami génial qui m’a écouté, conseillé, un homme qui m’a redonné espoir. A présent, cela fait plus de deux mois que je supporte les moqueries incessantes et de plus en plus blessantes. Je sais qu’un changement s’est effectué en moi : je suis devenu quelqu’un d’impulsif, qui n’a pas sa langue dans sa poche, qui s’en prend à des personnes qui ne lui ont rien fait ; quelqu’un qui est rongé par la tristesse et la haine, une haine indescriptible contre tous ces idiots qui jugent sans savoir de quoi ils parlent et qui font de ma vie un enfer. Quel contraste avec le garçon que j’étais ! Calme, timide, sensible, joyeux ! Je sais que ce garçon est encore quelque part en moi et je n’ai qu’un souhait : le retrouver. Car la personne que je suis devenue, je ne l’aime pas : elle me fait même peur !
Heureusement, j’ai conservé ma sensibilité, ma gentillesse. Ces deux choses me permettent de contrôler le plus possible mes émotions et de ne pas encore « péter un plomb ». Une chance qu’il y ait le CHEL ! Chaque semaine, j’attends avec impatience d’y aller mais s’il n’y avait pas là, que serait-il arrivé et combien de temps vais-je encore tenir ? Ma situation est invivable, un véritable enfer sur terre ! Je crois bien sombrer peu à peu dans la dépression. Ce sont des situations comme la mienne qui mènent au suicide. Je n’y suis pas encore. Je ne pense pas y arriver un jour, étant donné que je suis entouré. Mais nul n’est à l’abri d’un « pétage de plomb ». Là, je ne sais plus où donner de la tête, quel chemin prendre. On peut dire que je me suis perdu. La vie d’un homosexuel n’est pas toujours facile. Mais elle serait déjà plus simple s’il n’y avait pas tous ces idiots qui s’amusent à me pourrir la vie.
Jean-François Donfut, CHEL, Jeunes gay(e)s liégeois
CHEL, c’est l’acronyme de « Cercle Homosexuel Etudiant Liégeois », un des cercles homos qui existent en Communauté Française, ou « Cercle Arc-en-ciel Liégeois ».
Pour commencer mon intervention, je tiens à souligner que, dans les recherches, aucune étude sérieuse n’a été réalisée sur la situation des jeunes, en situation de discrimination homophobe à l’école, ce qui est assez interpellant.
La problématique de la discrimination à l’égard des jeunes homosexuel(le)s est multiple puisqu’elle touche différents aspects de la vie de ces jeunes. Nous les rassemblerons dans les trois grandes sphères de la vie des jeunes, à savoir la famille, l’école et les relations avec les pairs.
Au sein de la famille, la principale difficulté que rencontrent les jeunes homos sera le rejet qui peut se manifester sur un continuum. D’un côté, ce rejet apparaîtra sous la forme d’insultes et d’un renforcement du contrôle parental sur la vie du jeune, pouvant aller jusqu’à la privation totale d’autonomie alors que c’est justement dans cette période de sa vie que l’individu aura un besoin sans cesse grandissant d’autonomie. Par exemple, on a accueilli récemment un jeune qui, sous prétexte qu’il allait consulter un psychologue, venait en fait au CHEL. Il n’avait pas le droit d’avoir un GSM, ni le droit d’avoir accès à Internet. Il n’avait droit à aucune sortie, en dehors du fait d’aller à l’école. Il devait mentir à ses parents pour pouvoir avoir un espace d’écoute.
L’autre extrême du rejet sera la rupture des liens avec la famille (autrement dit, le jeune sera « mis à la porte »), se retrouvant face à la nécessité de subvenir seul à ses besoins. Au sein de notre association, nous sommes amenés à rencontrer des jeunes vivant cette situation : ils se retrouvent en décrochage social, perdus dans la spirale de la drogue et/ou de la prostitution, voire le suicide, avec toutes les problématiques associées à ce genre de situation.
Ensuite, au sein de l’école, le (la) jeune homosexuel(le) sera confronté(e), à partir du moment où il (elle) aura fait son coming-out[1], au silence et à l’incompréhension de ses professeurs et éducateurs, souvent peu, voire pas du tout, informés sur le vécu particulier de ces jeunes. Il (Elle) sera parfois confronté(e) à des actes d’une éthique fort douteuse. Par exemple, un élève se confie à son professeur et le professeur va raconter la situation de l’élève à d’autres étudiants. On verra, malheureusement souvent, des membres de l’institution scolaire qui n’osent pas intervenir lorsqu’ils sont témoins de situations de discrimination dont sont victimes les jeunes homos. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’insulte la plus courante dans les cours de récréation est « Sale pédé ».
Enfin, pour ce qui est des relations avec les pairs, les jeunes homos pourraient rencontrer des situations de rejet, recevant des insultes et seront même, parfois, tabassés par des jeunes de leur âge, et, comme dit auparavant, souvent au su et au vu d’adultes désemparés face à ces situations. Par exemple, à la sortie de l’école ou, parfois même, dans la cour de récréation.
Suite à cela, nous pensons que trois types d’actions doivent être mises en place. Tout d’abord, – et j’en ai déjà parlé-. objectiver le phénomène de l’homophobie envers les jeunes dans la famille, à l’école et dans les relations avec les pairs. Ensuite, former les professionnels susceptibles de travailler avec des jeunes, et plus particulièrement aux problématiques spécifiques que peuvent rencontrer les homosexuel(le)s présents dans leur public. Il peut donc s’agir des professeurs et des éducateurs, en première ligne, mais aussi des acteurs de l’aide à la jeunesse. Enfin, en se référant à l’expérience française[2], créer une structure spécifique à l’accueil et à l’aide des jeunes homos, structure qui interviendrait dans les cas d’urgence et sur le long terme, afin de maintenir le jeune intégré dans son cadre de vie habituel ou, si cela n’est pas possible, à assurer la transition du jeune vers un cadre de vie plus propice à son développement.
Je ne m’étendrai pas ici sur les doubles discriminations : le fait d’être un jeune homo et issu d’une culture étrangère, ou bien, le fait d’être un jeune homo et porteur d’un handicap. Je terminerai simplement en paraphrasant le slogan d’une association : « Avoir un enfant homo, avoir un enfant gay, ce n’est jamais triste ! »
[1] Coming-out : c’est le fait d’avoir annoncé son homosexualité à une ou des personnes de son entourage.
[2] Cf. l’association « Le refuge », en France. http://www.le-refuge.org/
Août 15, 2024 | Autres
Yannick va nous parler de l’exclusion scolaire définitive. Il n’est pas concerné par cette problématique mais Yannick va prendre la parole au nom des jeunes concernés pour qui la souffrance était trop forte pour venir vous en parler.
Au Service de Médiation Scolaire de St-Gilles, nous n’avons trouvé aucun jeune pour venir parler de l’exclusion scolaire définitive ou des exclusions qu’il aurait vécue(s). Source d’une grande souffrance, on préfère oublier, ne pas y penser, ne pas en parler ou alors de façon tout à fait confidentielle. Yannick a accepté de nous lire le témoignage d’un jeune qui ne sera pas identifiable. Celui-ci est au courant : il a accepté que l’on parle de sa situation et il a participé à la rédaction de son témoignage.
Témoignage de Yannick
J’ai été exclu définitivement deux fois d’une école. J’ai fait mes primaires dans une école de mon quartier. Je n’ai pas fait de sixième année primaire et j’ai été inscrit directement en première accueil, en secondaire, à 12 ans. Je n’avais pas de bons points.
Mais, je suis quand même passé en deuxième année professionnelle. Là, mes points ont été très mauvais. J’ai eu beaucoup de zéros. J’ai commencé à avoir des remarques sur mon comportement et puis c’est vrai, je n’étais plus motivé en classe. En deuxième professionnelle, j’avais 14 ans.
Vers Pâques, suite à mes problèmes de comportement répétés à l’école, j’ai été exclu définitivement de l’école. Ce n’est qu’à ce moment là que l’école m’a conseillé d’aller avec ma maman au centre PMS. La dame du PMS a fait des tests. « L’intelligence est bonne, me dit-elle, mais le niveau pédagogique est bas. Il y a de grosses lacunes de base. » Le PMS me conseille une orientation vers l’enseignement spécialisé de type 1.
J’ai été renvoyé définitivement de mon école. Je voulais rester dans mon école qui était près de chez moi. Je n’ai pas bien compris. Ma mère non plus. Je devais prendre deux métros pour aller dans ma nouvelle école.
J’ai terminé mon année dans cette école, puis je suis resté un an. J’avais des points incroyables, très bons. Mais à la fin de l’année, dans mon bulletin, il était écrit que je ne pouvais plus me réinscrire dans l’école et que je devais chercher une autre école.
Ma mère a cherché. Mais elle ne trouvait pas d’école. Le PMS a donné une liste d’écoles spécialisées. A chaque fois que ma mère téléphonait, on lui disait qu’il n’y avait plus de place. Je suis resté sans école de septembre à janvier, presque 5 mois.
Finalement, le PMS m’a orienté vers un Cefa (Centre de Formation en Alternance) et je m’y suis inscrit fin janvier. Malheureusement, je n’ai pas fait les examens, car je suis arrivé très tard et j’ai raté mon année.
Brigitte Welter, Service communal de médiation scolaire de Saint-Gilles
Si le jeune qui a rédigé ce témoignage n’avait pas le courage de venir en parler, c’est parce que l’exclusion scolaire définitive est vécue par le jeune comme une situation « honteuse » : on n’a pas envie d’en parler, on a envie d’oublier. C’est surtout une grande souffrance, et pour les parents, et pour le jeune.
Je vais maintenant expliquer mon cadre de travail. Je travaille au Service communal de médiation scolaire, à Saint-Gilles. C’est un service qui se situe en dehors des écoles. C’est un service public à la population. Ce sont les jeunes ou les parents ou, les deux ensemble, qui viennent nous trouver, parce qu’ils ont des questions, un besoin d’information, ou bien parce qu’il y a des soucis scolaire. Dans ce cadre, nous rencontrons régulièrement des jeunes qui sont exclus définitivement de leur école.
L’exclusion scolaire définitive d’une école est la sanction la plus grave au sein de l’institution scolaire. L’exclusion scolaire définitive d’une école, selon la loi, doit rester exceptionnelle. On pourrait dès lors imaginer qu’elles sont rares et peu nombreuses. On pourrait imaginer que « tout à été tenté au sein de l’école avec le jeune, ses parents, avec l’aide du centre PMS, du médiateur ou d’un organisme extérieur et qu’il n’est vraiment plus possible de maintenir l’élève dans l’école ». Nous sommes confrontés à une « banalisation » de ces sanctions : cette sanction, lourde et grave, touche énormément de jeunes.
En analysant les situations individuelles rencontrées au sein de notre service, il apparaît que :
- Plusieurs élèves ont été définitivement exclus pour un seul fait isolé « grave » ; il peut s’agir d’un accident de parcours, d’une erreur commise par un jeune mineur en construction ; dans les situations analysées, les élèves méritaient une sanction, mais dans ces cas-ci, les écoles avaient choisi l’exclusion définitive. Il n’y a donc pas eu de gradation de sanction.
- Pour d’autres situations, nous sommes plutôt dans la sphère du décrochage scolaire où les échecs répétés et qui semblent irrémédiables à l’élève, conduisent celui-ci à des comportements perturbateurs répétés; dès lors le renvoi définitif ne résout en rien la problématique sous-jacente d’échec scolaire, cachée par les problèmes de comportement de l’élève.
- D’une école à l’autre, nous observons de grandes différences dans la gestion des comportements problématiques des élèves : certaines considèrent le renvoi définitif comme une sanction ultime et l’applique très peu, ayant recours à d’autres sanctions et à un encadrement, un suivi positif de l’élève ; ces écoles favorisent « l’inclusion de l’élève ».
- L’exclusion définitive durant l’année scolaire entraîne, immanquablement, une interruption de la scolarité (pour les mineurs, une rupture du respect de l’obligation scolaire) et le non-respect au droit à l’instruction. Cette interruption peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
- La déscolarisation de l’élève durant une période relativement longue risque d’induire des difficultés importantes de réadaptation à la nouvelle école ; l’élève se retrouve parfois seul à la maison, livré à lui-même ; de plus, il prend du retard au niveau des apprentissages scolaires qu’il aura de grandes difficultés à combler ; notons qu’à partir du mois de mars, une exclusion définitive d’une école et la rescolarisation de l’élève dans une autre école, le conduisent très souvent à l’échec scolaire et au redoublement.
- Pour l’école qui va accueillir l’enfant qui a été exclu d’une autre école, en cours d’année, la tâche est très complexe.
- L’exclusion définitive est source d’une grande souffrance au niveau de l’enfant, du jeune, de sa famille.
- Il serait important qu’une évaluation globale puisse être réalisée : le nombre d’exclusions pour toutes les écoles de la Communauté Française par année scolaire, le contexte de l’exclusion (dont par exemple la dynamique du groupe-classe, les motifs du renvoi définitif, les sanctions intermédiaires s’il y en a eu et la gradation des sanctions, l’encadrement de l’élève qui a été proposé avant la sanction ultime, le parcours scolaire du jeune exclus, les conséquences de l’exclusion sur le jeune, sa famille, sur sa classe, mais aussi sur l’école qui va l’accueillir et le rescolariser, …).
Ce que nous disent les jeunes et les parents :
- Ils ont souvent l’impression, qu’une fois que la procédure d’exclusion définitive est lancée, la décision de renvoi a déjà été prise ; que dès lors, la procédure est respectée dans la forme, mais pas dans le fond : quand les parents rencontrent le directeur, le dialogue n’est pas possible ; la recherche d’une solution positive, autre que le renvoi, n’est pas envisagée.
- Les parents demandent que leur enfant soit sanctionné. Ils trouvent que l’exclusion définitive de l’école est une punition trop sévère et disproportionnée par rapport aux faits reprochés. Le jeune exprime souvent les mêmes sentiments.
- Les parents s’inquiètent parce que l’enfant est déscolarisé : le jeune se retrouve seul à la maison, alors qu’il est perturbé par la décision de renvoi. Les parents craignent que la sanction ne le conduise directement au décrochage scolaire.
- Changer d’école, quitter les professeurs, les élèves, le quartier que l’on avait appris à connaître, c’est une source de grandes angoisses pour l’enfant, le jeune. Tout cela induit des tensions importantes à la maison : « c’est honteux d’être renvoyé ». Arriver dans une école que l’on ne connaît pas, rencontrer des élèves que l’on ne connaît pas, être stigmatisé « comme étant l’élève qui a été renvoyé », pour l’enfant, la réadaptation est difficile. Il a besoin d’être soutenu et accompagné, ainsi que sa famille.
Ce que nous proposons
En nous référant au décret « Missions » du 24 juillet 1997 (art 81 et 89), ainsi qu’au décret « Discrimination positive » du 30 juin 1998 (art 25 et 26), nous proposons que :
- la procédure d’exclusion soit respectée aussi sur le fond, et pas uniquement sur la forme ;
- l’exclusion définitive soit autorisée uniquement en tout dernier ressort et uniquement dans les cas où la gestion, interne à l’école, de l’élève problématique s’avère tout à fait impossible ;
- l’exclusion définitive reste la sanction la plus grave et soit proportionnée aux faits reprochés ;
- la gradation des sanctions soit obligatoire ;
- les faits reprochés au jeune soient décrits avec attention, en se basant sur des faits établis, avec impartialité ;
- la procédure d’exclusion définitive soit utilisée aussi à titre préventif ; la procédure mobilise les énergies des différents partenaires potentiels autour du jeune et de l’enfant ; les parents sont informés des comportements problématiques de leur enfant au sein de l’école ; elle permet de dire clairement les choses à l’enfant ou au jeune, de le conscientiser, de lui rappeler les règles et les limites ; la procédure peut l’aider à remédier aux problèmes comportementaux, tout en étant encadré par des adultes et, si possible, accompagné et encouragé à évoluer positivement.
On pourrait également proposer d’instaurer une instance de recours externe indépendante, en s’inspirant du modèle prévu pour les recours externes suite au conseil de classe (art 97 chapitre 1° du décret « Missions »).
Août 15, 2024 | Discrimination - Violence, Droit scolaire
Témoignage de Steve
Bonjour ! Je m’appelle Steve. J’habite à Laeken. Je vis avec mes parents. J’ai 2 frères et 2 sœurs. Je suis inscrit à l’Athénée R. Je suis en 5ème année, en (enseignement) général : j’ai choisi, comme option, « langues ». J’ai vraiment de la chance d’être dans cette école parce que les profs me soutiennent.
En fait, je suis atteint d’une maladie qui s’appelle « la drépanocytose », qui est très peu connue. Cette maladie touche plus les Africains. Elle m’empêche beaucoup d’aller à l’école, de suivre les cours. J’ai des douleurs vraiment horribles. Je dois être hospitalisé, tellement c’est fort. Quand je fais une crise, je suis à l’hôpital et je suis sous morphine. Cette année, j’ai été plusieurs fois hospitalisé et j’ai raté l’école. Mais à l’hôpital où je suis, je suis encadré par quelques prof, des profs de l’école et des prof de « L’Entre Deux » qui m’aident pour que je reste à niveau. Cette année, à cause des médicaments que je dois prendre, j’ai attrapé des ulcères. A mon âge, ce n’est pas normal : ce sont les adultes qui ont ça. C’est très douloureux : ça m’empêche même de marcher. Je dois suivre une thérapie tous les jours : je dois aller tous les jours à l’Hôpital Militaire pour changer mes pansements. Je ne suis pas en état d’aller à l’école. En fait, le problème, c’est qu’il n’y a pas de transport qui pourrait m’amener à l’hôpital, puis à « L’Entre Deux » où je pourrais suivre les cours. Pendant une semaine, « L’Entre Deux » m’a trouvé un moyen de transport. Après, c’était fini ! J’ai dû me débrouiller tout seul ! Mes parents ont dû trouver des gens de ma famille pour me conduire. C’est très difficile pour moi !
L’Entre 2, antenne de l’école « L’Escale »
Je suis enseignante, à l’école « L’Escale » aux Clinique Universitaires Saint Luc. J’entame ma 6ième année dans le type 5, à l’école « L’Escale ». Je suis référente depuis peu du projet « L’Entre2 ».
Je vais commencer par vous parler de notre structure, L’Entre2, centre scolaire de jour pour enfants et jeunes malades ou accidentés, un centre qui s’est donné pour objectif supplémentaire depuis le mois de septembre 2008, de servir de relais scolaire pour des jeunes atteints de maladies chroniques. Steve est inscrit dans ce nouveau programme.
Ensuite, je vous exposerai en quoi notre difficulté à trouver des moyens de transports adaptés aux besoins de nos élèves met leur scolarité en péril. Nous parlerons ici d’une forme d’exclusion scolaire due à un manque évident de moyens, moyens que nous ne maîtrisons pas.
Pourquoi la création d’une structure comme L’Entredeux ?
L’évolution des traitements et l’augmentation continue du pourcentage de survie chez les enfants ou les jeunes atteints de pathologies malignes ou chroniques nous obligent à repenser l’enseignement en milieu hospitalier (appelé en Belgique, enseignement spécialisé de type 5).
En effet, nos élèves ont des périodes d’hospitalisation plus courtes mais un allongement de la convalescence ; cela entraîne une croissance importante de la « déscolarisation forcée ». Ainsi, il n’est pas rare de voir des patients absents de leur école plusieurs années ou de façon récurrente dans le courant de leur cursus scolaire.
Ce constat nous amène à repenser l’école durant la convalescence et entre les périodes de traitement. Pour répondre à cette demande, certains pays européens délocalisent les enseignants vers le domicile ou les nomment consultants. Ils deviennent ainsi des interlocuteurs privilégiés entre l’école d’origine, la maison et l’hôpital.
En Belgique, la réponse apportée varie en fonction du centre hospitalier. Chaque école en hôpital cherche la solution qui lui semble la plus adéquate. Ainsi, certaines créent un réseau parallèle d’enseignants à domicile, attachés administrativement à l’école hospitalière. D’autres font appel à des associations d’enseignants bénévoles, d’autres encore augmentent leur possibilité d’accueil dans les classes des hôpitaux de jour.
Pour notre part, nous avons voulu proposer une alternative : le centre scolaire de jour appelé L’Entre 2 qui se base sur deux postulats importants :
1) pour poursuivre sa scolarité, l’enfant ou le jeune a besoin d’un certain nombre d’heure de travail scolaire par semaine ;
2) la socialisation que peut lui apporter un groupe de pairs est indispensable à sa construction identitaire.
Genèse du projet
Depuis plusieurs années, l’équipe pédagogique de L’Ecole Escale, présente dans les unités d’hospitalisation, accueille en classe un certain nombre de jeunes « externes ». Ils ont en commun d’avoir été soignés aux Cliniques Universitaires St Luc et /ou d’être considérés, pendant une durée limitée, comme médicalement incapables de retourner dans le système scolaire classique. Ils sont tous inscrits dans une structure d’apprentissage (généralement leur école d’origine) et ont pour projet d’atteindre un objectif de réussite précis.
Ces jeunes élèves externes sont, entre autre, des élèves qui, en cours de traitement ou en fin de traitement, sont hospitalisés de manière récurrente et qui sont interdits de milieu scolaire ordinaire pour des raisons médicales (Souvent, une diminution importante des défenses immunitaires).
Je soulignerai deux raisons pour lesquelles le centre scolaire de jour a du sens pour ce type d’élèves :
- Ces élèves sont, jusqu’à ce jour, suivi à domicile par une association de bénévoles, « l’Ecole à l’Hôpital et à Domicile » (E.H.D.), en moyenne deux heures par semaine. Or, il est évident que cette prise en charge est insuffisante pour poursuivre une scolarité « normale », à tout le moins dans les cours généraux. Ce constat a déjà été porté par le groupe de travail, DOMI de l’A.P.H. (Association des Pédagogues Hospitaliers de la Communauté Française de Belgique) où siègent par ailleurs des représentants de l’E.H.D.
Toutefois, il existe une disposition légale qui permet à un élève convalescent ou malade à domicile, de bénéficier d’un professeur quatre heures par semaine, moyennant une procédure longue, fastidieuse et peu opérante. On observe également des offres « privées » de suivi pédagogique à domicile par certaines assurances-santé ou mutuelles mais l’accès est, selon nous, éthiquement très discutable et les profs qui y participent n’ont aucune attache avec une école spécialisée.
- Les élèves, pris en charge dans la structure scolaire hospitalière au moment du diagnostic et des premiers traitements, s’approprient l’Ecole de type 5 comme nouveau lieu « vital » d’apprentissage et de vie. Les coupures perpétuelles dans ce travail et dans la relation élèves-enseignants posent des difficultés dans la continuité des apprentissages et des méthodes : ces coupures créent des frustrations de part et d’autre. L’Ecole Escale est, dans ce cadre, un lieu sécurisant où le jeune peut rester élève et vivre les expériences de son âge, avec des jeunes de son âge. L’importance des pairs dans l’enfance, mais surtout dans la construction identitaire de l’adolescent n’est plus à démontrer.
Ces jeunes élèves externes sont aussi des élèves malades chroniques (par exemple drépanocytose, anorexie, …) qui, de part leur pathologie, rencontrent de grandes difficultés dans leur scolarité. Ces jeunes ont, à un moment précis ou à plusieurs reprises, besoin d’un encadrement dans leurs matières ou d’une aide pour préparer des examens d’entrée ou jurys. Ces jeunes sont généralement demandeurs d’une prise en charge quotidienne complémentaire à celle de leur école d’origine pouvant aller de 15 jours à plusieurs mois, d’autant plus qu’ils sont souvent absents.
Concrétisation du projet
Fort de ces constats, nous avons ouvert, un centre scolaire de jour, L’Entre2, dépendant de l’école en hôpital, mais situé en dehors de la structure hospitalière. Il comprend une classe dont les caractéristiques principales sont les suivantes :
- des enfants de 6 à 18 ans y sont accueillis.
- chacun a un programme à la carte en fonction de ses besoins et de ses possibilités, programme qui peut aller de 1h de cours par semaine à 20h de cours par semaine.
- la classe est située à 500 m de l’hôpital, pour qu’elle soit investie comme école et lieu de vie à part entière mais aussi pour que les allées et venues soient possibles pour les élèves.
- certains enseignants partagent leur travail entre les unités d’hospitalisation et cette classe, afin de donner sens à l’approche de la continuité mise en place.
- la collaboration avec l’école d’origine est renforcée. Il ne s’agit plus de recevoir la matière scolaire mais bien, d’être initiateur et accompagnateur du processus de réintégration.
Quelles prises en charge ?
La plupart des élèves sont accueillis pendant plusieurs mois, fréquemment, en suivant le découpage trimestriel de l’année scolaire ; ils le sont souvent à raison de 20 heures (soit toutes les matinées ou toutes les après-midi). Il est entendu que nous veillons à ne pas les maintenir chez nous mais que nous visons le retour à l’école d’origine.
Pour les élèves atteints de maladies chroniques telles que par ex. la drépanocytose, nous avons créé, depuis le début de cette année scolaire, une cellule de soutien et d’accompagnement scolaire (sous la forme d’un coaching scolaire).
Certains jeunes, scolarisés dans les environs de l’Entre2, nous ont fait la demande de pouvoir retravailler certains cours dans notre structure, pendant leurs heures de fourche ou leurs heures de gymnastique (si bien évidement, ils en sont dispensés).
Les objectifs finaux de la prise en charge sont de trois ordres :
- soit permettre à l’élève de travailler ses matières afin de combler les lacunes accumulées pendant le traitement et d’envisager une réintégration la plus harmonieuse possible ;
- soit d’envisager une réorientation vers un autre type d’enseignement ou encore de permettre une approche de la scolarité, rassurante pour des enfants très angoissés ;
- soit, pour les jeunes malades chroniques, leur permettre de profiter du soutien scolaire nécessaire à une continuité pédagogique cohérente.
Nous assurons ici, la fonction de lien entre tous les intervenants. (jeune, école d’origine, école dans l’hôpital, et parfois même profs à domicile…)
Dans tous les cas, accompagnés d’un membre de l’équipe médicale, nous nous rendons, et ce, toujours avec l’accord des jeunes ou de leurs parents, dans les écoles d’origine, afin d’établir des contacts, d’informer…
Plusieurs élèves ont déjà réintégré leur école d’origine ou une école plus adaptée à leurs besoins dans le courant de l’année scolaire précédente.
En tant qu’enseignante référente, soucieuse d’évaluer le travail fourni, je garde des contacts réguliers avec les écoles d’origine de nos élèves et ceci, afin de bien adapter nos cours avec ceux des professeurs d’origine.
Nous pratiquons des follow-up durant les mois suivants et un an après la réintégration. Cette pratique nous permet de faire un suivi efficace et de préserver nos anciens élèves d’un décrochage sur le long terme. Nous restons des interlocuteurs disponibles, tant pour les jeunes, que pour les enseignants de l’école d’origine.
Mais cela nous permet aussi d’avoir une attitude réflexive sur notre pratique, de l’évaluer de manière continue, afin de répondre au mieux aux demandes.