Nov 11, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
Pour répondre à cette question, il nous faut passer
par la case « docimologie ».
La docimologie
est la science portant sur les épreuves et les examens. Ce terme fut inventé
dans les années 1920 par le psychologue Henri Piéron. Il est dérivé de deux
termes grecs : δοκιμή (dokime), examen et λόγος (logos), mot ou
raison. Piéron croyait en la nécessité d’adapter l’évaluation aux besoins
individuels des élèves.
La docimologie
a, depuis, largement démontré l’inefficacité de la note sur les apprentissages
des élèves et l’incapacité qu’ont des êtres humains de coter honnêtement et
impartialement les travaux d’écoliers.
De nombreux
facteurs biaisent les notes des professeurs, sans même qu’ils cherchent à les
analyser, alors qu’ils sont, par définition, des enseignants-chercheurs. Mais
les doxas[1]
ont tellement cours dans les salles de profs que nous devons le faire pour eux.
On sait depuis
de nombreuses années que les notes sont imprécises. C’est simplement humain, aucun
professeur au monde n’est capable d’évaluer de la même manière tous les
éléments d’une pile de copie dont les résultats ne sont pas purement
mathématiques. Comme nous l’avions dit en introduction et comme le rappelle Pierre
Merle relève que dès 1936 : « Henri
Laugier et Dagmare Weinberg avaient conclu que pour obtenir la ‘note vraie’, il
fallait recourir à la moyenne de 13 correcteurs en mathématiques, 78 en
composition française, 127 en philosophie ». [2]
Et même en
mathématique, qui se veut une science « exacte », la note peut être
imprécise. « Chacun est persuadé qu’en
maths, les copies sont soumises à l’universalité de la raison et à l’uniformité
de la notation, or même s’il s’agit sans conteste de la discipline scolaire ‘la
plus égalitaire’, il existe parfois entre collègues ‘de fortes disparités’.
Barème, présentation, mise en valeur du résultat ou du raisonnement, les
professeurs sont loin d’être à l’unisson. [3]»
Le
« jugement scolaire » que constituent les notes et appréciations est
entaché de nombreux éléments qui empêchent l’objectivité du professeur. La
notation, qui compare plus qu’elle n’est objective, biaise la réalité et produit
de l’inégalité scolaire.[4]
Pour
commencer, l’ordre des corrections est le premier élément qui influe sur la
note. Après la correction d’une « bonne copie », le correcteur a
tendance à noter plus sévèrement la suivante et inversement[5]. Généralement,
les premières copies sont surévaluées, les dernières sous-évaluées.
Impossible, en
outre, de supprimer l’affectivité dans la notation. « Si l’élève est fin, s’il fait une faute qui énerve le professeur, si
l’on apprécie ou pas l’élève, si la copie arrive au bon ou au mauvais moment
sur le bureau. »[6]
Il faut aussi
compter sur la culture de l’établissement où les professeurs seraient les «
sujets » d’une acculturation implicite.
Le sociologue
François Amadieu[7]
relève ce que chacune et chacun de ceux qui sont passés par l’école ont compris
à travers leurs tripes, la notation « à la tête du client » est plus
répandue qu’on n’ose le dire. Notamment en termes d’apparence physique. « Les
professeurs partagent la croyance inconsciente que les enfants les plus
séduisants seront aussi ceux qui réussissent le mieux leur scolarité. Cette
conviction entraîne l’intérêt accru du professeur pour l’élève considéré comme un « jeune à potentiel ». De ce fait, les
évaluations de son travail seront plutôt bienveillantes et il ne lui sera pas
trop tenu rigueur de ses éventuels dérapages ou de son indiscipline. ».
Plus accablant encore, le jugement scolaire
renforcerait les disparités des élèves et ce, dans tous les domaines. Il existe
de nombreux biais sociaux de notation : sexe de l’élève, redoublant ou
non, âge, origine sociale, historique scolaire, niveau scolaire mais aussi
niveau de la classe et de l’école. Sans oublier… son prénom. Dans une étude[8],
D. Hunter Gehlbach, directeur de recherche à Panorama Education a démontré que les enfants étaient évalués différemment selon
la manière dont leur prénom était perçu par leurs professeurs. Ils ont démontré
qu’un même travail se voyait attribuer une note supérieure quand son « rédacteur »
portait un prénom « socialement désirable ».
« L’effet de
halo » influence certains professeurs : la notation des professeurs dans une
matière donnée serait influencée par les performances de l’élève dans d’autres
matières. « L’effet de contexte » quant à lui amènerait les professeurs « à
juger du niveau d’un élève comparativement au niveau de ses pairs. Un élève
sera jugé plus sévèrement dans une classe forte que dans une classe faible. »
Sans oublier la théorie de la « constante macabre », dont nous avons déjà parlé[9],
et qui montre les effets pervers d’une culture de l’évaluation dans laquelle
les notes classent immuablement les élèves en différents groupes de niveaux.
On l’a déjà
dit, le fait d’avoir le statut de redoublant est très souvent discriminant :
« A performances scolaires égales,
les redoublants sont jugés plus sévèrement que les non-redoublants, ce qui pose
d’ailleurs la question de l’intérêt du redoublement puisque celui-ci amène à
une stigmatisation des élèves en difficulté qui se doivent d’obtenir de
meilleurs résultats que les élèves non-redoublants. »[10]
N’omettons pas
les différences de maturité dont les professeurs ne tiennent pas compte. Entre
un élève né le 1er janvier et un autre né le 31 décembre et qui se
retrouvent forcément dans la même classe, il y a un an de différence. Et ne
parlons même pas des enfants prématurés, voire grands prématurés qui sont, par
définition, encore moins matures et dont le développement intellectuel est
moins avancé. Un élève né en décembre sera évalué avec les mêmes exigences que
sa ou son camarade de classe âgé d’un an de plus que lui. Ce sont les élèves
nés en décembre qui redoublent le plus et/ou qui seront orientés vers les
filières de relégation. En résumé, onze mois de maturité en moins sont presque
aussi discriminants que le fait d’être un fils d’ouvrier plutôt
qu’un fils de cadre.
Enfin, le fait
de ressembler, ou du moins d’avoir des points communs avec son professeur
permet de mieux réussir ses études[11]. Selon
cette étude, il semblerait que lorsque les professeurs et leurs élèves savent
qu’ils ont cinq points communs, leurs relations en sont améliorées. Les
professeurs reconnaissent interagir le plus souvent avec les élèves dont ils se
savent les plus proches. En effet, ces élèves finissent le semestre avec des
notes plus hautes.
Une confusion existe
entre les compétences sociales et scolaires dans la notation. Les professeurs « vont valoriser les élèves exhibant des
comportements, attitudes ou jugements en accord avec les principes véhiculés
par le système éducatif. [12]»
C’est le cas de qualités sociale reconnues à la fois par l’Ecole et la société
comme la politesse ou l’internalité (L’élève qui explique ses faiblesses par
des causes internes et individuelles sera plus favorablement jugé).
L’imprécision de la notation est devenue encore plus criante avec
l’évaluation des compétences. « Comment noter une notion aussi
floue ? », demande Vincent Carette[13]
qui souligne que pour ce faire, trois conditions doivent être respectées à
savoir que les tâches proposées soient complexes, inédites et fassent appel à
des procédures effectivement enseignées en classe. « De fait, le
respect de ces conditions conduit d’une certaine manière à disqualifier les
épreuves d’évaluation ‘classiques’ qui ne proposent pas de tâches complexes à
résoudre, mais de nombreuses questions (items) à réponse courte ou à choix
multiples qui sont nécessaires pour mesurer la validité et la fiabilité
statistique des épreuves. Par suite, on peut affirmer que vouloir contrôler le
système éducatif sur la base d’épreuves valides et fiables statistiquement
s’oppose à la réalité des contraintes imposées par la notion de compétence qui,
en prônant la confrontation des élèves à des tâches complexes et inédites,
conduit à la construction d’épreuves ne présentant pas les garanties
statistiques défendues par les concepteurs d’épreuves nationales ou
internationales. ». De ce fait,
conclu Vincent Carette, la Fédération Wallonie-Bruxelles est dans une situation
où elle propose des épreuves externes nationales ou internationales qui restent
construites selon le principe classique de nombreux items, mais défend un
discours pédagogique prônant la confrontation des élèves à des situations
complexes. « Ceci entraîne des messages contradictoires auprès des acteurs
de l’école qui conduisent de nombreux professeurs à remettre en question la
légitimité d’une approche qui leur apparaît floue. »
Dis-moi où tu
enseignes, je te dirai comment tu notes. La note ne prend son sens que mise en
perspective dans l’établissement, la classe ou même le moment où elle est
délivrée. Bon nombre de professeurs se plient plus ou moins consciemment à la
culture de leur école. Ces pratiques sont différentes selon l’établissement
dans lequel ils donnent cours. Dans une classe forte, le maître sera plus
exigeant que face à une classe réputée plus faible. La culture de la note n’est
pas la même dans deux écoles et dans la tête des parents d’élèves. Nombre de
professeurs seraient ainsi les « sujets » d’une sorte d’acculturation
implicite.
[1] Ensemble des opinions reçues sans discussion,
comme évidentes, dans une civilisation donnée, dans ce cas-ci nous citons le
monde de l’enseignement, que ce soit en interne mais aussi en externe, chez les
parents qui ont ou non vécu l’échec scolaire. Cela dit bien de la compétence de
l’école, incapable d’enseigner tant à ses élèves qu’à ses propres professeurs
qu’il faut avant tout avoir un esprit critique, capable d’analyse. C’est
évidemment le syndrome du chat qui se mord la queue… comment un prof non éduqué
à l’esprit critique par l’Ecole durant ses études pourrait-il éduquer ses
propres élèves ?
[2] Pierre Merle, Sociologie de l’évaluation
scolaire, PUF Collection, Que sais-je n° 3278, 1998.
[3] Nicolas Truong, Mathématiques et français : la
théorie de la relativité, in Le Monde de l’éducation n°344, dossier « Que
valent les notes ? », Février 2006.
[4] Jean-Yves Rochex et Jacques Crinon (dir.), La construction
des inégalités scolaires, Au coeur des pratiques et des dispositifs
d’enseignement, Presses Universitaires de Rennes (PUR), 2011.
[5] Pierre Merle, auteur de l’essai « L’école
française et l’invention des notes. Un éclairage historique des polémiques
contemporaines » [archive], Revue Française de Pédagogie, n°193, 2015, p.77-88.
[6] Nicolas Truong, Mathématiques et français : la
théorie de la relativité, in Le Monde de l’éducation n°344, dossier « Que
valent les notes ? », Février 2006.
[7] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes
[8] Hunter Gehlbach, Maureen E. Brinkworth, Aaron M. King, Laura M.
Hsu, Joe McIntyre, Todd Rogers – Creating birds of similar feathers – Leveraging
similarity to improve teacher-student relationships and academic achievement
2013
[9] André Antibi, La Constante macabre ou comment a-t-on
découragé des générations d’élèves ?, éditions Math’Adore, 2003.
[10] Fabrizio Butera, Céline Buchs, Céline Darnon
(dir.), L’évaluation une menace ? Presses Universitaires de France (PUF),
Paris, 2011.
[11] étude
conduite par le Panorama Education, relayée par The Atlantic
[12] Fabrizio Butera, Céline Buchs, Céline Darnon
(dir.), ibid.
[13] Vincent Carette, Les compétences brouillent la
vue du pilote, CGé, Traces de Changements n°196, juin 2010.
Nov 11, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
Selon Pierre
Merle[1], « Cette idée est diffusée surtout par les anciens bons élèves. Les plus de 100 000 élèves
sortis sans diplôme du système éducatif n’ont pas du tout été motivés par la
suite continue de mauvaises notes recueillies au cours de leur brève scolarité.» Il en est, évidemment, de même pour les 20 000 élèves qui, chaque
année abandonnent l’enseignement de la Communauté française de Belgique sans le
moindre diplôme.
Maryse Hesse,
dans une recherche pour l’INRP[2] s’est penchée sur les effets psychologiques
des notations : « Une appréciation
positive renforce une volonté de travailler, donne plus d’assurance,
valorise l’élève. Une appréciation négative engendre une mésestime de soi, une
blessure chez l’élève fragile, une dévalorisation qui déstabilise l’élève et
lui donne une image négative de lui-même et de ses capacités. »[3]
Alors que la note devrait être un élément positif de l’apprentissage, elle
génère, lorsqu’elle est mauvaise, découragement, fissuration de l’estime de
soi, angoisses, détérioration des relations familiales et désintérêt pour la
matière.
Les premiers
de classe ne sont pas mieux lotis, les effets de la note n’étant pas positifs
sur le plan de la construction de la citoyenneté. Bien entendu, une noté élevée
renforce leur volonté de travailler, mais elle favorise surtout la compétition,
l’individualisme et les comportements antisociaux. « Etre parmi les premiers devient parfois l’objectif prioritaire »,
poursuit Pierre Merle[4]. On
n’apprend pas pour soi, mais pour avoir de bonnes notes. « Après le contrôle, le travail d’oubli fait rapidement son œuvre.
Inversement, dans les systèmes éducatifs où les notes sont rares, les élèves
apprennent davantage pour d’autres motifs: intérêt, curiosité, passion. »
Et de rappeler : « L’essentiel de nos
connaissances et compétences – faire du vélo, nager, parler, être attentif à
autrui, etc. – n’ont pas été apprises à l’école, avec des notes, mais de façon
diffuse, lors de la
socialisation familiale et au contact d’amis. Les réels moteurs de
l’apprentissage sont l’intérêt, un projet professionnel, les conseils des
autres… non les notes ».
Enfin, les « bons »
élèves, une fois leurs études supérieures terminées avec succès composeront une
partie des élites économiques ou politiques. Leur expérience de l’école, totalement
subjective, les conduira à une vision conservatrice de celle-ci. S’ils ont
réussi, c’est que le système est bon. Seules la connaissance des études menées en
docimologie pourrait leur faire comprendre combien leur vision de l’école est
erronée et qu’elle doit évoluer.
Et Vellas et
Baeriswyl de conclure : « Le
système d’évaluation actuel est un instrument de sélection incompatible avec la
lutte contre l’échec scolaire. (…) L’institution doit donc aujourd’hui rompre
avec une incohérence: demander aux professeurs de faire réussir chaque enfant
tout en exigeant l’échec de certains par le maintien d’une évaluation notée. [5]»
[1] Cité dans LE TEMPS, A l’école, supprimons les notes, 14 décembre 2017
[2] L’Institut national de recherche pédagogique (INRP) – France
[3] Maryse Hesse. Les impacts de l’évaluation scolaire sur les élèves. https://docplayer.fr/14713744-Les-impacts-de-l-evaluation-scolaire-sur-les-eleves.html
[4] Cité dans LE TEMPS, A l’école, supprimons les
notes, 14 décembre 2017
[5] Vellas, Etiennette et Baeriswyl, Eric (1995).
Les cycles pédagogiques: un adieu aux notes ? in Vers le changement…espoirs
et craintes. Actes du premier Forum sur la rénovation de l’enseignement
primaire (novembre 1994), Genève, DIP, p.87-90.
Nov 11, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
En Finlande,
pays en tête des classements PISA, les élèves sont appréciés une première fois par
une évaluation à l’âge de 9 ans, mais de manière non chiffrée. Ils ne sont donc
pas « notés ». L’enseignant se limite à dire si l’apprentissage est
acquis ou en voie d’acquisition. Cette évaluation est accompagnée par une
remédiation destinée à aider les élèves en difficulté. Les premières notes
arrivent à l’âge de 11 ans, la note la plus basse étant 4/10. L’objectif est de
ne pas décourager l’élève. La différence entre un 4 et un 0 est fondamentale.
Avec un 4, il n’a pas compris et peut être remédié, tandis qu’avec un 0, il est
tout simplement… nul !
Dans les
écoles à pédagogies actives, on évalue les élèves sans les noter. Il n’y a pas
de règles définies mais on utilise souvent un code couleurs généralement
inspiré des feux de signalisation, adaptables d’une école à l’autre :
« vert » pour un apprentissage acquis, « orange » pour un
apprentissage « suffisant, mais pourrait être mieux acquis » et
« rouge » pour un apprentissage non acquis et devant donc être
remédié. L’objectif étant d’arriver au « vert », voire à l’
« orange » pour tout le monde.
Ces évaluations « couleurs » sont accompagnés de longues appréciations par les enseignants. Si les points n’ont jamais indiqué à quelque parent que ce soit (et encore moins à quelqu’enseignant que ce soit), l’état des apprentissages de leurs enfants, le code couleur accompagné d’appréciations élaborées, est l’appréciation sans doute la plus juste. Non seulement, il indique si l’élève a compris, mais en outre, dans quelle mesure. L’important n’est pas de savoir s’il a mieux ou moins bien compris que les autres élèves, mais où sont ses facilités et ses difficultés. Mais aussi ce que l’enseignant va mettre en place pour remédier à ces difficultés. Ce ne sont donc plus les familles qui doivent gérer les difficultés d’apprentissage mais l’école et ses professionnels. Chacune et chacun étant enfin à sa place naturelle.
L’évaluation
par la note – on l’a vu, choix jésuitique ancestral – a pour objectif la
sélection par la compétition. Les conséquences sont toujours aussi dramatiques
pour les élèves : « redoublement,
passage, filière plus ou moins valorisée, mais aussi réputation dans la classe,
qualité des rapports avec camarades, professeurs et parents… » [1]
[1] 1Fabrizio Butera, Céline Buchs, Céline Darnon
(dir.), L’évaluation une menace ? PUF, Paris, 2011
Nov 11, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
Rappelons-nous
que l’échec scolaire tue !
« Si le redoublement est une maladie, le système
(…) de notation, lui, peut tuer. C’est une véritable plaie qui exerce des
effets nuisibles sur le moral, la confiance en soi et les performances des
élèves.[1] »
La note est un
jugement de valeur : l’élève est « bon » ou
« mauvais ». Elle évalue l’être humain en tant que tel et n’évalue
pas les compétences qu’il a acquises.
Au-delà du
problème des points, c’est du bien-être de tous les élèves qu’il s’agit. Est-il
un enseignant celui qui est incapable de gérer une classe sans système de
sanction ? Est-elle humaine, celle qui, pour ne pas être traité de laxiste par ses collègues ou par des
parents, met en compétition des élèves et en échec les plus faibles ? Peut-on
se trouver devant des jeunes dans l’espoir de les former à un esprit critique
quand on est, soi-même incapable d’analyser une problématique aussi
fondamentale que celle de la cotation, de la mise en compétition et de la
sélection d’êtres humains ? Une sélection qui impacte et détruit la vie de
millions de jeunes et de leurs familles, génère la discrimination, l’échec
scolaire et la haine, chez les plus fragiles de notre société ?
Est-il juste ce système scolaire où, pour maintenir la réputation d’une école, il y a des quotas d’échecs à maintenir d’années en années ? Où systématiquement, il y a 6 classes de deuxième secondaire, mais seulement 5 de troisième et 4 de quatrième et donc où, chaque année, il faut casser 25 élèves, systématiquement, parce qu’il n’y a plus de classe pour eux l’année suivante ?
Et ces parents demandeurs d’écoles
« exigeantes » ? Issus de familles nanties, grâce auxquelles ils
ont pu bénéficier d’un système scolaire qui les a épargnés en mettant les
autres en échec, ils se permettent d’exiger que ces privilèges bénéficient
maintenant à leurs enfants. Donc, au détriment des enfants de leurs anciens
condisciples cassés par le système ! Ils veulent que l’on perpétue le
système de l’échec scolaire au seul profit de leur milieu social !
Voilà le plus grand échec de l’école : elle forme
une minorité de citoyens égoïstes et compétiteurs, de petits bourgeois qui seront
prêts à voler la société pour acquérir plus de biens encore car ils refuseront
de partager le bien commun qu’est notre planète. Et elle laisse sur le côté une
majorité d’adultes qu’elle a cassé sur fond d’idéologie élitiste et d’une
conception naturaliste de l’intelligence. Ce sera pourtant à ces derniers à
tenter de se construire ce que l’école a été incapable de faire, une
citoyenneté. Car eux seuls, au vu de l’échec des premiers, seront à même de
construire une société plus juste et forcer l’école à se transformer de la cave
au plafond.
Pire, les professeurs qui affectionnent tant cette école et ce système injuste ont été formés par ce système scolaire et sont les meilleurs exemples de ce grand échec. En les faisant réussir scolairement, l’école les a mis en échec dans leur humanité.
Et s’il est bien un pilier qui doit tenir cette
société debout, en formant des citoyennes et des citoyens à co-construire le droit
– et donc la Justice – et à le respecter, c’est l’institution scolaire.
Celle-ci n’a jamais rempli son rôle, étant elle-même un lieu de non-droits.
Oui, l’échec scolaire tue. Les suicides d’adolescents
sont la deuxième cause de mortalité après les accidents de la route. Et les notes,
comme tout le reste de l’iceberg, font partie de ce harcèlement psychologique
mis en place par l’école pour culpabiliser les jeunes qui vivent l’échec au
quotidien. L’école est un important lieu de risques psychosociaux pour les
élèves. Les phobies scolaires touchent environ 5 % des élèves âgés de 12 à 19
ans (soit au moins un par classe). L’échec scolaire engendre le sentiment
d’incompétence acquise qui fera boule de neige et mènera vers plus d’échecs
encore. La compétition entre les élèves et la pression des professionnels de
l’école et/ou des parents amène du stress et de la souffrance. Des élèves
vivent mal leurs différences (handicap, difficultés d’apprentissage,
préférences sexuelles, transsexualité, …) et leurs échecs.
Enfin, quelle est la part des problèmes vécus à
l’école dans les tentatives (ou réussites) de suicides des adolescent·e·s ? Si,
souvent il n’est pas le seul critère qui mène au désespoir et aux idées de
suicide, il n’est pas innocent de penser que c’est la goutte de trop, celle qui
mène au passage à l’acte. Dans toute tentative de suicide d’un enfant, l’échec
scolaire doit être questionné. Les points en sont l’outil !
[1] Peter Gumbel, On achève bien les écoliers,
Grasset 2010
Nov 11, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
Supprimer les
notes pour supprimer les notes et les remplacer par une autre forme de cotation
sans réflexion préalable ne va pas changer grand-chose. Il faut d’abord se
demander pourquoi supprimer les notes et se donner des objectifs de réussite pour
tous les élèves. On peut, en effet, reproduire la sélection et hiérarchiser sa
classe avec des couleurs ou des smileys, plutôt qu’avec des notes.
C’est l’esprit
que l’on veut insuffler dans sa classe ou dans son école qui sera le plus
important et non le dispositif que l’on choisira. Cela ne se fait pas du jour
au lendemain. Abandonner l’« évaluation sanction», au profit d’une « évaluation
bienveillante » est un projet qui doit mûrir et être accompagné d’une vaste
réflexion, de lectures et de recherches personnelles ou en équipe.
Quel que soit
le dispositif choisi, celui-ci nécessitera un investissement plus important de
la part de celle ou celui qui se prépare à devenir enseignante ou enseignant. Mettre
des notes, écrire un nombre sur une feuille, pratiquer la sélection d’élèves,
tout le monde sait le faire, à commencer par les professeurs qui n’enseignent
pas. Les notes, permettent précisément de ne pas enseigner (transmettre les
savoirs à tous les élèves). Le nouveau dispositif, au contraire, ne visera plus
cette sélection et aura pour but d’aider l’élève, individuellement, à
progresser, par l’évaluation formative.
Il faudra
travailler sur les conditions d’évaluation. L’enseignant sera plus attentif à
chacun des élèves, devra observer leurs difficultés, les accompagner dans un
climat serein afin de ne pas les stresser et leur permettre de faire émerger
leurs aptitudes réelles.
L’évaluation
bienveillante est incompatible avec un climat de classe compétitif. La relation
entre enseignant et élève doit être basée sur la confiance réciproque. Un enseignant
est, par définition, convaincu du « concept d’éducabilité » : tous
les élèves sont doués pour l’étude. Il laisse s’exprimer toutes les formes
d’intelligences et exploite tous les talents. Il leur apprend à être critiques
et exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes, les encourage à dire leurs difficultés,
mais aussi, à se dépasser, à faire profiter les autres de leurs acquis.
Il faudra
imaginer des évaluations plus intelligentes. En effet, on sait que les
professeurs construisent ces évaluations non pas pour aider les élèves, mais
pour faire leur courbe de Gauss, en mettant intentionnellement en échec les
élèves les plus « faibles ». Il faudra se donner du temps pour faire
les corrections et indiquer aux élèves ce qu’ils doivent faire pour progresser.
Pour cela il faut identifier rapidement les difficultés de chaque élève afin de
lui permettre de les surmonter.
Ensuite, les
« bulletins » seront à repenser. Ne plus mettre de notes implique
d’évaluer sur base des savoirs et compétences acquis, les uns après les autres.
Cela nécessite aussi de donner le droit à l’erreur, c’est-à-dire de n’évaluer
que positivement, et permettre à chaque élève de réessayer, même plusieurs fois
afin de se corriger. Tout cela avec bienveillance, sans ne plus émettre de
jugement sur la personne. Eviter la mise en échec, s’entourer d’aides car on
n’a que deux mains (de tuteurs, par exemple) pour remédier et réexpliquer si
c’est nécessaire.
Modifier le
bulletin doit impérativement s’accompagner de pédagogie avec les parents.
N’étant pas enseignants, ils seront perdus de ne plus avoir de points, car
leurs repères vont changer : « Comment savoir si mon enfant a
compris, s’il est premier de classe ou dans la moyenne ? » Changer de
dispositif d’évaluation nécessite le soutien des parents. Il faut les
convaincre que c’est mieux pour leur enfant. Les plus difficiles à convaincre
seront les parents de « bons » élèves qui tiennent à la
compétition, puisque leur enfant s’en sort.
L’évaluation
par compétences vaut mieux que l’évaluation par notes. L’enseignant peut, par
exemple, apprécier avec un code couleurs (vert pour « acquis »,
orange pour « satisfaisant » et rouge pour « pas encore
acquis »). Cette manière de faire permet de donner à chaque élève une
indication sur ses apprentissages, beaucoup plus précise que les points. La
note ne dit jamais si l’élève a acquis ou non ses apprentissages. Il peut avoir
20 sur 20 et avoir de grosses lacunes. Et, que représente un 13 sur 20 par
rapport à un 15 ? Un 9, par rapport à un 11 ? La note est synthétique
mais imprécise. L’objectif de l’évaluation formative est de guider l’élève et
non plus de chercher à le classer par rapport aux autres élèves de la classe.
L’avantage de
l’évaluation formative c’est que l’élève (mais aussi les profs et les parents)
ne se focalise plus sur celle-ci, mais sur les commentaires éventuels de
l’enseignant et sur le fait que le savoir est acquis ou non.
En évaluation
formative, le rôle de l’erreur est essentiel. Elle n’est plus vue comme une
« faute », quelque chose de « mauvais », un
« échec ». Elle change de statut devenant une aide à l’apprentissage
et source de savoirs nouveaux, tout comme dans la vie quotidienne. On n’apprend
jamais sans erreurs. Il faut apprendre à les surmonter pour pouvoir avancer.
L’évaluation
formative réduit fortement les comparaisons sociales. On ne peut se comparer
avec des couleurs. Si tu n’as pas acquis l’apprentissage contrairement à moi,
je vais t’aider à y arriver. L’objectif de tous les élèves est la réussite du
plus grand nombre et non plus la compétition et c’est donc aussi, la fin de
l’individualisme.
Les
apprentissages deviennent « communs ». Le tutorat va de pair avec eux
et la triche disparaît au profit d’une envie d’apprendre. Il n’y a plus de
notes faibles qui réduisent ou cassent la motivation des élèves[1].
Dès lors, diminution du stress et de l’anxiété face aux cotations, qui sont
défavorables aux apprentissages. Finie la peur du mauvais résultat, des
quolibets des « camarades » de classe, des reproches parentaux.
[1] Philippe Guimart a montré que 75% des élèves ont « peur d’avoir de mauvaises notes » –
Guimart Philippe et al. (2015), « Le bien-être des élèves à l’école et au
collège », Éducation
et formations,
n° 88-89, p. 163-184.
Nov 11, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
Toutes les
recherches en docimologie ont démontré le contraire. Résumons-nous :
On a vu que
les notes évaluent très imparfaitement les savoirs des élèves. Elles servent
surtout à les classer et à pratiquer une sélection, les plus « forts »
pouvant passer en classe supérieure et les plus « faibles » devant
redoubler ou être orientés vers des filières professionnelles (en secondaire)
ou vers l’enseignement spécialisé (essentiellement en primaire). La note n’est
donc pas un thermomètre[1] qui
indiquerait la température (le niveau de savoir) de l’élève. Pour la majorité
des notes entre 7 et 13 sur 20, la différence réelle de compétences est
imprécise et variable selon le correcteur[2],
ceux-ci évaluant différemment les copies selon l’ordre de celles-ci.
On a vu aussi
que les biais sociaux de notation liés aux information extrascolaires relatives
aux élèves influencent largement les professeurs, notamment l’âge, le sexe,
l’origine sociale, …, de l’élève. L’existence de ces biais est avérée par toutes
les études psychologiques et sociologiques sur la notation.
La note ne
sert certainement pas de motivation. Les 20 000 élèves qui, en moyenne,
quittent chaque année notre système scolaire sans diplôme n’ont certainement
pas été motivés par les notations qu’ils ont reçues de leurs professeurs. Au
contraire, ceux-ci, par une notation sélective, les ont cassés parfois pour la
vie entière. Chacun le sait sans avoir lu les études en question : la
bonne note motive, tandis que la mauvaise note crée une image négative de soi
et handicape les futurs apprentissages. Les résultats ne sont pas plus
favorables aux « bons » élèves puisque la notation favorise la
compétition et l’individualisme égoïste, tout comme les comportements
antisociaux[3].
Parmi ces comportements antisociaux, on trouve le besoin de savoir où on
se situe par rapport aux autres, afin de s’assurer qu’on fait partie des
« meilleurs ». La notation est un système d’évaluation qui incite à
la tricherie[4]. Pour
assurer ces premières places, ces mêmes « bons » élèves sont parfois
amenés à tricher. Cela pose un problème à la société toute entière puisque ces
jeunes seront sans doute ceux qui occuperont les places à responsabilité dans
le futur. De leur côté, les élèves en difficulté ne cherchent en aucune manière
à savoir où ils se situent par rapport à leurs pairs. Ils craignent les
dernières places comme la peste. La notation fait détester l’école et crée
l’anxiété et la phobie scolaire.
Enfin, contrairement aux discours de certains professeurs qui savent
tout et peu soucieux des résultats des recherches en docimologie, travailler
pour des « points » ne permet pas aux élèves d’apprendre. Dès
qu’ils savent qu’un travail sera noté, ils vont travailler uniquement pour la
note, en espérant avoir la meilleure ou la moins mauvaise qui soit. Ils sont focalisés sur les notes et non sur
les connaissances. Une fois le travail rendu, ou le contrôle passé, le cerveau
fait son travail d’oubli. Seule la mémoire à très court terme a été employée
par les élèves et, en somme, ils n’ont rien appris, ou si peu.
La seule manière d’apprendre, à quelqu’âge de notre vie – et à fortiori
quand on est enfant ou étudiant – sont l’envie, l’intérêt, la curiosité, la
passion et le plaisir. La note empêche ces sentiments d’émerger.
Pour toutes ces raisons, il est impérieux de choisir d’autres formes
d’évaluations sans notations, même par appréciation (les fameux ‘Très bien’,
‘bien’, ‘satisfaisant’, etc.). La meilleure manière d’évaluer est l’évaluation
des compétences et des savoirs progressivement, sur base d’évaluations
formatives. Cette évaluation est beaucoup plus précise. Elle favorise les
progrès scolaires mais nécessite de ne plus « donner cours », mais
d’ « enseigner ». Ne plus mettre en compétition dans un objectif
de sélection, mais avoir la volonté de transmettre à tous les élèves, sans
distinction aucune, tous les savoirs, savoir-faire et savoir-être qui leur
permettront de maîtriser toutes les compétences à acquérir.
[1] «« Ce n’est pas une bonne idée de supprimer les notes. C’est absolument
indispensable d’avoir des points de repère (…). Casser le thermomètre ne
sert absolument à rien. » Luc Ferry, RTL, 9 octobre 2012. Luc Ferry était
opposé à la suppression de la notation comme l’avait envisagé un temps Najat Vallaud-Belkacem.
[2] Jean Aymes, « Une expérience de
multicorrection », Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques
de l’enseignement public, n° 321, 1979 ; Pierre Merle, Les notes. Secrets de
fabrication, PUF, 2007 ; Bruno Suchaut, La loterie des notes au bac. Un
réexamen de l’arbitraire des notes au bac, IREDU, 2008.
[3] Fabrizio Butera, Céline Buchs, Céline Darnon,
L’évaluation, une menace ? PUF, 2011.
[4] Pascal Guibert, Christophe Michaut, « Les
facteurs individuels et contextuels de la fraude aux examens universitaires »,
Revue française de pédagogie, n°169, 2009.