Supprimer les notes pour supprimer les notes et les remplacer par une autre forme de cotation sans réflexion préalable ne va pas changer grand-chose. Il faut d’abord se demander pourquoi supprimer les notes et se donner des objectifs de réussite pour tous les élèves. On peut, en effet, reproduire la sélection et hiérarchiser sa classe avec des couleurs ou des smileys, plutôt qu’avec des notes.

C’est l’esprit que l’on veut insuffler dans sa classe ou dans son école qui sera le plus important et non le dispositif que l’on choisira. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Abandonner l’« évaluation sanction», au profit d’une « évaluation bienveillante » est un projet qui doit mûrir et être accompagné d’une vaste réflexion, de lectures et de recherches personnelles ou en équipe.

Quel que soit le dispositif choisi, celui-ci nécessitera un investissement plus important de la part de celle ou celui qui se prépare à devenir enseignante ou enseignant. Mettre des notes, écrire un nombre sur une feuille, pratiquer la sélection d’élèves, tout le monde sait le faire, à commencer par les professeurs qui n’enseignent pas. Les notes, permettent précisément de ne pas enseigner (transmettre les savoirs à tous les élèves). Le nouveau dispositif, au contraire, ne visera plus cette sélection et aura pour but d’aider l’élève, individuellement, à progresser, par l’évaluation formative.

Il faudra travailler sur les conditions d’évaluation. L’enseignant sera plus attentif à chacun des élèves, devra observer leurs difficultés, les accompagner dans un climat serein afin de ne pas les stresser et leur permettre de faire émerger leurs aptitudes réelles.

L’évaluation bienveillante est incompatible avec un climat de classe compétitif. La relation entre enseignant et élève doit être basée sur la confiance réciproque. Un enseignant est, par définition, convaincu du « concept d’éducabilité » : tous les élèves sont doués pour l’étude. Il laisse s’exprimer toutes les formes d’intelligences et exploite tous les talents. Il leur apprend à être critiques et exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes, les encourage à dire leurs difficultés, mais aussi, à se dépasser, à faire profiter les autres de leurs acquis.

Il faudra imaginer des évaluations plus intelligentes. En effet, on sait que les professeurs construisent ces évaluations non pas pour aider les élèves, mais pour faire leur courbe de Gauss, en mettant intentionnellement en échec les élèves les plus « faibles ». Il faudra se donner du temps pour faire les corrections et indiquer aux élèves ce qu’ils doivent faire pour progresser. Pour cela il faut identifier rapidement les difficultés de chaque élève afin de lui permettre de les surmonter.

Ensuite, les « bulletins » seront à repenser. Ne plus mettre de notes implique d’évaluer sur base des savoirs et compétences acquis, les uns après les autres. Cela nécessite aussi de donner le droit à l’erreur, c’est-à-dire de n’évaluer que positivement, et permettre à chaque élève de réessayer, même plusieurs fois afin de se corriger. Tout cela avec bienveillance, sans ne plus émettre de jugement sur la personne. Eviter la mise en échec, s’entourer d’aides car on n’a que deux mains (de tuteurs, par exemple) pour remédier et réexpliquer si c’est nécessaire.

Modifier le bulletin doit impérativement s’accompagner de pédagogie avec les parents. N’étant pas enseignants, ils seront perdus de ne plus avoir de points, car leurs repères vont changer : « Comment savoir si mon enfant a compris, s’il est premier de classe ou dans la moyenne ? » Changer de dispositif d’évaluation nécessite le soutien des parents. Il faut les convaincre que c’est mieux pour leur enfant. Les plus difficiles à convaincre seront les parents de « bons » élèves qui tiennent à la compétition, puisque leur enfant s’en sort.

L’évaluation par compétences vaut mieux que l’évaluation par notes. L’enseignant peut, par exemple, apprécier avec un code couleurs (vert pour « acquis », orange pour « satisfaisant » et rouge pour « pas encore acquis »). Cette manière de faire permet de donner à chaque élève une indication sur ses apprentissages, beaucoup plus précise que les points. La note ne dit jamais si l’élève a acquis ou non ses apprentissages. Il peut avoir 20 sur 20 et avoir de grosses lacunes. Et, que représente un 13 sur 20 par rapport à un 15 ? Un 9, par rapport à un 11 ? La note est synthétique mais imprécise. L’objectif de l’évaluation formative est de guider l’élève et non plus de chercher à le classer par rapport aux autres élèves de la classe.

L’avantage de l’évaluation formative c’est que l’élève (mais aussi les profs et les parents) ne se focalise plus sur celle-ci, mais sur les commentaires éventuels de l’enseignant et sur le fait que le savoir est acquis ou non.

En évaluation formative, le rôle de l’erreur est essentiel. Elle n’est plus vue comme une « faute », quelque chose de « mauvais », un « échec ». Elle change de statut devenant une aide à l’apprentissage et source de savoirs nouveaux, tout comme dans la vie quotidienne. On n’apprend jamais sans erreurs. Il faut apprendre à les surmonter pour pouvoir avancer.

L’évaluation formative réduit fortement les comparaisons sociales. On ne peut se comparer avec des couleurs. Si tu n’as pas acquis l’apprentissage contrairement à moi, je vais t’aider à y arriver. L’objectif de tous les élèves est la réussite du plus grand nombre et non plus la compétition et c’est donc aussi, la fin de l’individualisme.

Les apprentissages deviennent « communs ». Le tutorat va de pair avec eux et la triche disparaît au profit d’une envie d’apprendre. Il n’y a plus de notes faibles qui réduisent ou cassent la motivation des élèves[1]. Dès lors, diminution du stress et de l’anxiété face aux cotations, qui sont défavorables aux apprentissages. Finie la peur du mauvais résultat, des quolibets des « camarades » de classe, des reproches parentaux.


[1] Philippe Guimart a montré que 75% des élèves ont « peur d’avoir de mauvaises notes » – Guimart Philippe et al. (2015), « Le bien-être des élèves à l’école et au collège », Éducation

et formations, n° 88-89, p. 163-184.

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