L’école n’est pas faite pour les enfants de manière générale, et spécialement pour les enfants ayant un handicap invisible

Introduction

L’école inclusive a pour mission d’accueillir tous les élèves, quelles que soient leurs différences. Mais on peut très bien accueillir des élèves avec une différence significative sans s’en rendre compte. Lors de nos colloques des personnes de l’associatif (écoles de devoirs et associations en lien avec un handicap) nous interpellent régulièrement : « Il faudrait parler beaucoup plus des handicaps invisibles ». En effet, des élèves porteurs de handicaps ne sont pas pris en charge correctement dans nos écoles – ni au sein de l’extrascolaire – parce que les accueillants et enseignants ignorent tout simplement le.s handicap.s qu’ont certains enfants. Ces derniers, souvent, ne veulent pas en parler, par crainte de stigmatisation ou d’incompréhension.

Il faut savoir que 80 % des handicaps sont invisibles. La plupart arrivent au cours de la vie et ne sont pas toujours apparents. De ce fait, ils peuvent être mal compris. Les enseignants, ignorant les problèmes que cela pose aux élèves, se méprennent sur les capacités ou la volonté de l’élève et les risques d’échec sont fortement multipliés.  

Tous les enseignants n’ont pas fait une année d’orthopédagogie et il y a peu de chances pour qu’ils le fassent un jour. Il s’agit donc, non pas de les former aux handicaps invisibles, mais de leur donner l’information nécessaire à l’accueil et l’intégration des élèves à besoins spécifiques qu’ils ont en classe : maladies chroniques ou graves, handicaps, difficultés spécifiques d’apprentissage.

Le handicap invisible concerne-t-il beaucoup d’enfants ?

Il s’agit d’un problème important car, de ce fait, certains handicaps invisibles sont simplement niés. Des professeurs ne pensent pas à mettre en place des aménagements raisonnables. La déficience intellectuelle, les troubles comportementaux, les problèmes psychologiques ou psychiatriques, certains « dys » risquent d’être considérés, soit comme de la fainéantise, soit comme un défaut d’éducation. Les exemples ne manquent pas. Nous en recevons très régulièrement d’associations avec qui nous travaillons épisodiquement :

  • L’élève dyspraxique est un « cochon » qui ne sait pas (ou ne veut pas) écrire proprement ;
  • L’élève dyslexique risque de voir ses dictées ou rédactions commentées à haute voix devant toute la classe et ses points annoncés tout haut ;
  • L’enfant hyperactif est mal élevé et a des parents démissionnaires ;
  • L’élève ayant une déficience intellectuelle est « bête à bouffer du foin » ;
  • L’étudiante anorexique est responsable de son état car elle pourrait manger comme tout le monde ;
  • L’enfant phobique est un comédien ;
  • L’enfant avec un autisme (non détecté) est responsable s’il est rejeté par tout le monde, parce qu’ « il n’a qu’à faire comme tout le monde » ;

Il est évident que l’idée même que ces jeunes pourraient être en situation de handicap ne nous vient pas à naturellement à l’esprit. Il faut une solide formation ou une solide expérience pour pouvoir repérer ce que les principaux intéressés préfèrent taire, au risque de se voir stigmatisés. Et ce n’est pas avec trois journées annuelles de « conférences pédagogiques » qu’on va les sensibiliser à cela. D’autant plus qu’il n’y a pas que les enseignants qui pensent ainsi. Les directions d’écoles ne sont pas mieux formées et les CPMS ne sont pas d’un grand secours si personne ne les en informe ou ne demande leur aide. Ces élèves sont alors considérés comme autant d’éléments « perturbateurs » avec les conséquences que cela engendre.

Et c’est aussi valable pour d’autres différences, comme la précarité, le fait d’être né dans un milieu populaire, parlant une autre langue à la maison, d’être LGBTQI+, d’être gros·se, etc…

Comme s’y mettre ?

Commençons par adapter des locaux (et des écoles) afin de les rendre inclusifs

Si des efforts ont été faits pour rendre des classes et des bâtiments accessibles, il y a encore du travail pour permettre à tou·te·s les élèves d’y être en sécurité. Certains enfants malades ne sont pas pris en considération. Pensons spécifiquement aux enfants allergiques, asthmatiques ou ayant une mucoviscidose. S’il existe des craies sans poussière, toutes les écoles ne les utilisent pas. Il y a souvent des coins avec des tapis rarement aspirés, des tentures qui prennent la poussière et ne sont pour ainsi dire jamais lavées, des odeurs dangereuses pour la santé (feutres pour tableaux blancs contenant du toluène ou du xylène, hautement toxiques et très odorants), le nettoyage des classes se fait avec des produits industriels toxiques qui perdurent pendant plusieurs jours… jusqu’au nettoyage suivant.

Au niveau bruit, là encore il y a des choses à améliorer. Certains de ces bruits sont internes à la classe et sont réverbérés par les plafonds et murs. Côté fenêtre, il y a souvent une cour de récréation avec les bruits qui vont avec (récréation des autres sections, cours de gymnastique, …). Cela perturbe les enfants avec un TDA, hyperactifs, malentendants, stressés, ayant une déficience intellectuelle, qui ont besoin de calme, etc. Idem pour les réfectoires dont le nombre de décibels rivalise avec celui d’un avion au décollage, les salles de gymnastique qui réverbèrent les cris des jeunes sportifs. Si certains professeurs d’éducation physique se mettent des bouchons d’oreilles, ce n’est pas le cas des enfants.

Le casque anti-bruits peut être un emplâtre, mais difficile à porter en sport. Il faut surtout ne plus se contenter d’une jambe de bois. Cela nécessitera des investissements qui doivent être programmés sur quelques années.

Les cours de récréation doivent être apaisées. Trop souvent, elles sont monopolisées par les « footballeurs », ne laissant que les côtés aux autres élèves (qui doivent quand même essayer d’éviter les ballons dans la figure). Certains de ceux-ci n’y trouvent pas leur place à cause d’un handicap invisible. Ils auraient besoin de calme, d’endroits où pouvoir s’asseoir, s’isoler, jouer calmement, simplement parler, … Des initiatives ont vu le jour pour « dégenrer » les cours de récréation. C’est à encourager. Même si l’idée de départ est de permettre aux filles et aux garçons de profiter de l’intégralité de l’espace, cela bénéficiera inévitablement aussi aux enfants à besoins spécifiques. 

La pédagogie universelle (sans dire le mot)

Les profs n’aiment pas qu’on leur fasse la leçon et nombre d’entre eux attrapent des boutons quand ils entendent le mot « pédagogie ». Autant ne pas (trop) leur en parler. Ils pensent tous que ce qu’ils font est très bien et ceux qui les bassinent avec Freinet, Montessori ou les pédagogies coopératives (ne parlons même pas de l’Universelle) ne sont que des « pédagogistes ». Il vaut donc mieux ne pas les prendre de face, mais par la bande. On pourra parler de pédagogie quand ils seront dans la dynamique. En fait, elle sera incontournable. Une pédagogie active est un doit de l’élève.

Peu d’écoles ou de classes sont inclusives. Le message à faire passer est que ce n’est pas très compliqué de le devenir et que c’est bénéfique pour tout le monde, enseignant compris. Le monde ne s’étant pas fait en un jour, il faut encourager les classes et les écoles à le devenir progressivement en prenant appui sur les aménagements raisonnables qui sont obligatoires et en les rendant universels[1].

Chaque année, dans toutes les classes, il y a des élèves à besoins spécifiques. Si certains « dys » reviennent fréquemment, au fil des ans de nouvelles difficultés spécifiques des apprentissages se présentent.

L’idée est de pérenniser chaque aménagement raisonnable, tout en en faisant bénéficier tous les élèves. Donc en les rendant u-ni-ver-sels. La première année, il n’y aura que quelques aménagements à mettre en place, tout en sachant qu’ils profiteront aussi aux élèves des années suivantes, car ils doivent devenir structurels. L’année suivante, il suffira d’en ajouter quelques-uns en fonction des élèves présents. Et ainsi de suite, d’année en année jusqu’à ce que la classe et/ou l’école soient enfin sur le chemin de l’inclusion. Nous disons « sur le chemin », car l’inclusion n’est jamais terminée.

Cela a l’avantage de permettre aux enseignants à se former progressivement, en fonction des spécificités de leurs élèves du moment. De même, ils ne se sentiront pas surchargés par de nouvelles pratiques à acquérir. Enfin, ils pourront se rendre compte progressivement de l’intérêt de devenir inclusifs, tant sur le plan des apprentissages, que sur le fait que cela va faciliter leur métier et non le surcharger. Ils seront moins confrontés à l’échec.

Concrètement, comment peut-on devenir inclusif ?

LePacte pour un enseignement d’excellence pousse les écoles à devenir inclusives. Si toutes les écoles n’ont pas repris cet item dans leurs plans de pilotage. Elles peuvent toujours le rajouter. Les DCO (Délégués aux Contrats d’Objectifs) et les DZ (Directeurs/trices de zone) devraient avoir pour mission de pousser toutes les écoles à aller dans ce sens.

Les Pôles territoriaux sont un nouvel outil qui doit permettre aux écoles de devenir plus inclusives. Si, pour le moment, ils sont dans une phase transitoire, ils sont cependant opérationnels. Etant encore peu connus, ils sont trop peu sollicités. Raison de plus pour en profiter et faire appel à l’expertise de ces professionnels de l’inclusion pour qu’ils viennent conseiller les enseignants dans une école qui décide de devenir plus inclusive.

  1. Informer les enseignants, en prenant exemple sur le Livre Blanc[2]. Prévoir des brochures explicatives d’une pathologie, d’un handicap, d’un trouble spécifique des apprentissages, mais aussi de situations de vie difficiles à vivre pour les élèves (perte d’un proche, pauvreté, comment communiquer avec un parent illettré, sur la fracture numérique, élève maltraité, LGBTQI+, …)
    1. Expliquer de quoi il s’agit ;
    1. Quelles sont les conséquences sur la vie de l’élève ;
    1. Quelles sont les conséquences sur la scolarité de l’élève ;
    1. Que mettre en place (liste non exhaustive d’aménagements raisonnables) et avec qui (professionnel·le qui aide l’enfant ou la famille et qui doit participer à la réflexion sur les aménagements raisonnables nécessaires) ;
    1. Comment sensibiliser les pairs à la situation de handicap de leur camarade (outils existants, sites Internet) ;
    1. Une liste d’associations/structures de référence ou qui peuvent venir en aide ;
    1. Des témoignages d’enfants, de familles, d’enseignants, montrant que c’est possible et que cela marche.
  • Encourager à l’adaptation des bâtiments et cours de récréation à l’accueil de toutes les différences physiques et intellectuelles. Prévoir des lieux de repos et d’isolement si un·e élève en éprouve le besoin. Avoir des toilettes toujours propres (!!!) et accessibles, des éviers dans toutes les classes, des fontaines d’eau dans la cour, des bancs, des espaces de jeux calmes, …
  • Adapter les règlements d’ordre intérieur à l’aspect inclusif de l’école. Autoriser, par exemple, d’aller aux toilettes en fonction des besoins, à boire et manger même pendant les cours, à s’habiller en fonction de ses envies mais également de ses besoins, la possibilité de rester en classe aux récréations, prévoir qu’un·e élève pourrait arriver en retard en raison de son handicap invisible sans qu’iel soit sanctionné·e mais reçoive de l’aide pour rattraper son retard ou se mettre en ordre, …
  • Prendre connaissance du Mémorandum pour une Ecole inclusive[3] et en appliquer ce qui relève des missions et compétences de l’école.

C’est le premier pas qui coûte.

Se lancer dans une classe ou dans une école inclusive, c’est un changement de paradygme. C’est se rendre compte d’abord que tous les élèves sont différents, mais aussi qu’ils sont tous capables. Qu’il n’y a pas d’élèves qui ont l’intelligence de la main quand d’autres auraient celle du cerveau ou seraient doués pour les arts. C’est le postulat d’éducabilité[4]. Si on n’est pas convaincu de cela, alors il vaut mieux ne pas s’y mettre et rester dans ses croyances moyenâgeuses. Au moins les familles sauront à quoi s’attendre. A peu de choses, en somme.

Par contre, si on postule que c’est exact, que tout élève est bel et bien capable d’apprendre les matières enseignées par l’école, alors on peut commencer. Les aménagements raisonnables que l’on rend universels nous y aideront. Commençons par supprimer le superflu :  les devoirs et les examens (et autres interros). Les devoirs d’abord parce qu’il a été démontré par la recherche qu’ils sont au mieux inefficaces (ils ne font pas progresser les élèves), au pire contre-productifs (ils bouffent le temps libre aux élèves et leur retire ce droit élémentaire, déchirent les relations familiales et prennent du temps à l’enseignant qui doit les corriger et ne peut pas être disponible pour les élèves qui ont besoin d’aide).

Ensuite, les examens car eux, bouffent le temps d’enseignement auxquels ont droit les élèves. Cela peut aller jusqu’à 40 % de l’ensemble de l’année scolaire en primaire et jusque 60 % du temps en secondaire). Ensuite, il est impossible d’évaluer avec des points[5].

On a ainsi gagné du temps pour évaluer formativement (Article 15 du Décret Missions, 1997) et pour mettre des aménagements raisonnables à disposition de tous, dont le tutorat est, bien évidemment, la pierre angulaire. Cela soulage énormément les enseignants et est un bénéfice énorme pour ceux qui ont besoin d’un complément d’explications. On intègre alors des élèves avec des handicaps plus lourds, comme les déficiences intellectuelles, les élèves mutiques ou avec comportement difficile. Ce n’est plus un enseignant qui intègre, mais une classe d’enseignants. Et on adapte les apprentissages à ces élèves qui ne savent pas apprendre la même chose que les autres, mais qui savent apprendre quand même. Et bien plus qu’on ne pensait au départ.

La pédagogie se met alors lentement en place, selon le choix de l’école (Conception Universelle des Apprentissages, Pédagogie Freinet, Montessori, Pédagogie de la Coopération, Pédagogie par Projets, … etc.) et le niveau de connaissance de tous les élèves augmente, tout comme leur soif d’apprendre. Ils deviennent solidaires, donc citoyens. Savent vivre avec toutes les différences. Et une fois adultes, ils n’auront qu’un désir, celui de rendre la société plus juste. Et l’école aura, enfin, rempli sa mission.


 

[2] https://www.liguedroitsenfant.be/621/livre-blanc/

[3] Parution prévue le 2 décembre 2022. Note complétée 07/12/22 : https://www.liguedroitsenfant.be/7954/memorandum-pour-une-ecole-inclusive-4/

[4] https://www.liguedroitsenfant.be/2813/en-marche-vers-une-ecole-inclusive-le-principe-deducabilite/

[5] Lire : https://www.liguedroitsenfant.be/2838/etude-les-notes-a-lecole/

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