« L’aide au travail personnel de l’élève doit nous aider à (re)faire vraiment de la classe“un lieu où les élèves travaillent”… Sinon quelle dérision cela serait que de vouloir les aider à quelque chose que l’on n’a pas déjà engagé avec eux ! »
Philippe Meirieu, 2006.
INTRODUCTION
La première chose que les élèves apprennent quand ils entrent à l’école (parfois même en maternelle), c’est qu’après l’école, c’est encore l’école. Si la première est inscrite dans le temps, la seconde ne l’est pas et peut investir les dernières heures de la journée d’un enfant, que ce soit déjà en primaire, mais tout au long de la scolarité. Au point qu’une fois devenu adulte, le parent va trouver normal que son enfant soit investi de travail supplémentaire après une journée déjà bien chargée, qui l’a fatigué à l’extrême. Non content de cela, si le maître ne donne pas assez de devoirs à faire à la maison, il s’insurgera, en réclamera et si ses désirs d’adulte gâté ne sont pas rencontrés, conclura et fera savoir à qui veut l’entendre sur le trottoir de l’école que tel professeur est incompétent.
Les devoirs sont une prescription de l’école que doit porter l’élève entre deux ou trois sphères différentes : l’école, la famille et parfois l’aide aux devoirs. Cette triple localité du travail scolaire explique aussi pourquoi le travail des élèves en dehors du temps scolaire reste un domaine peu connu, notamment par tous les intervenants scolaires. C’est cette méconnaissance, voire ce refus de savoir, qui fonde le discours professoral sur le manque de travail supposé des élèves et la démission des familles.
La question des devoirs remonte à un temps que les moins de 150 ans ne peuvent pas connaître. Capolarello et Wunsche[1] ont analysé la revue « l’Educateur » et recherché les articles qui traitent des travaux à domicile. Ils ont pu constater que ceux-ci font objet de débats depuis 1865 et en ont relevé plus de 70 entre 1865 et 1900. Il s’agit donc bien d’une controverse qui alimente l’école et les familles depuis très longtemps, et qui n’a visiblement toujours pas été tranchée.
La société et la famille ont beaucoup changé ces dernières décennies. La maman a fort heureusement acquis son indépendance. Elle n’est plus cantonnée à la gestion du ménage et travaille en journée. Dans de nombreuses maisons, le parent qui reste assume seul le quotidien et donc les charges de la famille.
Les recours aux services de garde après la classe ont augmenté de manière importante ces dernières décennies et les difficultés pour aider les devoirs des enfants à domicile se sont accrues dans le même ordre. C’est d’autant plus prégnant quand l’enfant a des difficultés d’apprentissage et lorsque les parents ne parlent pas la langue de scolarisation ou lorsque la culture scolaire leur est étrangère.
Les devoirs deviennent alors sources de stress. Les tensions familiales qu’ils génèrent engendrent de forts ressentiments par rapport à l’école, et impactent la persévérance des enfants et des familles face à la masse de devoirs qui leur est imposée. Tous les élèves ne sont pas égaux face aux travaux à domicile, mais les professeurs se soucient très peu des conditions dans lesquelles se passent les devoirs de leurs élèves les plus fragiles.
Pourtant, de manière générale, la plupart des parents, tous milieux sociaux confondus, tiennent aux devoirs, même si leurs effets sur la réussite des élèves sont loin d’avoir été démontrés. En outre, il arrive, à ces mêmes parents, de poser de gros problèmes à leurs enfants, notamment pour l’acquisition de bonnes méthodes de travail. Les travaux à domicile permettent aux familles de suivre la scolarité de leur enfant. Cette participation, en établissant un lien régulier entre famille et école, est un facteur important dans la réussite de leur progéniture.
Les études scientifiques ne montrent pas d’effets des devoirs sur les résultats scolaires tant en primaire qu’en début de secondaire. Par ailleurs, l’idée que se font les professeurs et les parents que les devoirs renforceraient le sens de l’effort et la discipline personnelle n’a pas été validée par les recherches, peu nombreuses sur ce point, il est vrai.
L’Ecole attend des enfants qu’ils s’investissent pendant des heures en classe puis, qu’une fois fatigués, ils prolongent leur journée par des travaux supplémentaires au sein de la sphère familiale. Toutefois, cette attente ne devrait concerner que les élèves de secondaire, les devoirs étant interdits depuis 2001 en Communauté française de Belgique, et les travaux à domicile fortement régulés. Mais les limites de cette interdiction pour l’école primaire montrent à quel point les professeurs sont réticents à l’appliquer et à respecter les droits de leurs élèves. Malgré la loi, des devoirs continuent à être donnés aux enfants d’école primaire.
L’école n’est pas un ascenseur social et ne l’a jamais été, loin s’en faut. Sans doute l’a-t-elle été un jour dans les abbayes pour quelques clercs ou enfants illégitimes d’un seigneur local, mais depuis la création de l’école, celle-ci a toujours différencié les élèves sur base de leurs origines sociales. Les familles l’ont bien compris et le « travail hors la classe pour l’école », comme les chercheurs appellent prosaïquement les « devoirs et leçons », est un enjeu important. Tous les parents, quel que soit leur milieu social ont pris conscience de la relation de plus en plus forte entre niveau de diplôme et chances d’échapper à la misère.
Les devoirs sont souvent le seul lien qu’elles ont avec l’école. Dès lors, elles l’investissent dans l’espoir d’aider leurs enfants à mieux réussir leurs études. A l’heure où un certificat de fin de secondaire ne signifie plus rien sur le marché de l’emploi, ou même un baccalauréat et un master ne garantissent plus un emploi à vie, la bataille pour l’avenir de la progéniture commence parfois avant l’école maternelle, par les premiers stages de langue, la psychomotricité ou l’hypothérapie.
Si la pratique des devoirs perdure, c’est sans doute parce qu’elle est considérée par les professeurs et les familles comme un compromis social. Interdits à l’école primaire en France depuis 1956 et en Belgique depuis 2001, cette pratique « désirée et rejetée, nécessaire et inutile, efficace et inefficace, sécurisant et source de tension[2] », est toujours passée outre son interdiction.
Ce compromis social entre l’école et les familles, apparaîtrait comme le moins mauvais possible[3] mais serait plus important que le compromis cognitif[4], tant pour certains professeurs que par la majorité des familles qui les plébiscite. Même pour les familles dont les enfants en sont les premières victimes[5]. En effet, les devoirs structurent l’emploi du temps des élèves après l’école. C’est le moment où l’autorité parentale peut enfin s’exercer en lien avec les loisirs autorisés ou non, en fonction de l’avancée des devoirs.
Seule une réflexion globale menée au sein de chaque école qui donne
encore des devoirs permettra de changer les pratiques, tant en primaire qu’au
secondaire. Il est important de questionner la pertinence des devoirs, leur
type, et les conditions de réalisation de ceux-ci pour chaque enfant et chaque
famille. De même que de s’interroger sur d’autres manières de proposer des
renforcements aux élèves. Enfin, comment aider les familles qui n’ont pas les
codes de l’école et quels soutiens les professeurs peuvent-ils leur offrir (en
dehors de l’externalisation des apprentissages vers l’extrascolaire). Il est important que si le choix des
professeurs est de se décharger d’une partie de leur mission sur les familles, chaque
élève doit pouvoir tirer pleinement profit de chacun de ces apprentissages et
que ceux-ci ne soient plus discriminants et vecteurs d’échecs scolaires.
DE QUOI PARLE-T-ON ?
On parle ici du travail explicitement demandé par l’école, c’est-à-dire des « leçons » et des « devoirs » donnés par les maîtres, pendant l’année scolaire ou les vacances. Nous ne parlerons pas du travail « en plus » délibérément choisi par les élèves, ou imposé par leurs parents, en lien direct ou non avec les exigences scolaires, notamment les « cours particuliers ».
A suivre :
Pourquoi donne-t-on des devoirs ?
Quels types de devoirs demande-t-on réellement ?
Les effets escomptés, selon les professeurs
Les parents en sont convaincus : les devoirs participent à la réussite de leurs enfants.
La maison, un lieu de scolarisation « secondaire »
Toutes les familles n’ont pas les mêmes ressources pour accompagner les enfants
Les devoirs, sources de tensions familiales
L’implication des familles a des effets positifs sur les devoirs…… mais pas sur les apprentissages
Quel est le temps passé à faire des devoirs ?
L’externalisation des devoirs et de la rémédiation
Posons-nous la question de l’équité des devoirs
Les dangers du travail à la maison ou le déni des droits de l’enfant
Des bénéfices pas toujours démontrés
Comme enseignant, ai-je le droit de donner des devoirs ou suis-je hors-la-loi ?
Les devoirs doivent être corrigés. Comment font les professeurs ?
Conclusions : Il y a des solutions, mais rappelons-nous que l’échec scolaire tue !
[1] Capolarello, Wunsche, 1999, Le pour et le contre. Une analyse historique de articles consacrés aux devoirs à domicile dans l’Educateur 1865 – 1992, Université de Genève, Mémoire de Licence
[2] Favre B., Steffen N., 1988, « Tant qu’il y aura des devoirs… », Service de la recherche pédagogique, cahier n°25 – 1988
[3] Kus Stéphane & Martin-Dametto Sylvie (2015). Quelles collaborations locales pour améliorer l’accompagnement à la scolarité. Rapport du Centre Alain-Savary. Lyon : ENS de Lyon, Institut français de l’Éducation.
[4] Caillet Valérie & Sembel Nicolas (2009). Points de vue et pratiques des partenaires du travail hors la classe. In Patrick Rayou (dir.), Faire ses devoirs : enjeux cognitifs et sociaux d’une pratique ordinaire. Rennes : Presses universitaires de Rennes, p. 33- 70.
[5] Bonasio Rémi & Veyrunes Philippe (2016). Activité collective et apprentissages dans la pratique des devoirs. Education & formation, n° 304-01, p. 73-86.