Les notes ont-elles toujours existé ?

Les notes ont-elles toujours existé ?

L’école a existé sans la note pendant des siècles jusqu’à ce que les  Jésuites[1] créent un peu partout leurs Collèges avec, pour objectif l’émergence d’une jeunesse instruite et disciplinée, apte à assumer des responsabilités de « leadership ». Au XVIe siècle, Ignace de Loyola, en fit l’instrument de la reconquête catholique (la Contre-Réforme) afin de contrecarrer l’expansion protestante sur l’un de ses terrains de prédilection: l’accès aux savoirs, religieux et laïques. Ces écoles se veulent élitistes. Il s’agit de privilégier les plus méritants et d’éliminer les autres. Il s’agira donc d’élaborer un système obligatoirement sélectif.

Pour créer l’émulation – et donc la compétition – ils vont tester différents procédés. Les collèges sont régis par un code, le Ratio studiorum, qui pose comme principe que l’enseignant se doit de favoriser une honnête émulation qui fera effet de grand aiguillon pour l’étude. Les collèges vont commencer par élaborer tout un système complexe de récitations, compositions, « disputes », concours, prix, joutes, devoirs écrits, révisions quotidiennes, mensuelles, trimestrielles et annuelles. Les élèves sont placés dans des groupes hiérarchisés, placés en situation de concurrence perpétuelle[2].   

Chez les Jésuites (…), les élèves étaient divisés en deux camps, les Romains d’une part et les Carthaginois de l’autre, qui vivaient pour ainsi dire sur le pied de guerre, s’efforçant de se devancer mutuellement. Chaque camp avait ses dignitaires. En tête du camp, il y avait un « imperator », appelé aussi dictateur ou consul, puis venaient un préteur, un tribun et des sénateurs. Ces dignités, naturellement enviées et disputées, étaient attribuées à la suite d’un concours qui se renouvelait chaque mois. D’un autre côté, chaque camp était divisé en décuries, comprenant chacune dix élèves, et commandée par un chef nommé décurion et pris parmi les dignitaires dont nous venons de parler. Ces décuries ne se recrutaient pas indifféremment. Il y avait entre elles une hiérarchie. Les premières comprenaient les meilleurs élèves, les dernières les écoliers les plus faibles et les moins laborieux. Et ainsi, de même que le camp dans son ensemble s’opposait au camp adverse, dans chaque camp chaque décurie avait dans l’autre sa rivale immédiate, de force sensiblement égale. Enfin, les individus eux-mêmes étaient appariés, et chaque soldat d’une décurie avait son émule dans la décurie correspondante. Ainsi le travail scolaire impliquait une sorte de corps à corps perpétuel (…). A l’occasion, le maître ne devait pas craindre de mettre aux prises des élèves de force inégale. Par exemple, on faisait corriger le devoir d’un élève plus fort par un élève moins fort « afin que ceux qui ont fait des fautes en soient plus honteux et plus mortifiés » (…). C’est grâce à ce partage entre le maître et les élèves qu’un professeur pouvait diriger sans trop de difficulté des classes qui atteignaient parfois deux cents et trois cents élèves[3].

Au début, les maîtres comptaient les fautes et ordonnaient les copies selon le mérite. Ils transmettaient par correspondance ces résultats, parfois laconiques, aux familles. Voici par exemple le bulletin obtenu en 1780 par un interne du collège royal de Cahors (Compère, 1985):

Moeurs et religion: excellentes

Caractère: excellent, trop timide

Place sur 52 écoliers (novembre, décembre, janvier):

Thème: 27e, 39e, 35e, 26e

Version: 13e, 30e, 14e

Vers: 44e, 26e

Ces indications de rang vont être progressivement remplacées par des appréciations chiffrées : Au collège de Caen, on optera pour une échelle à 4 niveaux : 1 = bien; 2 = assez bien; 3 = médiocre; 0 = mal. En fin d’année, les classements permettront de distinguer « le bon grain de l’ivraie » : Les « optimi » seront promus dans la classe supérieure, au contraire des « inepti ». Les « dubii » seront admis dans la classe suivante, mais à l’essai et à conditions.

Les jésuites ont ainsi inventé le favoritisme encore en vogue dans nos écoles élitistes : les « dubii » (doubleurs) restent en principe dans leur classe, sauf si la famille insiste ou si des « personnages considérables » interviennent en leur faveur. C’est en 1890 que sera officialisée, en France, l’échelle de notation des compositions de 0 à 20, seulement dans le secondaire pour les compositions trimestrielles et le baccalauréat. Elles ne sont en revanche pas obligatoires en classe, tout au long de l’année, où les professeurs font comme ils veulent. L’idée fondamentale à l’époque est de noter les compositions pour pouvoir décerner des prix. Il s’agit donc de faire des moyennes pour départager les gagnants[4].

L’Etat français, en se substituant aux collèges religieux, va poursuivre le même objectif, former les élites bourgeoises sur la base de leur mérite. Les hyènes ne se mangent pas entre elles… et perfectionner la notation. Chaque cohorte va donc être « notée » et ces notes découlent du découpage imaginé par les Jésuites. Les « rangs », les « notes », les « grades » participent tous d’une sélection des élèves, les plus hautes notes étant attribuées aux élèves les plus « méritants », alors que les notes les plus basses seront attribuées aux « médiocres, insuffisants ou mauvais ».

Les « bons » élèves siègeront au banc d’honneur[5], tandis que les cancres seront relégués au banc de la honte ou au « coin ». En fin d’année, ils étaient – et sont toujours – condamnés à un infâme redoublement. Mais le maître avait-il d’autres solutions, dans des classes qui pouvaient compter jusque 200 élèves ? C’est à ce prix que la République française a pu scolariser des millions d’enfants qui ne l’étaient pas auparavant.

Notre histoire, en Communauté française, mais aussi notre école a toujours été et est toujours fortement influencée par ce qui se passe outre-Quiévrain. L’école française, encore aujourd’hui, a les mêmes faiblesses que la nôtre et les médias n’aidant pas, les professeurs belges se dédouanent de leurs pratiques de sélection et du taux de redoublement parce « qu’on a toujours fait ainsi ». Le « on », c’est la France et les images qu’elle nous renvoie de son propre système scolaire. Relisons « Le Petit Nicolas[6] » ou plus récemment « L’élève Ducobu[7] » mais aussi les films qui parlent de l’école en la montrant sous l’aspect sélection, ou incompétence des élèves (Rappelons-nous la série des Sous-doués, Mauvais élèves, Les Profs, Le Maître d’école, Le plus beau métier du monde, …). Car non, « on » n’a pas toujours fait ainsi…

Depuis la Révolution française, les hiérarchies sociales ne sont plus basées sur la naissance mais sur le mérite. Du moins, c’est ce que l’Ecole voudrait nous faire croire. On sait, cependant que celle-ci discrimine les élèves essentiellement sur base des origines sociales.

D’ailleurs, l’idéologie républicaine a fait long feu. C’est Octave Gérard[8] qui, sous Napoléon III a mis en place un modèle d’école que nous connaissons encore aujourd’hui en Belgique, qui a ensuite été repris et généralisé à partir des années 1880 par Jules Ferry. « La note sur 20 est choisie dans le secondaire car plus pointue que la note sur 10 du primaire. Les résultats sont théâtralisés et deviennent un moyen de discipline alors jugé très efficace. La mauvaise note est d’ailleurs une punition autorisée, au même titre que la retenue ou les devoirs. »[9]

En 1868, Octave Gérard crée un cursus divisé en trois cycles de deux ans chacun (élémentaire, moyen et supérieur). Octave Gréard impose dans tous les cours l’enseignement simultané[10]. Le passage d’un cours à l’autre est alors déterminé par des examens de passage. Dès lors, un élève peut rester 4 ou 5 années durant dans le cours élémentaire. Les passages de classe en classe font office de sélection de telle sorte que seuls les meilleurs atteignent le cours supérieur, puis le certificat d’études. En 1888, seulement 30 % des élèves parviennent à terminer leur cursus sans redoublement. Comme quoi, l’école d’aujourd’hui n’a rien inventé et nous reproduisons les mêmes croyances que ces ancêtres de l’école obligatoire.

Même si, dans les années qui ont suivi, l’objectif de régression de l’analphabétisme a fait massivement diminuer le redoublement, la répartition des élèves par classe est restée inégale au début du XXe siècle. Les cours élémentaires regroupaient les élèves qui n’avaient « pas assimilé les bases »[11]

Sous Jules Ferry[12], si la scolarité devient obligatoire, les passages de classe en classe sont filtrés de telle sorte que seuls les meilleurs atteignent le cours supérieur et le certificat d’études. L’école républicaine tend à privilégier la scolarité des « meilleurs », ceux qui sont issus des meilleures familles. Les tensions avec les parents ne datent pas d’hier. A l’époque déjà, les familles s’insurgeaient sur le choix des élèves présentés aux examens du certificat d’étude primaire, l’école ne s’intéressant qu’à ses « bons » élèves et délaissant déjà les autres.

Le processus d’industrialisation en cours en Europe va entraîner une énorme demande de main d’oeuvre. Le système scolaire va devoir répondre à cette demande et préparer les élèves à assumer différentes fonctions sociales tributaires de leurs compétences professionnelles et donc de leurs mérites individuels[13] : la sélection des élites sera un des principaux facteurs qui vont influencer durablement les pratiques d’évaluation.

L’évaluation notée a donc été pensée pour pratiquer une sélection entre les élèves, dans un objectif de formation d’« élites ». Nous en sommes toujours là aujourd’hui et, même si les professeurs n’en sont pas conscients (il suffirait pourtant qu’ils ouvrent leur ordinateur et s’intéressent un tout petit peu à la docimologie), ils participent à l’amplification des inégalités sociales. Il s’agit déjà bien d’un modèle scolaire qui tire vers le haut les plus « forts » et ignore les plus « fragiles ».

Les notes, une question qui se pose depuis longtemps


[1] Lire Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer [les notes à] l’école ? Olivier MAULINI, Enseignement primaire, Genève. Texte édité par l’association Agatha, en marge des deux débats organisés le 29 février 1996: Abolir la note à l’école: Quels effets ? & Des notes à l’école, pour quoi faire ?

[2] Emile Durkheim voit dans cette machinerie classificatoire l’une des sources du génie national français.

[3] Durkheim, Emile (1938). L’évolution pédagogique en France, Paris, PUF (Quadrige). P 298-299.

[4] Claude Lelièvre, l’historien de l’éducation in Supprimer les notes, «c’est le contraire du laxisme» – Le Figaro, 11/12/2014.

[5] Les bancs à l’avant de la classe, près du maître.

[6] Le Petit Nicolas, Sempé & Goscinny. Paris : Denoël, 1960, 120 p. et livres suivant…

[7] Ducobu des belges Zidrou (scénario) et Godi (dessins), 1992, repris par le cinéma… français.

[8] Octave Gréard, 1828-1904 est un pédagogue français. Il a élaboré en 1868 une nouvelle organisation des écoles primaires en trois cycles de deux ans chacun (cours élémentaire, cours moyen et cours supérieur) aboutissant au certificat d’études.

[9] Diane Galbaud, Une pratique toujours en vogue, malgré les critiques, in Le monde de l’éducation n°344, dossier « Que valent les notes ? », Février 2006.

[10] L’enseignement, dans sa forme la plus générale, peut être individuel, mutuel, ou simultané. L’enseignement simultané consiste, comme mode, à ordonner l’école de manière que tous les élèves ou du moins une partie notable des élèves puissent recevoir ensemble l’enseignement sur les diverses parties du programme. http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3642

[11] Jérome Krop, La méritocratie républicaine : élitisme et scolarisation de masse sous la IIIe République, Presses universitaires de Rennes, 2014

[12] Jules Ferry est l’auteur des lois restaurant l’instruction obligatoire et gratuite. Il est ainsi vu comme le promoteur de « l’école publique laïque, gratuite et obligatoire ».

[13] Barbier, J-M (1983). Pour une histoire et une sociologie des pratiques d’évaluation en formation, Revue française de pédagogie, n°63, pp.47-60.

Ecole : Quelle est l’efficacité de la notation ?

Ecole : Quelle est l’efficacité de la notation ?

La question de la notation interpelle les parents mais aussi les enseignants depuis ses débuts. On relèvera l’expérience du professeur Laugier en 1930. Il a recherché dans les archives de l’époque 166 copies d’agrégation d’histoire et les a faites recorriger par deux collègues qui avaient une longue expérience, connus pour être capables de corriger méticuleusement. Ceux-ci ont travaillé séparément, sans connaître leurs appréciations respectives. Les résultats furent édifiants : la moyenne de l’ensemble des notes du premier correcteur dépassait de deux points celle du second. Les écarts de notes pour les mêmes copies pouvaient aller jusqu’à 9 points. Le premier a donné 5 à 21 copies qui ont été cotées entre 2 et 14 par le second. Le candidat classé avant dernier par l’un était second chez l’autre. Enfin, la moitié des candidats reçus par le premier étaient refusés par le second. 

Laugier et Weinberg ont montré, ensuite, que la double correction est illusoire. Pour obtenir une « note exacte » (c’est-à-dire une moyenne telle que l’adjonction d’un autre correcteur ne modifierait pas sensiblement la moyenne) il faudrait 127 correcteurs en philosophie, 78 en composition française, 28 en anglais, 19 en version latine, 16 en physique et 13 en mathématiques. Autant dire qu’aucun professeur n’est capable, dans quelque discipline que ce soit, d’obtenir une « note exacte ».

Pour aller plus loin, Laugier et Weinberg en France, ont demandé à un professeur de physiologie de recorriger 37 copies – dactylographiées et anonymisées – qu’il avait corrigées trois ans et demi auparavant. Dans 7 seulement copies sur 37, il remit la même note au même devoir. Dans tous les autres cas, il y eut des divergences comprises entre 1 et 10 points. Avec cette nouvelle correction, la moitié des élèves admis à l’époque aurait été refusées 3,5 ans plus tard, tandis que la moitié des refusés auraient été admis.

Ces expériences ont été reproduites de nombreuses fois, avec à chaque fois des résultats aussi surprenants qui montrent que les élèves « faibles » peuvent être piégés par des notes catastrophiques et que celles-ci débouchent sur une dynamique de dévalorisation qui peut, à terme, devenir irréversible.

A ce titre, l’étude de Jean-Jacques Bonniol et de ses collègues[1], menée en 1972 est éclairante. Ils distribuèrent à deux groupes de correcteurs les copies écrites identiques, rédigées par un groupe d’élèves de 6e. Le premier groupe se vit indiquer que ces copies provenaient d’élèves de « niveau élevé », tandis que le second groupe apprit que les élèves étaient d’un « niveau faible ». Le résultat fut sans appel : les copies des « élèves forts » étaient systématiquement surcotées par rapport aux copies des « élèves faibles ». La note moyenne des élèves supposés « forts » fut de 11,16 sur 20, tandis que celle des élèves supposés « faibles » ne fut que de 9,65. Le seuil critique étant à 10, les chercheurs en ont conclu que, dans l’esprit des correcteurs, les « bons » élèves ne peuvent que bien faire et les « mauvais » ne peuvent que mal faire. Une fois encore l’effet Pygmalion[2] était démontré.


[1] Bonniol, J-J., Caverni, J-P., Noizet, G. (1972). Le statut scolaire des élèves comme déterminant de l’évaluation des devoirs qu’ils produisent. Cahiers de psychologie, N°15, pp.83-92

[2] Sur l’effet Pygmalion, se référer au chapitre « Connaissance des notes antérieures des élèves » de ce dossier.

Alors, pourquoi les professeurs tiennent-ils aux notes ?

Alors, pourquoi les professeurs tiennent-ils aux notes ?

Fabrizio Butera[1] constate que, si la note peut être utilisée de manière formative, c’est loin d’être le cas aujourd’hui, car elle est essentiellement normative, « basée sur la comparaison des élèves, qui se manifeste sous forme d’un jugement et permet de mettre en évidence la performance relative des élèves et des étudiants. »

Il estime que ce type de notation est ancrée dans les écoles élitistes car elle convient bien aux professeurs et au système en raison de quatre présupposés, les « quatre M » que constituent « la Mesure, le Marché, le Mérite et la Motivation. »

Premier présupposé : la « Mesure ». La note permettrait de mesurer simplement et clairement les apprentissages. Il s’agit bien d’un présupposé car c’est une illusion. La réalité, continue Fabrizio Butera, c’est que « les notes mesurent la performance et non l’apprentissage ». La note rend compte du résultat à une épreuve donnée et non pas de l’évolution des résultats entre les deux épreuves.

Second présupposé ou illusion professorale : le marché ! La société est compétitive, nous devons préparer nos élèves à pouvoir affronter (et gagner) ce système de punitions et de récompenses qu’ils rencontreront au cours de leur carrière professionnelle. Fabrizio Butera rappelle opportunément que « l’incitation à la compétition amène à apprendre moins que ce que l’on pourrait et à développer des comportements antisociaux », comme la triche ou la rétention d’information (pour pénaliser ses camarades). La compétition à l’école conduit à la malhonnêteté intellectuelle. Dans un système où c’est « marche où crève », on ne collabore qu’avec le système. Pas avec ses pairs qui sont des concurrents pour les rares places éligibles. 

Un petit mot sur la « triche ». Elle s’apprend très tôt, dès le tout début de la première année d’école primaire. Elle est la résultante des pratiques professorales et de la pression qu’elles mettent sur les enfants et sur les familles qui la répercutent. La triche est en fait un « moyen adaptatif de survivre à la pression de devoir réussir en surpassant les autres ». L’élève n’étudie plus pour apprendre, mais pour avoir des points… et des points supérieurs à une majorité des autres élèves. Une affirmation que semblent confirmer les professeurs, même dans le supérieur : « La notation en classe préparatoire relève du ‘tri’ et non de ‘l’évaluation’, d’ailleurs les élèves ne viennent plus quand la dernière note est tombée » regrette Nicolas Truong[2].

Troisième idée préconçue : le Mérite. Selon les professeurs, la note ferait avancer les élèves en fonction de leurs résultats et non en fonction d’autres considérations comme l’origine sociale. En d’autres termes, comme professeur, je suis juste et je ne pratique pas de sélection sur base de l’origine, de ma sympathie, du comportement de mes élèves ou des ‘dys’-parités de mes élèves ? Le problème, c’est que les notes réintroduisent surtout des inégalités. En effet, et cela a largement été démontré, les savoirs et savoir-faire dépendent prioritairement du milieu d’origine de l’élève. « Les groupes sociaux défavorisés sont entravés par des facteurs tangibles, comme l’accès aux ressources, et des facteurs symboliques, comme les stéréotypes dont ils sont affublés ».

Quatrième et dernière (dés)illusion, le présupposé de la Motivation. Au mieux, la note enthousiasmerait les élèves, ou au pire, les motiverait. Jolie justification de ce pouvoir que s’arrogent les professeurs, celui de la « carotte et du bâton ». Cela motive peut-être les élèves, répond l’auteur, mais à quoi ? La note augmente en effet « le but de performance-évitement » qui est le désir de ne pas réussir moins bien que les autres, mais au détriment du « but de performance-approche » qui est, lui, ledésir de réussir mieux que les autres. Une motivation aussi peu ambitieuse n’est certainement pas un vecteur d’émulation entre les élèves.

Enfin, au bout de cette énumération de présupposés, Fabrizio Butera conclut par ce qui a été démontré depuis des décennies : tout ceci produit surtout un cinquième M : la Menace.

En effet, la note « menace le sentiment de compétence de soi » prioritairement pour les élèves ayant une histoire d’échec scolaire ou de mauvais résultats. « Même les bons élèves sont menacés et baissent dans leurs résultats dès lors qu’ils sont confrontés à un échec. ». La preuve en est que les bonnes notes sont relativement rares. Elles ont pour but de ne former que les élèves supposés les « meilleurs », donc de sélectionner.

La note est une menace pour les élèves, qu’ils soient injustement étiquetés comme « bons » ou « médiocres ». Cette note, celle de ce professeur qu’ils ne sentent pas et qui, les prenant de très haut, les juge incapables ou fainéants, a des conséquences considérables pour leur avenir. « Tant que les notes seront utilisées, dans la grande majorité des cas, pour rendre visibles les différences entre élèves, les comparer et in fine faciliter le processus de sélection, elles ne produiront que de la menace et des réactions de ‘survie’ scolaire ».

Outre que c’est un système simple et non fatiguant à mettre en place, les professeurs tiennent à la note car elle a trois fonctions qui les arrangent plutôt bien, et que nous avons déjà effleurées ci-avant :

  1. Il leur permet de récompenser ou de punir les élèves pour leur travail et leur comportement scolaire (voir les notes de « conduite ») ;
  2. Il leur permet d’établir une comparaison entre les élèves, imaginant – à tort, mais les doxas ont la vie dure dans les salles de profs – susciter l’émulation ;
  3. Il renseigne les parents et la hiérarchie scolaire et les collègues sur les « mérites » ou les « démérites » de chaque élève et permet ainsi les sanctions (prix, félicitations, blâmes, passage dans la classe supérieure = félicitations, redoublement ou orientations = punitions)

L’élève qui veut réussir devra obligatoirement adopter une attitude qui réponde aux attentes du maître, ce qui est bien pratique pour assurer l’ordre de la classe.


[1] Fabrizio Butera, La menace des notes, in Fabrizio Butera, Céline Buchs, Céline Darnon (dir.), L’évaluation une menace ? PUF, Paris, 2011.

[2] Nicolas Truong, Mathématiques et français : la théorie de la relativité, in Le Monde de l’éducation n°344, dossier « Que valent les notes ? », Février 2006.

Que pensent les parents des notes ?

Que pensent les parents des notes ?

Nombreux sont les parents qui se comportent comme des consommateurs attendant une note comme on attend une rémunération « Tout travail mérite salaire… ». C’est ce qu’ils ont appris quand ils étaient sur les bancs de l’école et visiblement celle-ci ne leur a pas appris à remettre les dogmes en question. L’Ecole n’apprend pas la pensée critique !

Les parents tiennent aux notes parce qu’il s’agit d’une course. Les premiers arrivés seront les mieux servis, ils auront les meilleurs diplômes. Ils ont été formés ainsi. Leurs propres parents leur ont mis la pression durant toute leur scolarité et cette dernière n’a tourné qu’autour de la note. Ensuite, ce ne sont pas des professionnels de l’éducation et ils n’imaginent pas qu’il est possible d’évaluer autrement (la plupart des professeurs non plus, d’ailleurs). Et, quand par hasard, ils sont confrontés à un système qui ne donne pas de notes, ils perdent pieds « Comment vais-je savoir si mon enfant connaît ses matières ? ». La note est tellement facile à comprendre : on a réussi plus ou moins brillamment ou on est en échec. Du moins, le croient-ils.

La faute en revient aux établissements scolaires et aux professeurs pour qui la note est un système d’évaluation facile et rapide. Il ne leur est pas nécessaire de se lancer dans des explications et encore moins de réfléchir à des solutions pour aider leurs élèves en difficultés. En mettant une note, ils « sanctionnent » un être humain en le mettant en concurrence avec ses pairs. En somme, ils le responsabilisent de leurs incompétences à transmettre les savoirs à tous les élèves. 

Une fois que les parents sont confrontés à un système qui ne met plus leur enfant en compétition avec les autres et qui ne produit plus d’échecs, la plupart y adhèrent et le trouvent mieux que les points. En effet, ceux-ci sont souvent incompréhensibles et sources de questionnements jamais apaisés car l’école n’est jamais disponible pour se justifier. Les parents sont aussi très critiques. Ils ne comprennent pas les évaluations qui sanctionnent trop durement les élèves, ou les professeurs qui passent plus de temps à les évaluer qu’à les former. »

Les notes antérieures des élèves influencent-elles les professeurs ?

Les notes antérieures des élèves influencent-elles les professeurs ?

Il est vrai que certains professeurs cherchent à connaitre les notes reçues par leurs élèves les années précédentes. En général, ils invoquent l’importance d’anticiper l’échec ou la réussite de leurs élèves. Or, toutes les recherches ont démontré que cette information favorise des « biais de notation[1] », c’est-à-dire des erreurs systématiques d’évaluation du niveau de la copie en raison des attentes négatives ou positives créées par ces informations. Et rappelons-nous l’effet Pygmalion[2]. L’expérience a été faite dans les années 60 à l’école primaire d’Oak School dans la région de San Francisco, durant toute une année. Le psychologue Robert Rosenthal, qui cherchait comment on pouvait aider à progresser des élèves d’origines socioculturelles défavorisées et en difficulté d’apprentissage a eu l’idée de faire admettre aux professeurs que certains de leurs élèves, choisis au hasard, étaient surdoués.

Au début de l’année scolaire, les chercheurs ont fait passer des tests d’intelligence à tous les enfants. Ils ont fait croire aux instituteurs qu’il s’agissait d’un tout nouveau test destiné à détecter les élèves susceptibles de progresser de manière spectaculaire pendant l’année à venir. Ils ont alors sélectionné au hasard 5 élèves par classe, et ils ont annoncé aux professeurs qu’il ne serait pas surprenant qu’ils fassent des progrès inattendus pendant l’année.

A la fin de l’expérience, Robert Rosenthal et son équipe ont constaté que les élèves désignés comme « prometteurs » avaient en moyenne beaucoup plus progressé pendant l’année que les autres. En plus d’avoir mieux réussi au test, ces élèves « élus », qui avaient été choisi au hasard, ont été jugés par leurs professeurs comme plus performants et plus agréables que les autres.

L’explication donnée par Rosenthal pour expliquer ces résultats est celle de la « prophétie auto-réalisatrice ». Si un professeur pense qu’un enfant est particulièrement doué, son attitude envers lui changera. L’enfant se sentira plus en confiance, plus motivé, travaillera plus et au final progressera mieux.

Dans le même ordre d’idées, Seaver[3] s’est intéressé aux résultats scolaires des cadets de familles. Il a constaté que quand ceux-ci n’avaient pas eu le même professeur que leur aîné, les résultats des cadets n’étaient pas affectés. Au contraire, quand ceux-ci avaient eu le même professeur que leur aîné et que celui-ci avait été un « bon élève », cela avait un effet de contagion sur les résultats du cadet.

De manière générale, les professeurs adhèrent à une constante du niveau des élèves. On est « bon » ou on ne l’est pas une fois pour toute[4] ! Dès lors, le cursus antérieur d’un élève est un élément central pour un professeur qui veut savoir à l’avance des difficultés ou des facilités de celui-ci, face à la matière qu’il donne. La trajectoire de l’élève sera ainsi définie dès le début de l’année scolaire et dédouanera la responsabilité pédagogique du professeur qui n’aura plus qu’à en rendre responsable l’élève lui-même et sa famille. Ce sont avant tout les connaissances initiales qui détermineront les résultats finaux de l’année scolaire : « Il avait déjà des lacunes avant d’être dans ma classe ». Le professeur ne s’interrogera pas sur la compétence ou non de son prédécesseur, ni sur l’origine des difficultés supposées de l’élève ainsi que des aménagements raisonnables et les pratiques pédagogiques adaptées à mettre en place pour combler ces difficultés scolaires.


[1] Pierre Merle. Les notes. Secrets de fabrication. PUF 2007

[2] Rosenthal, Robert, and Lenore Jacobson. « TEACHERS’EXPECTANCIES: DETERMINANTS OF PUPILS’IQ GAINS. » Psychological reports 19.1 (1968): 115-118. Traduction française : Pygmalion à l’école, Paris, Casterman 1972

[3] Seaver W. B. Effects of naturally inclued teacher expectancies, Journal of Personaly and social Psychology, 28, 333-342 (1973)

[4] Noizet et Caverni,1978

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