Il est vrai que certains professeurs cherchent à connaitre les notes reçues par leurs élèves les années précédentes. En général, ils invoquent l’importance d’anticiper l’échec ou la réussite de leurs élèves. Or, toutes les recherches ont démontré que cette information favorise des « biais de notation[1] », c’est-à-dire des erreurs systématiques d’évaluation du niveau de la copie en raison des attentes négatives ou positives créées par ces informations. Et rappelons-nous l’effet Pygmalion[2]. L’expérience a été faite dans les années 60 à l’école primaire d’Oak School dans la région de San Francisco, durant toute une année. Le psychologue Robert Rosenthal, qui cherchait comment on pouvait aider à progresser des élèves d’origines socioculturelles défavorisées et en difficulté d’apprentissage a eu l’idée de faire admettre aux professeurs que certains de leurs élèves, choisis au hasard, étaient surdoués.
Au début de l’année scolaire, les chercheurs ont fait passer des tests d’intelligence à tous les enfants. Ils ont fait croire aux instituteurs qu’il s’agissait d’un tout nouveau test destiné à détecter les élèves susceptibles de progresser de manière spectaculaire pendant l’année à venir. Ils ont alors sélectionné au hasard 5 élèves par classe, et ils ont annoncé aux professeurs qu’il ne serait pas surprenant qu’ils fassent des progrès inattendus pendant l’année.
A la fin de l’expérience, Robert Rosenthal et son équipe ont constaté que les élèves désignés comme « prometteurs » avaient en moyenne beaucoup plus progressé pendant l’année que les autres. En plus d’avoir mieux réussi au test, ces élèves « élus », qui avaient été choisi au hasard, ont été jugés par leurs professeurs comme plus performants et plus agréables que les autres.
L’explication donnée par Rosenthal pour expliquer ces résultats est celle de la « prophétie auto-réalisatrice ». Si un professeur pense qu’un enfant est particulièrement doué, son attitude envers lui changera. L’enfant se sentira plus en confiance, plus motivé, travaillera plus et au final progressera mieux.
Dans le même ordre d’idées, Seaver[3] s’est intéressé aux résultats scolaires des cadets de familles. Il a constaté que quand ceux-ci n’avaient pas eu le même professeur que leur aîné, les résultats des cadets n’étaient pas affectés. Au contraire, quand ceux-ci avaient eu le même professeur que leur aîné et que celui-ci avait été un « bon élève », cela avait un effet de contagion sur les résultats du cadet.
De manière générale, les professeurs adhèrent à une constante du niveau des élèves. On est « bon » ou on ne l’est pas une fois pour toute[4] ! Dès lors, le cursus antérieur d’un élève est un élément central pour un professeur qui veut savoir à l’avance des difficultés ou des facilités de celui-ci, face à la matière qu’il donne. La trajectoire de l’élève sera ainsi définie dès le début de l’année scolaire et dédouanera la responsabilité pédagogique du professeur qui n’aura plus qu’à en rendre responsable l’élève lui-même et sa famille. Ce sont avant tout les connaissances initiales qui détermineront les résultats finaux de l’année scolaire : « Il avait déjà des lacunes avant d’être dans ma classe ». Le professeur ne s’interrogera pas sur la compétence ou non de son prédécesseur, ni sur l’origine des difficultés supposées de l’élève ainsi que des aménagements raisonnables et les pratiques pédagogiques adaptées à mettre en place pour combler ces difficultés scolaires.
[1] Pierre Merle. Les notes. Secrets de fabrication. PUF 2007
[2] Rosenthal, Robert, and Lenore Jacobson. « TEACHERS’EXPECTANCIES: DETERMINANTS OF PUPILS’IQ GAINS. » Psychological reports 19.1 (1968): 115-118. Traduction française : Pygmalion à l’école, Paris, Casterman 1972
[3] Seaver W. B. Effects of naturally inclued teacher expectancies, Journal of Personaly and social Psychology, 28, 333-342 (1973)
[4] Noizet et Caverni,1978