Les profs disent que les notes ont un « effet stimulant ». Est-ce prouvé ?

Les profs disent que les notes ont un « effet stimulant ». Est-ce prouvé ?

Selon Pierre Merle[1], « Cette idée est diffusée surtout par les anciens bons élèves. Les plus de 100 000 élèves sortis sans diplôme du système éducatif n’ont pas du tout été motivés par la suite continue de mauvaises notes recueillies au cours de leur brève scolarité.» Il en est, évidemment, de même pour les 20 000 élèves qui, chaque année abandonnent l’enseignement de la Communauté française de Belgique sans le moindre diplôme.

Maryse Hesse, dans une recherche pour l’INRP[2]  s’est penchée sur les effets psychologiques des notations : « Une  appréciation  positive renforce une volonté de travailler, donne plus d’assurance, valorise l’élève. Une appréciation négative engendre une mésestime de soi, une blessure chez l’élève fragile, une dévalorisation qui déstabilise l’élève et lui donne une image négative de lui-même et de ses capacités. »[3] Alors que la note devrait être un élément positif de l’apprentissage, elle génère, lorsqu’elle est mauvaise, découragement, fissuration de l’estime de soi, angoisses, détérioration des relations familiales et désintérêt pour la matière.

Les premiers de classe ne sont pas mieux lotis, les effets de la note n’étant pas positifs sur le plan de la construction de la citoyenneté. Bien entendu, une noté élevée renforce leur volonté de travailler, mais elle favorise surtout la compétition, l’individualisme et les comportements antisociaux. « Etre parmi les premiers devient parfois l’objectif prioritaire », poursuit Pierre Merle[4]. On n’apprend pas pour soi, mais pour avoir de bonnes notes. « Après le contrôle, le travail d’oubli fait rapidement son œuvre. Inversement, dans les systèmes éducatifs où les notes sont rares, les élèves apprennent davantage pour d’autres motifs: intérêt, curiosité, passion. » Et de rappeler : « L’essentiel de nos connaissances et compétences – faire du vélo, nager, parler, être attentif à autrui, etc. – n’ont pas été apprises à l’école, avec des notes, mais de façon diffuse, lors de la socialisation familiale et au contact d’amis. Les réels moteurs de l’apprentissage sont l’intérêt, un projet professionnel, les conseils des autres… non les notes ».

Enfin, les « bons » élèves, une fois leurs études supérieures terminées avec succès composeront une partie des élites économiques ou politiques. Leur expérience de l’école, totalement subjective, les conduira à une vision conservatrice de celle-ci. S’ils ont réussi, c’est que le système est bon. Seules la connaissance des études menées en docimologie pourrait leur faire comprendre combien leur vision de l’école est erronée et qu’elle doit évoluer.

Et Vellas et Baeriswyl de conclure : « Le système d’évaluation actuel est un instrument de sélection incompatible avec la lutte contre l’échec scolaire. (…) L’institution doit donc aujourd’hui rompre avec une incohérence: demander aux professeurs de faire réussir chaque enfant tout en exigeant l’échec de certains par le maintien d’une évaluation notée[5]»


[1] Cité dans LE TEMPS, A l’école, supprimons les notes, 14 décembre 2017

[2] L’Institut national de recherche pédagogique (INRP) – France

[3] Maryse Hesse. Les impacts de l’évaluation scolaire sur les élèves. https://docplayer.fr/14713744-Les-impacts-de-l-evaluation-scolaire-sur-les-eleves.html

[4] Cité dans LE TEMPS, A l’école, supprimons les notes, 14 décembre 2017

[5] Vellas, Etiennette et Baeriswyl, Eric (1995). Les cycles pédagogiques: un adieu aux notes ? in Vers le changement…espoirs et craintes. Actes du premier Forum sur la rénovation de l’enseignement primaire (novembre 1994), Genève, DIP, p.87-90.

Evaluations : la note est inefficace. Comment faire, alors ?

Evaluations : la note est inefficace. Comment faire, alors ?

En Finlande, pays en tête des classements PISA, les élèves sont appréciés une première fois par une évaluation à l’âge de 9 ans, mais de manière non chiffrée. Ils ne sont donc pas « notés ». L’enseignant se limite à dire si l’apprentissage est acquis ou en voie d’acquisition. Cette évaluation est accompagnée par une remédiation destinée à aider les élèves en difficulté. Les premières notes arrivent à l’âge de 11 ans, la note la plus basse étant 4/10. L’objectif est de ne pas décourager l’élève. La différence entre un 4 et un 0 est fondamentale. Avec un 4, il n’a pas compris et peut être remédié, tandis qu’avec un 0, il est tout simplement… nul !

Dans les écoles à pédagogies actives, on évalue les élèves sans les noter. Il n’y a pas de règles définies mais on utilise souvent un code couleurs généralement inspiré des feux de signalisation, adaptables d’une école à l’autre : « vert » pour un apprentissage acquis, « orange » pour un apprentissage « suffisant, mais pourrait être mieux acquis » et « rouge » pour un apprentissage non acquis et devant donc être remédié. L’objectif étant d’arriver au « vert », voire à l’ « orange » pour tout le monde.

Ces évaluations « couleurs » sont accompagnés de longues appréciations par les enseignants. Si les points n’ont jamais indiqué à quelque parent que ce soit (et encore moins à quelqu’enseignant que ce soit), l’état des apprentissages de leurs enfants, le code couleur accompagné d’appréciations élaborées, est l’appréciation sans doute la plus juste. Non seulement, il indique si l’élève a compris, mais en outre, dans quelle mesure. L’important n’est pas de savoir s’il a mieux ou moins bien compris que les autres élèves, mais où sont ses facilités et ses difficultés. Mais aussi ce que l’enseignant va mettre en place pour remédier à ces difficultés. Ce ne sont donc plus les familles qui doivent gérer les difficultés d’apprentissage mais l’école et ses professionnels. Chacune et chacun étant enfin à sa place naturelle.

L’évaluation par la note – on l’a vu, choix jésuitique ancestral – a pour objectif la sélection par la compétition. Les conséquences sont toujours aussi dramatiques pour les élèves :  « redoublement, passage, filière plus ou moins valorisée, mais aussi réputation dans la classe, qualité des rapports avec camarades, professeurs et parents… » [1]


[1] 1Fabrizio Butera, Céline Buchs, Céline Darnon (dir.), L’évaluation une menace ? PUF, Paris, 2011

La notation est-elle une maltraitance ?

La notation est-elle une maltraitance ?

Rappelons-nous que l’échec scolaire tue !

« Si le redoublement est une maladie, le système (…) de notation, lui, peut tuer. C’est une véritable plaie qui exerce des effets nuisibles sur le moral, la confiance en soi et les performances des élèves.[1] »

La note est un jugement de valeur : l’élève est « bon » ou « mauvais ». Elle évalue l’être humain en tant que tel et n’évalue pas les compétences qu’il a acquises.

Au-delà du problème des points, c’est du bien-être de tous les élèves qu’il s’agit. Est-il un enseignant celui qui est incapable de gérer une classe sans système de sanction ? Est-elle humaine, celle qui, pour ne pas être traité de laxiste par ses collègues ou par des parents, met en compétition des élèves et en échec les plus faibles ? Peut-on se trouver devant des jeunes dans l’espoir de les former à un esprit critique quand on est, soi-même incapable d’analyser une problématique aussi fondamentale que celle de la cotation, de la mise en compétition et de la sélection d’êtres humains ? Une sélection qui impacte et détruit la vie de millions de jeunes et de leurs familles, génère la discrimination, l’échec scolaire et la haine, chez les plus fragiles de notre société ?  

Est-il juste ce système scolaire où, pour maintenir la réputation d’une école, il y a des quotas d’échecs à maintenir d’années en années ? Où systématiquement, il y a 6 classes de deuxième secondaire, mais seulement 5 de troisième et 4 de quatrième et donc où, chaque année, il faut casser 25 élèves, systématiquement, parce qu’il n’y a plus de classe pour eux l’année suivante ? 

Et ces parents demandeurs d’écoles « exigeantes » ? Issus de familles nanties, grâce auxquelles ils ont pu bénéficier d’un système scolaire qui les a épargnés en mettant les autres en échec, ils se permettent d’exiger que ces privilèges bénéficient maintenant à leurs enfants. Donc, au détriment des enfants de leurs anciens condisciples cassés par le système ! Ils veulent que l’on perpétue le système de l’échec scolaire au seul profit de leur milieu social !

Voilà le plus grand échec de l’école : elle forme une minorité de citoyens égoïstes et compétiteurs, de petits bourgeois qui seront prêts à voler la société pour acquérir plus de biens encore car ils refuseront de partager le bien commun qu’est notre planète. Et elle laisse sur le côté une majorité d’adultes qu’elle a cassé sur fond d’idéologie élitiste et d’une conception naturaliste de l’intelligence. Ce sera pourtant à ces derniers à tenter de se construire ce que l’école a été incapable de faire, une citoyenneté. Car eux seuls, au vu de l’échec des premiers, seront à même de construire une société plus juste et forcer l’école à se transformer de la cave au plafond.

Pire, les professeurs qui affectionnent tant cette école et ce système injuste ont été formés par ce système scolaire et sont les meilleurs exemples de ce grand échec. En les faisant réussir scolairement, l’école les a mis en échec dans leur humanité.

Et s’il est bien un pilier qui doit tenir cette société debout, en formant des citoyennes et des citoyens à co-construire le droit – et donc la Justice – et à le respecter, c’est l’institution scolaire. Celle-ci n’a jamais rempli son rôle, étant elle-même un lieu de non-droits.

Oui, l’échec scolaire tue. Les suicides d’adolescents sont la deuxième cause de mortalité après les accidents de la route. Et les notes, comme tout le reste de l’iceberg, font partie de ce harcèlement psychologique mis en place par l’école pour culpabiliser les jeunes qui vivent l’échec au quotidien. L’école est un important lieu de risques psychosociaux pour les élèves. Les phobies scolaires touchent environ 5 % des élèves âgés de 12 à 19 ans (soit au moins un par classe). L’échec scolaire engendre le sentiment d’incompétence acquise qui fera boule de neige et mènera vers plus d’échecs encore. La compétition entre les élèves et la pression des professionnels de l’école et/ou des parents amène du stress et de la souffrance. Des élèves vivent mal leurs différences (handicap, difficultés d’apprentissage, préférences sexuelles, transsexualité, …) et leurs échecs.

Enfin, quelle est la part des problèmes vécus à l’école dans les tentatives (ou réussites) de suicides des adolescent·e·s ? Si, souvent il n’est pas le seul critère qui mène au désespoir et aux idées de suicide, il n’est pas innocent de penser que c’est la goutte de trop, celle qui mène au passage à l’acte. Dans toute tentative de suicide d’un enfant, l’échec scolaire doit être questionné. Les points en sont l’outil !


[1] Peter Gumbel, On achève bien les écoliers, Grasset 2010

Evaluations : Quelles sont les alternatives à la note ?

Evaluations : Quelles sont les alternatives à la note ?

Supprimer les notes pour supprimer les notes et les remplacer par une autre forme de cotation sans réflexion préalable ne va pas changer grand-chose. Il faut d’abord se demander pourquoi supprimer les notes et se donner des objectifs de réussite pour tous les élèves. On peut, en effet, reproduire la sélection et hiérarchiser sa classe avec des couleurs ou des smileys, plutôt qu’avec des notes.

C’est l’esprit que l’on veut insuffler dans sa classe ou dans son école qui sera le plus important et non le dispositif que l’on choisira. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Abandonner l’« évaluation sanction», au profit d’une « évaluation bienveillante » est un projet qui doit mûrir et être accompagné d’une vaste réflexion, de lectures et de recherches personnelles ou en équipe.

Quel que soit le dispositif choisi, celui-ci nécessitera un investissement plus important de la part de celle ou celui qui se prépare à devenir enseignante ou enseignant. Mettre des notes, écrire un nombre sur une feuille, pratiquer la sélection d’élèves, tout le monde sait le faire, à commencer par les professeurs qui n’enseignent pas. Les notes, permettent précisément de ne pas enseigner (transmettre les savoirs à tous les élèves). Le nouveau dispositif, au contraire, ne visera plus cette sélection et aura pour but d’aider l’élève, individuellement, à progresser, par l’évaluation formative.

Il faudra travailler sur les conditions d’évaluation. L’enseignant sera plus attentif à chacun des élèves, devra observer leurs difficultés, les accompagner dans un climat serein afin de ne pas les stresser et leur permettre de faire émerger leurs aptitudes réelles.

L’évaluation bienveillante est incompatible avec un climat de classe compétitif. La relation entre enseignant et élève doit être basée sur la confiance réciproque. Un enseignant est, par définition, convaincu du « concept d’éducabilité » : tous les élèves sont doués pour l’étude. Il laisse s’exprimer toutes les formes d’intelligences et exploite tous les talents. Il leur apprend à être critiques et exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes, les encourage à dire leurs difficultés, mais aussi, à se dépasser, à faire profiter les autres de leurs acquis.

Il faudra imaginer des évaluations plus intelligentes. En effet, on sait que les professeurs construisent ces évaluations non pas pour aider les élèves, mais pour faire leur courbe de Gauss, en mettant intentionnellement en échec les élèves les plus « faibles ». Il faudra se donner du temps pour faire les corrections et indiquer aux élèves ce qu’ils doivent faire pour progresser. Pour cela il faut identifier rapidement les difficultés de chaque élève afin de lui permettre de les surmonter.

Ensuite, les « bulletins » seront à repenser. Ne plus mettre de notes implique d’évaluer sur base des savoirs et compétences acquis, les uns après les autres. Cela nécessite aussi de donner le droit à l’erreur, c’est-à-dire de n’évaluer que positivement, et permettre à chaque élève de réessayer, même plusieurs fois afin de se corriger. Tout cela avec bienveillance, sans ne plus émettre de jugement sur la personne. Eviter la mise en échec, s’entourer d’aides car on n’a que deux mains (de tuteurs, par exemple) pour remédier et réexpliquer si c’est nécessaire.

Modifier le bulletin doit impérativement s’accompagner de pédagogie avec les parents. N’étant pas enseignants, ils seront perdus de ne plus avoir de points, car leurs repères vont changer : « Comment savoir si mon enfant a compris, s’il est premier de classe ou dans la moyenne ? » Changer de dispositif d’évaluation nécessite le soutien des parents. Il faut les convaincre que c’est mieux pour leur enfant. Les plus difficiles à convaincre seront les parents de « bons » élèves qui tiennent à la compétition, puisque leur enfant s’en sort.

L’évaluation par compétences vaut mieux que l’évaluation par notes. L’enseignant peut, par exemple, apprécier avec un code couleurs (vert pour « acquis », orange pour « satisfaisant » et rouge pour « pas encore acquis »). Cette manière de faire permet de donner à chaque élève une indication sur ses apprentissages, beaucoup plus précise que les points. La note ne dit jamais si l’élève a acquis ou non ses apprentissages. Il peut avoir 20 sur 20 et avoir de grosses lacunes. Et, que représente un 13 sur 20 par rapport à un 15 ? Un 9, par rapport à un 11 ? La note est synthétique mais imprécise. L’objectif de l’évaluation formative est de guider l’élève et non plus de chercher à le classer par rapport aux autres élèves de la classe.

L’avantage de l’évaluation formative c’est que l’élève (mais aussi les profs et les parents) ne se focalise plus sur celle-ci, mais sur les commentaires éventuels de l’enseignant et sur le fait que le savoir est acquis ou non.

En évaluation formative, le rôle de l’erreur est essentiel. Elle n’est plus vue comme une « faute », quelque chose de « mauvais », un « échec ». Elle change de statut devenant une aide à l’apprentissage et source de savoirs nouveaux, tout comme dans la vie quotidienne. On n’apprend jamais sans erreurs. Il faut apprendre à les surmonter pour pouvoir avancer.

L’évaluation formative réduit fortement les comparaisons sociales. On ne peut se comparer avec des couleurs. Si tu n’as pas acquis l’apprentissage contrairement à moi, je vais t’aider à y arriver. L’objectif de tous les élèves est la réussite du plus grand nombre et non plus la compétition et c’est donc aussi, la fin de l’individualisme.

Les apprentissages deviennent « communs ». Le tutorat va de pair avec eux et la triche disparaît au profit d’une envie d’apprendre. Il n’y a plus de notes faibles qui réduisent ou cassent la motivation des élèves[1]. Dès lors, diminution du stress et de l’anxiété face aux cotations, qui sont défavorables aux apprentissages. Finie la peur du mauvais résultat, des quolibets des « camarades » de classe, des reproches parentaux.


[1] Philippe Guimart a montré que 75% des élèves ont « peur d’avoir de mauvaises notes » – Guimart Philippe et al. (2015), « Le bien-être des élèves à l’école et au collège », Éducation

et formations, n° 88-89, p. 163-184.

De plus en plus d’écoles suppriment les notes. N’est-ce pas tromper les élèves ?

De plus en plus d’écoles suppriment les notes. N’est-ce pas tromper les élèves ?

Toutes les recherches en docimologie ont démontré le contraire. Résumons-nous :

On a vu que les notes évaluent très imparfaitement les savoirs des élèves. Elles servent surtout à les classer et à pratiquer une sélection, les plus « forts » pouvant passer en classe supérieure et les plus « faibles » devant redoubler ou être orientés vers des filières professionnelles (en secondaire) ou vers l’enseignement spécialisé (essentiellement en primaire). La note n’est donc pas un thermomètre[1] qui indiquerait la température (le niveau de savoir) de l’élève. Pour la majorité des notes entre 7 et 13 sur 20, la différence réelle de compétences est imprécise et variable selon le correcteur[2], ceux-ci évaluant différemment les copies selon l’ordre de celles-ci.

On a vu aussi que les biais sociaux de notation liés aux information extrascolaires relatives aux élèves influencent largement les professeurs, notamment l’âge, le sexe, l’origine sociale, …, de l’élève. L’existence de ces biais est avérée par toutes les études psychologiques et sociologiques sur la notation.

La note ne sert certainement pas de motivation. Les 20 000 élèves qui, en moyenne, quittent chaque année notre système scolaire sans diplôme n’ont certainement pas été motivés par les notations qu’ils ont reçues de leurs professeurs. Au contraire, ceux-ci, par une notation sélective, les ont cassés parfois pour la vie entière. Chacun le sait sans avoir lu les études en question : la bonne note motive, tandis que la mauvaise note crée une image négative de soi et handicape les futurs apprentissages. Les résultats ne sont pas plus favorables aux « bons » élèves puisque la notation favorise la compétition et l’individualisme égoïste, tout comme les comportements antisociaux[3].

Parmi ces comportements antisociaux, on trouve le besoin de savoir où on se situe par rapport aux autres, afin de s’assurer qu’on fait partie des « meilleurs ». La notation est un système d’évaluation qui incite à la tricherie[4]. Pour assurer ces premières places, ces mêmes « bons » élèves sont parfois amenés à tricher. Cela pose un problème à la société toute entière puisque ces jeunes seront sans doute ceux qui occuperont les places à responsabilité dans le futur. De leur côté, les élèves en difficulté ne cherchent en aucune manière à savoir où ils se situent par rapport à leurs pairs. Ils craignent les dernières places comme la peste. La notation fait détester l’école et crée l’anxiété et la phobie scolaire.

Enfin, contrairement aux discours de certains professeurs qui savent tout et peu soucieux des résultats des recherches en docimologie, travailler pour des « points » ne permet pas aux élèves d’apprendre. Dès qu’ils savent qu’un travail sera noté, ils vont travailler uniquement pour la note, en espérant avoir la meilleure ou la moins mauvaise qui soit.  Ils sont focalisés sur les notes et non sur les connaissances. Une fois le travail rendu, ou le contrôle passé, le cerveau fait son travail d’oubli. Seule la mémoire à très court terme a été employée par les élèves et, en somme, ils n’ont rien appris, ou si peu. 

La seule manière d’apprendre, à quelqu’âge de notre vie – et à fortiori quand on est enfant ou étudiant – sont l’envie, l’intérêt, la curiosité, la passion et le plaisir. La note empêche ces sentiments d’émerger.

Pour toutes ces raisons, il est impérieux de choisir d’autres formes d’évaluations sans notations, même par appréciation (les fameux ‘Très bien’, ‘bien’, ‘satisfaisant’, etc.). La meilleure manière d’évaluer est l’évaluation des compétences et des savoirs progressivement, sur base d’évaluations formatives. Cette évaluation est beaucoup plus précise. Elle favorise les progrès scolaires mais nécessite de ne plus « donner cours », mais d’ « enseigner ». Ne plus mettre en compétition dans un objectif de sélection, mais avoir la volonté de transmettre à tous les élèves, sans distinction aucune, tous les savoirs, savoir-faire et savoir-être qui leur permettront de maîtriser toutes les compétences à acquérir.


[1] «« Ce n’est pas une bonne idée de supprimer les notes. C’est absolument indispensable d’avoir des points de repère (…). Casser le thermomètre ne sert absolument à rien. » Luc Ferry, RTL, 9 octobre 2012. Luc Ferry était opposé à la suppression de la notation comme l’avait envisagé un temps Najat Vallaud-Belkacem.

[2] Jean Aymes, « Une expérience de multicorrection », Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public, n° 321, 1979 ; Pierre Merle, Les notes. Secrets de fabrication, PUF, 2007 ; Bruno Suchaut, La loterie des notes au bac. Un réexamen de l’arbitraire des notes au bac, IREDU, 2008.

[3] Fabrizio Butera, Céline Buchs, Céline Darnon, L’évaluation, une menace ? PUF, 2011.

[4] Pascal Guibert, Christophe Michaut, « Les facteurs individuels et contextuels de la fraude aux examens universitaires », Revue française de pédagogie, n°169, 2009.

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