Conformément à l’article 7 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, la Belgique s’est engagée en 2009 à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les enfants en situation de handicap jouissent de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales, sur la base de l’égalité avec les autres enfants. Dans toutes les mesures concernant les enfants en situation de handicap, l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération à prendre en compte en priorité.
Conformément à l’article 25 de la même Convention, la Belgique reconnaît le droit des personnes en situation de handicap de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination fondée sur le handicap et s’est engagée à prendre toutes les mesures appropriées pour que les personnes en situation de handicap aient accès à des soins de santé gratuits ou abordables, de la même gamme, qualité et niveau que toute autre personne. Ces services de santé doivent être proposés au plus près de la communauté, y compris dans les zones rurales.
En 2021, la Chambre des représentants a décidé d’introduire un nouvel article 22 dans la Constitution belge, qui protège le droit à l’inclusion des personnes en situation de handicap. La Belgique a ainsi inscrit dans sa Constitution l’un des principes essentiels de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.
Depuis 2002, la Belgique dispose d’un droit des patients qui est actuellement en cours de révision. Cette loi définit la relation entre le patient et le prestataire de soins et vise à améliorer la qualité des services de santé. En vertu de cette loi, les patients ont le droit de choisir librement leur praticien.
Certes, la lecture de ces textes légaux donne de l‘espoir. En réalité sur le terrain, la situation est beaucoup moins agréable pour de nombreuses personnes en situation de handicap. Un point important dans ce contexte, c’est l’accès à la logopédie pour enfants ayant une déficience intellectuelle. Depuis des années, malgré objection massive (Unia, inclusion asbl, Délégué des droits de l’enfant, Gamp, UPLF), rien ne bouge en ce qui concerne le remboursement des frais de logopédie pour eux.
Partant du principe que ces enfants ont besoin d’un traitement pluridisciplinaire, où différents thérapeutes travaillent main dans la main, ils ne reçoivent gratuitement la logopédie que dans un centre de réadaptation ambulatoire (CRA) ou dans l’enseignement spécialisé, et non chez un(e) logopède indépendant(e). Il ne faut certainement pas diaboliser par principe une approche pluridisciplinaire, mais malheureusement, les réalités du terrain sont telles que le refus rigide de rembourser les frais de traitement en cabinet privé entraîne souvent des inconvénients considérables et prive de nombreux enfants de possibilités de soutien. C’est grave car sans logopédie, ces enfants ne peuvent pas développer leurs capacités de communication et de langage, et la communication et le langage sont la clé de la participation à la vie de notre société et d’une autonomie maximale. Les personnes qui ne peuvent pas communiquer courent en outre un risque élevé de développer des problèmes de comportement, voire des problèmes importants de santé mentale. D’un point de vue purement financier : les coûts d’une intervention précoce du langage chez les enfants avec déficience intellectuelle compensent largement tous les coûts consécutifs au refus de cette promotion.
Voici brièvement esquissées quelques-unes des difficultés rencontrées sur le terrain (la liste complète des obstacles est encore bien plus longue !) :
– Les CRA sont répartis de manière très inégale sur le territoire belge. Globalement il y en a beaucoup plus en Flandre qu’en Belgique francophone, et il y a des régions où il n’y a pas un seul CRA. De plus, les CRA sont spécialisés dans des troubles spécifiques, ce qui signifie que tous les CRA ne sont pas ouverts à toutes les pathologies. Conséquence : celui qui vit dans le mauvais coin doit faire des trajets énormes. Comment cela s’accorde-t-il avec les articles 7 et 25 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées ?
– Et même ceux qui n’ont pas besoin de parcourir des dizaines de kilomètres pour atteindre le CRA le plus proche pourraient – pour simplifier la logistique familiale – trouver un(e) logopèd(e) indépendant(e) encore plus proche ou plus facile à atteindre. D’autant plus qu’il existe des enfants qui, malgré un syndrome génétique et des besoins de soutien multiples, n’ont effectivement besoin, à un moment donné, que de la logopédie et non d’un soutien interdisciplinaire complet impliquant d’autres thérapeutes. Pourquoi alors entreprendre le long trajet jusqu’au CRA et y bloquer une place de traitement qu’un autre enfant attend peut-être désespérément, si seule une thérapie monodisciplinaire est nécessaire ? Comment cela s’accorde-t-il avec le droit au libre choix du praticien comme ancrée dans le droit des patients ?
– Les enfants qui présentent une déficience intellectuelle dans le cadre d’un syndrome génétique ont souvent besoin d‘un traitement logopédique pour différents troubles (alimentation, communication, langage…) – mais chaque CRA ne dispose pas de tous les spécialistes correspondants, car chaque logopède n‘est pas formé à traiter tout type de trouble. Où ces enfants peuvent-ils trouver les thérapeutes supplémentaires dont ils ont besoin ?
– De nombreux CRA ont de longues listes d’attente. Si un jeune enfant a besoin d’un soutien précoce, un temps précieux est perdu pendant l’attente d’une place en CRA. En plus, l’école spécialisée commence au plus tôt à l’âge de deux ans et demi, alors que l’intervention précoce, par exemple pour initier la communication, doit commencer bien plus tôt. En quoi cela est-il compatible avec l’article 25 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées ?
– Toutes les écoles spécialisées n’emploient pas de logopèdes. Par conséquent, tous les enfants ayant besoin d’un soutien n‘y reçoivent pas de logopédie. Lorsque les logopèdes travaillent dans l’enseignement spécialisé, ils n’ont souvent pas la capacité de fournir une aide individuelle d’une ampleur et d’une fréquence appropriées. Aucune thérapie n’a lieu pendant les longues périodes de vacances scolaires. Si l’école spécialisée ne peut pas offrir un soutien suffisant, l’enfant n’a quand même pas droit au remboursement des frais pour un traitement compensatoire ou complémentaire. Est-ce conforme aux engagements pris par la Belgique lors de sa ratification de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées ?
– Et que font les familles qui choisissent de ne pas recourir à l’enseignement spécialisé mais de prôner pour l’enseignement inclusive, donc la scolarisation en enseignement ordinaire ? Là il n’y a pas d’offre thérapeutique, et pourtant les enfants concernés n’ont pas droit au remboursement des frais de traitement en cabinet privé. Cela rend le choix de parcours en enseignement ordinaire tout simplement impossible pour de nombreuses familles.
Comment cela est-il compatible avec l’article 22 de la Constitution belge, sans oublier la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées ?
Pour que les enfants ayant une déficience intellectuelle ne continuent pas à être discriminés en ce qui concerne leur accès à la logopédie, il faut un système plus flexible et modulaire, et il faut certainement plus de CRA pour chaque type de handicap, surtout dans les régions qui n’en ont pas bénéficié jusqu’à présent. Là où une famille ne peut pas se rendre au CRA ou où une logopède indépendante est plus facilement accessible, il doit être possible d’obtenir le remboursement des frais de l’intervention en cabinet privé. Il en va de même lorsqu’un enfant est scolarisé dans une école spécialisée, mais que l’offre de thérapie logopédique y est inexistante ou insuffisante. Et même pendant les longues périodes de vacances scolaires, le traitement en dehors de l’école dans un cabinet indépendant doit être remboursé. Si un enfant a besoin d’un soutien logopédique au-delà de ce que peut offrir le CRA le plus proche, la thérapie supplémentaire en cabinet libéral doit être payée par la mutuelle. Et enfin, il est urgent de réviser la convention de l’INAMI, qui précise pour quels troubles la logopédie est pris en charge. Jusqu’à présent, pour ne donner que deux exemples, il n’y a pas de prise en charge des coûts pour le développement de formes alternatives de communication si l’enfant est non-verbal, ou pour le traitement des troubles de l’alimentation qui surviennent souvent chez les enfants atteints de syndromes génétiques.
Outre le fait que la situation actuelle ne correspond ni à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, ni à l’article 22 de la Constitution belge, ni au droit des patients, les enfants atteints de déficience intellectuelle sont limités dans les possibilités de développement de langage, et donc – selon le philosophe Ludwig Wittgenstein qui a dit « Les limites de ma langue sont des limites de mon monde » – leur monde est également soumis à des limites plus strictes que ce ne serait le cas avec un soutien adéquat.