1ère partie : qu’est-ce que l’apprentissage coopératif ?
Entre les deux guerres, de nombreux psychologues, philosophes et enseignants ont remis en cause les méthodes et pratiques de l’enseignement traditionnel car celui-ci ne réservait à l’élève qu’un rôle relativement passif [1]. Jean Piaget ainsi que Lev Vygotski notamment, ont démontré toute l’importance des interactions entre les élèves qui permettaient de susciter les apprentissages [2].
Ils ont donc émis l’hypothèse que les apprentissages des élèves seraient de meilleure qualité s’ils étaient actifs, dans un cadre collectif. L’apprentissage coopératif était né ! Les élèves ont été placés dans de petites équipes (ou groupes) et il leur était assigné un objectif commun[3].
Mais cela ne
suffisait pas[4]. Pour
faire réussir l’apprentissage coopératif, il fallait réunir cinq conditions de
base : l’interdépendance positive, la responsabilité individuelle, la
promotion des interactions, les habiletés sociales ou coopératives et les
processus de groupe[5].
A ces cinq conditions de base, les enseignants cherchaient à développer des valeurs qui favorisaient l’apprentissage coopératif telles que le partage, l’entraide et le respect. Il s’agissait ainsi de viser, en plus, l’apprentissage des compétences coopératives. C’est ainsi que l’on parle aujourd’hui de pédagogie coopérative ou de pédagogie de la coopération.
Apprentissage coopératif vs apprentissage individuel
Pour faire comprendre ce que nous entendons
par apprentissage coopératif, il nous faut la comparer aux formes les plus
courantes d’apprentissage traditionnel à l’école.
1.
Le travail individuel
Dans
l’apprentissage individuel, les élèves « travaillent »
en fonction d’un objectif individuel, chacun pour soi, sous la supervision d’un
enseignant. Ils ne sont responsables que d’eux-mêmes et leurs rapports les uns
aux autres sont basés sur la compétition. Les interactions avec les pairs sont
pour ainsi dire inexistantes, voire carrément interdites. Les élèves sont
laissés à eux-mêmes et l’enseignant a peu de temps pour s’occuper de tous ceux
qui ont des difficultés. L’entraide n’est pas au programme ou est
exceptionnelle.
Sur le plan des
apprentissages, seul le « travail »
individuel est valorisé. Sur le plan comportemental, ce sont la docilité, la
soumission aux exigences de l’enseignant et la capacité à se comporter en
groupe sans déranger les autres qui sont valorisées.
Dans une classe
compétitive, les objectifs pédagogiques sont liés de manière négative (pas de
partage des ressources de la classe). Lorsqu’un élève atteint l’objectif, la
probabilité que les autres l’atteignent diminue. Ceux qui mettent plus de temps
que les plus rapides sont sanctionnés ou délaissés.
Dans les classes
compétitives, les élèves sont motivés par le désir de vaincre, ou démotivés par
le vain espoir de survivre. Comme dans toute compétition, les élèves ont
tendance à attribuer leurs résultats à leur mérite ou leurs capacités
(suffisantes ou insuffisantes, selon leurs résultats) ou à leurs efforts ou
leur « incompétence ».
Les élèves sont
motivés par le désir d’atteindre un certain niveau d’excellence ou, au
contraire, sont démotivés parce qu’ils se comparent aux autres et sont
convaincus qu’ils ne l’atteindront pas. Notre système scolaire encourage la
compétition.
Dans ce système, la
marge d’autonomie que les enseignants délivrent à leurs élèves est extrêmement
réduite, tout comme la formation une citoyenneté responsable et participative.
2.
Le travail d’équipe
Le travail d’équipe
traditionnel implique des interactions plus ou moins organisées entre les
élèves. Cela peut être lors d’exercices individuels durant lesquels les élèves
comparent leurs réponses, ou lors de tâches où chacun en effectue une partie de
son côté, en classe ou à la maison, et qu’une mise en commun est effectuée.
Cela peut être également organisé lors d’ « ateliers » où l’on
se choisit par affinité.
Dans le travail
d’équipe traditionnel, les élèves sont peu éduqués à la coopération. Ils
travaillent ensemble occasionnellement et l’efficacité est relative. Certaines
équipes sont plus efficaces car elles regroupent les élèves dits « forts », tandis que d’autres
équipes ont plus de mal car elles se composent d’élèves moins scolaires. Les
équipes sont souvent mises en compétition : il faut terminer avant les
autres et le résultat doit être « meilleur ».
3.
Les structures coopératives
La coopération,
dans tous les domaines et à fortiori à l’école, repose sur un système motivationnel
basé sur l’entraide. Les élèves sont incités à s’entraider afin d’augmenter
leur capacité à atteindre les objectifs fixés par l’école. C’est, par des
efforts à la fois individuels et collectifs qu’ils vont tenter d’atteindre leur
cible.
Dans une classe
coopérative, les objectifs sont liés de manière positive (partage des
ressources de la classe). Lorsqu’un élève atteint un objectif, la
probabilité que les autres l’atteignent est augmentée de par le partage de ces
ressources : tutorat, coopération, entraide, …
Tous les élèves qui
essaient de contribuer au résultat final sont valorisés, quelles que soient
leurs compétences initiales. Il n’y a pas de compétition et chacun est reconnu
à part égale avec les autres. Chaque élève est valorisé au même titre que les
autres membres de son équipe et bénéficie des mêmes résultats scolaires.
Puisque les élèves
ne peuvent atteindre leurs objectifs personnels que si l’ensemble de l’équipe
réussit la tâche, ceux-ci sont portés à s’entraider et à fournir le maximum
d’effort.
Ceux qui aident les
autres sont reconnus et appréciés. Ils sont incités à atteindre des niveaux de
réussite élevés.
La marge d’autonomie que les enseignants délivrent à leurs élèves est de plus en plus élevée en fonction des compétences développées par les élèves au sein des équipes coopératives.
L’apprentissage coopératif peut être mis en place de l’entrée de la maternelle à la fin de l’université
Ce que nous entendons par apprentissage coopératif[7]
La pédagogie de la
coopération est une forme d’organisation des apprentissages qui permet à de
petites équipes hétérogènes d’élèves d’acquérir des apprentissages, grâce à une
interdépendance qui nécessite une pleine participation de chacun à l’activité.
Les apprentissages
exigent le plus souvent des ressources qu’aucun élève ne possède à lui seul.
Ils ne peuvent, en principe, être résolus sans l’apport des autres. Aussi,
chaque membre du groupe est responsabilisé pour qu’il apporte sa juste
contribution à l’œuvre collective. Ces apprentissages s’acquièrent soit en
participant à des tâches collectives structurées, soit par l’entraide au sein
du groupe durant des apprentissages plus formels, en utilisant le tutorat,
l’encouragement, … Cela permet aux élèves les plus lents de recevoir une aide
qu’un enseignant ne peut pas toujours apporter à chacun d’entre eux.
L’apprentissage
coopératif peut être mis en place de la maternelle à l’université.
Bénéfices de l’apprentissage coopératif
Selon Isabelle
Plante, de l’Université du Québec à Montréal[8]
L’examen de près
de 160 documents a révélé que la coopération procure des effets positifs non seulement
sur le rendement des élèves, mais également sur leurs attitudes scolaires et
leurs habiletés sociales et relationnelles[9].
Un des premiers
bénéfices que l’on remarque quand on met en place dans sa classe des équipes
coopératives, c’est l’accroissement de l’implication des élèves dans les
apprentissages. Ils se sentent responsabilisés et, s’ils continuent à craindre
l’échec, ce n’est plus sur le plan individuel. Au contraire, cela les motive
pour mieux faire réussir l’apprentissage collectif. Aucun élève n’a envie
d’être tenu pour responsable d’un échec collectif, fût-il momentané.
Sur le plan
cognitif, l’interaction stimule l’activité cognitive dans l’apprentissage de
concepts complexes. Les élèves s’apprennent les uns aux autres, et les uns des
autres, en utilisant différentes méthodes : par la discussion, l’exemple,
la confrontation de points de vues différents, de raisonnements adéquats ou
inadéquats, ou encore la reformulation pour favoriser la compréhension des
autres qui favorise l’intégration dans la mémoire.
Sur le plan social,
la coopération établit des relations sociales plus harmonieuses entre personnes
ayant des spécificités ou provenant de milieux socioculturels différents. Les
élèves considèrent davantage les qualités personnelles des autres que ce qui
pourrait les différencier sur les plans physiques, ethniques, sociaux, … On
observe l’éclosion d’une identité commune, puisque les apprentissages qu’ils
font ensemble sont d’un intérêt commun et se font dans un but commun.
Cette identité
commune engendre l’acceptation de la diversité et favorise l’intégration de
tous dans un système inclusif, au-delà des appartenances particulières. Les
élèves acquièrent ainsi une identité sociale qui les rassemble au lieu de les
diviser en groupes distincts.
L’apprentissage coopératif forme les jeunes aux exigences d’une vie dans une société démocratique pluraliste. Les pratiques de la coopération reproduisent, en effet, les conditions de la vie relationnelle dans une société démocratique moderne. Les élèves y apprennent à la fois l’autonomie et la responsabilité via la coresponsabilité de la construction de leurs apprentissages. Ils apprennent également à assumer des rôles sociaux et à prendre des responsabilités dans leur environnement social. Les élèves acquièrent une capacité à dialoguer, à régler des conflits, à confronter des points de vue, à co-construire des aménagements sociaux et à participer à l’élaboration de lois et du vivre ensemble.
[7] « La pédagogie coopérative est une
approche interactive de l’organisation du travail […] où des étudiants de
capacités et de forces différentes […] ont chacun une tâche précise et
travaillent ensemble pour atteindre un but commun » (Howden et Martin, 1997, p.
6).
[8] Isabelle Plante, 2012 – L’apprentissage coopératif : des effets
positifs sur les élèves aux difficultés liées à son implantation en classe.
[9] En contexte scolaire, chercheurs et praticiens reconnaissent depuis
longtemps les bienfaits du travail d’équipe dit « en coopération » durant lequel
les élèves apprennent les uns des autres (Aronson, Blaney, Stephin, Sikes,
& Snapp, 1978; Brody & Davidson, 1998; Slavin & Tanner, 1979)
D’entrée de jeu, il
est réaffirmé que l’école est un droit pour tous les enfants et il s’agit de
mettre en place sans tarder un enseignement gratuit et inclusif. L’enseignement
maternel pourrait être le premier concerné.
La mise en place
d’aménagements dits raisonnables est certes un premier pas mais cela ne suffit
pas. La logique intégrative doit faire place à une logique inclusive.
Certes l’école
idéale n’existe pas et nombre d’enseignants ont une pratique inclusive sans le
savoir. Mais il s’agit d’aller plus loin, de concerner toute l’école et tous
les acteurs du système scolaire. Il s’agit d’une approche systémique visant la
transformation tant des contenus, des méthodes que l’organisation même de l’école.
Il n’est sans doute
pas inutile de sa rappeler que les premières réponses aux besoins des enfants
qualifiés à cette époque d’ « irréguliers » puis d’ « anormaux »
datent des années 1800 et que l’on crée en 1924 des classes annexées au sein
des écoles ordinaires. C’est en 1970, sous la pression des associations de
parents, que se crée un enseignement spécial (qui deviendra spécialisé en
2004), organisé en 8 types d’enseignement et prévoyant déjà l’intégration de
certains élèves en enseignement ordinaire. Divers arrêtés, circulaires et avis
du Conseil supérieur sont promulgués pour encourager l’intégration des élèves
relevant de l’enseignement spécialisé. Quatre formules d’intégration sont
envisagées. L’enseignement spécialisé vient en support de l’élève intégré sous
la forme de périodes octroyées à un personnel de soutien. On tente de favoriser
les collaborations entre les structures d’enseignement ordinaire et
d’enseignement spécialisé. Mais la démarche est soumise à de nombreuses
contraintes administratives. Par ailleurs, on encourage la création de classes
intégrées (appelées aujourd’hui, de manière erronées, classes inclusives).
En 2009, la
Belgique ratifie la Convention des Nations Unies relative aux droits des
personnes handicapées et s’engage à faire évoluer son enseignement vers un
enseignement inclusif comme le précise l’article 24 de cette Convention. Il
sera précisé que placer des enfants handicapés dans des classes ordinaires sans
faire en même temps des changements organisationnels, curriculaires,
pédagogiques ne constituent pas l’inclusion. De plus, l’intégration ne garantit
pas automatiquement la transition de la ségrégation vers l’inclusion.
Ce Forum veut
interroger le rôle d’une fonction clé : celle de la direction de l’établissement.
Celle-ci favorise la disponibilité de tous à une démarche inclusive et promeut
des stratégies individualisées. Elle veille à mettre en place les adaptations
nécessaires et elle organise la vie des élèves tout au long de la journée en ce
compris pendant les temps libres. Elle favorise l’utilisation des technologies.
Elle recherche comment faire face aux troubles du comportement de certains
élèves.
On le voit
donc : pour promouvoir une école inclusive, il faut l’adhésion et l’implication
du plus grand nombre. Il s’agit de favoriser un travail collaboratif et penser
une école qui s’adapte à l’enfant et non le contraire. Il faut également
renforcer les collaborations avec les services relevant de l’aide sociale ainsi
que de tous les centres de consultation.
Dans la logique
inclusive, les tâches des enseignants sont multiples et peuvent prendre
diverses formes :
Travail à deux dans une classe, préparant les
activités ensemble, travaillant ensemble, intégrant d’autres fonctions que
celle d’enseignant (par exemple une logopède)
Organisation de la classe pour que
chaque élève apprenne, en prévoyant plusieurs endroits avec des fonctions
différentes, en maintenant un niveau de bruit supportable, en répartissant les
élèves de manière adéquate et en restant flexible
Mise en place d’un tutorat entre
élèves en choisissant les tuteurs et en les préparant
Mise en place d’aménagements
« de bon sens » comme par exemple davantage de temps pour exécuter
une tâche, une modification de la taille des caractères, des évaluations individuelles,
l’utilisation d’un logiciel. Ces aménagements sont faits pour tous les élèves.
Les apports d’un
enfant à besoins spécifiques en classe sont nombreux tant pour lui que pour les
pairs. Les apports sont aussi évidents pour toute la communauté scolaire.
Par ailleurs, le
principe de réalité nous conduit à réfléchir à partir du cadre actuel :
celui du Pacte pour un enseignement d’excellence. Celui-ci suit une logique
intégrative. Mais il faut se demander quelles mesures prévues par le Pacte vont
permettre d’avancer vers une école inclusive. Par exemple, la création de pôles
territoriaux transformant des écoles spécialisées en centres de ressources
va-t-elle permettre cette évolution vers l’école inclusive ?
Le constat de
départ du travail sur le Pacte est que les modes de séparation selon les
profils des élèves conduisent à des taux trop importants de redoublement, de
décrochage et d’orientation vers l’enseignement spécialisé qui compte
aujourd’hui 36.OOO élèves soit une augmentation de 21% depuis 2005. De plus une
grande iniquité s’observe puisque les élèves issus de familles dont le niveau
socio-économique est le plus faible, accusent un plus grand retard scolaire et
sont plus souvent orientés vers l’enseignement spécialisé.
Le Pacte prône une approche
systémique et la co-construction de l’école avec tous les acteurs. Il veut
répondre tant aux besoins de l’enseignement ordinaire qu’à ceux de
l’enseignement spécialisé. Pour ce faire, il propose une réforme du pilotage
des établissements scolaires en se donnant des indicateurs pour permettre une augmentation
progressive des situations d’intégration. Il veut par ailleurs répondre aux
besoins spécifiques des élèves dans l’enseignement ordinaire en déployant les
aménagements et en réformant le système actuel d’intégration. Le Décret de
décembre 2017 propose le maintien de ces élèves et propose des outils aux enseignants.
La création de pôles territoriaux vont permettre à des écoles d’enseignement
spécialisé d’accompagner plusieurs établissements d’enseignement ordinaire.
Enfin le Pacte veut décloisonner l’enseignement spécialisé et ordinaire en
encourageant des implantations de l’enseignement spécialisé dans l’enseignement
ordinaire et en réformant les procédures d’orientation. Des mesures plus
spécifiques sont également prévues pour l’enseignement spécialisé comme la
prolongation du type 8 jusqu’à la fin du tronc commun et en délivrant des
certificats de compétences pour les formes 1 et 2 de l’enseignement secondaire
spécialisé.
De son côté, UNIA,
centre interfédéral pour l’égal des chances, a organisé début octobre 2018, un
séminaire avec des experts internationaux, séminaire au cours duquel quatre
principaux axes ont été discutés :
quelle vision de l’inclusion et
quelle stratégie à long terme ? Comment le système d’éducation inclusive
devrait-il être organisé ?
comment un système d’éducation
inclusive peut-il permettre aux enseignants de se sentir compétents et
motivés ?
comment répartir les ressources
pour promouvoir, soutenir et réaliser un système d’éducation inclusive ?
comment les gouvernements
pourraient organiser la transition entre la situation actuelle et un modèle
d’école inclusive ?
Des échanges tenus
lors de ce séminaire, on retiendra
Une disparité entre les trois
communautés en Belgique
Le fait que le système éducatif en
Belgique ne répond pas aux normes internationales et européennes en matière
d’inclusion
Or, seuls les systèmes inclusifs
peuvent garantir à la fois la qualité de l’enseignement et le développement
social des personnes en situation de handicap
Penser un système inclusif revient
à améliorer l’enseignement en général
Un système inclusif implique
l’élimination d’une série de préjugés et de barrières comportementales
concernant les compétences des élèves et en particulier ceux qui sont reconnus
comme ayant des besoins spécifiques
Il s’agit que le politique donne
un signal clair et s’engage dans la planification d’un système inclusif
Tous les acteurs de l’enseignement
doivent être impliqués : professionnels, parents, élèves, …
Les pratiques inclusives doivent
être soutenues et étayées par des recherches scientifiques et une évaluation
systématiques des objectifs et moyens consentis pour rencontrer les besoins de
tous les élèves
Il s’agit de penser la formation
initiale et continuée de telle façon qu’elle puisse renforcer les compétences
des enseignants à développer des pratiques inclusives
Il s’agit de promouvoir une
collaboration entre tous les membres de l’équipe éducative et développer une
culture de l’éducation inclusive : il s’agit de développer des communautés
apprenantes
L’expertise acquise dans
l’enseignement spécialisé doit être formalisée et mise à disposition des
professionnels de l’enseignement ordinaire
Au niveau budgétaire, il s’agit
moins d’allouer de nouvelles ressources financières pour « faire de
l’inclusion » que de répartir différemment les ressources en n’augmentant
pas celles actuellement octroyées à l’enseignement spécialisé
Par ailleurs il s’agit de
promouvoir une approche transversale et une meilleure coordination entre tous
les Départements ministériels et administrations concernées par l’enseignement
La logique inclusive doit
prévaloir dès la petite enfance
Au niveau de l’école, il s’agit de
repenser la certification des élèves
Un travail de sensibilisation,
d’information et de formation doit être engagé au niveau du grand public
Dans son exposé,
Philippe Tremblay nous a montré combien le fait de rendre les écoles plus
inclusives contribuent à lutter contre toute forme de discriminations et permet
de donner une assise solide pour une société inclusive.
L’école inclusive
doit répondre aux besoins de chaque élève et se doit d’être créative, innovant
sans cesse.
Le conférencier met
l’accent sur les divers facteurs favorisant le processus inclusif dans
l’enseignement :
Une vision et une volonté forte de
la part de tous les acteurs concernés
Une reconnaissance explicite dans
les législations aux droits à une éducation inclusive, se traduisant par
l’allocation de ressources adéquates
Un engagement collectif à tous les
niveaux
Une accessibilité aux espaces et à
l’information
Un enseignement de qualité, des
enseignants flexibles, une évaluation formative
Mise en œuvre de la
différenciation pédagogique avant, pendant et après les apprentissages
Un soutien adéquat à chaque élève
s’organisant autour d’une planification commune (plan d’intervention)
Une anticipation des difficultés
que peuvent rencontrer les élèves
Une vision non catégorielle des
élèves
Une collaboration avec les parents
et plus largement, la communauté
Une collaboration entre les
professionnels pouvant prendre diverses formes : consultation
collaborative, co-intervention et co-enseignement.
La formation et l’accompagnement
des professionnels.
Les tables rondes
Les questions
posées aux directions d’école primaire et secondaire étaient centrées sur les
forces et obstacles rencontrés dans la mise en place d’une école plus
inclusive, sur le rôle plus spécifique de la direction et sur la manière de
rencontrer les attentes des parents.
Au niveau des
forces, on a souligné
La possibilité de répondre de
manière plus spécifique aux élèves qui en ont besoin ;
Le changement de regard des pairs
et l’acceptation par eux de la différence
L’attention portée au projet et à
son élaboration constante renforce le travail collectif et aussi le sentiment
que tout enfant peut apprendre
On observe un plus grand respect
du rythme des élèves
La nécessité que les enseignants
s’approprient le concept d’inclusion et cheminent
Des parents qui sont demandeurs d’un
projet et obligent ainsi un processus à se mettre en route
La nécessité d’inscrire dès le
départ, la volonté d’une école plus inclusive dans le projet d’établissement
Les plans de pilotage sont une
opportunité pour re-définir le projet et mieux préciser là où on veut conduire
les élèves
Le Décret de 2017 peut être une
opportunité mais dans les faits, beaucoup de dispositions contenues dans ce
Décret sont déjà réalisées sur le terrain.
Les enseignants qui vivent une
école qui recherche à être plus inclusive sont contents et ne voudraient
certainement pas faire marche arrière
Au niveau des
obstacles, on relève
Le fait que les parents sont
amenés de facto à prendre conscience des difficultés de leur enfant mais aussi
que certains parents refusent la mise en place d’aménagement raisonnable
Le manque d’une vision plus
globale sur l’enfant et son parcours : comment l’élève fonctionne,
s’adapte, évolue dans le temps
La difficulté parfois de
s’investir dans une pratique collaborative
La difficulté d’éviter toute forme
de discriminations
Le manque de moyens
La nécessité d’intégrer les
nouveaux enseignants
La contrainte que représentent les
évaluations externes ou non : elles sont normatives et inconciliables avec
la philosophie de l’inclusion
Des parents qui refusent la mise
en place d’aménagements raisonnables, sans doute par peur d’une stigmatisation
Des obstacles sur le plan
administratif et la difficulté de jongler lorsqu’il y a des élèves intégrés
provenant de différentes écoles ; il est parfois difficile de trouver des
écoles partenaires
L’ambiguïté de la législation qui
conduit de facto à ne pas permettre à des élèves avec déficience intellectuelle
de bénéficier d’un enseignement inclusif
Par ailleurs des élèves qui ont
été scolarisées en enseignement spécialisé et sont actuellement intégrés en
milieu scolaire ordinaire ne veulent plus entendre parler de soutien venant de
cet enseignement
Des difficultés au niveau des
activités extrascolaires
Au niveau secondaire, plusieurs
difficultés sont évoquées comme la difficulté de poursuivre un projet
d’intégration pour un élève venant du primaire, une législation contraignante
pour l’accès au secondaire, la gestion du temps et l’octroi d’un tiers temps,
la difficulté de connaître les élèves de manière individuelle, le repérage et
la prise en considération des situations de handicap invisibles et toutes les
questions liées à la certification finale.
Le fait qu’on navigue dans un flou
permanent : on impose plusieurs choses sans donner vraiment les moyens. De
plus, les directions sont débordées par les tâches administratives et
souhaitent être secondées
La difficulté de comprendre les
dossiers établis par des spécialistes : il faut prendre la question en
sens inverse et se demander ce que l’on doit mettre en place par rapport aux
difficultés de tous les élèves plutôt que de stigmatiser et passer du temps à
faire des bilans axés sur les (non)performances de l’élève et, en l’état,
inutiles pour construire un projet pédagogique
Enfin comment convaincre les
parents que la démarche inclusive est un plus pour leur enfant ?
Quant au rôle de la
direction, il s’agit
Qu’elle soit et reste informée, à
l’écoute et apporte son soutien logistique
Qu’elle mette en place des espaces
d’échanges et puisse rencontrer les inquiétudes du personnel
Qu’on lui reconnaisse une
expertise pédagogique et qu’elle puisse être un facilitateur
Qu’elle soutienne et valorise les
initiatives et porte un regard positif sur les réussites
Qu’elle soit elle-même soutenue
Enfin, pour les
parents, les attentes sont centrées sur la mixité et l’équité. Il faut leur
montrer qu’un élève à besoin spécifique est un élève qui booste les autres
élèves. Un travail correct avec les parents permettant le tricotage de la
relation de confiance, c’est de considérer les besoins de l’enfant à un moment
donné et ce, sur base d’observations et de considérer l’enfant tel qu’il est
avec ses forces et faiblesses. Les parents doivent cependant comprendre que la
démarche n’est pas « magique ». L’intégration de l’élève à besoins
spécifiques ne doit pas se confondre avec un besoin de réussite à tout
prix !
Les participants
présents de la salle se sont posés plusieurs questions :
Le fait d’être une école à
pédagogie active est-elle une condition de départ : il semble que non.
Ceci étant il est vrai que dans les écoles à pédagogie active, l’élève ne se
retrouve pas en principe dans une situation d’échec. Il y a toujours des
activités dans lesquelles ils peuvent valoriser leurs compétences. Les erreurs
sont permises et les points ou évaluations sélectives n’ont pas leur place.
Le fait d’avoir un projet
pédagogique fort et cohérent aide à créer une culture
Ne faut-il pas accentuer l’impact
des formations tant initiales que continuées et informer sur les aménagements
raisonnables, la nécessaire collaboration avec les parents. On constate une
méconnaissance à la fois des droits et des dispositifs mis en place.
Quelle formation en Haute Ecole
Pédagogique : faut-il aborder davantage les besoins spécifiques ou au
contraire, aborder la différenciation de manière transversale dans tous les
cours ?
Quelle formation manque-t-elle aux
directions d’établissements ?
Vise-t-on à terme la disparition
de l’enseignement spécialisé ? Est-ce envisageable ?
Comment rencontrer les problèmes
de comportement chez des élèves ?
Quid de l’arrivée
d’orthopédagogues cliniciens ?
N’y a-t-il pas un travail à faire
au niveau des communes, en créant un réseau et en lui apportant des ressources
et du soutien ?
Pourquoi est-ce si difficile de
sortir de la démarche de catégorisation des élèves et de cette propension à
coller des étiquettes sur des enfants qui sont en difficulté ?
Que penser de directions qui
accueillent des élèves à besoins spécifiques mais ne sont pas là pour soutenir
leurs enseignants ?
Une troisième table
ronde a permis de donner la parole à des enseignants. Ceux-ci ont à nouveau
souligné l’impact négatif des étiquettes et l’importance du regard à avoir sur
tout enfant.
On évoque aussi
l’idée d’un service référent au sein de l’école pour les élèves à besoins
spécifiques.
Les parents
semblent venir avec des demandes précises en termes d’aménagements et ces
demandes sont négociées. Mais un bilan fait par des spécialistes est nécessaire
Pour les enseignants, le sentiment est de ne pas en faire assez alors qu’on
pourrait être satisfait avec de petites réussites.
La différenciation
s’opère dans les classes en réponse à des situations où l’élève est ségrégué.
De fait, en primaire, on abandonne l’enseignement frontal. Une série
d’aménagements (par exemple des feuilles) se font d’office.
Un soutien venant
de l’extérieur est apprécié. Parfois ces intervenants extérieurs sont requis et
payés par les parents eux-mêmes.
Restent des
difficultés entre enseignants d’écoles différentes.
Par ailleurs, on souligne l’effet toxique que
peuvent avoir certains aménagements comme le tiers temps par exemple qui prive
l’enfant d’un temps de récréation…
Les classes intégrées (appelées erronément
classes inclusives) posent question : les élèves se sentent discriminés et
stigmatisés et ce, malgré des activités communes avec les autres élèves de
l’école.
En secondaire, les élèves sont davantage amenés
à travailler en autonomie avec un plan individuel
On souligne encore
le rôle important d’un orthopédagogue au sein de l’école ainsi que le fait de
travailler à plusieurs, ce qui favorise les échanges.
Enfin le
co-enseignement peut être intéressant comme formule mais suppose une très bonne
entente entre les enseignants
Conclusions
Dans son exposé
final, Jean-Jacques Detraux souligne les points suivants :
La nécessité de distinguer logique intégrative et logique inclusive en appréhendant bien les enjeux d’une école inclusive
Voir l’inclusion comme un processus à co-construire pas à pas, en se préoccupant de tous les élèves et en particulier des élèves à risque
Il s’agit de partager au sein de la communauté scolaire, des valeurs communes et de considérer que tout enfant peut apprendre
La ségrégation n’est pas une option défendable ni sur le plan éthique et philosophique ni sur le plan scientifique ni sur le plan des pratiques pédagogiques
Il s’agit d’initier un double mouvement : au niveau de la base, informer, former, construire un langage conceptuel commun et s’engager au sein des équipes éducatives avec le soutien inconditionnel de la direction ; au niveau des responsables, indiquer clairement l’objectif à atteindre et planifier les diverses étapes pour y arriver
C’est le projet qui est au centre et non l’élève stigmatisé. C’est le projet qui relie les acteurs
Le regard sur l’élève doit changer, à commencer au niveau des pratiques évaluatives qui doivent être davantage axées sur la compréhension du fonctionnement de l’élève et ses compétences plutôt que sur une approche catégorielle. Les élèves doivent être impliqués dans le projet qui les concerne
Il s’agit de penser formation initiale et formation continuée ensemble, de renforcer les compétences des enseignants à l’observation et la connaissance du comment l’enfant apprend, mais aussi à la pédagogie différenciée et aux diverses approches qui ont fait leurs preuves
Les chercheurs devraient davantage s’investir dans le domaine de l’éducation inclusive
Le système de financement devrait aussi être revu et ne plus se faire uniquement sur la base de l’élève
L’objectif final
est contenu dans la pyramide des interventions, dont plusieurs versions
circulent.
Enfin, l’approche proposée par la Pacte s’inscrit dans une logique intégrative et non inclusive. Cette approche n’est pas systémique. La logique de concevoir des aménagements raisonnables au cas par cas risque fort de conduire les enseignants à un épuisement. On le voit, plusieurs équipes éducatives, bien soutenues par leur direction, pratiquant une pédagogie active ou non, se sont clairement engagées dans un travail de construction de cette école inclusive. Même si le chemin sera long, il nous faut être résolument optimiste.
Jean-Jacques Detraux
Professeur émérite de psychologie et pédagogie à l’Université de Liège et à l’Université Libre
de Bruxelles
L’idée que l’école est un passage obligé vers une
insertion socioprofessionnelle réussie reste tenace. Pourtant la réalité est
toute autre car loin d’assurer la réussite de tous, l’école produit
massivement de l’échec scolaire, tout spécialement chez les enfants et jeunes issus
des milieux défavorisés. Leurs parents n’ont souvent ni les moyens financiers,
ni les compétences ni les codes nécessaires pour y faire face. Pour ces
familles, les écoles de devoirs ou EDD représentent la seule forme de soutien et
d’accrochage scolaire accessible hors de l’école.
Actuellement, plus de 16.000 enfants et jeunes âgés entre 6 et 18 ans fréquentent chaque jour les 346 EDD[1] réparties sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. De plus en en plus de parents cherchent l’aide et l’encadrement qu’elles offrent. L’Observatoire de l’enfance estimait en 2017 à 70 %[2] le nombre des EDD qui ont une liste d’attente. Ce pourcentage est encore plus élevé à Bruxelles où il est très difficile de trouver une place libre.
Un constat qui donne l’occasion de s’interroger sur ce
succès grandissant des EDD et sur la place et le rôle qu’elles occupent entre
l’école et la famille.
Sur base du
constat que l’école ne faisait que reproduire les inégalités sociales et devant
l’absence de réponse face à ces inégalités, des citoyens et des associations se
sont mobilisés au début des années 70 pour créer les premières EDD à Bruxelles.
Contrairement à leur nom, les écoles de devoirs ne sont pas des écoles et leur
objectif depuis leur début n’est pas de faire les devoirs ou de pallier aux
lacunes du système scolaire maisde
réduire les inégalités sociales et scolaires pour des populations dont le rapport à l’école et au savoir est difficile.
Elles sont implantées
généralement dans des quartiers populaires pour offrir à des enfants et jeunes
en âge scolaire issus pour la plupart de milieux défavorisés, un soutien
scolaire et un lieu d’accueil, de découvertes et de rencontres. C’est souvent
une occasion unique pour ces enfants et jeunes de sortir de leur cadre familial
et scolaire. C’est probablement cette
ouverture sur le monde qui constitue le principal atout des EDD[3].
Mais qu’est–ce qu’une EDD ou école des devoirs au juste?
Selon la définition donnée par la FWB « Les écoles de devoirs sont des structures
d’accueil des enfants et des jeunes en âge d’obligation scolaire, après
l’école, et parfois également durant le week-end et/ou les vacances scolaires,
qui développent, sur base d’un plan d’action élaboré, un travail pédagogique,
éducatif et culturel de soutien et d’accompagnement à la scolarité et à la
formation citoyenne, de façon indépendante des établissements scolaires, même
si elles bénéficient parfois de leurs infrastructures ou collaborent avec
ceux-ci ».[4]
Cette définition permet d’abord
de se rendre compte que les EDD ne sont pas des cours particuliers à bon
marché. Leur mission et leur fonctionnement sont très différents aussi bien des
cours privés que des écoles.
Les EDD sont des structures associatives situées au carrefour des domaines scolaire, familial, social et culturel. Elles jouent un rôle de cohésion sociale face à une société qui exclut de plus en plus. Leur mission ne s’arrête pas au soutien scolaire. Loin de là ! Elles accompagnent leur public dans leurs différents apprentissages, aussi bien scolaires, sociaux, citoyens que culturels. Elles visent l’épanouissement global de l’enfant et du jeune et « mènent des projets qui contribuent à faire des jeunes accueillis de futurs citoyens actifs, réactifs et responsables, capables de poser un regard critique sur le monde qui les entoure et d’en comprendre le fonctionnement. »[5]
Qui sont les encadrants des enfants et jeunes dans une EDD ?
L’équipe encadrante se compose de personnes qualifiées, salariées
ou volontaires. La plupart des EDD sont majoritairement composées de bénévoles,
parfois même rien que de bénévoles.
Comment se déroulent les activités dans une EDD ?
L’EDD commence
par un temps d’accueil avec le goûter. Un moment qui permet de faire la
transition entre école et EDD. Après ce temps de « pause », débutent les
activités scolaires proprement dites avec la consultation du journal de classe
de l’enfant. L’encadrant travaille ensuite le devoir avec ce dernier pour
d’abord le soutenir, le mettre à l’aise mais surtout pour l’autonomiser face à
son travail scolaire.
Après le soutien scolaire, les EDD
proposent de travailler ce qu’on appelle les compétences transversales telles
que développer l’esprit critique, le vivre ensemble, le respect, l’écoute, le
partage, via des activités ludiques, créatives, culturelles, et sportives. Ces
activités sont organisées dans un esprit de coopération et d’éducation à la
citoyenneté, sans oublier la dimension multiculturelle et le respect de l’autre.
Quelle est précisément la mission d’une EDD ?
Les EDD ont pour mission de favoriser :
« le développement intellectuel de l’enfant, notamment par
l’accompagnement aux apprentissages, à sa scolarité et par l’aide aux devoirs
et autres travaux à domicile ;
le développement et l’émancipation sociale de l’enfant, notamment par un
suivi actif et personnalisé, dans le respect des différences, dans un esprit de
solidarité et dans une approche interculturelle;
la créativité de l’enfant, son accès et son initiation aux cultures dans
leurs différentes dimensions, par des activités ludiques, d’animation,
d’expression, de création et de communication;
l’apprentissage de la citoyenneté et de la participation ».[6]
Ces
missions ont pour objectif de répondre aux attentes d’une société qui demande des
compétences que l’enseignement traditionnel ne dispense pas toujours. Et avec
l’avènement de la société de l’information et d’internet, l’école ne détient
plus le monopole de l’apprentissage.
Les EDD vont dans ce
sens et visent plutôt à déscolariser les apprentissages scolaires
pour promouvoir une autre approche du savoir qui favorise l’apprendre à apprendre,
en cherchant à éveiller d’abord l’envie et le plaisir d’apprendre. Elles privilégient l’acquisition de compétences et attitudes qui serviront
fortement à l’enfant et au jeune dans leur avenir.
Mener un
tel défi n’est déjà pas aisé après une journée d’école ; elle l’est encore
moins quand le travail des EDD est freiné à cause des travaux scolaires. Les encadrants
en EDD tout comme leur public sont freinés et envahis quotidiennement par les
devoirs[7]. Ils n’ont
le choix que d’accorder beaucoup de temps à ces derniers au détriment des autres
missions et compétences que cherchent à développer les EDD.
Or
justement le devoir est l’une des causes des inégalités scolaires.
Une étude de l’Université de Liège commanditée par
l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse a
révélé à quel point les devoirs contribuent à accentuer ces inégalités:
« Les travaux à domicile – ou à tout le
moins certains types de travaux à domicile (notamment les devoirs de «
prolongement » et les devoirs créatifs) – renforcent clairement les inégalités
entre enfants. En effet, ceux-ci requièrent un encadrement et des ressources
matérielles auxquels tous les enfants n’ont pas nécessairement accès.
Les facteurs
d’inégalités s’accentuent encore quand les devoirs sont perçus comme outil de
remédiation : ce sont les enfants qui ont le plus de difficultés qui prendront
le plus de temps pour les faire et qui auront besoin d’aide d’un parent ou
d’une aide externe pour y parvenir, voire pour leur réexpliquer la matière. Par
ailleurs, pour les enfants ayant déjà compris en classe, le travail à domicile
sera inutile. »[8]
Face à des parents fatigués après une journée de
travail, qui n’ont pas les compétences pour aider leur enfant ou qui n’ont pas
les moyens de payer des cours privés ou bien encore des enfants qui ne peuvent
bénéficier du calme et de l’espace nécessaire pour travailler chez eux, les
devoirs sont aussi sources de tensions, de frustrations et même de souffrances au
sein de nombreuses familles. Tous ces facteurs pèsent en temps et en émotions
sur tous les acteurs concernés, sur les parents, les enfants et les EDD et
concourent à cristalliser les inégalités scolaires et sociales.
Dès lors, on peut comprendre que ces parents n’ont
d’autre choix que de se tourner vers les EDD.
Quels sont les rapports entre parents et EDD?
Les Ecoles de Devoirs jouent un rôle très important auprès des parents d’abord
parce qu’elles offrent le soutien scolaire que ces derniers ne peuvent offrir à
leurs enfants mais aussi parce que les EDD contribuent à réconcilier ces
parents dans leur propre rôle. Des
parents qui ressentent une atmosphère de bienveillance et qu’ils ne trouvent
pas dans l’école de leur enfant.
Des réunions, des sorties, des fêtes et d’autres occasions sont organisées
avec eux pour leur permettre de découvrir leur enfant sous un angle différent. Ces
moments privilégiés favorisent la communication parent-enfant en leur
permettant de vivre ensemble des activités communes.
En valorisant les compétences des enfants, les
EDD valorisent aussi les compétences des parents, ce qui crée des conditions rassurantes
et propices au dialogue et à la confiance mutuels entre parents, enfants et EDD.
Ce soutien à la parentalité
passe aussi par des ateliers directement destinés aux parents eux-mêmes. De
nombreuses associations dispensent parallèlement à leur EDD, des ateliers
d’alphabétisation, d’initiation à l’informatique et des activités culturelles. Ces
activités répondent à des besoins des parents et contribuent parallèlement à renforcer
leur « accrochage » face à l’éducation et à la scolarité de leur
enfant.
Pour construire ce partenariat solide, les EDD adoptent d’emblée
une approche d’ouverture, de bienveillance et d’écoute que ces parents ne
trouvent pas à l’école de leur enfant. Une approche que le guide de soutien à
la parentalité de l’ONE résume bien : « le non-jugement, la non-disqualification, l’empathie,
l’écoute active et respectueuse, la construction d’un lien de confiance
réciproque, la prise en compte des références culturelles de la famille, le
respect, la non-stigmatisation, la co-construction des solutions et l’alliance
éducative »[9].
C’est l’intégration de
cette pratique et de cette philosophie dans la vie quotidienne des EDD qui fait
d’elles un acteur incontournable.
Dans
l’intérêt des enfants et jeunes, cette pratique peut être
fortement améliorée si les 3
acteurs concernés, à savoir l’EDD, la famille et l’école qui forment un
triangle éducatif autour de l’enfant communiquent efficacement ensemble.
Quels sont les rapports entre écoles et EDD ?
Ces rapports sont différents et bien moins réguliers
que ceux entre EDD et parents.
Une situation qui alimente les préjugés basés sur une
méconnaissance de l’autre. Ce manque de contacts réguliers peut
s’expliquer par des horaires difficilement conciliables, et c’est l’EDD qui
fait quasiment à chaque fois la démarche.
Cette collaboration à sens unique vers l’enseignant ou
la direction d’école suscite un manque de compréhension, de confiance mutuelle
et de reconnaissance du travail fait par les EDD de la part de l’école: « Les enseignants et les accompagnateurs ont
souvent de la peine à se comprendre. Chacun craint que l’autre ne vienne
empiéter sur ses prérogatives. La méconnaissance des rôles et des attributions
de chacun crée des malentendus qui pourraient certainement être évités (…). »[10]
L’Observatoire
de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse pointait il y a 10 ans
déjà ce manque de dialogue entre elles[11].
La
majorité des EDD soit 72% avaient à peine une fois par mois à une fois par
semestre des contacts avec l’école.
Aujourd’hui, force est de constater que les
échanges entre ces deux acteurs de l’éducation sont encore trop peu nombreux,
même si d’après la Fédération Francophone des Ecoles de Devoirs et les
Coordinations régionales, le climat est à l’apaisement et vise une
collaboration accrue entre les équipes des encadrants dans les EDD et les enseignants. Connaissant le contact privilégié entre parents et EDD, certains
enseignants expriment d’ailleurs le souhait de voir ces dernières jouer un rôle
de médiation entre l’école et les familles[12].
Conclusion
Les EDD sont complémentaires de la mission de l’école
pour que celles-ci tendent d’abord vers une école de la réussite pour tous.
Elles visent non seulement le développement des capacités intellectuelles ou
cognitives mais travaillent aussi la maturité sociale et affective de l’enfant
et du jeune. Il s’agit de les rendre aptes à trouver leur place et à s’insérer
dans la société.
Les EDD sont tout aussi
conscientes qu’informer, écouter les parents et leurs besoins, reconnaître
leurs compétences, construire une relation de confiance avec eux influe favorablement sur leur
relation et implication dans la scolarité et l’éducation de leur enfant. Cette
relation de confiance conjuguée au caractère
familial des EDD, consolide encore plus ce partenariat constructif et l’inscrit
dans la durée.
Elles contribuent à jouer aussi un rôle de médiation
et même de déminage entre écoles et familles précarisées[13]. Même si elles
n’ont pas un rôle aussi central que les deux acteurs que sont les parents et l’école,
les EDD occupent une place importante
dans les synergies de la mission éducative et dans leur mission au sein du triangle éducatif
école-parents- EDD.
Dans le grand chantier du Pacte
d’Excellence, les EDD sont très attentives sur la réforme des rythmes
scolaires. Ce dispositif pourrait être une opportunité pour une meilleure reconnaissance
de leurs missions et pour consolider leur place de partenaire privilégié des
écoles.
Les EDD pourraient alors mieux
développer une action complémentaire à celle des enseignants en ménageant aux
enfants plus de temps libre, du temps pour apprendre autrement et comme le
rappelle l’article 31 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant,
pour passer plus de temps de loisirs et de partage en famille.
Espérons qu’à l’aube d’une
nouvelle décennie, le pacte permettra aux enfants et jeunes d’avoir enfin une
vie après l’école. La fin des devoirs permettrait alors aux écoles des devoirs de
mieux remplir leur mission de combat pour plus d’égalité scolaire et d’émancipation
sociale, pour plus de soutien à la parentalité et de cohésion sociale.
[3]Les
écoles de devoirs : au-delà du soutien scolaire. La Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation
permanente asbl. Étude réalisée Valérie Silberberg et Antoine Bazantay
[9]Écoles de
devoirs. Exploitation des rapports d’activités 2008‐2009.Exploitation des données et rédaction :
Alice Pierard, stagiaire. 2010.
[10] SIMONATO Alain, Rendre les élèves
autonomes dans leurs apprentissages – En finir avec « les devoirs à la maison
», p. 47.
[11] PIERARD Alice, Ecoles de devoirs –
Exploitation des rapports d’activités 2008-2009 – Analyse partielle,
Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse, décembre
2010, p. 26-31
« L’école actuelle veut toujours hiérarchiser; ce
qui importe avant tout, c’est de différencier. Cette idée fixe de hiérarchie
provient de l’emploi des divers systèmes usités pour aiguillonner les écoliers:
bonnes ou mauvaises notes, rangs, punitions, concours, prix… Mais il est
entendu que, dans l’école de demain, tous ces expédients seront mis au rancart,
ou n’auront en tout cas plus l’importance d’antan. L’intérêt, tel sera le grand
levier qui dispensera des autres. »
Avec l’évolution
des droits fondamentaux, l’école a été obligée de s’affranchir des châtiments
corporels ou humiliants. Terminés, les coups de règles sur les doigts, les
« mises au piquet » ou « le nez dans le coin », le bonnet
d’âne et le banc d’infamie.
On pourrait
donc croire que les droits de l’enfant[1] sont
maintenant pleinement respectés par l’Ecole. Ce ne serait qu’une illusion, un
rêve éveillé, une utopie. Mieux, une naïveté coupable ! Les châtiments
corporels ont été remplacés par une violence plus insidieuse, plus dévastatrice
et productrice de plus d’inégalités encore : la cotation des élèves.
Bien sûr, la
cotation ne date pas d’hier et elle a côtoyé les violences physiques qui,
elles, sont antérieures à l’Ecole. Mais, si ces dernières ont disparu, leur
violence s’est déplacée sur ce qui restait de « pouvoir » aux
professeurs : les notes ! Ne pouvant plus frapper les élèves qui
chahutaient ou qui ne comprenaient pas une matière, les professeurs se sont
rabattus sur la dernière maîtrise qu’il leur restait : la sanction par les
notes !
Cela va donc
leur permettre de sanctionner non seulement la manière dont un apprentissage a
été réceptionné, mais aussi l’attitude et le comportement de chaque élève
durant le cours.
Autrement dit, la note a deux usages. Le premier est de » régler ses comptes » avec les élèves qui n’ont pas accroché au cours, qui l’ont perturbé ou été inattentifs, sans avoir à analyser les raisons de ce désintérêt (manque de « sens » de l’apprentissage, cours incompréhensible, mal expliqué, bruits, raisons extrascolaires, …), d’autant plus que cela replacerait le professeur face à ses compétences.
Le second usage de la note est de « sanctionner » et donc de punir les élèves qui n’ont pas compris l’apprentissage, toujours sans devoir analyser les causes qui renverrait encore une fois le professeur face à ses compétences (manque de différenciations pédagogiques, de remédiation, de tutorat, …). Or, un apprentissage ne peut pas être compris par 25 élèves grâce à une seule et même manière de l’enseigner. Si l’on veut que tous les élèves comprennent, il faut mettre en œuvre plusieurs stratégies. Pour 25 élèves, cela signifie mettre en place entre 2 et… 25 méthodes différentes ! Si on ne prend pas la peine de mettre ces approches en place, on abandonne les élèves qui ont le plus besoin d’être aidés. Il est, dès lors, facile de pratiquer la sélection. C’est donc bien un choix personnel de chaque professeur.
Edouard Claparède[2],
cité au début, pensait que les droits de l’Enfant auraient cours au XXIe siècle.
Or, s’il y a bien un lieu qui est exempt de droits, c’est l’école.
Les notes dans
le quotidien de l’école sont une source importante de tensions. Nombreux sont
les étudiants qui ne comprennent pas leurs notes et la conteste. Même les
parents s’interrogent sur son adéquation en fonction du travail de l’élève.
Sur la manière dont ils la fabrique. Il ne faut éviter les débats en interne et taire le secret de polichinelle qu’il y a des professeurs plus « sévères » que d’autres, ce qui engendre des inégalités d’évaluations. L’Ecole est une machine à sélectionner et à amplifier les inégalités. Cette sélection se fait principalement par la note et par la complicité de professeurs qui ne se posent pas la moindre question sur leurs pratiques, et encore moins sur leur propre compétence et leur responsabilité personnelle dans la fabrication de ces inégalités.
Deux tropismes[4]
éclairent notre système scolaire au sujet des notations. Le premier se dit à la
salle des « profs[5] » :
« Ma classe est composée de quelques élèves
“faibles”, d’un gros ventre mou d’élèves “moyens” et de quelques élèves
“forts”. Cette distribution, je dois retrouver dans mes résultats ! ».
Le second tropisme s’adresse aux élèves : « Avec les fautes que tu as faites, je n’ai pas d’autre solution que de
te donner une moyenne qui te fera redoubler ton année ! » Ce sont deux
« actes réflexes » (donc non remis en cause et encore moins analysés),
qui vont décider de l’avenir d’un être humain. Et cet avenir va durer 70 ans. Autant d’années à souffrir de la décision
inhumaine d’un être qui se prétend humain, et qu’un enfant a croisé par le plus
grand des hasards dans une école pendant une petite année. Un être qui ne
s’interroge pas sur sa propre humanité, qui n’aura plus jamais aucun lien avec
cet élève dont il sacrifie l’avenir, et sur qui cette décision de sélection
n’aura pas le moindre impact, au contraire de l’enfant qui devra porter cette
marque d’infamie tout au long de son existence.
Evaluer, c’est
« porter un jugement sur la valeur de…[6] ».
Quand on évalue, il s’agit bien de porter un jugement. Il y a donc à chaque
fois subjectivité (jugement de « valeur ») et imprécision
(approximation). Ce sont les deux caractéristiques des notes.
Ces jugements
de valeur sont souvent basés sur une conception naturaliste de l’intelligence.
Des enfants seraient doués pour les études et d’autres, au contraire, seraient doués
pour les travaux manuels. Cette conception est régulièrement portée par les
partis politiques néolibéraux qui ont une caractéristique commune, c’est qu’ils
n’ont aucune personne compétente en matière d’enseignement dans leurs partis. A
tout le moins en France et en Belgique. D’ailleurs, cette « vérité »
néolibérale est tellement dépassée qu’aucun chercheur en psychologie ou en
sociologie ne se lèvera pour la défendre.
Hors les
écoles à pédagogie active qui, elle, ont décidé de respecter leurs élèves, La
plupart des institutions scolaires persistent à vouloir attribuer une note à
toute production. Pourtant, et cela a été démontré depuis plus d’un siècle, le
système d’évaluation par notation est tellement subjectif qu’il ne reflète
jamais le niveau réel de l’élève en matière d’acquisition des apprentissages. Jean-Jacques Bonniol[7],
professeur des universités en sciences de l’éducation, a par exemple calculé
qu’il faudrait 78 correcteurs en mathématique et 762 en philosophie pour
neutraliser les erreurs de calcul et améliorer l’objectivité de la notation.
La cotation est commode et ne nécessite aucune compétence pédagogique.
Il ne faut pas trop réfléchir, elle est vite donnée et le nombre d’échecs
déterminera la « qualité » du professeur. Elle permet de mettre les
élèves en compétition et de sélectionner ceux qui ont le plus de
« facilités scolaires », ceux qui proviennent des milieux les plus
favorisés, tout en « criminalisant » les autres et en se débarrassant
de ceux qui nécessiteraient plus d’investissement pédagogique. C’est donc de leur faute et de celle de
leurs familles qu’ils sont en échec.
La cotation est le signe extérieur de la compétence d’un établissement
scolaire. Elle est pratique : le professeur et l’école peuvent ainsi se dédouaner
de leurs incompétences ou de leur idéologie de sélection sociale et, par
là-même, de leurs décisions touchant à l’avenir des élèves.
Pour la plupart des parents élitistes, la « bonne » école est celle qui pratique l’échec scolaire. Pour
eux, les écoles qui font « réussir » seraient « laxistes ». Ceci explique la
dévotion qu’ont ces écoles et les professeurs qui y exercent par rapport à la
notation.
Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les
actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000
notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et
sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.
Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000 notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.
[1] Voir la CIDE (Convention Internationale des Droits de l’Enfant » –
ONU 1989.
[2] Edouard Claparède était est un médecin neurologue et psychologue suisse
(1873-1940). Ses principaux centres d’intérêt furent la psychologie de
l’enfant, l’enseignement et l’étude de la mémoire. Claparède est l’un des deux
ou trois psychologues qui ont profondément nourri la psychologie de Piaget,
notamment par sa psychologie de l’enfant et par sa psychologie de
l’intelligence.
[3] Pierre Merle. Les notes. Secrets de fabrication. PUF 2007
[4] Tropisme : réaction élémentaire ; acte réflexe très simple.
[5] Si, pour nous, l’école de la cotation est un lieu où il ne devrait pas
être mis d’enfants, la salle des « profs » est un lieu où il ne faut
surtout pas mettre d’enseignants. On y entre avec une idéologie de réussite
pour tous et les doxas qui y sont véhiculées par des professeurs
d’arrière-garde, vous rendent pareils à eux, discriminants, incompétents et
injustes.
[7] Ancien professeur des universités,
Jean-Jacques Bonniol est le fondateur et ancien directeur du département des
sciences de l’éducation à l’Université de Provence, Aix-Marseille (France).
La première mission des enseignants est de former des
élèves et non d’évaluer, il faut le rappeler car souvent cette priorité est
oubliée. Cependant, l’évaluation est nécessaire car on ne peut enseigner sans
savoir si on l’a fait correctement. Nous devons savoir si chaque élève a compris,
mais aussi comprendre pourquoi certains n’ont pas acquis le savoir transmis.
Cela nous permettra de voir la manière dont on peut les aider ainsi que la
manière et les types de remédiations immédiates[1]
que l’on peut mettre en place.
On distingue généralement trois types d’évaluations
des élèves :
L’évaluation formative, dans laquelle la note n’a pas de place, n’est donc généralement pas cotée. Les notes sont inutiles pour trouver ce qui fait obstacle à une démarche visée. L’évaluation formative est destinée à chacune des deux parties. D’abord à l’enseignant pour lui permettre de savoir s’il a fait correctement son travail et de mettre en place les remédiations, mais aussi à un élève d’apprécier l’évolution d’un apprentissage et, le cas échéant, de recevoir une remédiation ou de l’aide par tutorat. L’évaluation formative comprend aussi l’autoévaluation, par l’élève, de ses apprentissages et la capacité de détecter et de nommer ses difficultés. L’évaluation formative continuée devient finalement sommative, une fois que tous les élèves ont acquis l’apprentissage. Cela permet gain de temps précieux et évite les évaluations-sanctions-sélection.
L’évaluation sommative dresse un bilan. Elle fait la « somme » des savoirs appris par un élève. Ces évaluations sont souvent cotées et participent alors à la mise en compétition des élèves et à la sélection des plus « faibles ». La note est établie en fonction d’une norme, celle du professeur, de l’établissement, ou du système éducatif. Il s’agit d’une évaluation-sanction-sélection. Cependant, l’évaluation sommative peut être le résultat d’une suite d’évaluations formatives non chiffrées.
Enfin, l’évaluation certificative, comme le dit son nom, a pour seul objectif de délivrer un « certificat » (diplôme, titre, …). En primaire, il s’agit du CEB, en secondaire des CE1D, ou CESS. L’évaluation certificative est un outil de sélection. On ne donne un « certificat » qu’à ceux qui maîtrisent les savoirs et compétences nécessaires.
L’évaluation
par la note n’est en rien une obligation. Au contraire, de nombreuses pratiques
issues le plus souvent de mouvements de pédagogies actives, modifient
l’évaluation cotée pour aller vers une évaluation bienveillante et empathique,
permettant à chaque élève de développer une meilleure estime d’eux-mêmes et
ainsi d’être encouragés et poussés vers la réussite[2].
Mais
l’évaluation est pervertie…
Loin de
l’utiliser comme outil d’aide à la formation des élèves, de trop nombreuses
écoles et de trop nombreux professeurs considèrent l’évaluation comme un outil
de sélection dans une société où la compétitivité serait une exigence sociale
majeure. Dans ce contexte dévoyé, « l’évaluation
peut contribuer à la réussite ou à l’échec des élèves ». Selon Charles Hadji,
l’évaluation prend une double forme, soit positive à travers une valorisation
de l’élève en réussite scolaire, soit négative à travers la stigmatisation de
l’élève en échec. Dès lors « l’évaluation
peut être la meilleure ou la pire des choses. Elle peut être un facteur
aggravant pour l’échec, et un facteur encourageant pour la réussite.[3]
»
Les notes sont des outils qui perpétuent les divisions entre les élèves,
au lieu d’aider à les réduire. Le système d’évaluation ne fait pas son travail
qui doit être d’offrir une visibilité sur les acquis réels des élèves. En
France, les inspecteurs dénonçaient cette « tyrannie de la note » en 2005[4] : « les
évaluations menées souffrent d’un même défaut : un souci presque religieux de
prendre pour référence la moyenne et d’aboutir à un classement, c’est-à-dire à
la définition d’une situation relative et non d’une situation absolue. »
Le trait principal du système de notation est qu’il ressemble à une distribution de type gaussien[5], en forme de cloche, avec un petit groupe d’élèves « forts », un gros ventre mou d’élèves « moyens » et un petit groupe d’élèves « faibles ». La seule question que doit se poser le professeur est de définir le point limite. Une fois fixée, les élèves sont classés en fonction des trois critères repris ci-avant. Tout ce qui compte, c’est la « moyenne », le système ne pouvant fonctionner que s’il y a une part suffisante de notes faibles.
[1] La remédiation n’a de sens que si elle est immédiate, donc placée au
cœur de l’apprentissage, pendant le cours et surtout avant tout nouvel
apprentissage. La postposer serait ajouter des difficultés car ce nouvel
apprentissage est souvent la suite du précédent et ne ferait qu’accumuler
difficultés sur difficultés.
[2] Quand nous parlons de « réussite », nous ne parlons évidemment
pas « d’avoir les points », mais d’avoir acquis des savoirs.
[3] Charles Hadji, L’évaluation à l’école, Nathan
2015
[4] Les acquis des élèves, pierre de touche de la
valeur de l’école ? évaluation du système éducatif – Rapport IGEN – rapport conjoint
IGEN-I.G.A.E.N.R. – juillet 2005
[5] Une fonction gaussienne est une fonction en
exponentielle de l’opposé du carré de l’abscisse (une fonction en exp ( −
x 2 ). Elle a une forme caractéristique de courbe en
cloche. On parle aussi de « courbe de Gauss ».
L’école a
existé sans la note pendant des siècles jusqu’à ce que les Jésuites[1] créent
un peu partout leurs Collèges avec, pour objectif l’émergence d’une jeunesse
instruite et disciplinée, apte à assumer des responsabilités de
« leadership ». Au XVIe siècle, Ignace de Loyola, en fit l’instrument
de la reconquête catholique (la Contre-Réforme) afin de contrecarrer
l’expansion protestante sur l’un de ses terrains de prédilection: l’accès aux
savoirs, religieux et laïques. Ces écoles se veulent élitistes. Il s’agit de
privilégier les plus méritants et d’éliminer les autres. Il s’agira donc
d’élaborer un système obligatoirement sélectif.
Pour créer
l’émulation – et donc la compétition – ils vont tester différents procédés. Les
collèges sont régis par un code, le Ratio
studiorum, qui pose comme principe que l’enseignant
se doit de favoriser une honnête émulation qui fera effet de grand aiguillon pour l’étude. Les
collèges vont commencer par élaborer tout un système complexe de récitations,
compositions, « disputes », concours, prix, joutes, devoirs écrits,
révisions quotidiennes, mensuelles, trimestrielles et annuelles. Les élèves
sont placés dans des groupes hiérarchisés, placés en situation de concurrence
perpétuelle[2].
Chez les Jésuites (…), les élèves étaient
divisés en deux camps, les Romains d’une part et les Carthaginois de l’autre,
qui vivaient pour ainsi dire sur le pied de guerre, s’efforçant de se devancer
mutuellement. Chaque camp avait ses dignitaires. En tête du camp, il y avait un
« imperator », appelé aussi dictateur ou consul, puis venaient un
préteur, un tribun et des sénateurs. Ces dignités, naturellement enviées et
disputées, étaient attribuées à la suite d’un concours qui se renouvelait
chaque mois. D’un autre côté, chaque camp était divisé en décuries, comprenant
chacune dix élèves, et commandée par un chef nommé décurion et pris parmi les
dignitaires dont nous venons de parler. Ces décuries ne se recrutaient pas
indifféremment. Il y avait entre elles une hiérarchie. Les premières
comprenaient les meilleurs élèves, les dernières les écoliers les plus faibles
et les moins laborieux. Et ainsi, de même que le camp dans son ensemble
s’opposait au camp adverse, dans chaque camp chaque décurie avait dans l’autre
sa rivale immédiate, de force sensiblement égale. Enfin, les individus
eux-mêmes étaient appariés, et chaque soldat d’une décurie avait son émule dans
la décurie correspondante. Ainsi le travail scolaire impliquait une sorte de
corps à corps perpétuel (…). A l’occasion, le maître ne devait pas craindre
de mettre aux prises des élèves de force inégale. Par exemple, on faisait
corriger le devoir d’un élève plus fort par un élève moins fort « afin que
ceux qui ont fait des fautes en soient plus honteux et plus mortifiés »
(…). C’est grâce à ce partage entre le maître et les élèves qu’un professeur
pouvait diriger sans trop de difficulté des classes qui atteignaient parfois
deux cents et trois cents élèves[3].
Au début, les
maîtres comptaient les fautes et ordonnaient les copies selon le mérite. Ils
transmettaient par correspondance ces résultats, parfois laconiques, aux
familles. Voici par exemple le bulletin obtenu en 1780 par un interne du
collège royal de Cahors (Compère, 1985):
Moeurs et religion: excellentes
Caractère: excellent, trop timide
Place sur 52 écoliers (novembre, décembre,
janvier):
Thème: 27e, 39e, 35e, 26e
Version: 13e, 30e, 14e
Vers: 44e, 26e
Ces
indications de rang vont être progressivement remplacées par des appréciations
chiffrées : Au collège de Caen, on optera pour une échelle à 4
niveaux : 1 = bien; 2 = assez bien; 3 = médiocre; 0 = mal.
En fin d’année, les classements permettront de distinguer « le bon grain de l’ivraie » :
Les « optimi » seront promus dans la classe supérieure, au contraire
des « inepti ». Les « dubii » seront admis dans la classe
suivante, mais à l’essai et à conditions.
Les jésuites
ont ainsi inventé le favoritisme encore en vogue dans nos écoles élitistes
: les « dubii » (doubleurs) restent en principe dans leur classe, sauf
si la famille insiste ou si des « personnages considérables »
interviennent en leur faveur. C’est en 1890 que sera officialisée, en France,
l’échelle de notation des compositions de 0 à 20, seulement dans le secondaire
pour les compositions trimestrielles et le baccalauréat. Elles ne sont en
revanche pas obligatoires en classe, tout au long de l’année, où les
professeurs font comme ils veulent. L’idée fondamentale à l’époque est de noter
les compositions pour pouvoir décerner des prix. Il s’agit donc de faire des
moyennes pour départager les gagnants[4].
L’Etat
français, en se substituant aux collèges religieux, va poursuivre le même
objectif, former les élites bourgeoises sur la base de leur mérite. Les hyènes
ne se mangent pas entre elles… et perfectionner la notation. Chaque cohorte va
donc être « notée » et ces notes découlent du découpage imaginé par
les Jésuites. Les « rangs », les « notes », les
« grades » participent tous d’une sélection des élèves, les plus
hautes notes étant attribuées aux élèves les plus « méritants »,
alors que les notes les plus basses seront attribuées aux « médiocres,
insuffisants ou mauvais ».
Les
« bons » élèves siègeront au banc d’honneur[5],
tandis que les cancres seront relégués au banc de la honte ou au
« coin ». En fin d’année, ils étaient – et sont toujours – condamnés
à un infâme redoublement. Mais le maître avait-il d’autres solutions, dans des
classes qui pouvaient compter jusque 200 élèves ? C’est à ce prix que la
République française a pu scolariser des millions d’enfants qui ne l’étaient
pas auparavant.
Notre
histoire, en Communauté française, mais aussi notre école a toujours été et est
toujours fortement influencée par ce qui se passe outre-Quiévrain. L’école
française, encore aujourd’hui, a les mêmes faiblesses que la nôtre et les
médias n’aidant pas, les professeurs belges se dédouanent de leurs pratiques de
sélection et du taux de redoublement parce « qu’on
a toujours fait ainsi ». Le « on », c’est la France et les
images qu’elle nous renvoie de son propre système scolaire. Relisons « Le
Petit Nicolas[6] »
ou plus récemment « L’élève Ducobu[7] »
mais aussi les films qui parlent de l’école en la montrant sous l’aspect
sélection, ou incompétence des élèves (Rappelons-nous la série des Sous-doués,
Mauvais élèves, Les Profs, Le Maître d’école, Le plus beau métier du monde, …).
Car non, « on » n’a pas toujours fait ainsi…
Depuis la
Révolution française, les hiérarchies sociales ne sont plus basées sur la
naissance mais sur le mérite. Du moins, c’est ce que l’Ecole voudrait nous
faire croire. On sait, cependant que celle-ci discrimine les élèves
essentiellement sur base des origines sociales.
D’ailleurs,
l’idéologie républicaine a fait long feu. C’est Octave Gérard[8] qui, sous Napoléon III a mis en place un modèle
d’école que nous connaissons encore aujourd’hui en Belgique, qui a ensuite été
repris et généralisé à partir des années 1880 par Jules Ferry. « La note sur 20 est choisie dans le
secondaire car plus pointue que la note sur 10 du primaire. Les résultats sont
théâtralisés et deviennent un moyen de discipline alors jugé très efficace. La
mauvaise note est d’ailleurs une punition autorisée, au même titre que la
retenue ou les devoirs. »[9]
En 1868,
Octave Gérard crée un cursus divisé en trois cycles de deux ans chacun
(élémentaire, moyen et supérieur). Octave Gréard impose dans tous les cours
l’enseignement simultané[10].
Le passage d’un cours à l’autre est alors déterminé par des examens de passage.
Dès lors, un élève peut rester 4 ou 5 années durant dans le cours élémentaire.
Les passages de classe en classe font office de sélection de telle sorte que
seuls les meilleurs atteignent le cours supérieur, puis le certificat d’études.
En 1888, seulement 30 % des élèves parviennent à terminer leur cursus sans
redoublement. Comme quoi, l’école d’aujourd’hui n’a rien inventé et nous
reproduisons les mêmes croyances que ces ancêtres de l’école obligatoire.
Même si, dans
les années qui ont suivi, l’objectif de régression de l’analphabétisme a fait
massivement diminuer le redoublement, la répartition des élèves par classe est
restée inégale au début du XXe siècle. Les cours élémentaires regroupaient les
élèves qui n’avaient « pas assimilé
les bases »[11].
Sous Jules Ferry[12],
si la scolarité devient obligatoire, les passages de classe en classe sont
filtrés de telle sorte que seuls les meilleurs atteignent le cours supérieur et
le certificat d’études. L’école républicaine tend à privilégier la scolarité
des « meilleurs », ceux qui sont issus des meilleures familles. Les
tensions avec les parents ne datent pas d’hier. A l’époque déjà, les familles
s’insurgeaient sur le choix des élèves présentés aux examens du certificat
d’étude primaire, l’école ne s’intéressant qu’à ses « bons » élèves
et délaissant déjà les autres.
Le processus d’industrialisation en cours en Europe va
entraîner une énorme demande de main d’oeuvre. Le système scolaire va devoir
répondre à cette demande et préparer les élèves à assumer différentes fonctions
sociales tributaires de leurs compétences professionnelles et donc de leurs
mérites individuels[13] :
la sélection des élites sera un des principaux facteurs qui vont influencer
durablement les pratiques d’évaluation.
L’évaluation notée a donc été pensée pour pratiquer une sélection entre les élèves, dans un objectif de formation d’« élites ». Nous en sommes toujours là aujourd’hui et, même si les professeurs n’en sont pas conscients (il suffirait pourtant qu’ils ouvrent leur ordinateur et s’intéressent un tout petit peu à la docimologie), ils participent à l’amplification des inégalités sociales. Il s’agit déjà bien d’un modèle scolaire qui tire vers le haut les plus « forts » et ignore les plus « fragiles ».
[1] Lire Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer [les notes à] l’école
? Olivier MAULINI, Enseignement primaire, Genève. Texte édité par l’association
Agatha, en marge des deux débats organisés le 29 février 1996: Abolir la note à
l’école: Quels effets ? & Des notes à l’école, pour quoi faire ?
[2] Emile Durkheim voit dans cette machinerie
classificatoire l’une des sources du génie national français.
[3] Durkheim, Emile (1938). L’évolution
pédagogique en France, Paris, PUF (Quadrige). P 298-299.
[4] Claude Lelièvre, l’historien de l’éducation in Supprimer les notes, «c’est le contraire du laxisme» – Le
Figaro, 11/12/2014.
[5] Les bancs à l’avant de la classe, près du maître.
[6] Le Petit Nicolas, Sempé & Goscinny. Paris : Denoël, 1960, 120 p. et livres suivant…
[7] Ducobu des belges Zidrou (scénario) et Godi (dessins), 1992, repris par
le cinéma… français.
[8] Octave Gréard, 1828-1904 est un pédagogue français. Il a élaboré en 1868
une nouvelle organisation des écoles primaires en trois cycles de deux ans
chacun (cours élémentaire, cours moyen et cours supérieur) aboutissant au
certificat d’études.
[9] Diane Galbaud, Une pratique toujours en vogue,
malgré les critiques, in Le monde de l’éducation n°344, dossier « Que valent
les notes ? », Février 2006.
[10] L’enseignement, dans sa forme la plus générale, peut être individuel, mutuel, ou simultané. L’enseignement simultané consiste, comme mode, à ordonner l’école de manière que tous les élèves ou du moins une partie notable des élèves puissent recevoir ensemble l’enseignement sur les diverses parties du programme. http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3642
[11] Jérome Krop, La méritocratie républicaine :
élitisme et scolarisation de masse sous la IIIe République, Presses
universitaires de Rennes, 2014
[12] Jules Ferry est l’auteur des lois restaurant
l’instruction obligatoire et gratuite. Il est ainsi vu comme le promoteur de «
l’école publique laïque, gratuite et obligatoire ».
[13] Barbier, J-M (1983). Pour une histoire et une
sociologie des pratiques d’évaluation en formation, Revue française de
pédagogie, n°63, pp.47-60.
Ce site internet peut utiliser des cookies pour votre confort de navigation. AccepterLire plusRejeter
Confidentialité & Cookies
Privacy Overview
This website uses cookies to improve your experience while you navigate through the website. Out of these, the cookies that are categorized as necessary are stored on your browser as they are essential for the working of basic functionalities of the website. We also use third-party cookies that help us analyze and understand how you use this website. These cookies will be stored in your browser only with your consent. You also have the option to opt-out of these cookies. But opting out of some of these cookies may affect your browsing experience.
Necessary cookies are absolutely essential for the website to function properly. These cookies ensure basic functionalities and security features of the website, anonymously.
Cookie
Durée
Description
cookielawinfo-checkbox-analytics
11 months
This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookie is used to store the user consent for the cookies in the category "Analytics".
cookielawinfo-checkbox-functional
11 months
The cookie is set by GDPR cookie consent to record the user consent for the cookies in the category "Functional".
cookielawinfo-checkbox-necessary
11 months
This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookies is used to store the user consent for the cookies in the category "Necessary".
cookielawinfo-checkbox-others
11 months
This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookie is used to store the user consent for the cookies in the category "Other.
cookielawinfo-checkbox-performance
11 months
This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookie is used to store the user consent for the cookies in the category "Performance".
viewed_cookie_policy
11 months
The cookie is set by the GDPR Cookie Consent plugin and is used to store whether or not user has consented to the use of cookies. It does not store any personal data.
Functional cookies help to perform certain functionalities like sharing the content of the website on social media platforms, collect feedbacks, and other third-party features.
Performance cookies are used to understand and analyze the key performance indexes of the website which helps in delivering a better user experience for the visitors.
Analytical cookies are used to understand how visitors interact with the website. These cookies help provide information on metrics the number of visitors, bounce rate, traffic source, etc.
Advertisement cookies are used to provide visitors with relevant ads and marketing campaigns. These cookies track visitors across websites and collect information to provide customized ads.