Pierre Merle[1] a pu démontrer que la note est, non pas l’évaluation d’une compétence menée par une personne dont la légitimité est assurée par un diplôme, mais qu’elle ne répond que formellement à la définition usuelle d’application d’un barème.

Professeurs et élèves sont, durant une année et plusieurs heures par semaine, dans un face-à-face qu’il leur est impossible d’éviter. Cette relation est productrice d’ajustements, de concessions et de négociations des personnes en présence. La note n’est pas une mesure des compétences. Elle est aussi une médiation entre des professeurs et des élèves (…) prisonniers d’une situation imposant des tentatives de domination et de soumission[2].

Les pratiques de notation ne sont pas des mesures automatiques du niveau des élèves, mais sont le produit de stratégies et de contraintes spécifiques : proportion des élèves des deux sexes dans la classe, âge moyen, pourcentage de redoublants, origine socioprofessionnelle, discipline enseignée, niveau de compétences, type d’établissement, etc. (…) ces contextes scolaires sont en relation avec des processus de fabrication sur la note fondée sur différents types d’arrangements.

De quel type d’arrangements s’agit-il ?

On sait combien, dans un système frontal, gérer une classe peur s’avérer difficile pour les professeurs, surtout en début de carrière. L’arrangement est donc directement lié à ce besoin de tenir la classe « en ordre ». Ce recours aux notes est un détournement de l’évaluation vers les sanctions. Les zéros pour comportement estimé « inadéquat » ne sont pas rares et relèvent de l’injustice la plus profonde, mais ils existent encore au XXIe siècle dans le chef de professeurs incapables de gérer une classe. Ils ont évidemment une incidence sur les résultats des élèves alors qu’ils ne reflètent en rien leurs compétences scolaires. Pire, ils démotivent de par leur injustice. L’interrogation surprise relève de ce registre d’évaluations détournées en sanctions, ce type d’évaluation débouchant fréquemment sur de mauvaises notes.  

Certains arrangements sont directement négociés avec les élèves. Lorsqu’une évaluation s’est révélée trop compliquée, les élèves négocient et obtiennent parfois le retrait de la note, ou son maintien, comme lors d’une évaluation qui aurait été retirée car jugée trop facile par le professeur.   

Pierre Merle relève deux modalités principales à l’arrangement sur les notes :

La première est à usage interne et quasi-secrète. Elle est destinée directement aux élèves et contribue à façonner l’autorité symbolique du professeur. Il s’agit, par exemple, d’arrangements avec les notes d’un élève qui n’ira pas rapporter à ses pairs une pondération à son avantage. Cela reste « entre soi ». En cas de contestation future, le professeur pourrait toujours les restaurer.

La seconde modalité est à usage externe. C’est ce qu’André Antibi appelle la « Constante macabre[3] ». Il s’agit de montrer à la direction, aux collègues et aux parents que le professeur préserve une moyenne et une distribution des notes conforme à la notation dominante dans l’établissement. C’est celle qui détermine qui sont les « bons » et les « mauvais » élèves. Mais selon Merle, elles dépendent aussi de la discipline, de la section d’enseignement et de l’établissement. Si les notes sont trop bonnes, le professeur sera amené à imposer un contrôle difficile pour en faire baisser la moyenne. A l’inverse, si la moyenne est trop basse, le professeur dispose d’une possibilité d’arrangements internes qui peut être négociée avec les élèves.

Les arrangements sur les notes sont des stratégies professorales qui tiennent des négociations avec les élèves et doivent inciter au travail, maintenir l’ordre dans la classe et « se faire respecter ».


[1] Pierre Merle. Les notes. Secrets de fabrication. PUF 2007

[2] Pierre Merle. Ibid. p 54

[3] André Antibi, 2003 La constante macabre ou comment a-t-on découragé des générations d’élèves ? Ed Math’Adore.

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