Le redoublement – chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Le redoublement – chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

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En Belgique comme en France ou au Grand-duché de Luxembourg, penser à une école sans redoublement est inimaginable. De nombreux professeurs sont convaincus que le redoublement aurait une réelle utilité pédagogique : il permettrait de remédier aux difficultés constatées. Puisque les rythmes de développement personnels et d’apprentissage varient d’un élève à l’autre, le redoublement permettrait de corriger ces rythmes en offrant un supplément d’apprentissage aux plus lents. Mieux encore, il servirait aussi de thérapie puisqu’il permettrait aux élèves de gagner en maturité et de repartir sur de meilleures bases.

Comme de nombreux parents qui ne sont pas spécialistes de la pédagogie, les professeurs considèrent encore le redoublement comme un moyen de remédiation efficace. Ils lui attribuent par ailleurs un rôle instrumental. Un sondage[1] d’OpinionWay révèle que 70 % des parents et 64 % des professeurs interrogés sont d’accord avec la phrase « Le redoublement permet réellement à l’élève de rattraper son retard et d’être mieux préparé pour les classes supérieures » .

Le point de vue des parents n’a pas été fort étudié par la recherche scientifique. Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin[2] citent plusieurs études anciennes qui révèlent une adhésion massive au redoublement, mais on manque d’enquêtes récentes. Thierry Troncin[3] a montré que très peu de parents s’opposent au redoublement de leur enfant en première primaire (ou CP). Selon l’auteur, ce serait le signe de la confiance des parents envers les enseignants à ces niveaux scolaires. Mais, rappelons-le, les parents – tout comme les professeurs adeptes du redoublement – ne sont pas experts en pédagogie, ne connaissent rien des études sur les effets psychologiques et le manque d’efficacité du redoublement et encore moins des alternatives que mettent en place les enseignants (contrairement aux professeurs) pour éviter l’échec scolaire et ses dérives.

Non, les professeurs ne sont pas les seuls responsables de l’échec de notre système scolaire. Des parents – principalement ceux issus des classes les plus favorisées et dont la classe sociale tire profit de la sélectivité – manifestent également un triste attachement au redoublement, donc à l’échec scolaire… des enfants des autres.

Tenir à sa classe sociale et refuser de la partager avec les moins nantis est profondément inique. Evidemment, si on veut des riches, il faut des pauvres. Supprimer les pauvres, reviendrait à rendre les gens égaux et donc, à partager les richesses de la société. Cela ne peut être acceptable par une partie minoritaire mais influente de la société. Quels sont les parents qui écrivent des cartes blanches dans la presse, sinon des gens instruits qui défendent leurs acquis sociaux pour leurs propres enfants ? Ce sont des gens qui refusent de partager ces acquis avec l’immense majorité paupérisée de la population. Ce sont ceux qui, en un mot, ne cherchent qu’à protéger leur progéniture et à veiller à leur succès au détriment des plus fragiles. Nous sommes loin du respect du Droit de tous les enfants, mais uniquement de celui d’une minorité de privilégiés prétendument « bien nés ».

L’attachement de ces parents au redoublement renforce celui des enseignants et des établissements élitistes. Il s’agit clairement d’une volonté de maintien de la ségrégation sociale. Il suffit qu’un seul enseignant se pose des questions sur l’inefficacité du redoublement pour, qu’immédiatement, des voix s’élèvent en lui demandant s’il ne vise pas plutôt le « nivellement par le bas » ? Le « nivellement par le bas », vieux fantasme des « élites » libérales qui craignent de partager avec les plus fragiles. Il suffirait simplement de lire la presse qui, en cette matière, fait bien son travail, pour voir que les systèmes scolaires les plus équitables sont aussi les plus performants et donc, qu’ils nivellent vers le haut. Le problème pour ces parents ou grands-parents élitistes belges, c’est que ces systèmes nivellent vers le haut TOUS les élèves, et cela leur est intolérable !

Quant aux familles socialement défavorisées et mal informées des enjeux citoyens, elles imitent ceux qui crient le plus fort sans comprendre les enjeux, en se rassurant que les gens instruits (parents favorisés et enseignants) ont forcément raison. Il est donc important que les médias auxquels ils ont (peu) accès s’engagent, sur le plan citoyen, à expliquer les enjeux sociaux aux personnes les moins bien informées. Nous pensons également aux associations de première ligne, celles qui accueillent les familles et leurs enfants (maisons de quartier, écoles de devoirs, aides en milieu ouvert, services d’accrochage scolaire, médiateurs, …) qui peuvent avoir un rôle fondamental dans l’éducation des classes populaires. Leur faire prendre consciences des enjeux pour l’avenir de leurs enfants leur permettra de ne plus se laisser prendre pour des idiots par l’école qui, elle, a tout intérêt à ce que les parents ne puissent pas contester ses messages. Bref, qu’ils restent dans l’ignorance.

Cependant, les choses sont en train de changer. Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin notent que les familles dites « favorisées » sont beaucoup plus critiques par rapport au redoublement, en ce qui concerne leurs propres enfants. Elles seraient moins disposées à en accepter la décision d’office. Il commence à y avoir un scepticisme à l’égard du redoublement. Dans l’enseignement fondamental, de nombreux parents contestent les décisions de redoublement[4]

Géry Marcoux et Marcel Crahay [5] (2008) expliquent aussi l’adhésion des professeurs au redoublement car ils s’appuient « sur une conception pédagogique selon laquelle l’apprentissage se fait de façon linéaire avec emboîtement des connaissances brique après brique, des professeurs expliquent que le redoublement permet de récupérer les lacunes et de consolider les bases non encore acquises ». En 3e maternelle et en 1ère primaire, 80 % à 90 % des enseignants doutent de l’effet négatif du redoublement sur la confiance en soi d’un élève. Selon eux, un élève qui répète une année le vit rarement comme un échec. Selon eux, on ne « fait pas redoubler une troisième maternelle, on permet à l’élève de mûrir ». Pourtant, aucun professeur n’est formé pour évaluer la maturité d’un enfant. Il s’agit donc bien d’une croyance infondée, telle que le démontrent les parcours d’élèves maintenus en 3e maternelle :



Parcours d’élèves non maintenus en M3 versus parcours d’élèves maintenus
[6]

Comme on peut le voir sur ces graphiques, les élèves qui ont été promus en 1ère primaire (CP) sont 85 % à arriver en 4e année (CM1) sans passer par l’échec. Par contre, ceux qui ont été maintenus en 3e maternelle (grande section) sont un peu moins de la moitié à faire le même parcours. Pire, un quart d’entre eux connaît un second échec et un second quart est orienté vers l’enseignement spécialisé, alors qu’ils sont moins d’un pourcent chez les non maintenus.

Cette conception biaisée fait que le redoublement apparaît dès lors aux professeurs comme une solution adaptée pour solidifier les « bases » des élèves et leur faire gagner en « maturité » afin d’être plus aptes à comprendre les apprentissages et acquérir les compétences visées. « Reposant également sur cette conception cumulative des apprentissages scolaires, bon nombre de professeurs croient aux bienfaits du redoublement précoce[7]»  Comme si l’échec scolaire était un manque de maturité… des élèves ? Personne n’a, fort malheureusement, encore étudié la maturité des professeurs. Pourquoi ceux-ci pratiquent-ils l’échec scolaire alors que les enseignants, eux, ne le font pas. Et ces derniers[8] sont loin d’être des laxistes. Enseigner et transmettre les savoirs à tous les élèves nécessite un engagement professionnel et humain autrement plus important que ce que pratiquent les sélectionneurs. Tout le monde sait donner cours de quelque chose, par contre, enseigner est un art.

Pour Géry Marcoux et Marcel Crahay, « De multiples propos de professeurs traduisent la persistance de croyances sur les effets bénéfiques du redoublement. Celui-ci reste majoritairement vu comme une seconde chance. De manière synthétique, recommencer présenterait différents avantages liés au fait général de donner un supplément de temps. Ainsi, il serait bénéfique de donner du temps aux enfants pas assez mûrs, car on suppose que, durant l’année de redoublement, la maturité va s’acquérir. Il serait également bénéfique de donner du temps aux enfants qui ont des situations familiales difficiles à gérer: on protège ces enfants en ne rajoutant pas une difficulté supplémentaire à leurs problèmes. Le redoublement serait également une manière d’éviter une perte de confiance en soi (par rapport à une promotion qui l’affecterait nécessairement) ou d’aider à la restaurer par la répétition d’activités déjà connues, ce qui réduit la charge cognitive ou la « charge de travail » de l’élève et devrait contribuer à le rassurer sur ses capacités. [9]»

Le redoublement, c’est la roulette russe des professeurs, mais ils mettent le canon du revolver sur la tempe des élèves.

Depuis les années 80, les recherches ont démontré que les professeurs adaptent leurs exigences en fonction de l’établissement scolaire dans lequel ils travaillent, mais également en fonction du niveau moyen de leur classe. C’est une optique peu humaniste mais généralisée. Il leur faudrait, au contraire, se baser sur les plus « faibles » pour pouvoir s’assurer que tout le monde ait compris[10]. En effet, en visant l’élève « moyen », notion que personne au monde n’est capable de définir scientifiquement, il met la barre suffisamment haut pour pratiquer sa sélection, au détriment des plus « faibles ». C’est inéquitable. Non seulement parce que les élèves en difficulté ont été ignorés du début à la fin de l’apprentissage, mais selon la classe dans laquelle il se trouve et les exigences du professeur, l’élève sera placé en échec ou non. Deux élèves aux compétences et connaissances identiques, placés dans deux classes différentes seront pour l’un promu, pour l’autre mis en échec et contraint de redoubler.

Sur les exigences des professeurs en matière d’évaluation, Pierre Merle[11] rappelle que « les recherches sur la notation ont montré l’existence de biais sociaux de notation. Les professeurs sont inconsciemment influencés par le sexe de l’élève, un redoublement éventuel, son âge, son origine sociale, son niveau scolaire, ses notes précédentes, le niveau de la classe, de l’établissement » et, plus étonnant encore, son prénom, comme l’indique une étude intitulée « Name Stereotypes and Teachers’Expectations » dans laquelle deux chercheurs nord-américains ont démontré que les enfants étaient évalués différemment selon la manière dont leur prénom était perçu par leurs enseignants. Il est ainsi apparu qu’une même rédaction se voyait attribuer une note statistiquement supérieure lorsque son «rédacteur» portait un prénom «socialement désirable»[12].

De même on sait que les professeurs tiennent compte des exigences de leurs collègues suivants pour décider du sort d’un élève[13].  

On rappellera toutefois que dans le cadre de l’étude menée par Chenu et al. (2011), deux tiers des institutrices de 3e maternelle (grande section) prenaient en compte les attentes plus ou moins explicites de l’enseignant de première primaire (CP) en termes de maintien. La prise en compte des attentes implicites des collègues de la classe supérieure n’est pas l’apanage exclusif des institutrices de 3e maternelle. Comme le précise Marcel Crahay, « pour un professeur, l’évaluation est aussi un élément crucial dans sa relation avec ses collègues. Au moment de décider de la réussite ou de l’échec des élèves, il est confronté à un dilemme […] : faire échouer un élève dont le niveau de performance est à la limite de ce qu’il croit devoir exiger, c’est courir le risque d’interrompre inutilement la scolarité d’un élève, mais cette erreur possible […], il est fort peu probable qu’on la lui reproche. En revanche, laisser réussir ce même élève, c’est prendre le risque qu’il se montre incapable de suivre l’enseignement du collègue de la classe supérieure ; et là, la probabilité des reproches venant de collègues est bien plus élevée. On touche ici au cœur même de ce qu’il faut bien appeler une culture de l’échec. Un professeur chez qui tous les élèves réussissent est suspect.[14] »

Au quotidien, ces attentes prennent probablement des formes implicites, tacites. On peut penser que c’est aussi par empathie avec le collègue de l’année suivante que certains professeurs décident de ne pas laisser passer un enfant dont la gestion des difficultés risque d’être très lourde pour son collègue[15]. Marcel Crahay cite ensuite différents travaux qui montrent que quand l’enseignant monte avec sa classe, le redoublement est quasi-nul[16].

En résumé, la décision d’un redoublement ne dépend pas des performances d’un élève, mais avant tout des « exigences » du ou des professeurs qui sont, comme on l’a vu, fortement influencées par le niveau de l’école, de la classe et les caractéristiques socioéconomiques et physique de celui -ci. Elle dépend aussi des attentes implicites ou explicite des collègues de la classe supérieure.


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Chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] OpinionWay. Le redoublement à l’école, quels ressentis des enseignants et des parents. Sondage, Novembre 2012. URL http://www.apel.fr/images/stories/apel-opinionway-redoublement.pdf.

[2] Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin. Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire. Rapport 14, Haut conseil de l’évaluation de l’école (HCéé), Décembre 2004.

[3] Thierry Troncin. Le redoublement : radiographie d’une décision à la recherche de sa légitimité. Dijon, Université de Bourgogne, 582 p., Thèse de doctorat, sous la direction de Jean-Jacques Paul. 2005.

[4] Rappelons qu’en Belgique, les parents ont le droit de s’opposer au redoublement tout au long de l’enseignement fondamental. Le CEB (Certificat d’Etudes de Base) que l’on passe à 12 ans est le seul moment de certification et donc de possibilité de redoublement pour un élève. 

[5] Géry Marcoux et Marcel Crahay. Mais pourquoi continuent-ils à faire redoubler ? essai de compréhension du jugement des enseignants concernant le redoublement. Revue suisse des sciences de l’éducation, 30 : 501–518, 2008.

[6] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[7] Géry Marcoux et Marcel Crahay. Ibid.

[8] Nous rappelons que nous faisons une différence fondamentale entre professeur et enseignant. Le professeur, pratique la sélection dans une compétition mortifère, tandis que l’enseignant enseigne… donc vise l’acquisition de tous les savoirs chez tous les élèves. Bref, la « réussite » de tous, contrairement au premier qui, de son côté, n’est pas formé ou ne s’est pas auto-formé pour enseigner. Pour savoir dans quelle catégorie vous situer, demandez-vous si vous pratiquez ou non le redoublement.

[9] Géry Marcoux et Marcel Crahay, Mais pourquoi continuent-ils à faire redoubler? Essai de compréhension du jugement des enseignants concernant le redoublement – Université de Genève, Université de Genève, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, 2008

[10] L’idée étant bien de s’assurer que tous les élèves, les plus « faibles » compris, aient acquis un niveau de compétences élevé.

[11] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes

[12] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes

[13] Chenu, F., Dupont, V., Lejong, M., Staelens, V. Hindryckx, G., & Grisay, A. (2011). Analyse des causes et des conséquences du maintien en 3e maternelle. Rapport de recherche. Administration Générale de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique.

[14] Crahay, M. (1996). Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? (1re éd.). Bruxelles : De Boeck.

[15] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[16] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian, ibid.

Le redoublement – Dossier pédagogique

Le redoublement – Dossier pédagogique

Le redoublement est, avec les orientations précoces, le signe le plus visible de l’échec scolaire. La Belgique, et plus spécifiquement la Fédération Wallonie-Bruxelles, est constamment sur le podium des pays de l’OCDE qui font redoubler massivement et cassent[1] le plus d’élèves. Chaque année un peu moins de 60 000 élèves sont contraints de perdre une année de leur vie à recommencer une classe, 17 000 sont orientés précocement vers des filières de relégation dont ils ne veulent pas (spécialisé, technique ou professionnel) et un peu moins de 20 000 étudiants abandonnent sans diplôme du secondaire supérieur, complètement cassés par des échecs successifs générés par un enseignement trop souvent inefficace. Ils sont 14,8% en Région de Bruxelles-Capitale et 10,3% en Région wallonne ( contre 6,8% en Région flamande, soit 8,8% au niveau belge) [2] .

Même si la communauté scientifique débat sur la pertinence de leurs conclusions, les recherches sur les effets du redoublement montrent qu’au mieux, celui-ci est inefficace, au pire, c’est de la maltraitance[3]. Non seulement, il ne permet pas à un élève de « repartir du bon pied », mais il a l’effet inverse : un redoublement décourage, démotive et induit le « sentiment d’incompétence acquis » qui va bloquer le jeune, non seulement tout au long de ses études, l’empêchant d’apprendre, mais sans doute aussi le bloquer psychologiquement tout au long de sa vie professionnelle.

Comment se fait-il qu’au XXIe siècle (bien entamé) des professeurs considèrent encore que le redoublement soit efficace pour remettre l’élève à « niveau » ? Les résultats des pays en tête des enquêtes PISA ont largement démontré depuis des décennies que c’est le non-redoublement et son remplacement par des pratiques pédagogiques validées qui leur permettent d’afficher de tels taux de réussite. Pour les enseignants de ces pays, le redoublement est comparé aux supplices médiévaux et ils n’imaginent pas que des systèmes scolaires qui se disent développés utilisent encore de telles pratiques barbares.

Mais comme ces valeureux gaulois, nous résistons encore et toujours aux pratiques pédagogiques efficaces. C’est moins fatigant ; il ne faut pas enseigner, il suffit de casser de l’élève…

Quelle est l’importance du redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles ?

Comme le rappellent les indicateurs de l’enseignement, en Fédération Wallonie-Bruxelles, un enfant entre en première année primaire l’année civile durant laquelle il atteint 6 ans. Après un parcours de 12 ans, il devrait, en théorie, sortir de l’enseignement secondaire l’année de ses 18 ans. C’est loin d’être le cas le plus fréquent. Le pourcentage d’élèves à l’heure diminue de manière quasi linéaire dès la troisième maternelle[5] (M3). En cinquième et sixième années primaire (P5 et P6), près de 20 % des élèves sont en retard scolaire. En première secondaire (S1), le taux de retard s’élève à 29 %. Il est encore plus important en deuxième (36 %). En cinquième année, ce sont plus de 61 % des élèves qui ont dépassé l’âge légal de scolarisation.

L’abandon scolaire est un des effets du l’échec scolaire et par corrélation, du redoublement. En Fédération Wallonie-Bruxelles, parmi les élèves âgés de 15 à 22 ans en 2016‑2017 et qui fréquentaient une troisième, quatrième ou cinquième année de l’enseignement secondaire ordinaire de plein exercice en 2015‑2016, 5,1 % ne sont plus inscrits ni dans l’enseignement ordinaire de plein exercice ou en alternance (CÉFA), ni dans l’enseignement spécialisé en 2016‑2017[6].

Taux de redoublement, année après année, dans l’enseignement fondamental  et dans l’enseignement secondaire, en 2016-2017[7]

Chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] Même s’ils déplaisent –  et tant mieux s’ils choquent – nous utilisons intentionnellement des mots forts car ce sont les seuls à exprimer combien le redoublement est une véritable maltraitance et a des effets dramatiques sur l’avenir de nombreux élèves. Pour rappel, nous défendons les droits humains et ne sommes donc pas dans le consensus, mais dans un combat contre l’obscurantisme A-pédagogique (notez l’ἄλφα privatif) qui règne dans de nombreuses écoles et chez de nombreux professionnels.

[2] http://accrochagescolaire.brussels/le-ba-ba-de-laccrochage/indicateurs

[3] « Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées. » Le Tartuffe, III, 2 (v. 860-862)

[3] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2016/11/02/lechec-scolaire-est-une-maltraitance/   (Texte qui date de 2010)

[4] Source : Indicateurs de l’enseignement 2018 – En troisième maternelle, le taux de retard est le rapport (%) entre le nombre d’élèves de 6 ans et plus inscrits en maternel et le nombre d’élèves âgés de 5 ans et plus inscrits en maternel.

[5] Source : Indicateurs de l’enseignement 2018

[6] Source : Indicateurs de l’enseignement 2018

[7] La sixième primaire présente le taux de redoublants le plus bas. Cela peut s’expliquer par le fait que, sauf dérogation, les élèves de 13 ans ou ayant déjà redoublé en primaire passent directement en secondaire. Aussi, le taux d’obtention du CEB et l’entrée dans le premier degré différencié peuvent également expliquer les fluctuations du taux de redoublants observées en sixième primaire.

[8] Le faible taux de redoublants s’explique par la récente suppression de la première année complémentaire (1S). Parallèlement, le taux de redoublants est en nette augmentation pour les élèves qui fréquentent une deuxième.

Analyse : L’intégration en enseignement inclusif : une question de droits. 2e partie

Analyse : L’intégration en enseignement inclusif : une question de droits. 2e partie

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L’école inclusive, une obligation pour l’institution scolaire ?

La Belgique a signé la Convention et a ratifiée la Convention ONU. Celle-ci entrée en vigueur en 2009. Depuis, la Belgique s’est engagée à respecter l’ensemble des droits qui sont repris dans la Convention, tout comme elle s’est engagée à respecter toutes les obligations qui en découlent, dont le droit fondamental des enfants à bénéficier d’un enseignement inclusif. Il ne s’agit plus, ici, de petits arrangements internes à la Communauté française qui s’est mitonnée un Pacte a minima, mais d’engagements internationaux qu’elle doit respecter. Et ceux-ci ne sont pas a minima.

Cet article 24 s’applique-t-il immédiatement ? Evidemment que non. On ne peut pas mettre immédiatement un enseignement inclusif en place. Depuis 2009, 3000 élèves, seulement, ont pu bénéficier de l’intégration qui est un premier pas vers l’école inclusive.  Il faudra encore des années pour que l’école le devienne réellement (même si des initiatives se mettent en place). Il s’agit d’une réalisation progressive. Cependant, la Belgique a une « obligation spécifique et continue d’avancer aussi promptement et effectivement que possible vers la pleine réalisation de l’article 24[10] »

En attendant la réalisation d’un enseignement inclusif, la non-discrimination et les aménagements raisonnables sont une obligation immédiate au sein de chaque école, de chaque classe.

La Communauté française, une bonne élève ?

Le Comté ONU des Personnes handicapées, composé d’experts en matière de handicap, veille à l’application au niveau international de la Convention et donc au respect de l’engagement de chaque Etat. Le Comité ONU a dit être « préoccupé » parce que l’éducation inclusive n’était pas garantie en Belgique. Le Comité a constaté qu’il y avait un manque d’aménagements raisonnables au sein de l’école ordinaire, ce qui fait que de trop nombreux élèves sont orientés vers l’enseignement spécialisé. Le Comité recommande à la Belgique d’avoir une stratégie cohérente pour aller vers une école inclusive. Le Comité a relevé la « persistance de défis importants quant à l’application intégrale du droit à l’éducation inclusive pour les personnes handicapées ». Le Comité relève que l’enseignement spécialisé laisse les enfants en situation de handicap isolés des autres enfants et précise que c’est une obligation non « compatible avec le soutien de deux systèmes d’éducation : système d’éducation ordinaire et spécialisé/ségrégé ».

Et l’avenir de l’enseignement spécialisé, dans tout cela ?

L’avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence considère comme essentiel de favoriser l’inclusion[11] ou le maintien dans l’enseignement ordinaire d’élèves présentant des besoins spécifiques, moyennant des aménagements raisonnables, et d’encourager l’intégration totale ou partielle d’élèves de l’enseignement spécialisé dans l’enseignement ordinaire, moyennant un soutien spécifique de la part des acteurs de l’enseignement spécialisé, tout en « préconisant » de développer une approche évolutive propre à l’école inclusive (…), réduire le nombre d’élèves dans l’enseignement spécialisé au bénéfice de l’enseignement ordinaire (…), la réforme de l’ « orientation », la réforme du mécanisme de l’intégration ; la refonte de l’enseignement spécialisé de type 8, et la suppression progressive de l’envoi dans le spécialisé des enfants « Dys » (…) etc.

Il est clair que les travaux du Pacte ont intégré les recommandations de l’ONU et visent à faire collaborer les deux systèmes d’enseignement : ordinaire et spécialisé. Mais c’est un engagement a minima qui ne concerne en priorité que les élèves dirigés vers l’enseignement de type 8 et qui ne devraient pas s’y trouver. Pourtant, nous pouvons considérer que de moins en moins d’enfants en situation de handicap intègreront l’enseignement spécialisé. En effet, les familles de plus en plus nombreuses réclament les droits de leurs enfants et l’accès pour ceux-ci à une société inclusive et ce, quel que soit leur handicap. Cela commence, bien évidemment, par une école inclusive. Dès lors, nous n’avons pas trop le choix, nous devrons nous adapter et adapter nos pratiques pédagogiques. Soit en devenant une classe inclusive et donc en accueillant des enfants porteurs de handicaps physiques et/ou intellectuels, soit, comme enseignante spécialisée, en accompagnant ces enfants au sein de classes inclusives.

Il y a, fort heureusement, peu de chances que l’enseignement spécialisé ne disparaisse à court ou moyen terme. Il faudra des décennies pour que les enfants porteurs de handicaps plus importants aient accès à un enseignement inclusif. Ce seront, en priorité, les élèves avec difficultés d’apprentissage qui seront les premiers à bénéficier de ce type d’enseignement et d’enfants porteurs de handicaps physiques ou de déficiences intellectuelles légères.

La suppression de l’enseignement spécialisé serait, par ailleurs, une hérésie absolue. On sait combien l’enseignement « ordinaire » est peu spécialisé et combien les élèves à besoin spécifique y rencontrent des difficultés. Il suffit de voir le taux d’orientations vers l’enseignement spécialisé de type 8. Actuellement, de nombreux enseignants spécialisés sont déjà dans les classes ordinaires. Ils y accompagnent les élèves en intégration, en soutien des enseignants de l’ordinaire. Le mouvement ira en s’accélérant au fur et à mesure des intégrations. L’enseignement spécialisé ne disparaîtra probablement pas, mais il changera profondément avec l’intégration scolaire.

La question qui mérite le débat n’est pas de savoir si nous sommes formés pour cela ou non, pas plus de savoir si ce sera un nivellement par le bas ou non[12], mais bien de savoir si nous allons subir ce changement ou être les vecteurs de ce changement[13].

Ainsi que vous l’avez lu, l’école inclusive est en marche et ne fera pas marche arrière. On peut, évidemment, mener des combats d’arrière-garde qui, n’en doutons pas, feront traîner quelques années l’école pour tous. Mais ce ne sera ni au bénéfice de ces enfants, ni au bénéfice des enseignants. Il est donc important que nous réfléchissions à la manière de transformer nos classes en classes inclusives et nos écoles en écoles inclusives.

Nombre d’entre nous font de l’inclusion sans le savoir, mettant déjà des aménagements raisonnables en place, qui permettent à de nombreux élèves ayant des difficultés d’apprentissage et donc qui sont en situation de handicap, de progresser, d’avancer et d’acquérir des savoirs sans – surtout – passer par la case « échec » : remédiations, tutorat, temps additionnel, coopération, empathie, droit à l’erreur, cercles de lecture, pédagogies actives, conseils de coopération, etc…, toutes ces choses qui sont devenues habituelles au point qu’on ne les remarque plus mais qui font que nombreuses sont les classes où les aménagements raisonnables sont en place, sans que l’on nous l’ait jamais demandé.

Il est donc essentiel que nous n’attendions pas que le changement nous bouscule, mais de nous y préparer en faisant progressivement de nos classes, déjà, des classes inclusives.

La « démission parentale », mythe ou réalité ?

La « démission parentale », mythe ou réalité ?

INTRODUCTION

Si la place des parents dans l’institution scolaire a évolué au fil du temps, elle n’a cessé d’être un questionnement pour tous les acteurs éducatifs concernés. Le discours sur la démission des parents est récurrent et vise particulièrement les familles populaires les plus démunies face à la scolarité de leurs enfants.

L’investissement scolaire des parents ne semble pas suffisamment conforme aux attentes de l’institution scolaire et des enseignants qui attendent que les parents soient des auxiliaires de l’école, capables de prolonger et de renforcer son action éducative. Ils déplorent qu’une partie des parents ne signe pas le journal de classe, ne vient pas aux réunions de l’école, n’aide pas assez les enfants dans les tâches scolaires.

Dès lors et avec tous ces signes concordants, pour de nombre de politiques, de médias, d’éducateurs, de professionnels de l’école et même de certains parents qui en jugent d’autres, il ne faut pas chercher plus loin : c’est bien la faute aux familles qui font mal leur boulot de parents. Leur « démission » apparaît donc évidente.

DEVELOPPEMENT

Pendant longtemps, l’École n’avait pas d’attente vis-à-vis des familles, tout simplement parce qu’elle cherchait à sortir les enfants de leur milieu social et culturel peu érudit pour en faire des citoyens instruits, sans le concours de leurs parents.

A partir du début des années 70, la massification de l’enseignement ne s’est pas accompagnée de sa démocratisation, engendrant une problématique nouvelle, celle de l’échec scolaire. Face à la difficulté de faire réussir tous les enfants, la question de la place et du rôle des parents a pris une place croissante.  

Ceux-ci ont alors été reconnus comme membres de la communauté éducative avec, en contrepartie, l’injonction subliminale de suivre la scolarité de leur enfant de manière assidue et efficace. Ce qui n’a pas été véritablement suivie d’effet, au regard des professionnels de l’éducation.

Pourquoi certains parents ne cherchent-ils pas à s’investir plus, même quand ils y sont «  incités  » ? L’explication la plus commode, qui élude la remise en question de l’échec de notre système éducatif, est trop souvent celle de la démission parentale. Les parents sont perçus comme responsables de l’échec de leur enfant. Il s’agirait donc de parents qui ne s’investiraient pas suffisamment dans le suivi et l’encadrement scolaire de leurs enfants.

Devenue une représentation sociale culpabilisante, la « démission parentale » est fortement vécue comme stigmatisante et injuste par les parents concernés. En effet, dans l’imaginaire collectif, elle est synonyme pêle-mêle de laxisme et de mauvaise maîtrise des savoirs éducatifs. La personnalité des parents, leur manque de savoir-faire ou encore leurs problèmes de couple seraient à l’origine des difficultés scolaires de l’enfant. Dans de telles conditions, comment demander à des familles qui se sentent négativement perçues par l’école d’y entrer et d’y trouver leur place ?

Au contraire, la recherche montre la place centrale qu’a l’école pour les familles populaires. Celles-ci ont bien compris qu’avec le chômage et la précarité qui les frappent, non seulement l’école offre la chance principale de levier social pour leurs enfants, mais aussi qu’elle ne peut être négligée sans courir un risque d’être socialement disqualifiées.

L’inquiétude des familles concernant les résultats scolaires de leurs enfants se traduit par de nombreuses tentatives de mobiliser diverses ressources comme les écoles des devoirs. Ceci démontre bien l’implication de ces parents issus de milieux défavorisés qui n’ont souvent ni les moyens financiers de payer des cours privés, ni les compétences pour aider leurs enfants, ni les codes de l’école nécessaires pour faire face aux difficultés scolaires. Quel parent ne voudrait-il pas voir son enfant réussir sa vie scolaire ou ne verrait pas, dans la réussite de son enfant, la preuve de sa propre réussite éducative ? 

Il est un constat assez parlant de cet engagement parental. Depuis de nombreuses années, il est pour ainsi dire devenu impossible de trouver une place dans les 346 écoles de devoirs[1] en Fédération Wallonie-Bruxelles. Les listes d’attente s’allongent au grand dam des familles angoissées.

On retrouve la même tendance à incriminer les parents dans les cas de délinquance. Les parents seraient incapables de contenir et de prévenir les premières dérives des jeunes.

Pourtant une étude de la sociologue Laurence Giovannoni[2] montre que le mode éducatif en jeu dans l’accusation de « démission parentale » ne constitue qu’un facteur parmi d’autres dans le processus de délinquance juvénile. Il se combine à d’autres déterminants sociaux, tels une situation socioéconomique difficile et un rapport conflictuel et douloureux à l’institution scolaire.

L’étude souligne que plus d’un quart des familles de mineurs délinquants présente « un bon cadre éducatif ». Un autre quart des familles étudiées rencontre des difficultés relationnelles. Elles ne peuvent cependant pas être désignées comme « démissionnaires », dans la mesure où elles font explicitement appel, comme évoqué plus haut, aux structures d’assistance éducative. Ces parents se trouvent souvent démunis face à l’influence des autres élèves, face à la personnalité propre à leur enfant, à leurs difficultés à gérer sa période d’adolescence et aussi à leur manque de dialogue avec le corps enseignant[3].

Pour mieux comprendre cette représentation de « parent démissionnaire », tournons-nous vers son exact opposé, le parent méritant :

Toujours souriant, toujours à l’heure, impliqué dans l’éducation de son enfant et dans sa scolarité, sans jamais être envahissant, disponible, mobilisé, impliqué, le parent méritant a un travail. Ceci est important car, grâce à ce travail, il ne va pas étouffer son descendant de sa présence. Un travail valorisant et à responsabilités pour que son enfant puisse avoir un modèle sur lequel se projeter. Mais cette activité ne lui prend pas trop de temps non plus, afin qu’il puisse consacrer à son enfant un temps suffisant pour son développement et son équilibre affectif.

Le parent reçoit en retour les fruits de son investissement. Son enfant est poli, intéressé par l’école, ses devoirs sont toujours faits, ses cahiers bien tenus, il n’oublie jamais ses affaires, dort suffisamment toutes les nuits, ne s’ennuie jamais en classe, ne bouscule pas ses camarades, mange des fruits et légumes tous les jours. Idéalement, l’enfant pratique également un certain nombre d’activités extrascolaires mais sans que cela n’empiète sur son temps de classe.

Bref, l’idéal type du parent méritant est cadre, avec des moyens financiers et culturels conséquents mais avec un emploi du temps suffisamment léger pour ne pas être un parent absent.

Inutile de dire que la représentativité de ces «  parents idéaux  » dans l’ensemble de la population scolaire est nettement minoritaire[4], voire inexistant.

A l’opposé, on constate que la grande majorité des parents ne dispose pas du temps suffisant, du fait des conditions de vie professionnelles et familiales précaires et contraignants. A cet aspect s’ajoute la modestie relative du capital culturel effectivement mobilisable chez les parents peu instruits et/ou en situation de pauvreté qui les rend tout simplement incapables de soutenir leurs enfants autant que l’école attend d’eux. C’est encore plus le cas dans les familles primo-migrantes qui ne maîtrisent pas le français et ne connaissent pas le fonctionnement de l’école. 

Loin d’être  « absents » ou « démissionnaires »,  ces parents doivent lutter, souvent au quotidien, pour subvenir aux besoins primaires de leur famille.

Jeter la pierre sur ces parents contribue à cacher le vrai problème de notre système éducatif en Fédération Wallonie-Bruxelles qui est fortement inégalitaire. Les difficultés scolaires sont liées, en grande partie, à l’origine socio-économique des élèves : 74 %  des élèves de 16 ans issus de milieux moins favorisés accusent un retard scolaire contre 35% dans les familles plus favorisées[5].

Philippe Meirieu le disait très bien en 1997 déjà : « Nos villes, nos écoles et nos jeunes sont ainsi traversés par une frontière Nord-Sud. Certains enfants vivent avec un cerveau à deux hémisphères sociaux. L’un gère la pauvreté, les urgences de la survie immédiate, la débrouille au moindre coût, la famille patriarcale ou matriarcale ; l’autre les mathématiques et la physique (…)[6] » 

Les mondes politique, économique et scolaire continuent de fonctionner comme s’il y avait toujours un parent à la maison pour harmoniser les horaires à une époque où le contexte social et économique leur impose de travailler tous les deux. Et que dire des familles monoparentales ? Que dire du ou des parents dont l’enfant est orienté vers l’enseignement spécialisé sachant que l’offre d’établissements de proximité est aléatoire et impose souvent de longs déplacements[7].

Deux parents qui travaillent doivent composer avec des rythmes scolaires et professionnels très différents : l’école primaire impose un horaire, l’école secondaire un autre et le travail de chaque parent en impose un autre encore !

Des parents qui sont déjà suffisamment occupés de leurs côtés et qui doivent s’occuper de jeunes dont l’identité ne se résume plus à celle de l’élève et pour qui l’école n’est plus le centre d’intérêt principal. Ces parents doivent alors gérer leur temps dans un espace-temps éclaté. Une brèche dans laquelle s’est infiltrée la sphère marchande qui met enfants et jeunes en valeur et surtout sous influence, en créant de nouveaux « besoins » de consommation. Depuis plusieurs années déjà, un problème supplémentaire bouscule un peu plus les rapports intrafamiliaux, c’est celui de la culture numérique. Smartphones, tablettes, ordinateur, réseaux sociaux, jeux vidéo ont envahi le quotidien et le temps des jeunes qui n’ont jamais été aussi connectés aux écrans et au monde virtuel. Parallèlement, ils n’ont jamais été aussi déconnectés du monde réel: selon un sondage Ifop réalisé en France en 2013 déjà, 78 % des jeunes des moins de 25 ans se disent dépendants aux smartphones ! 

En Belgique comme en France, on parle maintenant de pratique invasive et même addictive à l’écran au même titre que la drogue. Le problème est tel qu’il est devenu un enjeu de santé publique (problèmes d’agressivité, de troubles de sommeil, de vue, de stérilité,…). Une situation qui se répercute fortement sur les rapports entre enfants et parents, créant de nouvelles sources de tensions entre eux. Un nombre croissant de ces derniers se sente démunis au point qu’on entend maintenant parler de burn-out parental. Selon une étude publiée en novembre 2018 par la Ligue des familles[8], six famille sur dix déclarent avoir de grosses difficultés à concilier leur vie de famille et leur vie professionnelle, s’ils en ont une !

Nombreux sont les parents qui se sentaient déjà démunis face à leur perte d’autorité car il convient de prendre en compte que « dans la majeure partie des cas, les facteurs de pauvreté et d’environnement social sont déterminants : ce sont eux qui ruinent la capacité de contrôle des parents [9]».

Avec tous ces constats, peut-on encore sérieusement tenir ce jugement simpliste de « parents démissionnaire »?

Les enseignants semblent de plus en plus conscients de ces facteurs qui compliquent la fonction parentale, surtout quand eux-mêmes sont confrontés à ces difficultés en tant que parents. Grâce notamment au soutien entre autres des écoles des devoirs et en général du tissu associatif qui favorise le dialogue entre enseignants et parents, ceux-ci ne demandent qu’à être mieux informés sur les programmes et les objectifs pédagogiques de l’école avec un langage accessible pour eux.

Face à toutes les difficultés qu’éprouvent les familles à assumer leur rôle, face aux diversités grandissantes des formes de familles qui vont de la monoparentalité à l’homoparentalité en passant par les familles recomposées, un nombre grandissant de parents fait appel aux services de soutien à la parentalité.

Des mesures d’aide qui vise à accompagner, à aider les parents à éduquer leurs enfants et à subvenir à l’ensemble de leurs besoins éducatifs, affectifs, scolaires, culturels et sociaux. Le site ‘parentalite.be’ est né de cette volonté des différents ministres du gouvernement de la FWB de « répondre de manière positive aux enjeux posés par l’exercice, souvent difficile, de la parentalité. »[10]

Aujourd’hui, une série d’organismes est à la disposition des parents pour les aider à assurer leurs fonctions et ce dès la naissance de leur premier enfant (ONE, maisons de la parentalité, associations de parents, associations dispensant des formations de français, de cours d’informatique, d’alphabétisation, …).

Ces centres et ces activités qui leur sont réservés répondent à des besoins spécifiques et contribuent à renforcer leur « accrochage » en tant que parents.

Ailleurs dans le monde, de telles structures existent depuis fort longtemps. En France, le contrat de réussite on a été créé il y a près de vingt-cinq ans déjà. Celui-ci vise à ouvrir l’école sur le quartier pour créer les conditions d’un partenariat efficace. Il organise également des campagnes de valorisation de l’éducation et de l’école, avec comme objectif d’inciter les parents et les communautés à s’impliquer dans la scolarisation des enfants et jeunes.

 Il existe aussi un dispositif appelé la « mallette des parents » qui vise à un plus grand dialogue avec les parents, en les informant sur une meilleure connaissance de l’école et de son fonctionnement.

Depuis 2013, un modèle partenarial institutionnel a vu le jour qui s’est concrétisé par une loi appelée Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République etqui évoque une redynamisation du dialogue entre école, parent, collectivité territoriale et secteur associatif et affirmant que « la promotion de la coéducation est un des principaux leviers de la refondation de l’école. »[11]

Au Québec, il existe depuis les années 60 une collaboration et un partenariat étroits entre communautés éducatives (enseignants-parents-associations). Cette collaboration propose un modèle éducatif plus proche de la notion de coéducation, basée sur une conception partagée de la réussite scolaire en visant aussi le développement personnel et une meilleure insertion professionnelle du jeune.

Dans les pays scandinaves ou au Québec, on a compris depuis fort longtemps que l’implication des parents est fortement corrélée à la performance scolaire de leurs enfants[12], comme d’ailleurs tous les travaux de recherches le montrent.

Des modèles d’implication des parents dans la vie de l’école existent, comme celui proposé par le psychosociologue Jean Epstein et qui peut se traduire par des modes de partenariat visant à aider les familles dans leur rôle de soutien et les écoles dans leur rôle de compréhension des familles.

L’école a donc tout intérêt à s’ouvrir réellement à la mixité sociale et culturelle des familles, à la prise en compte des difficultés rencontrées par les parents, selon un mode bienveillant, traduisible au quotidien par des lieux passerelles pouvant accueillir des parents avec des horaires moins contraignants pour eux et les enseignants à différents moments de l’année, dans des cadres moins rigides, avec des activités périscolaires sollicitant les compétences parentales et destinés à « construire un corpus commun de valeurs éducatives à l’école et aux familles »[13]

CONCLUSION

Il est difficile de croire à l’arrivée sur le « marché familial » d’une génération spontanée de parents démissionnaires inaptes à éduquer leurs enfants. Le problème est bien plus complexe que ce que le slogan facile de la « démission parentale » tend à faire croire. Bon nombre d’enquêtes le confirment[14], rares sont les parents qui ne se soucient pas du parcours de leur enfant.

Malgré cela, la conviction d’une démission éducative des parents en situation socio-économique difficile n’en reste pas moins fortement ancrée à tous les niveaux du système éducatif. Un système qui ne s’est pas encore remise en question et qui a du mal à s’adapter aux évolutions de la société et des familles. Cette évolution résulte aussi de la complexité grandissante de la fonction éducative, de l’engagement professionnel des deux parents, de l’instabilité et de la précarité sociale et culturelle des familles de milieux populaires.

Lorsque la position sociale de la famille contredit de fait la promesse d’un destin social acceptable, pourquoi le jeune prendrait-il vraiment au sérieux ses parents dont il est loin de voir en eux un modèle? [15]  

Lutter contre l’échec scolaire et l’impuissance passe naturellement par la lutte contre la précarité.

Un nombre non négligeable de ces parents se sente dépassés car confrontés à des difficultés de vie qui sont souvent incompatibles avec l’exercice de leurs responsabilités parentales.

Pour y faire face, des organismes ont été créés et sont, le plus souvent, subventionnés par les pouvoirs publics en vue de soutenir les parents dans leur fonction avec l’objectif de leur proposer des espaces de discussion, d’échanges et de formations, en veillant à éviter des modèles ou des normes éducatifs.

Le monde associatif a bien saisi l’importance de ce soutien parental : de nombreuses associations dispensent parallèlement aux écoles de devoirs, des ateliers de calcul, d’alphabétisation, de langues, d’initiation à l’informatique et de nombreuses activités culturelles. Ces activités répondent aux attentes et besoins de ces parents et contribuent à renforcer leur « accrochage » face à l’éducation et à la scolarité de leur enfant.

Affirmer que la soi-disant « démission parentale » est responsable de l’échec scolaire, c’est avant tout placer la responsabilité éducative sur le dos uniquement des parents, ce qui déresponsabilise bien trop facilement l’ensemble des adultes présents à l’école. Le personnel des écoles de devoirs, des services d’accueil extrascolaire (dont les garderies scolaires) sont tous concernés par l’éducation des enfants et la transmission des règles de savoir-vivre. Tous ont leur rôle à jouer.

Concernant le rôle dévolu aux parents, Edmund Bergler conclut son étude en ces termes : « Tout ce que l’on peut raisonnablement attendre des parents est qu’ils fassent de leur mieux pour les enfants. »[16]


[1] http://www.ecolesdedevoirs.be/qui-sommes-nous

[2] Laurence Giovannoni, « La démission parentale facteur majeur de délinquance : mythe ou réalité ? », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°5, printemps 2008.

[3] Mahy Ch. Parents pauvres au quotidien, in Revue Politique, Revue de débat, num. 68 janvier-février 2011.

[4] Indicateurs de l’enseignement 2019, page 26,27

[5] Ibid.

[6] MEIRIEU PH.,GUIRAUD M.,L’école ou la guerre civile, Plon,Paris,1997

[7] FAPEO, Joëlle Lacroix – Ne cherchez plus, c’est la faute aux parents, 2011

[8] https://www.rtbf.be/info/societe/detail_burn-out-parental-20-des-parents-se-disent-au-bord-du-gouffre?id=10060492

[9] L.Mucchielli, La démission parentale en question : un bilan de recherches, Centres de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions pénales, Bulletin d’information, France 2000.

[10] https://parentalite.be/

[11] Coéducation : quelle place pour les parents. Dossier de veille de l’IFE « num..98 », janvier 2015

[12] Ibid.

[13] Georges Fotinos, Le divorce école-parents en France, mythe et réalité en 2015, Enquêtes quantitatives auprès des directeurs d’école maternelle et élémentaire, des personnels de direction des lycées et collèges et des parents d’élèves.

[14] Travaux de B. Lahire, Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires, Paris, Gallimard/Seuil, 1995. D. Thin, Quartiers populaires. L’école et les familles, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1998.Ch. Mahy, Parents pauvres au quotidien, in, Revue politique, Revue de débats n° 68, janvier-février 2011. 

[15] L.Mucchielli, La démission parentale en question : un bilan de recherches, Centres de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions pénales, Bulletin d’information, France 2000.

[16] E. Bergler, Les parents ne sont pas responsables des névroses de leurs enfants. La peur injustifiée des parents de commettre des erreurs, édit. Payot, 2001, sur http://www.megapsy.com/autre_bibli/biblio010.html

Analyse : Les aménagements raisonnables

Analyse : Les aménagements raisonnables

Qu’est-ce qu’un aménagement « raisonnable » ?

La notion d’aménagement raisonnable est une notion de Droit qui vise à favoriser l’égalité et la non-discrimination pour les personnes en situation de handicap. Il s’agit de créer une exception au profit d’une personne afin qu’elle puisse bénéficier des mêmes droits et d’un accès aux mêmes services que les autres.

Selon l’ONU, on entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme (ou droits humains NDLR) et de toutes les libertés fondamentales[1].

Unia, l’ancien-Centre pour l’Egalité des Chances et la lutte contre le racisme en donne la définition suivante : Un aménagement raisonnable est une mesure concrète permettant de réduire, autant que possible, les effets négatifs d’un environnement inadapté sur la participation d’une personne en situation de handicap à la vie en société[2].

Pourquoi parle-t-on d’aménagements raisonnables ? Il y a-t-il des aménagements non-raisonnables ?

Oui !

Le monde dans lequel nous vivons est, hélas, loin d’être parfait et certains aménagements nécessaires peuvent s’avérer trop coûteux, trop envahissants ou impossibles. La mise en place d’un ascenseur pour permettre à un·e élève à mobilité réduite d’aller dans une classe au 3e étage, s’avère par exemple, financièrement impossible pour de nombreuses écoles, voire impossible dans la structure d’un bâtiment donné.  Le terme « raisonnable » doit être évalué à l’aune de différents critères comme le coût, la fréquence et la durée prévue de l’aménagement, l’impact sur l’organisation, l’impact de l’aménagement sur l’environnement des autres élèves et l’absence ou non d’alternatives[3].

Les aménagements raisonnables à l’école

C’est le Décret du 7 décembre 2017, « relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques » qui impose la mise en place d’aménagements raisonnables pour les élèves à besoins spécifiques, depuis le 1er septembre 2018.

Pourquoi un Décret « Aménagements raisonnables », alors qu’il y avait déjà un Décret « Anti-discrimination » ?

Malheureusement, il a été constaté que des écoles contournaient le Décret antidiscrimination[4]. Celui-ci imposait déjà les aménagements raisonnables, mais n’était que trop peu appliqué. Il précisait pourtant que «  les  aménagements  raisonnables  sont  des  mesures  appropriées,  prises  en  fonction  des  besoins  dans  une  situation  concrète,  pour  permettre  à  une  personne  handicapée  d’accéder,  de  participer  et  de  progresser  dans  les  domaines  visés  à  l’article  4[5],  sauf  si  ces  mesures  imposent  à  l’égard  de  la  personne  qui  doit  les  adopter  une  charge  disproportionnée.  Cette  charge  n’est  pas  disproportionnée  lorsqu’elle  est  compensée  de  façon  suffisante  par  des  mesures  existant  dans  le  cadre  de  la  politique publique menée concernant les personnes handicapées[6] ». Enfin, il insistait en précisant que « toute  discrimination  fondée  sur  l’un  des  critères  protégés  est interdite.[7] ». Malgré cela, de nombreux enfants ne bénéficiaient pas d’aménagements raisonnables, malgré la demande insistante des parents et le rappel du Droit. Des écoles, des professeur·e·s prétextaient que « donner » des aménagements raisonnables à certains enfants aurait été discriminatoire par rapport à tous les autres ou que les enfants bénéficiant de certains aménagements raisonnables (ordinateurs, calculettes, …) pouvaient « tricher ».

Régulièrement, Unia a été contraint de rappeler à des écoles les droits de leurs élèves à besoins spécifiques. Dans un rapport de 2015, Unia précise que 20% des signalements introduits auprès du Centre en matière de handicap touchent à l’enseignement. Ces signalements augmentent d’année en année (31 signalements introduits en 2012, 62 en 2013, 87 en 2014) et 56,5% concernent un refus ou absence d’aménagements raisonnables[8].

Il fallait doc passer à la vitesse supérieure, d’autant que le Pacte pour un enseignement d’excellence prévoit «  le principe d’une démarche évolutive doit être à la base de l’organisation de l’école inclusive en FWB depuis l’enseignement maternel et jusqu’à la fin de la scolarité de l’enfant, en confirmant le droit de chaque élève d’être inscrit dans l’enseignement ordinaire, sans possibilité de refus d’inscription au motif que l’école nécessiterait des aménagements raisonnables ou que l’enfant ne serait pas capable d’assimiler la matière enseignée[9] ». L’école inclusive est définie comme « permettant à un élève à besoins spécifiques de poursuivre sa scolarité dans l’enseignement ordinaire moyennant la mise en place d’aménagements raisonnables d’ordre matériel, pédagogique et/ou organisationnel ».

Mais tout n’est pas réglé pour autant. Un an après la mise en œuvre du Décret, l’Ufapec dénonçait le refus de certaines écoles d’appliquer le décret[10] : « Il n’y a pas une semaine qui passe sans que des parents (d’enfants à besoins spécifiques) nous appellent pour nous dire : on nous refuse un aménagement raisonnable! »

Qui peut bénéficier d’aménagements raisonnables ?

Tout élève de l’enseignement ordinaire, fondamental et secondaire, qui présente des « besoin(s) spécifique(s) », (…) est en droit de bénéficier d’aménagements raisonnables matériels, organisationnels ou pédagogiques appropriés (…)[11]. Cependant, le Décret ajoute un bémol qui empêche certains élèves de pouvoir en bénéficier, car il précise « pour autant que sa situation ne rende pas indispensable une prise en charge par l’enseignement spécialisé les dispositions du décret du 3 mars 2004 organisant l’enseignement spécialisé. ». Selon nous, cette restriction va à l’encontre de l’article 24 de la CIDPH[12] de l’ONU qui précise que « Les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les  autres,  avoir  accès,  dans  les  communautés  où  elles  vivent,  à  un  enseignement  primaire  inclusif,  de  qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire » également inclusif.

L’enseignement ségrégué (un enseignement qui place ses élèves à part / à l’écart de la société et ne leur fait pas apprendre avec les enfants dits « ordinaires », comme cela se passe dans notre enseignement spécialisé) n’est pas, par définition, un enseignement inclusif.

Qu’entend-on par élève à besoins spécifiques ?

Lorsqu’on parle de « besoins spécifiques », on parle en général de troubles qui font qu’un·e enfant a plus de mal à apprendre que la majorité des enfants de son âge, lorsqu’il/elle est dans une situation spécifique[13] (lecture, calcul, rester assis·e, dessiner, se représenter dans l’espace, …) ou d’enfants ayant un handicap ou une maladie qui les empêche d’apprendre comme les autres ou les gêne dans leurs apprentissages.

Le Décret précise les besoins spécifiques comme étant des « besoins résultant d’une particularité, d’un trouble, d’une situation permanents ou semi-permanents d’ordre psychologique, mental, physique, psycho-affectif faisant obstacle au projet d’apprentissage et requérant, au sein de l’école, un soutien supplémentaire pour permettre à l’élève de poursuivre de manière régulière et harmonieuse son parcours scolaire dans l’enseignement ordinaire, fondamental ou secondaire. »

Comment demander à l’école la mise en place d’aménagements raisonnables ?

Préalablement à la mise en place d’aménagements raisonnables, le Décret impose un diagnostic datant de moins d’un an[14]. C’est évidemment discriminatoire. Les parents d’un enfant dont un diagnostic daterait de plus d’un an – ce qui est fréquent – devront repasser par la case « Je dois payer » pour simplement voir confirmer que leur enfant a toujours une dyslexie (on a une dyslexie à vie), une dyscalculie (idem), une dyspraxie (re-idem), voire un autisme ou une surdité (re-re-re-idem). Il semble que Kafka soit passé dans ce Décret, histoire de ne surtout pas trop perturber les écoles. Rappelons que la détection d’un autisme prend… plus d’un an. Il est bien connu également, que les familles populaires ont de l’argent à dépenser à tire-larigot dans des tests répétitifs. Et dire que le Pacte pour un enseignement d’excellence a l’ambition de supprimer les orientations abusives d’enfants de familles populaires vers l’enseignement spécialisé. Pour cela, il faudra qu’elles aient les moyens de payer les diagnostics et que le Pacte ait la mesure de ses ambitions.

Une fois le diagnostic en main, Plusieurs actrices et acteurs peuvent demander la mise en places d’aménagements raisonnables :

  • Les représentants légaux de l’élève (s’il est mineur) ;
  • De l’élève (s’il est majeur) ;
  • Du CPMS ;
  • D’un·e enseignant·e membre du Conseil de classe ;
  • De la direction de l’établissement scolaire fréquenté par l’élève.

Les aménagements raisonnables sont alors obligatoirement mis en place. Il sont ensuite « élaborés et évalués, en fonction de la spécificité des besoins de l’apprenant et de leur évolution[15] ».

Cependant, rien n’interdit à un·e enseignant·e de mettre en place des aménagements raisonnables pour l’une ou l’un de ses élèves qu’elle/il estime porteuse/porteur d’un trouble spécifique des apprentissages, d’une maladie ou d’un handicap. Chacun·e peut (je dirais même… « doit ») se revendiquer de sa liberté pédagogique, dans l’intérêt supérieur d’un·e élève. Le mieux étant de mettre un/des aménagement·s raisonnable·s en place non pour un·e élève spécifique, mais d’en faire bénéficier toute la classe.

De nombreux·ses élèves n’ayant pas de « besoins spécifiques » éprouvent également des difficultés spécifiques d’apprentissages. L’un·e aura besoin de plus de temps pour comprendre, un·e autre aura besoin d’une aide individuelle dans un apprentissage spécifique (via le tutorat, par exemple), un·e dernière enfin aura besoin, pour apprendre, de se lever, de marcher, de s’asseoir par terre ou de silence total (qu’un casque anti-bruits peut permettre). Faire bénéficier tou·te·s les élèves de la mise en place des aménagements raisonnables fait que la classe/l’école « ordinaire » sera enfin en marche sur le chemin de la classe/école « inclusive ».

Comment les aménagements raisonnables sont-ils élaborés ?

Ceux-ci sont élaborés en fonction de la spécificité des besoins de l’enfant. Un enfant avec une dyslexie ou un autisme n’aura pas les mêmes besoins qu’un enfant mal-voyant, ou qu’un enfant hospitalisé devant suivre les cours par vidéo-conférence.

L’école doit organiser des réunions de concertation gérées par la direction, avec les différents partenaires impliqués dans la scolarité et les difficultés spécifiques de l’enfant, à savoir :

  • Les parents de l’élève (qui sont ceux qui le connaissent le mieux) ;
  • L’élève lui-même s’il/elle est majeur·e (obligation du Décret). Cependant, cela a du sens que l’enfant soit présent·e à ces réunions, même si elle/il est mineur·e. En effet, qui mieux qu’il/elle peut parler de ses difficultés ou facilités ? Malheureusement le Décret ne l’impose pas ;
  • La direction de l’école (ou sa/son délégué·e) ;
  • La/le tilulaire de la classe et les professeur·e·s concerné·e·s ;
  • Le CPMS de l’établissement ;
  • Un·e expert·e (membre du corps médical, paramédical, psychosocial ou d’un organisme public d’intégration des personnes en situation de handicap) peut être présent·e à la demande de l’élève si elle/il est majeur·e, ou par toute personne investie de l’autorité parentale ou qui assume la garde de fait de l’élève mineur. Cet·te expert·e « est susceptible d’éclairer les acteurs et partenaires sur la nature ou l’accompagnement des besoin(s) attesté(s) [16]».  Cette présence doit être acceptée par les autres partenaires institutionnels. Comme quoi, la mise en place d’aménagements raisonnables c’est bien, mais il ne faut pas trop bousculer l’école si elle ne le souhaite pas.

Sur base de ces réunions, la mise en place des aménagements raisonnables seront mis en place « dans les plus brefs délais[17] ».

Une fois que les aménagements raisonnables sont mis en place, on est tranquille ?

Heu…. Comment dire ???

Que nenni ! Ce Décret a été élaboré par des Parlementaires (ce qui est leur boulot), parce que la législation internationale va dans ce sens et que des écoles ne remplissaient pas leurs devoirs. Mais cela a surtout été rédigé dans l’objectif ne pas (trop) heurter les écoles (ce qui serait pourtant leur boulot). Ces dernières ont désormais priorité sur les enfants (en cela, les rédacteurs du Décret ont fait tout le contraire de leur boulot). On a lu que les enfants qui relèveraient de l’enseignement spécialisé sur la base d’un veux décret[18] (d’avant la Convention ONU) ne pouvaient pas bénéficier d’aménagements raisonnables. Il fallait surtout ne pas heurter…

Mais aussi et surtout, dorénavant « les aménagements matériels ou organisationnels ainsi les partenariats avec des acteurs externes relèvent » désormais « d’une décision du Pouvoir organisateur pour l’enseignement subventionné par la Communauté française ou du chef d’établissement pour l’enseignement organisé par la Communauté française. »

Autrement dit moi, Pouvoir Organisateur, je peux continuer ou arrêter la mise en place d’aménagements raisonnables selon mon bon vouloir ou celui de mon équipe éducative peu ou pas formée sur le plan pédagogique, voire encore, suite à une crise de déficience pédagogique d’un·e enseignant·e récalcitrant·e (et on sait que cela existe).

La preuve en est que « La nature, la durée et les modalités des aménagements pédagogiques sont fixés par l’équipe éducative dans l’enseignement fondamental et par le conseil de classe, présidé par le chef d’établissement ou son représentant, dans l’enseignement secondaire ».

L’intérêt supérieur de l’enfant est ici bien secondaire.

Oups, on n’a pas de garantie, alors ???

Si, un peu quand même. Mais insuffisamment !

Les aménagements pédagogiques doivent être consignés dans un protocole. Ce dernier fixe les modalités et les limites des aménagements raisonnables. Il peut être conclu un partenariat avec des acteurs extra-scolaires (monde médical, paramédical, psychomédical ou organismes publics comme Phare ou l’Avic).  

Tous les aménagements et interventions prévus sur le plan pédagogique (à l’exclusion des autres aspects) font l’objet d’un P.I.A (plan individualisé d’apprentissage). Il s’agit d’un outil « co-construit  par  l’équipe  éducative  et  l’équipe  de  direction   en   vue   de   prendre   en   compte,   d’une   part,   des   difficultés   particulières  d’apprentissage  et,  d’autre  part,  des  besoins  spécifiques  des  élèves  issus  de  l’enseignement  spécialisé  ou  en  intégration  dans  le  cadre  décret   du   3   mars   2004   organisant   l’enseignement spécialisé.[19] »

« Le  PIA  énumère  des  objectifs  particuliers  à  atteindre  durant  une  période  que  fixe  le  Conseil  de  Classe.  Le  PIA  mentionne  cette  période.  Il  prévoit  des  activités  spécifiques  de  remédiation,  de  remise  à  niveau  ou  de  structuration  des  acquis,  de  construction  d’un  projet  scolaire  Il  précise  les  modalités organisationnelles instaurées, pour les atteindre (…)[20] »

Que faire si l’école ne veut pas mettre en place ou décide de son plein gré d’abandonner les aménagements raisonnables ?

L’élève majeur·e ou les représentant·e·s légales·aux de l’élève mineur·e peuvent adresser une demande de conciliation, par lettre recommandée ou par courrier électronique avec accusé de réception, auprès des services du Gouvernement qui tenteront une conciliation avec le Pouvoir organisateur ou le chef d’établissement.

En cas d’échec de la conciliation, les parents de l’élève mineur ou l’élève majeur ou toute personne investie de l’autorité parentale peuvent introduire un recours auprès de la Commission de l’Enseignement obligatoire inclusif[21].

Que faire en cas de changement d’école ?

En cas de changement d’école, de cycle, de degré ou de niveau, à la demande des parents de l’élève mineur ou de l’élève lui-même s’il est majeur ou de toute personne investie de l’autorité parentale ou qui assume la garde en fait de l’enfant mineur, le protocole visé ci-dessus sera transmis pour information à qui de droit par l’école qui l’a établi.

Plus sibyllin que cela, on ne trouve pas.

En théorie, l’école ayant établi le protocole fixant les aménagements raisonnables doit transmettre à l’école d’accueil copie de celui-ci. Dans les fait, fort heureusement, c’est l’école d’accueil qui accepte l’enfant en toute connaissance de cause, avec ses besoins spécifiques, qui en fait la demande.

Conclusion

L’école inclusive reste un beau rêve mais difficile de réaliser. L’accueil des enfants à besoins spécifiques demeure trop souvent un combat pour les familles qui doivent s’en remettre à la bonne volonté de directions et d’enseignant·e·s géniales·aux ou au contraire au refus de réactionnaires humainement et pédagogiquement incompétents.

On a vu que le Décret permettant la mise en place d’aménagements raisonnables n’a pas été confectionné pour les élèves à besoins spécifiques, ce que son titre aimerait à laisser penser, mais pour répondre à nos engagements internationaux, le tout dans le cadre d’un Pacte pour un enseignement d’excellence.

Les enfants qui ont un handicap « trop ou pas assez… quelque chose » ne peuvent pas en bénéficier, mais continuent à relever d’un enseignement ségrégué, contrairement à leurs droits fondamentaux. Quant à celles et ceux qui ont des difficultés d’apprentissages « moins grandes », ils/elles peuvent bénéficier d’aménagements raisonnables mais seulement selon le « bon ou mauvais » vouloir d’une équipe éducative qui peut les remettre en question à sa guise.

Tout aménagement raisonnable doit toujours être négocié, même une fois celui-ci mis en place. Il dépendra toujours (on l’a lu ci-dessus) du bon vouloir de quelques personnes, direction, enseignant·e·s, membres d’un PMS, etc. L’intégration d’un·e enfant à besoins spécifiques reste encore trop souvent un parcours du combattant, voire un vrai chemin de croix.

Cependant, et nous nous en réjouissons, il est de plus en plus d’écoles, de Pouvoirs organisateurs de chef·fe·s d’établissement qui se lancent corps et âmes sur le chemin d’une école inclusive et qui visent l’accueil de toutes les différences, malgré les difficultés. Simplement, parce qu’elles/ils sont humain·e·s et veulent l’assumer. 


[1] Convention internationale des Droits des Personnes handicapées, article 2 – ONU 2006

[2] UNIA – A l’école de ton choix avec un handicap

[3] UNIA – À l’école de ton choix avec un handicap – Les aménagements raisonnables dans l’enseignement, p 11.

[4] Décret relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination D. 12-12-2008 M.B. 13-01-2009

[5] L’art 4 précise le champ d’application du Décret, notamment à l’enseignement.

[6] Ibid. Article 3 § 9.

[7] Ibid. Article 5.

[8] Apporter une réponse cohérente aux plaintes des parents d’élèves à besoins spécifiques qui se voient refuser des aménagements raisonnables, Note de contexte, Direction de l’Egalité des Chances, 15/07/2015.

[9] Avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence OS 4.3 : Répondre aux besoins spécifiques des élèves dans l’enseignement ordinaire, p 244.

[10] Le VIF,  Ecole : enfants à besoins spécifiques, le droit aux aménagements raisonnables est bafoué, 27/08/2019.

[11] Décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques, Article 4 § 1er.

[12] Convention Internationale relative aux Droits des Personnes Handicapées, ONU 13 décembre 2006

[13] Voir notre dossier sur les troubles spécifiques des apprentissages ou « DYS », 2019 – https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2019/09/08/analyse-les-troubles-specifiques-des-apprentissages-ou-dys/

[14] Décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques Article 4 § 1 « Le diagnostic justifiant la demande d’un ou plusieurs aménagement(s) raisonnable(s) date, dans tous les cas, de moins d’un an au moment où la demande est introduite pour la première fois auprès d’un établissement scolaire ».

[15] Ibid. Art 4 § 3

[16] Décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques Art 4 § 3.

[17] Ibid. Art 4 § 4.

[18] Voir le Décret du 3 mars 2004 organisant l’enseignement spécialisé

[19] Décret relatif à l’organisation pédagogique du 1er degré de l’enseignement secondaire  D. 30-06-2006 M.B. 31-08-2006, Art 7 bis § 1.

[20] Ibid. Pour plus d’informations taper « Décret relatif à l’organisation pédagogique du 1er degré de l’enseignement secondaire » sur un moteur de recherche citoyen.

[21] Lire l’Arrêté du Gouvernement de la Communauté française relatif aux modalités de fonctionnement de la Commission de l’Enseignement obligatoire inclusif, 04/09/2019

Vers une école inclusive en Fédération Wallonie-Bruxelles (suite)

Vers une école inclusive en Fédération Wallonie-Bruxelles (suite)

Pour une collaboration entre les équipes de l’enseignement spécialisé et de l’enseignement ordinaire[1]

Ghislain Magerotte* et Dominique Paquot**

*Professeur émérite (UMons) ** Directeur de l’école fondamentale Singelijn

Lire ici la première analyse

  • Une école inclusive, c’est …

Une école inclusive accueille tous les élèves (y compris ceux à besoins spécifiques), qui habitent dans un environnement proche dans le cadre d’une collaboration soutenue entre des équipes (celles d’une école ordinaire et d’une école spécialisée ainsi que des équipes AViQ et Phare) au bénéfice de tous les élèves, avec une transformation systémique des contenus, méthodes d’enseignement, approches, structures et stratégies en éducation.  

Si la réalisation d’une école inclusive s’inscrit donc dans une perspective systémique, nous n’aborderons ici que quelques modalités concrètes de mise en œuvre par les équipes éducatives d’une école inclusive, et particulièrement des enseignants, en nous limitant à l’enseignement fondamental. Ces modalités sont basées sur nombre de recherches internationales et de pratiques observées dans plusieurs pays. De plus, ces stratégies ne concernent pas les besoins spécifiques de certains groupes particuliers d’élèves, comme ceux qui ont des troubles sensoriels, ou encore un polyhandicap mais elles sont appropriées à l’ensemble des élèves ayant des besoins spécifiques. A titre d’illustration, vous trouverez dans l’ouvrage de Deprez (2010) « Pour une pédagogie adaptée aux élèves avec autisme » des exemples de certaines stratégies qui vont être présentées ci-dessous (disponible sur le site www.enseignement.be).

Enfin, la mise en place d’une école inclusive en Fédération Wallonie-Bruxelles s’appuie sur la Convention des droits des personnes handicapées et en particulier son article 24 (2005, approuvée par la Belgique en 2009) ainsi que sur la Déclaration de Salamanque et cadre d’action pour l’éducation et les besoins spéciaux de l’UNESCO (1994).

  • Stratégies utilisées dans une école fondamentale inclusive

Etant donné le caractère systémique des propositions du Pacte pour un enseignement d’excellence, des changements s’imposent à tous les acteurs : le pouvoir politique, les pouvoirs organisateurs, les directions, les équipes des écoles, les parents des élèves et leurs associations, les élèves eux-mêmes, les centres PMS et autres services de diagnostic. Nous nous focaliserons dans ce texte uniquement sur les stratégies pédagogiques devant être utilisées dans une école fondamentale inclusive.

Ces stratégies sont multiples (pour davantage d’informations sur certaines d’entre elles, voir Magerotte et al., 2014). D’abord, les équipes éducatives de l’enseignement ordinaire ouvertes à une démarche inclusive et avec le soutien des équipes spécialisées, veillent en particulier à une organisation de la vie de la classe pour que chaque élève apprenne, via une démarche de co-enseignement. De plus, la collaboration de tous (professionnels, parents, élève) est renforcée dans une perspective d’individualisation via le P.I.A.. Ensuite, une attention particulière porte sur l’organisation du milieu de la classe et de l‘horaire de la journée de classe et des activités afin de répondre aux besoins de chaque élève, et notamment de l’élève à besoins spécifiques ; les stratégies pour améliorer la communication avec les élèves, notamment avec celui qui a des besoins importants ; la mise en place des activités d’apprentissage coopératif ; le travail avec le même matériel ou la même matière dans une classe/école inclusive ; le développement de la collaboration entre les élèves en organisant le tutorat au sein de la classe ; les aménagements raisonnables et en particulier des TIC et outils numériques ; une organisation systémique à trois niveaux pour les élèves ayant des comportements problématiques et orientée vers le développement de compétences sociales et socio-émotionnelles et enfin , l’organisation de relations entre les élèves hors de la classe (arrivées le matin, les récréations, les repas de midi, les « garderies » et les activités extrascolaires) afin que chacun en tire profit.

Dans ce texte, nous détaillerons davantage les deux premières stratégies de collaboration entre l’enseignement ordinaire et l’enseignement spécialisé mentionnées ci-dessus.

  • Que font les enseignants « ordinaires » et « spécialisés », dans une école fondamentale inclusive ?

La mise en place d’une école inclusive passe essentiellement par une collaboration de plus en plus étroite entre l’enseignement spécialisé et l’enseignement ordinaire. Actuellement, cette collaboration se limite à 4 h/semaine de soutien du personnel de l’enseignement spécialisé dans l’enseignement fondamental. Envisageons d’abord le rôle des enseignants, dans le cadre des dispositions actuelles.

L’enseignant ordinaire a la responsabilité de tous les élèves de sa classe et en particulier la responsabilité pédagogique des élèves « ordinaires ». De plus, il accueille les élèves ayant des besoins spécifiques ainsi que l’enseignant spécialisé et les autres professionnels concernés. Il gère des activités collectives et individuelles lorsque l’enseignant spécialisé n’est pas présent. Il collabore avec la structure de l’enseignement spécialisé, les parents et les autorités scolaires. Enfin, il collabore étroitement avec l’enseignement spécialisé pour les préparations et les discussions sur la gestion de la classe.

L’enseignant spécialisé a la responsabilité pédagogique des élèves ayant des besoins spécifiques. Il prépare et conduit le P.I.A. en collaboration avec le titulaire, les parents et les autres professionnels. Il coordonne les mesures prises dans le P.I.A.. Il prépare le matériel spécifique et les activités particulières pour l’élève. Il assure les tâches administratives (en relation avec l’école spécialisée). Il collabore avec le titulaire (préparation et discussion sur la gestion de la classe). De plus, il développe ses activités avec le titulaire dans le cadre d’un co-enseignement : il soutient l’élève à besoins spécifiques dans ses apprentissages pendant que l’enseignant ordinaire enseigne aux autres élèves ; Il soutient les autres élèves dans leurs apprentissages pendant que l’enseignant ordinaire enseigne ; il peut partager certains enseignements avec son collègue ordinaire, durant ses heures de présence dans la classe : ils enseignent donc tous deux et font un enseignement parallèle, chacun prenant en charge une partie de la classe. Une autre formule consiste à diviser la classe en trois groupes ; chaque professionnel travaille avec un groupe et le troisième groupe d’élèves travaille seul. Les élèves peuvent évidemment changer de groupe. De plus, dans la même perspective de collaboration, et en particulier de co-enseignement, il importe de préparer les leçons ensemble ainsi que l’évaluation formative, voire annuelle, tenant compte des P.I.A. « inclusifs » mis en place durant l’année. 

Attention ! Si l’enseignant spécialisé consacre la plupart du temps au suivi de l’élève à besoins spécifiques, cela mettra en évidence son statut d’élève « différent » et risquera de ne pas renforcer son autonomie, ni son estime de soi.

Cette formule d’enseignement en duo présente des avantages pour les deux professionnels : il permet un partage des tâches ainsi que des échanges entre eux. Le partage peut aussi être une solution temporaire en cas d’urgence (blessure d’un élève, bagarre, etc.).  Mais pour que cette collaboration se déroule dans les meilleures conditions, il importe d’être attentif aux besoins exprimés par les enseignants, d’abord besoin d’un soutien administratif (notamment pour disposer d’un temps de coordination). Ensuite, la compatibilité des tempéraments et des méthodologies utilisées, exigeant effort, flexibilité et compromis dans une perspective d’égalité, sera prise en compte avec le soutien de la direction.

D’autres professionnels peuvent également intervenir dans une école inclusive, soit appartenant à l’enseignement spécialisé (logopèdes, kinésithérapeutes, etc…) ou à un service d’accompagnement dépendant de l’AViQ ou de Phare (secteur handicap) ou d’un service de réadaptation ambulatoire ou encore de professionnels privés. Ce sera le rôle de l’enseignant spécialisé de gérer cette collaboration, en particulier dans le cadre de l’élaboration et de la mise en œuvre du P.I.A.

Peut-on envisager une collaboration plus importante que 4h/semaine ? Cela semble possible lorsqu’une école accueille davantage d’élèves et peut répartir autrement les heures de collaboration, et privilégier une collaboration plus intensive dans une classe, au moins temporairement. La mise en place des pôles territoriaux devra faciliter ce développement.

  • Comment travailler tous ensemble (professionnels-élève-parents) autour de l’élève

Depuis le décret de 2004, le P.I.A. est l’outil principal pour la coordination des interventions auprès de l’élève à BS. Il est l’« outil méthodologique élaboré pour chaque élève et ajusté durant toute sa scolarité par le Conseil de classe, sur la base des observations fournies par ses différents membres et des données communiquées par l’organisme de guidance des élèves. Il énumère des objectifs particuliers à atteindre durant une période déterminée. C’est à partir des données du P.I.A. que chaque membre de l’équipe pluridisciplinaire met en oeuvre le travail d’éducation, de rééducation et de formation » (art. 4, 19°). De plus, « L’élève et ses parents, à défaut leur délégué, sont invités à son élaboration » (art.32, §9 en date du 13 janvier 2011).

Etant donné que le P.I.A. est le fil rouge d’une vie scolaire de qualité de l’élève, sa mise au point et sa pratique se heurte à plusieurs difficultés. Nous mettrons ici l’accent sur l’information de l’élève et des parents – les premiers intéressés – et leur participation au P.I.A. tout au long du processus de sa mise en place, grâce à la mise en place d’un coordonnateur ? En effet, vu que le P.I.A. exige la collaboration de nombreux partenaires, il importe de désigner un coordonnateur du P.I.A., à charge pour lui de rassembler toute l’information auprès des différents partenaires de l’école (et hors école : parents, professionnels du centre de guidance, du secteur social et d’autres éventuels). Sa préoccupation principale est de penser à la globalité de l’élève et à la qualité de sa vie comme élève de cette école, d’identifier et de refléter l’accord entre tous les partenaires lors la rédaction du P.I.A. en fin ou après la réunion de décision. S’il est habituel dans l’enseignement d’accorder une grande importance au titulaire de la classe, il est légitime de s’interroger aussi sur le rôle des autres professionnels de l’école. Est-il raisonnable, dans certaines circonstances, de confier les tâches de coordination à un autre professionnel, apprécié évidemment par l’élève et ses parents ?

Cette mise au point du P.I.A. nécessite de bien préparer la réunion du conseil de classe qui devra décider du P.I.A. de chaque élève. Vu l’importance de l’équipe multidisciplinaire, l’équipe peut être contrainte, pour des raisons d’agenda, à fonctionner avec un groupe restreint de professionnels, à charge d’identifier, parmi ce petit groupe, les professionnels qui vont répercuter les décisions auprès des absents à cette réunion. D’abord, le coordonnateur recueille des informations auprès des premiers partenaires que sont l’élève et ses parents concernant leurs attentes et leurs projets via par exemple un questionnaire (éventuellement avec des indications visuelles pour ceux qui ont des difficultés à lire) ou une rencontre en famille ou à l’école. Il identifie particulièrement les forces et les besoins de soutien de l’élève et de sa famille, identifie les informations manquantes ou à rechercher, les évaluations à faire et au besoin, il reprend contact avec les professionnels concernés. Enfin, il prépare le document de synthèse reprenant notamment les finalités/buts et objectifs retenus par les différents participants. Il veille particulièrement à utiliser un langage positif pour refléter les préoccupations des parents et de l’élève, et aussi des professionnels concernés.

Ensuite, pendant la réunion de décision, confiée au Conseil de Classe, le coordonnateur présente le document de synthèse – complété éventuellement par des informations générales s’il s’agit d’un nouvel élève ou d’un élève dont le parcours familial, scolaire ou social a subi des changements importants. Il sollicite chacun pour identifier les éléments nouveaux depuis la précédente rencontre. C’est ensuite le rôle de l’équipe de prioriser – par consensus – les besoins de l’élève et de les traduire en buts et objectifs, ainsi que d’identifier les responsables de l’atteinte des divers objectifs. De plus, il importe de préciser aussi la période durant laquelle l’objectif sera travaillé et, en principe, atteint.

Cette réunion de décision n’est pas le lieu de discuter longuement des méthodologies à employer pour chacun des objectifs. Si le professionnel n’est pas à l’aise avec des décisions à prendre et s’interroge encore sur la méthodologie à employer, il sollicite l’appui d’un autre professionnel après la réunion, qu’il appartienne à l’école ou qu’il soit extérieur. Au besoin, en cas de difficultés pour un objectif important, l’équipe envisagera la possibilité de formations complémentaires ou d’appel à un collègue extérieur.

En fin de réunion, le coordonnateur, sur base du consensus,fait la synthèse et rédige le P.I.A. Il sera signé par chacun des partenaires et transmis à tous, y compris évidemment à l’élève et aux parents, si ces derniers n’ont pas participé à cette réunion de décision. Pour l’élève, et également pour certains parents ayant des difficultés de compréhension de la langue française, le coordonnateur prépare un P.I.A. adapté à leur niveau de compréhension. Dans tous les cas, l’accord de ces derniers est essentiel – sinon, comment assurer la collaboration de l’élève et la généralisation des acquis en famille ou l’apprentissage de compétences sans sa collaboration et/ou l’aide des parents ?

  Après cette réunion du Conseil de classe, les professionnels mettent les objectifs retenus au programme de l’élève et à leur programme d’intervenant, préparent le programme, l’appliquent et l’évaluent. Quant au coordonnateur, il assure un suivi avec les membres de l’équipe, via la mise en évidence des progrès réalisés par l’élève, les difficultés identifiées, éventuellement le renvoi vers d’autres professionnels, le tout dans une atmosphère encourageante et positive !

En conclusion, le P.I.A. constitue très certainement l’outil majeur pour assurer la coordination de toutes les interventions assurées dans la classe et dans l’école au bénéfice de chaque élève. Ill est le fil rouge de la scolarité de l’élève, avec la collaboration de l’élève, des professionnels et des parents !

Conclusion

L’éducation spécialisée en Wallonie et à Bruxelles entre donc dans une nouvelle perspective, associant au sein d’une école inclusive, les professionnels de l’enseignement spécialisé, sous l’appellation de « centres de ressources spécialisés en éducation inclusive », et de l’enseignement ordinaire. Une brève analyse de la législation concernant l’enseignement aux élèves à besoins spécifiques indique qu’après une phase de ségrégation, l’enseignement spécialisé est passé par des efforts significatifs d’intégration avant de déboucher sur une école inclusive dans le cadre du Pacte pour un Enseignement d’Excellence. Nous avons défini ce qu’est une école fondamentale inclusive et proposé une réflexion sur la méthodologie d’identification des besoins spécifiques. Enfin, nous avons rappelé un ensemble de stratégies, illustrées dans la littérature internationale, avant de développer deux stratégies focalisées sur la collaboration entre l’enseignement ordinaire et les équipes de l’enseignement spécialisé.  

Est-ce la mort de l’enseignement spécialisé ? Non, bien sûr ! Les équipes qui maîtrisent cette pédagogie adaptée ou différenciée en feront bénéficier tous les élèves à besoins spécifiques, sans les séparer six heures par jour et durant de longues années, de leurs camarades. En d’autres mots, les équipes spécialisées travailleront dans une école inclusive, au service du « vivre ensemble » de tous les élèves. Aller vers une école inclusive concerne donc tout le monde. L’élève à besoins spécifiques apprendra dans une situation habituelle en compagnie de ses condisciples ; confronté à la différence dans une atmosphère bienveillante, il développera l’estime de soi et il apprendra à vivre en groupe avec ses pairs. Quant à la dynamique de la classe, elle favorisera la différenciation méthodologique des pratiques des équipes éducatives et développera le « mieux vivre la différence » et le sens de l’empathie à l’égard des autres. Quant à la communauté scolaire toute entière, elle développera la solidarité entre tous les élèves, les équipes éducatives et les parents, préparant une société inclusive.

Enfin, si cet investissement vers une école inclusive suppose un investissement de tous les partenaires, chaque école inclusive est invitée à se construire comme une « Communauté d’Apprentissage Professionnelle » (CAP) définie comme ‘un réseau de soutien continu entre les membres d’une équipe-école où chacun contribue à la réussite de tous les élèves. La CAP se distingue par le questionnement continu qu’elle suscite sur les besoins des élèves et la formulation d’objectifs clairs, mesurables et orientés sur les apprentissages » (site www.CAP sur la réussite ; Leclerc et Labelle, 2013 ; Moreau et al., 2014).

[1] Ce texte s’appuie sur une collaboration de longue date avec des parents d’un élève en situation de handicap et de professionnels dans le cadre de la Ligue des droits de l’enfant, animée par Jean-Pierre Coenen.

Bibliographie :

Beaupré, P. (sous la direction de et avec la collaboration de Gabrielle Bouchard) (2014). Déficience intellectuelle et autisme. Pratiques d’inclusion scolaire (pp. 7-44). Québec : Presses universitaires du Québec.

Caraglio, M. & Gavini, Ch., (2018) L’inclusion des élèves en situation de handicap en Italie. Rapport au ministre de l’éducation nationale. Rapport numéro 2017-118. Paris : Inspection Générale de l’Administration de l’Education nationale et de la Recherche (IGEAENR)

Communauté d’Apprentissage Professionnelle : www.CAP sur la réussite

Deprez, M. (2018). Pour une pédagogie adaptée aux élèves avec autisme. Disponible sur le site www.enseignement.be

Leclerc, M. & Labelle, J. (2013). Au cœur de la réussite scolaire : communauté d’apprentissage professionnelle et autres types de communautés. Education et francophonie, Vol XLI (2), 1-9.

Ligue des familles (2018). Retour sur l’après-midi E-MOBILE  7 mars 2018 Échanges sur le transport scolaire vers l’enseignement spécialisé organisés par le Délégué général aux droits de l’enfant, UNIA et la Ligue des familles. A consulter sur le site de la Ligue des familles.

Magerotte, G., Deprez, M. & Montreuil, N. (2014). Pratique de l’intervention individualisée tout au long de la vie. 2ème édition. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.

Moreau, C., Stanke, B. & Lafontaine, L. (2014). Ecoles inclusives fonctionnant en communauté d’apprentissage professionnelle comme intervention novatrice. Retombées sur les apprentissages en littératie. In Pauline Beaupré (sous la direction de et avec la collaboration de Gabrielle Bouchard). Déficience intellectuelle et autisme. Pratiques d’inclusion scolaire (pp. 7-44). Québec : Presses universitaires du Québec.

ONU (2005). Convention des droits des personnes handicapées. New-York : ONU.

UNESCO (1994). Déclaration de Salamanque et cadre d’action pour l’éducation et les besoins spéciaux.

[1] Ce texte s’appuie sur une collaboration de longue date avec des parents d’un élève en situation de handicap et de professionnels dans le cadre de la Ligue des droits de l’enfant, animée par Jean-Pierre Coenen.

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