Nov 11, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
Pierre Merle[1] a
pu démontrer que la note est, non pas l’évaluation d’une compétence menée par
une personne dont la légitimité est assurée par un diplôme, mais qu’elle ne
répond que formellement à la définition usuelle d’application d’un barème.
Professeurs et
élèves sont, durant une année et plusieurs heures par semaine, dans un
face-à-face qu’il leur est impossible d’éviter. Cette relation est productrice d’ajustements, de concessions et de
négociations des personnes en présence. La note n’est pas une mesure des
compétences. Elle est aussi une médiation entre des professeurs et des élèves
(…) prisonniers d’une situation imposant des tentatives de domination et de
soumission[2].
Les pratiques
de notation ne sont pas des mesures automatiques du niveau des élèves, mais
sont le produit de stratégies et de
contraintes spécifiques : proportion des élèves des deux sexes dans la
classe, âge moyen, pourcentage de redoublants, origine socioprofessionnelle,
discipline enseignée, niveau de compétences, type d’établissement, etc. (…) ces
contextes scolaires sont en relation avec des processus de fabrication sur la
note fondée sur différents types d’arrangements.
De quel type d’arrangements s’agit-il ?
On sait
combien, dans un système frontal, gérer une classe peur s’avérer difficile pour
les professeurs, surtout en début de carrière. L’arrangement est donc
directement lié à ce besoin de tenir la classe « en ordre ». Ce
recours aux notes est un détournement de l’évaluation vers les sanctions. Les
zéros pour comportement estimé « inadéquat » ne sont pas rares et
relèvent de l’injustice la plus profonde, mais ils existent encore au XXIe
siècle dans le chef de professeurs incapables de gérer une classe. Ils ont
évidemment une incidence sur les résultats des élèves alors qu’ils ne reflètent
en rien leurs compétences scolaires. Pire, ils démotivent de par leur
injustice. L’interrogation surprise relève de ce registre d’évaluations
détournées en sanctions, ce type d’évaluation débouchant fréquemment sur de
mauvaises notes.
Certains
arrangements sont directement négociés avec les élèves. Lorsqu’une évaluation
s’est révélée trop compliquée, les élèves négocient et obtiennent parfois le
retrait de la note, ou son maintien, comme lors d’une évaluation qui aurait été
retirée car jugée trop facile par le professeur.
Pierre Merle
relève deux modalités principales à l’arrangement sur les notes :
La première
est à usage interne et quasi-secrète. Elle est destinée directement aux
élèves et contribue à façonner l’autorité symbolique du professeur. Il s’agit,
par exemple, d’arrangements avec les notes d’un élève qui n’ira pas rapporter à
ses pairs une pondération à son avantage. Cela reste « entre soi ». En
cas de contestation future, le professeur pourrait toujours les restaurer.
La seconde
modalité est à usage externe. C’est ce qu’André Antibi appelle la
« Constante macabre[3] ».
Il s’agit de montrer à la direction, aux collègues et aux parents que le professeur
préserve une moyenne et une distribution des notes conforme à la notation
dominante dans l’établissement. C’est celle qui détermine qui sont les
« bons » et les « mauvais » élèves. Mais selon Merle, elles
dépendent aussi de la discipline, de la section d’enseignement et de
l’établissement. Si les notes sont trop bonnes, le professeur sera amené à
imposer un contrôle difficile pour en faire baisser la moyenne. A l’inverse, si
la moyenne est trop basse, le professeur dispose d’une possibilité
d’arrangements internes qui peut être négociée avec les élèves.
Les
arrangements sur les notes sont des stratégies professorales qui tiennent des
négociations avec les élèves et doivent inciter au travail, maintenir l’ordre
dans la classe et « se faire respecter ».
[1] Pierre Merle. Les notes. Secrets de
fabrication. PUF 2007
[2] Pierre Merle. Ibid. p 54
[3] André Antibi, 2003 La
constante macabre ou comment a-t-on découragé des générations d’élèves ? Ed
Math’Adore.
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L’arrangement
des notes dépend aussi de l’histoire du correcteur. Si, au cours de la
correction d’une pile de copies, il en vient à se rendre compte que les notes
sont particulièrement basses et qu’il ne peut souffrir une moyenne aussi basse,
il peut, pour ses dernières copies avoir tendance à noter plus large, afin
d’avoir une moyenne de 65 ou 70 %. Une telle manière d’évaluer est liée à
l’histoire personnelle des professeurs, à un engagement politique progressiste
(conservateur vs réactionnaire), voire à leur origine sociale. Pour sauver le
niveau global de la classe, un professeur peut modifier son barème de notation
en cours de correction, voire recommencer la pile de corrections afin de
s’assurer d’être plus juste vis-à-vis de tous.
Pour Emile
Durkheim[1],
l’arrangement des notes est une façon de sanctionner et de gratifier les
élèves, de « combattre les uns, d’utiliser les autres. » Rien n’a
changé en un siècle ! La note est trop souvent utilisée pour sanctionner
le comportement scolaire d’un élève en fonction de l’image qu’il renvoie :
studieuse ou non. Ainsi, une faute sera considérée comme une
« étourderie » pardonnable chez le « bon » élève, tandis
qu’elle sera sanctionnée sans état d’âme – et peut-être avec un sentiment de
vengeance – chez le supposé « mauvais » élève. En outre, les copies
des « bons » élèves sont survolées car considérées d’emblée comme
bonnes, tandis que les copies des élèves plus « moyens » sont
analysées en vue d’y trouver la « petite bête » qui le mettra en
échec ou lui donnera une note bassement moyenne.
Pierre Merle a
mis en évidence le comportement des lycéens scolarisés en première[2], en
fonction de leur sexe et de la discipline. Les filles cherchant à se faire
« bien voir », en bavardant pas ou peu. Les garçons n’ont pas de
telles préoccupations. Ce comportement des jeunes filles est associé pendant l’année
scolaire, pour une majorité d’entre elles, à une notation supérieure à la
notation obtenue aux épreuves anticipées[3] de
français. Les garçons, au contraire, obtiennent de meilleurs notes au
baccalauréat par rapport à celles obtenues pendant l’année.
La
sur-notation des filles et la sous-notation des garçons sont clairement liées à
leurs comportements scolaires qui témoigne d’une forme de récompense ou de
sanction de la part du professeur qui les a notés. En cherchant à se faire bien
voir, les filles infléchissent l’évaluation des professeurs, que cela arrange
bien. Il est plus facile de gérer des élèves silencieux, dociles, et calmes que
d’autres pleins de vie et qui le revendiquent.
La note est un
élément central de l’autorité du professeur. La note est « thérapeutique[4] »
mais pour « certains » élèves seulement. Tous les élèves ne
méritant pas d’être encouragés.
[1] Emile Durkheim, 1858 – 1917, sociologue français considéré comme l’un
des fondateurs de la sociologie moderne.
[2] Merle 1993
[3] Les épreuves anticipées de français, EAF ou
Bac de Français désignent les épreuves que les élèves passent à la fin de la
classe de première générale et technologique en France, et dont les résultats
sont pris en compte l’année suivante, pour leur baccalauréat
[4] Pierre Merle. Les Notes Secrets de fabrication. ibid.
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Pour répondre à cette question, il nous faut passer
par la case « docimologie ».
La docimologie
est la science portant sur les épreuves et les examens. Ce terme fut inventé
dans les années 1920 par le psychologue Henri Piéron. Il est dérivé de deux
termes grecs : δοκιμή (dokime), examen et λόγος (logos), mot ou
raison. Piéron croyait en la nécessité d’adapter l’évaluation aux besoins
individuels des élèves.
La docimologie
a, depuis, largement démontré l’inefficacité de la note sur les apprentissages
des élèves et l’incapacité qu’ont des êtres humains de coter honnêtement et
impartialement les travaux d’écoliers.
De nombreux
facteurs biaisent les notes des professeurs, sans même qu’ils cherchent à les
analyser, alors qu’ils sont, par définition, des enseignants-chercheurs. Mais
les doxas[1]
ont tellement cours dans les salles de profs que nous devons le faire pour eux.
On sait depuis
de nombreuses années que les notes sont imprécises. C’est simplement humain, aucun
professeur au monde n’est capable d’évaluer de la même manière tous les
éléments d’une pile de copie dont les résultats ne sont pas purement
mathématiques. Comme nous l’avions dit en introduction et comme le rappelle Pierre
Merle relève que dès 1936 : « Henri
Laugier et Dagmare Weinberg avaient conclu que pour obtenir la ‘note vraie’, il
fallait recourir à la moyenne de 13 correcteurs en mathématiques, 78 en
composition française, 127 en philosophie ». [2]
Et même en
mathématique, qui se veut une science « exacte », la note peut être
imprécise. « Chacun est persuadé qu’en
maths, les copies sont soumises à l’universalité de la raison et à l’uniformité
de la notation, or même s’il s’agit sans conteste de la discipline scolaire ‘la
plus égalitaire’, il existe parfois entre collègues ‘de fortes disparités’.
Barème, présentation, mise en valeur du résultat ou du raisonnement, les
professeurs sont loin d’être à l’unisson. [3]»
Le
« jugement scolaire » que constituent les notes et appréciations est
entaché de nombreux éléments qui empêchent l’objectivité du professeur. La
notation, qui compare plus qu’elle n’est objective, biaise la réalité et produit
de l’inégalité scolaire.[4]
Pour
commencer, l’ordre des corrections est le premier élément qui influe sur la
note. Après la correction d’une « bonne copie », le correcteur a
tendance à noter plus sévèrement la suivante et inversement[5]. Généralement,
les premières copies sont surévaluées, les dernières sous-évaluées.
Impossible, en
outre, de supprimer l’affectivité dans la notation. « Si l’élève est fin, s’il fait une faute qui énerve le professeur, si
l’on apprécie ou pas l’élève, si la copie arrive au bon ou au mauvais moment
sur le bureau. »[6]
Il faut aussi
compter sur la culture de l’établissement où les professeurs seraient les «
sujets » d’une acculturation implicite.
Le sociologue
François Amadieu[7]
relève ce que chacune et chacun de ceux qui sont passés par l’école ont compris
à travers leurs tripes, la notation « à la tête du client » est plus
répandue qu’on n’ose le dire. Notamment en termes d’apparence physique. « Les
professeurs partagent la croyance inconsciente que les enfants les plus
séduisants seront aussi ceux qui réussissent le mieux leur scolarité. Cette
conviction entraîne l’intérêt accru du professeur pour l’élève considéré comme un « jeune à potentiel ». De ce fait, les
évaluations de son travail seront plutôt bienveillantes et il ne lui sera pas
trop tenu rigueur de ses éventuels dérapages ou de son indiscipline. ».
Plus accablant encore, le jugement scolaire
renforcerait les disparités des élèves et ce, dans tous les domaines. Il existe
de nombreux biais sociaux de notation : sexe de l’élève, redoublant ou
non, âge, origine sociale, historique scolaire, niveau scolaire mais aussi
niveau de la classe et de l’école. Sans oublier… son prénom. Dans une étude[8],
D. Hunter Gehlbach, directeur de recherche à Panorama Education a démontré que les enfants étaient évalués différemment selon
la manière dont leur prénom était perçu par leurs professeurs. Ils ont démontré
qu’un même travail se voyait attribuer une note supérieure quand son « rédacteur »
portait un prénom « socialement désirable ».
« L’effet de
halo » influence certains professeurs : la notation des professeurs dans une
matière donnée serait influencée par les performances de l’élève dans d’autres
matières. « L’effet de contexte » quant à lui amènerait les professeurs « à
juger du niveau d’un élève comparativement au niveau de ses pairs. Un élève
sera jugé plus sévèrement dans une classe forte que dans une classe faible. »
Sans oublier la théorie de la « constante macabre », dont nous avons déjà parlé[9],
et qui montre les effets pervers d’une culture de l’évaluation dans laquelle
les notes classent immuablement les élèves en différents groupes de niveaux.
On l’a déjà
dit, le fait d’avoir le statut de redoublant est très souvent discriminant :
« A performances scolaires égales,
les redoublants sont jugés plus sévèrement que les non-redoublants, ce qui pose
d’ailleurs la question de l’intérêt du redoublement puisque celui-ci amène à
une stigmatisation des élèves en difficulté qui se doivent d’obtenir de
meilleurs résultats que les élèves non-redoublants. »[10]
N’omettons pas
les différences de maturité dont les professeurs ne tiennent pas compte. Entre
un élève né le 1er janvier et un autre né le 31 décembre et qui se
retrouvent forcément dans la même classe, il y a un an de différence. Et ne
parlons même pas des enfants prématurés, voire grands prématurés qui sont, par
définition, encore moins matures et dont le développement intellectuel est
moins avancé. Un élève né en décembre sera évalué avec les mêmes exigences que
sa ou son camarade de classe âgé d’un an de plus que lui. Ce sont les élèves
nés en décembre qui redoublent le plus et/ou qui seront orientés vers les
filières de relégation. En résumé, onze mois de maturité en moins sont presque
aussi discriminants que le fait d’être un fils d’ouvrier plutôt
qu’un fils de cadre.
Enfin, le fait
de ressembler, ou du moins d’avoir des points communs avec son professeur
permet de mieux réussir ses études[11]. Selon
cette étude, il semblerait que lorsque les professeurs et leurs élèves savent
qu’ils ont cinq points communs, leurs relations en sont améliorées. Les
professeurs reconnaissent interagir le plus souvent avec les élèves dont ils se
savent les plus proches. En effet, ces élèves finissent le semestre avec des
notes plus hautes.
Une confusion existe
entre les compétences sociales et scolaires dans la notation. Les professeurs « vont valoriser les élèves exhibant des
comportements, attitudes ou jugements en accord avec les principes véhiculés
par le système éducatif. [12]»
C’est le cas de qualités sociale reconnues à la fois par l’Ecole et la société
comme la politesse ou l’internalité (L’élève qui explique ses faiblesses par
des causes internes et individuelles sera plus favorablement jugé).
L’imprécision de la notation est devenue encore plus criante avec
l’évaluation des compétences. « Comment noter une notion aussi
floue ? », demande Vincent Carette[13]
qui souligne que pour ce faire, trois conditions doivent être respectées à
savoir que les tâches proposées soient complexes, inédites et fassent appel à
des procédures effectivement enseignées en classe. « De fait, le
respect de ces conditions conduit d’une certaine manière à disqualifier les
épreuves d’évaluation ‘classiques’ qui ne proposent pas de tâches complexes à
résoudre, mais de nombreuses questions (items) à réponse courte ou à choix
multiples qui sont nécessaires pour mesurer la validité et la fiabilité
statistique des épreuves. Par suite, on peut affirmer que vouloir contrôler le
système éducatif sur la base d’épreuves valides et fiables statistiquement
s’oppose à la réalité des contraintes imposées par la notion de compétence qui,
en prônant la confrontation des élèves à des tâches complexes et inédites,
conduit à la construction d’épreuves ne présentant pas les garanties
statistiques défendues par les concepteurs d’épreuves nationales ou
internationales. ». De ce fait,
conclu Vincent Carette, la Fédération Wallonie-Bruxelles est dans une situation
où elle propose des épreuves externes nationales ou internationales qui restent
construites selon le principe classique de nombreux items, mais défend un
discours pédagogique prônant la confrontation des élèves à des situations
complexes. « Ceci entraîne des messages contradictoires auprès des acteurs
de l’école qui conduisent de nombreux professeurs à remettre en question la
légitimité d’une approche qui leur apparaît floue. »
Dis-moi où tu
enseignes, je te dirai comment tu notes. La note ne prend son sens que mise en
perspective dans l’établissement, la classe ou même le moment où elle est
délivrée. Bon nombre de professeurs se plient plus ou moins consciemment à la
culture de leur école. Ces pratiques sont différentes selon l’établissement
dans lequel ils donnent cours. Dans une classe forte, le maître sera plus
exigeant que face à une classe réputée plus faible. La culture de la note n’est
pas la même dans deux écoles et dans la tête des parents d’élèves. Nombre de
professeurs seraient ainsi les « sujets » d’une sorte d’acculturation
implicite.
[1] Ensemble des opinions reçues sans discussion,
comme évidentes, dans une civilisation donnée, dans ce cas-ci nous citons le
monde de l’enseignement, que ce soit en interne mais aussi en externe, chez les
parents qui ont ou non vécu l’échec scolaire. Cela dit bien de la compétence de
l’école, incapable d’enseigner tant à ses élèves qu’à ses propres professeurs
qu’il faut avant tout avoir un esprit critique, capable d’analyse. C’est
évidemment le syndrome du chat qui se mord la queue… comment un prof non éduqué
à l’esprit critique par l’Ecole durant ses études pourrait-il éduquer ses
propres élèves ?
[2] Pierre Merle, Sociologie de l’évaluation
scolaire, PUF Collection, Que sais-je n° 3278, 1998.
[3] Nicolas Truong, Mathématiques et français : la
théorie de la relativité, in Le Monde de l’éducation n°344, dossier « Que
valent les notes ? », Février 2006.
[4] Jean-Yves Rochex et Jacques Crinon (dir.), La construction
des inégalités scolaires, Au coeur des pratiques et des dispositifs
d’enseignement, Presses Universitaires de Rennes (PUR), 2011.
[5] Pierre Merle, auteur de l’essai « L’école
française et l’invention des notes. Un éclairage historique des polémiques
contemporaines » [archive], Revue Française de Pédagogie, n°193, 2015, p.77-88.
[6] Nicolas Truong, Mathématiques et français : la
théorie de la relativité, in Le Monde de l’éducation n°344, dossier « Que
valent les notes ? », Février 2006.
[7] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes
[8] Hunter Gehlbach, Maureen E. Brinkworth, Aaron M. King, Laura M.
Hsu, Joe McIntyre, Todd Rogers – Creating birds of similar feathers – Leveraging
similarity to improve teacher-student relationships and academic achievement
2013
[9] André Antibi, La Constante macabre ou comment a-t-on
découragé des générations d’élèves ?, éditions Math’Adore, 2003.
[10] Fabrizio Butera, Céline Buchs, Céline Darnon
(dir.), L’évaluation une menace ? Presses Universitaires de France (PUF),
Paris, 2011.
[11] étude
conduite par le Panorama Education, relayée par The Atlantic
[12] Fabrizio Butera, Céline Buchs, Céline Darnon
(dir.), ibid.
[13] Vincent Carette, Les compétences brouillent la
vue du pilote, CGé, Traces de Changements n°196, juin 2010.
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Selon Pierre
Merle[1], « Cette idée est diffusée surtout par les anciens bons élèves. Les plus de 100 000 élèves
sortis sans diplôme du système éducatif n’ont pas du tout été motivés par la
suite continue de mauvaises notes recueillies au cours de leur brève scolarité.» Il en est, évidemment, de même pour les 20 000 élèves qui, chaque
année abandonnent l’enseignement de la Communauté française de Belgique sans le
moindre diplôme.
Maryse Hesse,
dans une recherche pour l’INRP[2] s’est penchée sur les effets psychologiques
des notations : « Une appréciation
positive renforce une volonté de travailler, donne plus d’assurance,
valorise l’élève. Une appréciation négative engendre une mésestime de soi, une
blessure chez l’élève fragile, une dévalorisation qui déstabilise l’élève et
lui donne une image négative de lui-même et de ses capacités. »[3]
Alors que la note devrait être un élément positif de l’apprentissage, elle
génère, lorsqu’elle est mauvaise, découragement, fissuration de l’estime de
soi, angoisses, détérioration des relations familiales et désintérêt pour la
matière.
Les premiers
de classe ne sont pas mieux lotis, les effets de la note n’étant pas positifs
sur le plan de la construction de la citoyenneté. Bien entendu, une noté élevée
renforce leur volonté de travailler, mais elle favorise surtout la compétition,
l’individualisme et les comportements antisociaux. « Etre parmi les premiers devient parfois l’objectif prioritaire »,
poursuit Pierre Merle[4]. On
n’apprend pas pour soi, mais pour avoir de bonnes notes. « Après le contrôle, le travail d’oubli fait rapidement son œuvre.
Inversement, dans les systèmes éducatifs où les notes sont rares, les élèves
apprennent davantage pour d’autres motifs: intérêt, curiosité, passion. »
Et de rappeler : « L’essentiel de nos
connaissances et compétences – faire du vélo, nager, parler, être attentif à
autrui, etc. – n’ont pas été apprises à l’école, avec des notes, mais de façon
diffuse, lors de la
socialisation familiale et au contact d’amis. Les réels moteurs de
l’apprentissage sont l’intérêt, un projet professionnel, les conseils des
autres… non les notes ».
Enfin, les « bons »
élèves, une fois leurs études supérieures terminées avec succès composeront une
partie des élites économiques ou politiques. Leur expérience de l’école, totalement
subjective, les conduira à une vision conservatrice de celle-ci. S’ils ont
réussi, c’est que le système est bon. Seules la connaissance des études menées en
docimologie pourrait leur faire comprendre combien leur vision de l’école est
erronée et qu’elle doit évoluer.
Et Vellas et
Baeriswyl de conclure : « Le
système d’évaluation actuel est un instrument de sélection incompatible avec la
lutte contre l’échec scolaire. (…) L’institution doit donc aujourd’hui rompre
avec une incohérence: demander aux professeurs de faire réussir chaque enfant
tout en exigeant l’échec de certains par le maintien d’une évaluation notée. [5]»
[1] Cité dans LE TEMPS, A l’école, supprimons les notes, 14 décembre 2017
[2] L’Institut national de recherche pédagogique (INRP) – France
[3] Maryse Hesse. Les impacts de l’évaluation scolaire sur les élèves. https://docplayer.fr/14713744-Les-impacts-de-l-evaluation-scolaire-sur-les-eleves.html
[4] Cité dans LE TEMPS, A l’école, supprimons les
notes, 14 décembre 2017
[5] Vellas, Etiennette et Baeriswyl, Eric (1995).
Les cycles pédagogiques: un adieu aux notes ? in Vers le changement…espoirs
et craintes. Actes du premier Forum sur la rénovation de l’enseignement
primaire (novembre 1994), Genève, DIP, p.87-90.
Nov 11, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
En Finlande,
pays en tête des classements PISA, les élèves sont appréciés une première fois par
une évaluation à l’âge de 9 ans, mais de manière non chiffrée. Ils ne sont donc
pas « notés ». L’enseignant se limite à dire si l’apprentissage est
acquis ou en voie d’acquisition. Cette évaluation est accompagnée par une
remédiation destinée à aider les élèves en difficulté. Les premières notes
arrivent à l’âge de 11 ans, la note la plus basse étant 4/10. L’objectif est de
ne pas décourager l’élève. La différence entre un 4 et un 0 est fondamentale.
Avec un 4, il n’a pas compris et peut être remédié, tandis qu’avec un 0, il est
tout simplement… nul !
Dans les
écoles à pédagogies actives, on évalue les élèves sans les noter. Il n’y a pas
de règles définies mais on utilise souvent un code couleurs généralement
inspiré des feux de signalisation, adaptables d’une école à l’autre :
« vert » pour un apprentissage acquis, « orange » pour un
apprentissage « suffisant, mais pourrait être mieux acquis » et
« rouge » pour un apprentissage non acquis et devant donc être
remédié. L’objectif étant d’arriver au « vert », voire à l’
« orange » pour tout le monde.
Ces évaluations « couleurs » sont accompagnés de longues appréciations par les enseignants. Si les points n’ont jamais indiqué à quelque parent que ce soit (et encore moins à quelqu’enseignant que ce soit), l’état des apprentissages de leurs enfants, le code couleur accompagné d’appréciations élaborées, est l’appréciation sans doute la plus juste. Non seulement, il indique si l’élève a compris, mais en outre, dans quelle mesure. L’important n’est pas de savoir s’il a mieux ou moins bien compris que les autres élèves, mais où sont ses facilités et ses difficultés. Mais aussi ce que l’enseignant va mettre en place pour remédier à ces difficultés. Ce ne sont donc plus les familles qui doivent gérer les difficultés d’apprentissage mais l’école et ses professionnels. Chacune et chacun étant enfin à sa place naturelle.
L’évaluation
par la note – on l’a vu, choix jésuitique ancestral – a pour objectif la
sélection par la compétition. Les conséquences sont toujours aussi dramatiques
pour les élèves : « redoublement,
passage, filière plus ou moins valorisée, mais aussi réputation dans la classe,
qualité des rapports avec camarades, professeurs et parents… » [1]
[1] 1Fabrizio Butera, Céline Buchs, Céline Darnon
(dir.), L’évaluation une menace ? PUF, Paris, 2011