Le redoublement – chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Le redoublement – chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

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En Belgique comme en France ou au Grand-duché de Luxembourg, penser à une école sans redoublement est inimaginable. De nombreux professeurs sont convaincus que le redoublement aurait une réelle utilité pédagogique : il permettrait de remédier aux difficultés constatées. Puisque les rythmes de développement personnels et d’apprentissage varient d’un élève à l’autre, le redoublement permettrait de corriger ces rythmes en offrant un supplément d’apprentissage aux plus lents. Mieux encore, il servirait aussi de thérapie puisqu’il permettrait aux élèves de gagner en maturité et de repartir sur de meilleures bases.

Comme de nombreux parents qui ne sont pas spécialistes de la pédagogie, les professeurs considèrent encore le redoublement comme un moyen de remédiation efficace. Ils lui attribuent par ailleurs un rôle instrumental. Un sondage[1] d’OpinionWay révèle que 70 % des parents et 64 % des professeurs interrogés sont d’accord avec la phrase « Le redoublement permet réellement à l’élève de rattraper son retard et d’être mieux préparé pour les classes supérieures » .

Le point de vue des parents n’a pas été fort étudié par la recherche scientifique. Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin[2] citent plusieurs études anciennes qui révèlent une adhésion massive au redoublement, mais on manque d’enquêtes récentes. Thierry Troncin[3] a montré que très peu de parents s’opposent au redoublement de leur enfant en première primaire (ou CP). Selon l’auteur, ce serait le signe de la confiance des parents envers les enseignants à ces niveaux scolaires. Mais, rappelons-le, les parents – tout comme les professeurs adeptes du redoublement – ne sont pas experts en pédagogie, ne connaissent rien des études sur les effets psychologiques et le manque d’efficacité du redoublement et encore moins des alternatives que mettent en place les enseignants (contrairement aux professeurs) pour éviter l’échec scolaire et ses dérives.

Non, les professeurs ne sont pas les seuls responsables de l’échec de notre système scolaire. Des parents – principalement ceux issus des classes les plus favorisées et dont la classe sociale tire profit de la sélectivité – manifestent également un triste attachement au redoublement, donc à l’échec scolaire… des enfants des autres.

Tenir à sa classe sociale et refuser de la partager avec les moins nantis est profondément inique. Evidemment, si on veut des riches, il faut des pauvres. Supprimer les pauvres, reviendrait à rendre les gens égaux et donc, à partager les richesses de la société. Cela ne peut être acceptable par une partie minoritaire mais influente de la société. Quels sont les parents qui écrivent des cartes blanches dans la presse, sinon des gens instruits qui défendent leurs acquis sociaux pour leurs propres enfants ? Ce sont des gens qui refusent de partager ces acquis avec l’immense majorité paupérisée de la population. Ce sont ceux qui, en un mot, ne cherchent qu’à protéger leur progéniture et à veiller à leur succès au détriment des plus fragiles. Nous sommes loin du respect du Droit de tous les enfants, mais uniquement de celui d’une minorité de privilégiés prétendument « bien nés ».

L’attachement de ces parents au redoublement renforce celui des enseignants et des établissements élitistes. Il s’agit clairement d’une volonté de maintien de la ségrégation sociale. Il suffit qu’un seul enseignant se pose des questions sur l’inefficacité du redoublement pour, qu’immédiatement, des voix s’élèvent en lui demandant s’il ne vise pas plutôt le « nivellement par le bas » ? Le « nivellement par le bas », vieux fantasme des « élites » libérales qui craignent de partager avec les plus fragiles. Il suffirait simplement de lire la presse qui, en cette matière, fait bien son travail, pour voir que les systèmes scolaires les plus équitables sont aussi les plus performants et donc, qu’ils nivellent vers le haut. Le problème pour ces parents ou grands-parents élitistes belges, c’est que ces systèmes nivellent vers le haut TOUS les élèves, et cela leur est intolérable !

Quant aux familles socialement défavorisées et mal informées des enjeux citoyens, elles imitent ceux qui crient le plus fort sans comprendre les enjeux, en se rassurant que les gens instruits (parents favorisés et enseignants) ont forcément raison. Il est donc important que les médias auxquels ils ont (peu) accès s’engagent, sur le plan citoyen, à expliquer les enjeux sociaux aux personnes les moins bien informées. Nous pensons également aux associations de première ligne, celles qui accueillent les familles et leurs enfants (maisons de quartier, écoles de devoirs, aides en milieu ouvert, services d’accrochage scolaire, médiateurs, …) qui peuvent avoir un rôle fondamental dans l’éducation des classes populaires. Leur faire prendre consciences des enjeux pour l’avenir de leurs enfants leur permettra de ne plus se laisser prendre pour des idiots par l’école qui, elle, a tout intérêt à ce que les parents ne puissent pas contester ses messages. Bref, qu’ils restent dans l’ignorance.

Cependant, les choses sont en train de changer. Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin notent que les familles dites « favorisées » sont beaucoup plus critiques par rapport au redoublement, en ce qui concerne leurs propres enfants. Elles seraient moins disposées à en accepter la décision d’office. Il commence à y avoir un scepticisme à l’égard du redoublement. Dans l’enseignement fondamental, de nombreux parents contestent les décisions de redoublement[4]

Géry Marcoux et Marcel Crahay [5] (2008) expliquent aussi l’adhésion des professeurs au redoublement car ils s’appuient « sur une conception pédagogique selon laquelle l’apprentissage se fait de façon linéaire avec emboîtement des connaissances brique après brique, des professeurs expliquent que le redoublement permet de récupérer les lacunes et de consolider les bases non encore acquises ». En 3e maternelle et en 1ère primaire, 80 % à 90 % des enseignants doutent de l’effet négatif du redoublement sur la confiance en soi d’un élève. Selon eux, un élève qui répète une année le vit rarement comme un échec. Selon eux, on ne « fait pas redoubler une troisième maternelle, on permet à l’élève de mûrir ». Pourtant, aucun professeur n’est formé pour évaluer la maturité d’un enfant. Il s’agit donc bien d’une croyance infondée, telle que le démontrent les parcours d’élèves maintenus en 3e maternelle :



Parcours d’élèves non maintenus en M3 versus parcours d’élèves maintenus
[6]

Comme on peut le voir sur ces graphiques, les élèves qui ont été promus en 1ère primaire (CP) sont 85 % à arriver en 4e année (CM1) sans passer par l’échec. Par contre, ceux qui ont été maintenus en 3e maternelle (grande section) sont un peu moins de la moitié à faire le même parcours. Pire, un quart d’entre eux connaît un second échec et un second quart est orienté vers l’enseignement spécialisé, alors qu’ils sont moins d’un pourcent chez les non maintenus.

Cette conception biaisée fait que le redoublement apparaît dès lors aux professeurs comme une solution adaptée pour solidifier les « bases » des élèves et leur faire gagner en « maturité » afin d’être plus aptes à comprendre les apprentissages et acquérir les compétences visées. « Reposant également sur cette conception cumulative des apprentissages scolaires, bon nombre de professeurs croient aux bienfaits du redoublement précoce[7]»  Comme si l’échec scolaire était un manque de maturité… des élèves ? Personne n’a, fort malheureusement, encore étudié la maturité des professeurs. Pourquoi ceux-ci pratiquent-ils l’échec scolaire alors que les enseignants, eux, ne le font pas. Et ces derniers[8] sont loin d’être des laxistes. Enseigner et transmettre les savoirs à tous les élèves nécessite un engagement professionnel et humain autrement plus important que ce que pratiquent les sélectionneurs. Tout le monde sait donner cours de quelque chose, par contre, enseigner est un art.

Pour Géry Marcoux et Marcel Crahay, « De multiples propos de professeurs traduisent la persistance de croyances sur les effets bénéfiques du redoublement. Celui-ci reste majoritairement vu comme une seconde chance. De manière synthétique, recommencer présenterait différents avantages liés au fait général de donner un supplément de temps. Ainsi, il serait bénéfique de donner du temps aux enfants pas assez mûrs, car on suppose que, durant l’année de redoublement, la maturité va s’acquérir. Il serait également bénéfique de donner du temps aux enfants qui ont des situations familiales difficiles à gérer: on protège ces enfants en ne rajoutant pas une difficulté supplémentaire à leurs problèmes. Le redoublement serait également une manière d’éviter une perte de confiance en soi (par rapport à une promotion qui l’affecterait nécessairement) ou d’aider à la restaurer par la répétition d’activités déjà connues, ce qui réduit la charge cognitive ou la « charge de travail » de l’élève et devrait contribuer à le rassurer sur ses capacités. [9]»

Le redoublement, c’est la roulette russe des professeurs, mais ils mettent le canon du revolver sur la tempe des élèves.

Depuis les années 80, les recherches ont démontré que les professeurs adaptent leurs exigences en fonction de l’établissement scolaire dans lequel ils travaillent, mais également en fonction du niveau moyen de leur classe. C’est une optique peu humaniste mais généralisée. Il leur faudrait, au contraire, se baser sur les plus « faibles » pour pouvoir s’assurer que tout le monde ait compris[10]. En effet, en visant l’élève « moyen », notion que personne au monde n’est capable de définir scientifiquement, il met la barre suffisamment haut pour pratiquer sa sélection, au détriment des plus « faibles ». C’est inéquitable. Non seulement parce que les élèves en difficulté ont été ignorés du début à la fin de l’apprentissage, mais selon la classe dans laquelle il se trouve et les exigences du professeur, l’élève sera placé en échec ou non. Deux élèves aux compétences et connaissances identiques, placés dans deux classes différentes seront pour l’un promu, pour l’autre mis en échec et contraint de redoubler.

Sur les exigences des professeurs en matière d’évaluation, Pierre Merle[11] rappelle que « les recherches sur la notation ont montré l’existence de biais sociaux de notation. Les professeurs sont inconsciemment influencés par le sexe de l’élève, un redoublement éventuel, son âge, son origine sociale, son niveau scolaire, ses notes précédentes, le niveau de la classe, de l’établissement » et, plus étonnant encore, son prénom, comme l’indique une étude intitulée « Name Stereotypes and Teachers’Expectations » dans laquelle deux chercheurs nord-américains ont démontré que les enfants étaient évalués différemment selon la manière dont leur prénom était perçu par leurs enseignants. Il est ainsi apparu qu’une même rédaction se voyait attribuer une note statistiquement supérieure lorsque son «rédacteur» portait un prénom «socialement désirable»[12].

De même on sait que les professeurs tiennent compte des exigences de leurs collègues suivants pour décider du sort d’un élève[13].  

On rappellera toutefois que dans le cadre de l’étude menée par Chenu et al. (2011), deux tiers des institutrices de 3e maternelle (grande section) prenaient en compte les attentes plus ou moins explicites de l’enseignant de première primaire (CP) en termes de maintien. La prise en compte des attentes implicites des collègues de la classe supérieure n’est pas l’apanage exclusif des institutrices de 3e maternelle. Comme le précise Marcel Crahay, « pour un professeur, l’évaluation est aussi un élément crucial dans sa relation avec ses collègues. Au moment de décider de la réussite ou de l’échec des élèves, il est confronté à un dilemme […] : faire échouer un élève dont le niveau de performance est à la limite de ce qu’il croit devoir exiger, c’est courir le risque d’interrompre inutilement la scolarité d’un élève, mais cette erreur possible […], il est fort peu probable qu’on la lui reproche. En revanche, laisser réussir ce même élève, c’est prendre le risque qu’il se montre incapable de suivre l’enseignement du collègue de la classe supérieure ; et là, la probabilité des reproches venant de collègues est bien plus élevée. On touche ici au cœur même de ce qu’il faut bien appeler une culture de l’échec. Un professeur chez qui tous les élèves réussissent est suspect.[14] »

Au quotidien, ces attentes prennent probablement des formes implicites, tacites. On peut penser que c’est aussi par empathie avec le collègue de l’année suivante que certains professeurs décident de ne pas laisser passer un enfant dont la gestion des difficultés risque d’être très lourde pour son collègue[15]. Marcel Crahay cite ensuite différents travaux qui montrent que quand l’enseignant monte avec sa classe, le redoublement est quasi-nul[16].

En résumé, la décision d’un redoublement ne dépend pas des performances d’un élève, mais avant tout des « exigences » du ou des professeurs qui sont, comme on l’a vu, fortement influencées par le niveau de l’école, de la classe et les caractéristiques socioéconomiques et physique de celui -ci. Elle dépend aussi des attentes implicites ou explicite des collègues de la classe supérieure.


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Chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] OpinionWay. Le redoublement à l’école, quels ressentis des enseignants et des parents. Sondage, Novembre 2012. URL http://www.apel.fr/images/stories/apel-opinionway-redoublement.pdf.

[2] Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin. Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire. Rapport 14, Haut conseil de l’évaluation de l’école (HCéé), Décembre 2004.

[3] Thierry Troncin. Le redoublement : radiographie d’une décision à la recherche de sa légitimité. Dijon, Université de Bourgogne, 582 p., Thèse de doctorat, sous la direction de Jean-Jacques Paul. 2005.

[4] Rappelons qu’en Belgique, les parents ont le droit de s’opposer au redoublement tout au long de l’enseignement fondamental. Le CEB (Certificat d’Etudes de Base) que l’on passe à 12 ans est le seul moment de certification et donc de possibilité de redoublement pour un élève. 

[5] Géry Marcoux et Marcel Crahay. Mais pourquoi continuent-ils à faire redoubler ? essai de compréhension du jugement des enseignants concernant le redoublement. Revue suisse des sciences de l’éducation, 30 : 501–518, 2008.

[6] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[7] Géry Marcoux et Marcel Crahay. Ibid.

[8] Nous rappelons que nous faisons une différence fondamentale entre professeur et enseignant. Le professeur, pratique la sélection dans une compétition mortifère, tandis que l’enseignant enseigne… donc vise l’acquisition de tous les savoirs chez tous les élèves. Bref, la « réussite » de tous, contrairement au premier qui, de son côté, n’est pas formé ou ne s’est pas auto-formé pour enseigner. Pour savoir dans quelle catégorie vous situer, demandez-vous si vous pratiquez ou non le redoublement.

[9] Géry Marcoux et Marcel Crahay, Mais pourquoi continuent-ils à faire redoubler? Essai de compréhension du jugement des enseignants concernant le redoublement – Université de Genève, Université de Genève, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, 2008

[10] L’idée étant bien de s’assurer que tous les élèves, les plus « faibles » compris, aient acquis un niveau de compétences élevé.

[11] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes

[12] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes

[13] Chenu, F., Dupont, V., Lejong, M., Staelens, V. Hindryckx, G., & Grisay, A. (2011). Analyse des causes et des conséquences du maintien en 3e maternelle. Rapport de recherche. Administration Générale de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique.

[14] Crahay, M. (1996). Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? (1re éd.). Bruxelles : De Boeck.

[15] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[16] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian, ibid.

L’échec scolaire est une maltraitance

L’échec scolaire est une maltraitance

1. Qu’est-ce que l’échec scolaire ?

Lire aussi :

Le redoublement n’a aucun effet correcteur

Est-il bénéfique de faire redoubler la troisième maternelle ?

Le redoublement n’améliore pas les notes scolaires des élèves

Redoublement et décrochage scolaire

Effets psychologiques du redoublement

Les élèves non-redoublants ont une image négative des élèves qui subissent le redoublement.

Les élèves issus des milieux les plus populaires sont les premières victimes de l’échec scolaire

L’échec scolaire ne sert que l’école

Tous les élèves sont doués pour l’étude

1.1. L’échec fait partie des apprentissages.

Un dictionnaire spécialisé nous dira qu’un échec à l’école c’est une situation où un objectif éducatif n’a pas été atteint. C’est une situation on ne peut plus ordinaire en classe et elle fait partie des apprentissages. Nous apprenons tous par essais et erreurs et peu d’entre nous sont capables de comprendre toutes les notions du premier coup. Le rôle de chaque enseignant·e est, bien entendu, de ne pas laisser cet échec se développer en y remédiant le plus rapidement possible (de préférence durant l’heure de cours). C’est ce que l’on appelle la « remédiation immédiate ».

1.2. Quand l’échec scolaire pose-t-il problème ?

Lorsque, dans ce dossier, nous parlons d’échec scolaire, nous parlons de la situation d’un nombre important d’élèves qui connaissent à l’école des situations répétées d’échec se traduisant par une mise à l’écart du groupe classe, par un ou plusieurs doublements d’années d’études ou encore par une orientation contrainte vers l’enseignement technique ou professionnel.

L’échec scolaire, dans ce cas, n’est autre qu’un objectif pédagogique non atteint que les professeur·e·s ont laissé se développer sans parvenir à y remédier, au point où l’élève est finalement

  • réorienté sans que ce soit son propre choix vers le technique ou le professionnel ;
  • doive redoubler (et donc recommencer son année) ;
  • est placé en 1e ou 2e complémentaire. L’année complémentaire est une manière camouflée de faire redoubler un élève – et donc quitter son groupe social. C’est précisément parce qu’aucune pédagogie différenciée n’a été mise en place par l’équipe pédagogique, que le redoublement a lieu. La différenciation – et donc la progression à son rythme – est pourtant une obligation qu’ont chaque Pouvoir Organisateur ainsi que chaque enseignant, définie par le décret « Missions » (Décret « Missions » = Art 15 : Chaque établissement d’enseignement permet à chaque élève de progresser à son rythme, en pratiquant l’évaluation formative et la pédagogie différenciée.)

2. Etat de l’échec scolaire en Communauté française

 2.1. Soixante mille redoublements par an

Les chiffres datent de 2007 mais les indicateurs de l’enseignement montrent que la constante macabre est maintenue d’année en année.

2.2. Dix-sept mille orientations précoces

En 2006-2007, un peu plus de 17 000 élèves avaient reçu une attestation d’orientation B (passage d’année accepté mais avec une restriction dans certains branches) qui oriente vers l’enseignement technique ou professionnel. Cette décision n’émanait pas de leur propre choix, mais était imposée par le conseil de classe qui décidait de l’avenir (ou du non avenir) de ces élèves ou de leurs parents. Même si, parfois, un choix leur était demandé, celui-ci a toujours été fait par défaut, le premier choix de l’élève étant de continuer normalement le parcours scolaire commencé dans l’enseignement général.

2.3. Vingt mille abandons scolaires 

Dans le tableau ci-dessous, sur la cohorte d’élèves entrés en 3e secondaire en 2003, plus de 30 % vont décrocher et quitter l’école avant d’entrer en sixième année.

Ces élèves qui arrêtent entre la 3e secondaire et l’entrée en dernière année ont 20 000 parcours différents. Si d’aucuns disparaissent dans la nature, d’autres se retrouveront dans les CEFA ou en apprentissage. Quoiqu’il en soit, ils passent dans un choix par défaut ; choix qu’ils n’auraient pas fait (ou du moins pas ainsi) s’ils ne s’étaient pas retrouvés en échec scolaire.

L’Ecole en Communauté française maltraite,

chaque année, 100 000 élèves !!!

3. Qu’est-ce que la maltraitance ?

3.1. Définition juridique :

La Convention internationale des Droits de l’Enfant donne une définition juridique de la maltraitance en son article 19 :

« Toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalité physique ou mentale, d’abandon, de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle. »

3.2. Définition psychopédagogique

La Communauté française de Belgique a défini la maltraitance de manière psychopédagogique :

« Est maltraitant tout comportement et/ou attitude qui ne tient pas compte de la satisfaction des besoins d’un enfant et constitue par le fait même une entrave importante à son épanouissement. Une attitude ou un comportement maltraitant peut-être intentionnel ou le résultat de la négligence, ou de défaillances sociales ».

in « L’aide aux enfants victimes de maltraitance – guide à l’usage des intervenants auprès des enfants et des adolescents « – Communauté française 2002

3.3. En quoi le redoublement et l’orientation précoce relèvent-ils de la maltraitance ?

3.3.1. « Défaillances sociales »

 L’Ecole est une Institution publique institutionnalisée par l’Etat[1] pour remplir ses devoirs à l’encontre des enfants et des jeunes. Ceux-ci sont définis par la Convention internationale relative aux Droits de l’Enfant (ONU 1989).

L’éducation (voir articles 28 et 29 de la Convention internationale des Droits de l’Enfant) est un droit, égal pour tous. Il n’est donc pas « à mériter ». Chaque enfant a droit à un système éducatif, basé sur l’égalisation des chances et qui remplisse les missions que s’est assignée la Communauté française, à savoir poursuivre simultanément et sans hiérarchie les objectifs suivants :

1°     promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves;

2°     amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle;

3°     préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures;

4°     assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.

L’Etat a bien défini la mission de son Ecole. Malheureusement, l’institution scolaire n’a jamais voulu faire siens ces objectifs humanistes. Les écoles « élitistes » continuent à pratiquer la sélection dans le seul but de se positionner en tête des établissements situés sur le même territoire captif. Et les écoles techniques et professionnelles n’ont, dès lors, d’autre choix que d’accueillir des élèves cassés, révoltés ou brisés par les établissements du haut de la liste. Dans ce quasi-marché scolaire, les élèves sont quantité négligeable. Leurs intérêts – et encore moins leurs droits – ne sont en aucune manière au centre du dispositif éducatif. Les écoles ne sont pas là pour éduquer les élèves mais uniquement pour gagner par tous les moyens la compétition entre elles. Celle qui vaincra sera celle qui cassera le plus d’enfants. Ce sera aussi celle qui, nous le verrons, pratiquera le plus la maltraitance institutionnelle.

Refusant de remplir la mission que lui a fixée le politique, l’institution scolaire faillit ! Nous pouvons affirmer qu’il s’agit bien d’une défaillance sociale. Celle-ci touche des dizaines de milliers d’élèves chaque année.

[1] Dans ce cas-ci, la Communauté française de Belgique.

3.3.2. « Violence, atteinte ou brutalité mentale »

La violence à l’Ecole fait souvent les gros titres de la presse. Chaque fois qu’un enseignant est agressé il n’est pas – à juste titre – un média qui reste silencieux. La violence, sous quelque forme que ce soit, et à l’égard de qui que ce soit est totalement inacceptable. A fortiori, lorsqu’il s’agit d’un professionnel de la fonction publique (enseignement, justice, police, services d’urgence, …). Il faut donc la combattre par tous les moyens possibles.

Par contre, la violence DE l’Ecole fait rarement les gros titres des journaux. Pourtant, elle est très souvent à l’origine de la première. Elle est sournoise parce qu’elle ne sort pas des classes ou des écoles. Et l’élève est culpabilisé : l’échec est, forcément, de leur faute. Il est étonnant que personne ne se demande pourquoi certains élèves deviennent soudain incontrôlables, violents envers leurs éducateurs ou suicidaires ?

A chaque agression, on met en avant le milieu social, on extrapole des raisons familiales, des problèmes psychologiques[1]. S’il est évident que de nombreux enfants vivent des situations de vie difficiles, l’origine scolaire des violences n’est jamais mise en avant. Et pourtant… qui peut prétendre qu’elle n’en est pas, parfois… voire souvent, la cause première ?

L’Ecole est devenue, dans nos sociétés, la plus importante source de reconnaissance pour les jeunes, sinon la seule. Priver un enfant de réussite à l’école, c’est donc le priver de ce pain psychologique qu’est pour lui, bien plus encore que pour l’adulte, la reconnaissance des autres[2]. Qu’attendre d’un enfant, d’un jeune qui est privé de ce qui est socialement le plus important pour lui ? Il est normal qu’il se révolte. S’en étonner est manquer de la plus élémentaire psychologie. Et plus la douleur sera profonde, plus la réaction sera incontrôlable. Elle pourra aller de la violence extrême contre les autres à la violence extrême contre soi-même. Combien d’enfants se sont-ils suicidés à la suite de cette fameuse goutte de trop qu’est la profonde souffrance scolaire ?

En orientant précocement[3] des élèves qui pouvaient réussir[4] si l’institution avait daigné mettre en place les dispositifs de remédiation adéquats, l’école empêche l’élève de faire un véritable choix de vie. Elle décide pour lui de l’orientation qu’aura, non seulement sa propre vie, mais également celle de ces enfants[5]. Il faut savoir que plus de 90 pourcents des élèves orientés ne voulaient pas du choix qui avait été fait pour eux (ou avec eux, mais dont ils n’avaient pas de véritable choix) ! Il s’agit d’une violence grave à l’égard de ces jeunes, mais également à l’égard de leurs générations futures.

Le redoublement (et l’orientation précoce) sont institutionnalisés. Ils auraient pour « vocation » de remédier aux difficultés d’apprentissage des élèves. Il n’en est rien. De multiples études l’ont amplement démontré, et ce, depuis des dizaines d’année[6]s. Prétendre le contraire aujourd’hui revient à affirmer que c’est le Soleil qui tourne autour de la Terre. Il s’agit de croyances d’un autre âge. Le redoublement, au mieux, ne sert à rien ; au pire annonce d’autres redoublements et contribue à l’abandon scolaire. C’est, aujourd’hui, une vérité scientifique établie et incontestable (lire les annexes) ! Ils induisent chez le jeune qui en est victime, des effets psychologiques graves qui relèvent de la brutalité mentale. Ces souffrances sont bien connues des psychologues et autres services pluridisciplinaires qui oeuvrent dans le domaine des phobies scolaires et des pathologies psychiatriques.

Ce sont principalement (mais pas seulement) les élèves issus des classes sociales les plus fragiles qui sont victimes du redoublement et de l’orientation précoce vers les filières techniques et professionnelles[7]. De ce fait, le redoublement amplifie les inégalités sociales. Le redoublement donne, aux yeux des autres élèves, une image négative de l’élève qui en est victime. Ceci est d’une grande violence sociale et relève de la cruauté mentale en refusant à ces jeunes tout espoir de pouvoir sortir de leur condition sociale.

 Enfin, en induisant chez les autres élèves – ceux qui ont la chance d’être en réussite[8] – une image négative de l’élève victime de l’échec scolaire. On le sait, les enfants ont un réel besoin de reconnaissance[9] de leurs parents, leurs enseignants ET LEURS CONDISCIPLES. Les en priver relève de brutalité mentale.

[1] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2013/08/20/effets-psychologiques-du-redoublement/

[2] Daniel Calin : http://dcalin.fr/textes/echec.html

[3] Avant la cinquième secondaire, soit avant l’âge de 17 ans.

[4] Tous les élèves sont capables de réussir (Voir annexe 8). Contrairement aux affirmations répandues, c’est l’école qui fait rater les élèves, et non ceux-ci qui sont responsables de leur(s) échec(s).

[5] Les enfants de cadres et d’enseignants sont 80 % à faire des études supérieures, contre 30 % seulement pour les familles d’ouvriers. Décider du futur niveau social d’un élève hypothèque indubitablement l’avenir de ses futurs enfants.

[6] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2019/02/04/le-redoublement-nameliore-pas-les-notes-scolaires-des-eleves/

[7] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2013/08/20/effets-psychologiques-du-redoublement/

[8] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2013/08/20/les-eleves-non-redoublants-ont-une-image-negative-des-eleves-qui-subissent-le-redoublement/

[9] Daniel Calin : http://dcalin.fr/textes/echec.html

3.3.3. « Négligence »

Le redoublement ne sert à rien[1]. Toutes les études démontrent que le redoublement est inefficace. Au mieux permet-il aux élèves d’évoluer comme ils auraient évolués sans redoubler, mais avec une année de plus. Peut-on, dès lors accepter, que l’Ecole contraignent les enfants à perdre une année de leur vie, et ce pour rien ? En faisant ce choix, l’institution scolaire est responsable de négligence. Elle ne met pas en place les pratiques pédagogiques indispensables à la réussite de ceux qui ont besoin de plus de temps, de plus d’explications, de plus de confiance : remédiation immédiate (durant l’heure de cours…. et non trois jours plus tard sur le temps de midi), différenciation (permettre à chaque enfant d’apprendre à son rythme), attention positive, refus du postulat d’éducabilité, ….

L’abandon scolaire[2] est, souvent, la conséquence de l’échec scolaire[3]. Jeter les jeunes sur la rue est la meilleure manière de favoriser la délinquance.

 Enfin, en ne se préoccupant que de leurs seuls intérêt[4], les établissements scolaires délaissent leur mission qui est d’éduquer TOUS les jeunes. En sélectionnant et orientant précocement dans le seul objectif de préserver leur réputation, les écoles méprisent les droits des jeunes et particulièrement ceux des plus fragiles, tant socialement que psychologiquement. C’est plus que de la négligence. Il s’agit d’une réelle volonté de nuire à ces jeunes et à leur avenir, au nom d’une idéologie d’un autre âge, celle qui fait la sélection de classes !

[1] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2013/08/20/le-redoublement-na-aucun-effet-correcteur/

[2] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2019/02/04/redoublement-et-decrochage-scolaire/

[3] 30 % des jeunes abandonnent l’école entre la troisième secondaire et l’entrée en rhéto.

[4] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2013/08/20/lechec-scolaire-ne-sert-que-lecole/

3.3.4. « Mauvais traitements »

« Ane bâté, nul, idiot, incapable…. », autant de qualificatifs qui désignent l’élève en échec, tant aux yeux de ses condisciples, que des enseignants, voire encore de leurs parents. Quel drame pour ces jeunes qui n’ont d’autre particularité que d’avoir besoin de plus de temps pour apprendre ; temps que souvent refuse de leur donner l’institution scolaire. Pourtant, on sait que cela permettrait à tous ces élèves de réussir mais également aux autres élèves d’encore progresser un peu plus.

Faire passer, aux yeux de tout leur environnement social, des enfants pour des incapables relève de mauvais traitements. Personne n’est incapable. Les recherches en sciences de l’éducation l’ont amplement démontré [1]. Le redoublement, l’orientation précoce stigmatisent ces jeunes aux yeux de leur entourage et de leur réseau social.

3.3.5. « Entrave importante à l’épanouissement »

Empêcher un jeune de faire un véritable choix de vie en l’orientant trop tôt[2] est une véritable entrave à son épanouissement personnel futur. L’orienter vers une filière dont il ne veut pas, ou qui soit un choix par défaut est contraire à son intérêt.

Qui peut prétendre qu’une pratique institutionnalisée (ou individuelle) qui encourage l’abandon scolaire et jette des jeunes dans les rues, générant de la délinquance[3], favoriserait cet épanouissement personnel ???

On le sait, l’échec scolaire vise principalement (mais pas seulement) les élèves issus des classes sociales les plus fragiles[4]. En amplifiant les inégalités sociales, l’Ecole permet-elle à ces jeunes d’atteindre un véritable épanouissement ?

Nous avons parlé de l’image que l’échec scolaire véhicule auprès des autres élèves[5], tout comme le manque d’intérêt des établissements qui utilisent l’échec scolaire à leur seul profit[6]. Autant d’entraves importantes à l’épanouissement de tous ces jeunes.

[1]https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2019/02/04/tous-les-eleves-sont-doues-pour-letude/

[2] Il est important de laisser mûrir un jeune afin qu’il puisse faire un véritable choix de vie, non restrictif. Avant 16 ans, c’est beaucoup trop tôt.

[3] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2019/02/04/redoublement-et-decrochage-scolaire/

[4] Les élèves issus des milieux les plus populaires sont les premières victimes de l’échec scolaire

[5] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2013/08/20/les-eleves-non-redoublants-ont-une-image-negative-des-eleves-qui-subissent-le-redoublement/

[6]https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2013/08/20/lechec-scolaire-ne-sert-que-lecole/

4. Qui en porte la responsabilité ?

4.1. Les enfants ?

Etant donné que nous sommes dans le champ du Droit, ne peuvent être incriminés ceux qui bénéficient de ce droit. En aucun cas, les bénéficiaires d’un droit n’ont à le mériter. Dès lors, chaque enfant a droit à la réussite scolaire [1] et il ne peut lui être reproché son échec à l’école.

Le fantasme « on ne peut pas faire réussir ceux qui ne travaillent pas » est faux. Tous les élèves travaillent lorsqu’ils sont en situation de réussite, dans un cadre pédagogique motivant et dynamique. Ce qui décourage les élèves, ce sont les cours frontaux et la sélection continue. C’est un cocktail mortel.

Les écoles doivent donc mettre en place et former leurs enseignants aux pédagogies actives qui, seules, stimulent et motivent les élèves, et visent à la réussite de tous, et donc, au respect du Droit de tous !

4.2. Les familles ?

L’Ecole n’a pas à se reposer sur les familles des élèves. Celles-ci ne sont pas sensées connaître les modes de fonctionnement de l’Ecole pas plus qu’elles ne doivent être formées aux matières et aux pédagogies afin de jouer à l’enseignant après les heures d’école.

En outre, l’école ne peut attendre d’elles qu’elles investissent financièrement dans la remédiation externe (cours particuliers, stages de vacances, …)[2]. Le seul lieu d’apprentissage étant la classe, les parents n’ont pas à pallier au rôle de l’Etat, donc à la mission de l’Ecole.

Cependant, certaines (nous avons bien dit « certaines ») familles socialement favorisées mettent la pression sur le système pour qu’il continue à discriminer les élèves de milieux socialement différents. Elles cherchent l’ « entre-soi », décrétant sans oser le dire que les écoles élitistes sont « leurs » écoles et que les autres ne doivent pas y avoir leur place, en tout cas pas jusqu’au bout, c’est à dire « empêchez-les d’arriver à l’université avec NOS enfants ». Pour ces familles de tendance libérale (voire néolibérale ou plus à droite encore) l’école doit rester le lieu de sélection qui formera le plus faiblement possible les serviteurs de leurs enfants, demain : postièr·e·s, mécanicien·ne·s, jardinièr·e·s, boulangèr·e·s, caissièr·e·s, … institutrices/teurs, … L’école ne peut pas être un ascenseur social, au risque de voir les enfants de « barakis » prendre futurs les emplois bien payés, de leur progéniture.

4.3. Les enseignant·e·s ou les « profs » ?

Nous postulons que l’immense majorité des enseignant·e·s ne pratiquent pas l’échec scolaire et donc, n’ont pas ou prou d’élèves en échec dans leurs classes. Il est des écoles qui sont de vrais îlots de paix (essentiellement en maternelle et en primaire, mais il existe quelques écoles secondaires qui ne pratiquent pas la sélection et visent la réussite de tou·te·s [3]) qui fleurent bon la pédagogie et où tout est mis en place pour faire accéder tous les élèves à la réussite.

Nous croyons dans les enseignant·e·s. Ils sont les secondes victimes de l’échec scolaire [4]. En effet, nombre d’entre eux-elles sont confronté·e·s à des élèves cassé·e·s par l’échec scolaire en d’autres lieux, et qui le leur font « payer » à eux. Ils subissent l’échec et l’orientation précoce décidés ailleurs, dans les écoles élitistes (voir point 4.4.). L’échec scolaire broie prioritairement les élèves mais n’oublie pas un nombre important d’adultes dont la vocation était la plus noble qui soit : éduquer !

Nous faisons cependant une différence entre « enseignant·e·s » et « profs ». Les premier·e·s se sont formé·e·s en pédagogie, sont expert·e·s en didactique et savent comment transmettre les savoirs à tous les élèves, quelles que soient les difficultés d’apprentissages rencontrées. Ils-elles pratiquent la coopération entre élèves, mettent en place une pédagogie active, favorisent l’inclusion, adaptent leurs pratiques aux élèves  et visent la réussite (= l’acquisition des savoirs) de tou·te·s. Les « profs », eux, ne prennent pas la peine de se former (encore moins de s’informer), donnent leurs cours du haut de l’estrade (ils ont un siècle de retard sur les grands pédagogues comme Freinet, Montessori, Piaget, Freire, Illich, Oury, Vygotsky, Wallon, Korczack, Decroly, … ), ils-elles sont pédagogiquement incompétent·e·s (ne mettent au point aucune pédagogie active) et pratiquent la sélection des élèves par la compétition, sans se soucier des dégâts immenses qu’ils-elles commettent en brisant l’avenir des élèves qui ont le plus de difficultés. Ce sont des « donneurs et donneuses de leçon », sans plus.

Nous croyons dans les enseignants car eux-elles seul·e·s seront capables de changer l’Ecole. La plupart d’entre elles-eux exècrent l’échec scolaire et se battent au jour le jour pour la réussite de tou·te·s. Ce sont des professionnel·le·s remarquables qui visent la réussite de tous.

Malheureusement, pour qu’un système dysfonctionne, il lui faut des collaborateurs zélés : les « profs ». Il s’agit d’une minorité de professionnel·le·s – probablement toujours les mêmes – qui portent haut l’étendard de la sélection [5]. Ceux-ci et celles-ci discréditent l’ensemble de la profession et sont responsables, à la fois des échecs des élèves, mais également de la souffrance de leurs collègues.

4.4. Les pouvoirs Organisateurs [6] et les réseaux ?

Cherchons à qui profite le crime…

Ce sont les P.O. qui ont mission de faire réussir TOUS les élèves. Ils reçoivent les subsides de la Communauté française (provenant des impôts de TOUTES les familles) et doivent donc atteindre les objectifs fixés par le Décret Mission (article 6), à savoir :

1° promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves;

2° amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle;

3° préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures;

4° assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.

Ils doivent donc – et l’article 6 du Décret Missions est clair – faire réussir TOUS les élèves.

Pourtant, nous connaissons tous les écoles « élitistes » (dites aussi écoles traditionnelles – càd sans pédagogie et sans états d’âme). Le premier Décret « inscriptions » a eu le mérite de les dévoiler : ce sont celles où des parents ont fait la file afin d’être les premiers à y inscrire leurs enfants.

L’enseignement en Belgique est régi par un système de quasi-marché scolaire. Les établissements scolaires font leurs « courses » au sein de la société, décidant quel public ils souhaitent voir accéder à leur école. Les écoles élitistes ont fait le choix de viser le public le plus favorisé. La raison en est simple : les enfants de ces familles sont confrontés à des découvertes, des apprentissages depuis le plus jeune âge. Ils possèdent la langue de l’enseignement et n’attendent qu’à pouvoir un jour aller à l’école. Leurs parents les ont naturellement préparés à apprendre, leur en ont donné l’envie depuis le plus jeune âge. En somme, ils leur ont inculqués les codes de l’école et pourront les aider, les soutenir durant toute leur scolarité, même sur le plan financier. L’école ne doit donc plus remplir sa mission éducative, les parents ayant la capacité d’y pallier. Il lui reste à pratiquer la sélection, éliminant les plus faibles (de préférence ceux issus de familles plus modestes) au nom d’une idéologie d’un autre âge.

Ces établissements scolaires (et donc ces Pouvoirs Organisateurs) ont comme seul objectif de se positionner par rapport aux établissements environnants. Être le meilleur (donc celui qui casse le plus d’élèves) est la place la plus prisée. Cela nécessite d’entrer en compétition avec les écoles voisines. Pour ce faire, ils instrumentent leurs enseignants et les force à pratiquer la sélection (un « bon » enseignant étant un enseignant qui a beaucoup d’échecs).

Ces écoles sont « pyramidales ». Autrement dit leur base est plus large que leur sommet. On peut compter jusqu’à trois fois plus de classes de première secondaire que de classes de terminale. Autrement dit, chaque étage (chaque année) est plus étroit que le précédent. Dès lors – et c’est la logique des cases – il y a chaque année moins de places à attribuer pour les élèves. En résumé, à chaque fin d’année, et quelles que soient les compétences acquises par les élèves, il y a un nombre précis d’élèves à éliminer. C’est la mission qu’imposent ces P.O. à leur équipe pédagogique.

Ce n’est, évidemment possible, que parce que des enseignants-collaborateurs acceptent de renier leur mission en jouant le jeu.

Quant aux fédérations de P.O. (les réseaux), certains roulent  pour leurs écoles élitistes. Cela s’est vu spécifiquement lors des Décrets inscriptions où certains P.O. ont fait de la résistance.

Les P.O. sont les premiers bénéficiaires de l’échec scolaire. Ils l’instrumentalisent à leur seul profit. Ils en sont donc les premiers et principaux responsables de l’échec scolaire et de la maltraitance que celui-ci génère chez les jeunes et dans les familles.

4.5. Le politique ?

L’Ecole est l’institution mise en place par l’Etat (dans ce cas-ci, la Communauté française) pour remplir ses obligations en matière d’éducation au sens large.

On l’a vu, l’éducation est un droit qui doit bénéficier à chaque enfant sur base de l’égalité des chances (elle doit bénéficier à chaque enfant d’égale manière en terme d’égalité finale des résultats). Dès lors, la Communauté française a le devoir de donner à tous ces enfants cette égalité finale des résultats (soit à 18 ans [7] !!!).

Le phénomène de l’échec scolaire est connu depuis de nombreuses années. Les solutions [8] sont également connues depuis très longtemps. Pourtant, bien peu de choses changent. Plutôt que de démonter et reconstruire l’Ecole sur des bases nouvelles, ce sont des décrets cosmétiques qui y sont apportés. Il est évident que sans une révolution copernicienne, notre Ecole continuera à maltraiter plus de 100 000 élèves chaque année !

La peur d’agir, d’affronter les Pouvoirs organisateurs (pour rappel, la C.F. en est un), les enseignants qui sont une masse d’électeurs importante [9], ainsi que les familles socio-culturellement favorisées qui sont les grandes bénéficiaires du système, fait que le monde politique a peur de changer le système en profondeur. Et les enfants, malheureusement pour eux, ne votent pas.

Le monde politique préfère donc fermer les yeux sur une maltraitance institutionnelle gravement répandue – et donc s’en fait complice – plutôt que de se positionner clairement sur le système de société qu’elle veut : une société équitable et solidaire ou une société élitiste et discriminative.

Les femmes et les hommes politiques n’étant pas, dans leur grande majorité, issus de milieux socialement moins favorisés, ils ne se sentent que peu concernés par la misère des enfants et des familles souffrant de l’échec scolaire.

Etonnement, ces politiques ferment les yeux et accréditent un système dysfonctionnant de sélection et d’orientations basées sur la discrimination. Bref, sur un système fasciste. Pourtant, ce sont des partis (donc des femmes et des hommes) démocratiques. Cherchez l’erreur ! 

4.6. Les médias ?

Quand, en 2008, nous interpellions la RTBF[10] afin de demander un travail de mise en débat des enjeux éducatifs, c’est une fin de non recevoir qui nous fut renvoyée. La RTBF ne se différencie pas, en cela, des autres médias[11].

Les médias, dans leur ensemble, abordent régulièrement les problèmes de l’Ecole, mais toujours en rapport avec l’actualité ou le fait divers. On n’y trouve que (trop) peu de débats de fond. Pourtant, c’est leur rôle – et il est essentiel – de lancer les débats sociétaux, de porter des valeurs citoyennes, d’informer les citoyens et de leur apporter les éléments d’analyse indispensable. La violence à l’école est régulièrement traitée et à juste titre, mais la violence de l’Ecole, d’un système qui maltraite 100 000 enfants chaque année, n’est quasiment jamais abordée.

La lutte contre l’échec scolaire passera inévitablement par un grand débat au sein de notre société, qui ne peut être porté que par l’ensemble des médias démocratiques.

Malheureusement, on en est encore loin de la coupe aux lèvres.

4.7. L’associatif ?

L’échec scolaire est abordé de deux manières radicalement différentes selon que l’on s’adresse au monde de l’éducation permanente (et ses satellites) ou aux associations à vocation plus… « économique ».

Pour le premier, l’échec scolaire est un combat à porter pour la réalisation d’une société plus équitable, plus fraternelle, plus citoyenne. La plateforme de lutte contre l’échec scolaire (01/09/2003 à …), que coordonne la Ligue des Droits de l’Enfant [12], rassemble une quinzaine d’associations, les syndicats d’enseignants, des chercheurs en sciences de l’éducation et s’implique réellement contre l’échec scolaire par des actions citoyennes visant tous les publics. Cette plateforme dont la vocation est un changement d’Ecole (et donc un vrai projet visant une société équitable) est très peu soutenue par les médias et le politique.

L’échec scolaire est très rentable ! Dans son sillage sévissent nombre d’associations qui lorgnent sur la manne financière des familles des enfants en échec. Que ce soit au niveau des cours particuliers (coach) ou des stages de vacances (stages de langue, de remise à niveau, d’échec à l’échec, …), on trouve tout et n’importe quoi dans ce créneau. Prétendant être plus fiable que les enseignants, ces associations, par leur publicité, accréditent plus encore l’idée que l’échec est « normal » et inévitable.

[1] La réussite scolaire, selon nous, n’est nullement affaire de points. Il s’agit d’amener tous les élèves à une égalité finale des résultats (appelée aussi égalité des acquis). L’égalité finale des résultats dans l’absolu est évidemment impossible et donc peu opérationnelle. L’égalité des résultats doit se concevoir comme l’égale accession à un niveau commun minimal et est alors habituellement appelée égalité des acquis. C’est la 2e conception présente dans le décret Missions et dans le décret École de la réussite. Il s’agit de permettre à tous les enfants d’une même classe d’âge, indépendamment de leurs caractéristiques de départ, d’atteindre un minimum commun (les socles de compétences par exemple, ou plus ambitieux, les compétences terminales pour tous). Jacques Cornet – Cgé 2003

[2] Les stages de vacances et autres cours particulier sont prohibitifs. Ils coûtent extrêmement cher. Et les résultats obtenus sont très loin de valoir ces prix. En outre, les familles ne sont jamais remboursées en cas d’échec.

[3] Par exemple Pédagogie Nomade à Limerlée, mais aussi toutes les écoles à pédagogie institutionnelle ou à pédagogie active.

[4] Quatre enseignant sur neuf abandonnent l’Ecole avant la fin de leur septième année d’enseignement.

[5] Pour rappel, ce sont les idéologies d’extrême droite qui ont fait la part belle à la sélection des individus au sein de leurs régimes fascistes, allant – dans les cas extrêmes – jusqu’à l’élimination physique des « plus faibles ». Dans une société démocratique, les citoyens sont égaux en dignité et en droits. Ils bénéficient donc des mêmes droits et ce, sur base de l’égalité des chances.

[6] Le P.O. (Pouvoir Organisateur) est le Conseil d’administration de l’école. Il en est le « patron » et l’employeur des enseignants. C’est lui qui engage les enseignants, qui décide du projet pédagogique et du projet éducatif de l’école et qui la gère sur le plan financier. Le projet pédagogique définit les visées pédagogiques et les choix méthodologiques qui permettent à un pouvoir organisateur (P.O.) ou un organe de représentation et de coordination des pouvoirs organisateurs de mettre en oeuvre son projet éducatif (article 64 du décret Missions). Le projet éducatif, quant à lui, définit l’ensemble des valeurs, des choix de société et des références à partir desquels un pouvoir organisateur (P.O.) ou un organe de représentation et de coordination des pouvoirs organisateurs définit ses objectifs éducatifs (article 63 du décret Missions).

[7] Art 1 de la CIDE : Au sens de la Convention relative aux Droits de l’Enfant, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable.

[8] Lire le Mémorandum de la plateforme de lutte contre l’échec scolaire

[9] Environ 100 000 électeurs potentiels. Autant que d’élèves maltraités…

[10] La RTBF sera-t-elle au rendez-vous des enjeux éducatifs de la Communauté Française. Carte blanche de la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire  https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2008/02/22/la-rtbf-sera-t-elle-au-rendez-vous-des-enjeux-educatifs-en-communaute-francaise/

[11] Exception faite de l’émission de Martine Cornil « Tout autre chose » RTBF – La Première – qui, une fois par mois, aborde les problèmes de l’Education avec Jacques Liesenborghs.

[12] L’Education, on l’a vu, est un droit de l’Enfant.

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