Les élèves issus des milieux les plus populaires sont les premières victimes de l’échec scolaire

Les élèves issus des milieux les plus populaires sont les premières victimes de l’échec scolaire

C’est connu depuis longtemps, l’Ecole reproduit – et amplifie – les inégalités sociales. Que vous soyez riche ou misérable, l’Ecole fera de vous un (encore plus) riche ou (encore plus) un misérable.

Le premier tableau, ci-dessous indique la proportion d’élèves en retard et les performances des écoles en fonction des indices sociaux de leur population. Les écoles les plus « faibles » étant celles qui ont une population scolaire extrêmement précaire, tandis que ces (trop) fameuses « bonnes écoles » concentrent la population la plus favorisée socio-économiquement.

Le tableau 17 montre combien la discrimination touche les couches les plus défavorisées. On remarque que 18,1 % des enfants issus des quartiers les plus défavorisés sont à l’heure, tandis que la moitié des enfants issus des quartiers les plus favorisés le sont quant à eux.

L’échec scolaire touche toutes les classes de la société, mais en majorité les classes sociales les plus modestes.

Les élèves non-redoublants ont une image négative des élèves qui subissent le redoublement.

Les élèves non-redoublants ont une image négative des élèves qui subissent le redoublement.

Pierre humbert (1992) a démontré que le redoublement créait un processus de stigmatisation des redoublants par les non-redoublants. L’élève ayant vécu cet échec est habillé de particularités psychologiques connotées négativement.

Le redoublement est conçu comme un problème lié à l’effort et à l’implication dans les tâches scolaires. Pour les élèves non-redoublants, l’élève qui redouble n’est pas proprement décrit comme ayant des difficultés d’apprentissage mais comme ne faisant pas d’efforts. Il est distrait, mal poli, désobéissant, mauvais, fainéant, bête, méchant, lent, honteux, etc[1]. C’est aussi un garçon, alors que les élèves non-redoublants se qualifient de sages, à l’écoute, intelligents, normaux, travailleurs, aimant l’école, attentifs, bien habillés, ne se bagarrant pas, … », bref, d’un ensemble de qualités valorisées par l’école.

En pratiquant le redoublement, l’enseignant structure son groupe-classe en deux entités opposées. Il opère un marquage social de certains élèves – les mauvais élèves – qui ont toutes les chances d’être alors victime de stigmatisation de la part de leurs pairs. Comme si le fait de redoubler était de sa faute. Or, le rejet social est d’autant plus fort que la personne est tenue pour responsable de sa stigmatisation (Weiner, Perry & Magnusson, 1988 ; Crandall & Moriarty, 1995).

Conclusion

 La pratique du redoublement est un mauvais signe pour les élèves non-redoublants. Cela leur donne une image négative de leurs condisciples. Ceux-ci sont déconsidérés à leurs yeux alors qu’ils ne le seraient nullement dans un milieu « neutre ».

 C’est contraire aux principes de l’article 6 du Décret du 24 juillet 1997 préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures. Comment peut-on être solidaire lorsque l’Ecole nous a appris à être compétitifs ?

[1] Crahay 2003 – Peut-on lutter contre l’échec scolaire – p 222 et suivantes

Effets psychologiques du redoublement

Effets psychologiques du redoublement

Les psychologues connaissent bien, depuis de nombreuses années, les effets du redoublement sur les élèves qui le subissent. Ceux-ci sont dévastateurs ! Tout échec implique chez qui que ce soit – et à fortiori chez des enfants – une atteinte à l’image de soi.

Plus que l’adulte, l’enfant a besoin de l’estime des autres (ses camarades, ses parents, ses enseignants, …). L’échec scolaire, en entamant gravement l’estime des autres, prive cet enfant de cet étayage narcissique psychologiquement vital pour lui[1].

Souvent l’échec est précoce. Il touche plus profondément encore ces élèves qui sont déjà fragiles. On remarque que ces enfants sont en difficulté depuis le début de leur scolarité. C’est normal : nous verrons dans l’annexe 8 que ce qui différencie les enfants c’est leur vitesse d’apprentissage. Certains enfants sont naturellement plus lents et ont besoin de plus de temps. Ne pas le leur donner ne peut que les mettre en grande difficulté et participe de cette maltraitance.

Le redoublement opère un marquage social des élèves qui le subissent : « les mauvais élèves » ! A partir de celui-ci se développe un processus de stigmatisation. Ces élèves sont affublés d’une série de stéréotypes négatifs : bête, idiot, têtu, lent, mauvais, médiocre, faible, nul, paresseux, fait le pitre, indiscipliné, lent d’esprit, travaille mal, méchant, pas développé, étranger, …

Ils vivent la peur des sarcasmes des camarades, voire des enseignants. La perte des tissus sociaux établis n’est pas la moindre des souffrances. Se retrouver dans une classe avec de plus jeunes élèves fait  perdre le lien qui existait avec les copains d’avant. Il faut tout recommencer avec, en plus, une étiquette très lourde à porter.

Les élèves qui ont vécu un redoublement ressentent divers sentiments : de honte, de tristesse, de gène. Ils vivent un véritable malaise intérieur, ont des sentiments d’incapacité et d’infériorité. Le doute s’installe, la confiance s’étiole, l’auto-dévalorisation se développe[2].

La loi du silence est générale. Ces élèves taisent leur souffrance, leur honte vis-à-vis de leurs condisciples. La plupart ne savent même pas pourquoi ils redoublent. A l’école, tout est fait pour faire taire les redoublants. Rien n’est mis en place pour rencontrer leurs difficultés propres.

Il semble que ce n’est qu’à la maison que l’on parle du redoublement. Le plus souvent c’est l’engueulade, alors que l’élève n’y est pour rien. Mais la pression de l’école et le discours culpabilisant des enseignants et des directions font retomber, aux yeux des parents, la faute de l’échec sur le dos de l’élève. Il ne faut pas oublier la souffrance et la honte des familles qui sont importantes. Non contente de maltraiter l’élève, l’Ecole met des dizaines de milliers de familles en souffrance et les culpabilise de ses propres manquements.

Le redoublement engendre, chez les élèves qui le subissent, ce que les psychologues appellent le sentiment d’incompétence acquis[3]. L’élève se résigne à ne pas être compétent (il a acquis le sentiment d’être incompétent). Ses expériences ainsi que les messages envoyés par l’école lui ont démontré qu’il « ne savait pas », qu’il était incompétent et que rien ne pouvait modifier cet état. Le sentiment d’incompétence acquis est difficilement modifiable chez l’enfant qui le ressent. Il a le sentiment de ne pas avoir le contrôle des causes qui l’ont amené à cet échec et qu’elles ne pourront jamais changer. Il est persuadé d’être bête et incapable, une fois pour toute[4].

Il faut ajouter à ce chapitre un phénomène en nette progression, même s’il demeure encore largement tabou, les élèves « malades de l’école » qui toucherait, selon les sources, 4 à 5 % des élèves, les empêchant de se rendre normalement en classe. Parmi eux, près d’1% souffriraient d’une forme plus sévère encore : la phobie scolaire.

Conclusion

 Le redoublement et l’orientation précoce engendrent une profonde souffrance chez les élèves qui en sont victimes.

Leurs familles sont également touchées par les mêmes sentiments.

[1] Daniel Calin : http://dcalin.fr/textes/echec.html

[2] Crahay 2003 : Peut-on lutter contre l’échec scolaire p 228 et suivantes.

[3] Learned helplessness aussi appelée théorie de la résignation apprise (Seligman, Maier & Solomon 1969).

[4] Tous les élèves sont capables – Voir annexe 8. Un élève ne devrait donc jamais être persuadé qu’il est incompétent puisque, précisément, il est parfaitement doué pour l’étude. C’est l’Ecole en CF qui n’est pas capable.

Redoublement et décrochage scolaire

Redoublement et décrochage scolaire

Si le redoublement était bien un moyen de remettre les enfants à niveau, il ne devrait pas engendrer de décrochage scolaire chez ces élèves.

Le recensement des recherches scientifiques met, malheureusement, en évidence la relation entre redoublement et décrochage scolaire. Ce constat ne date pas d’hier. Déjà en 1966, Randall (Etats-Unis) démontrait la relation entre le redoublement et l’abandon scolaire.

Pourcentage d’abandons et de diplômés dans une école publique en fonction du nombre de redoublements subis au préalable.

Parmi les élèves qui ont abandonné leurs études avant d’être diplômés, ils sont 65,9 % a avoir subi un ou plusieurs redoublements. Pour ceux qui terminent avec succès, ils ne sont que 2,9 % a avoir subi un redoublement.

Diverses études, plus récentes, arrivent à des résultats similaires. Citons :

Stroup & Robins (1972) montrent que le fait de recommencer une année de l’enseignement primaire est le prédicteur le plus important (sinon le seul) de l’abandon au niveau de l’enseignement secondaire.

Lloyd (1978) a établi une équation de régression prédisant avec une probabilité de 75 %  le décrochage. L’étude doit sa notoriété au fait que les mesures ont été prises en 3e année primaire. Doubler sa 3e ou au cours des deux années précédentes est corrélé à 0,31 et à 0,27 avec le fait d’abandonner ses études avant la fin du secondaire.

Stephenson (1985) a mené une enquête longitudinale qui a démontré que le taux d’abandons au Collège est de 55 % parmi ceux qui ont redoublé, de 27 % parmi les autres.

Association of Californian Urban school District (1986) signale qu’un enfant qui redouble sa première ou sa deuxième primaire a seulement 20 % de chances d’être diplômé.

Pasco School district in Washington. 50 % des élèves qui abandonnent l’enseignement secondaire avaient doublé une année en primaire; pour plus de la moitié, il s’agissait de la première année.

Bachman, Green & wirtamen (1971). Plus de la moitié de ceux qui abandonnent l’enseignement secondaire ont redoublé une année avant la 10e année d’étude. 27 % des étudiants qui échouent dans l’enseignement supérieur sont dans cette situation. Par contre, 8 % seulement des élèves qui réussissent l’enseignement supérieur ont redoublé avant leur 10e année d’étude.

Ne peut-on démontrer, à contrario, que le redoublement n’est que l’indice le plus manifeste d’une inadaptation scolaire plus générale, dont l’abandon est l’aboutissement. L’étude de Hess & Lauber (1985) est intéressante car elle porte sur un échantillon important d’élèves sur plusieurs années. Hess & Lauber ont réparti 30 000 élèves en 5 catégories en fonction de leurs compétences en lecture. Ils ont ensuite réparti l’échantillon selon qu’ils avaient ou non redoublé. Enfin, pour chaque groupe ils ont calculé le pourcentage d’abandons.

Pourcentages d’abandons en fonction des résultats obtenus en fin de 8e dans les écoles de Chicago (Hess et Lauber 1985). Résultats exprimés en stanines[1].

[1] Catégories établies pour classer (répartir) les individus en fonction de la position qu’ils occupent au sein d’une distribution de résultats

Le pourcentage d’abandon est d’autant plus élevé que les performances en lecture sont basses. Mais à compétences égales en lecture, les élèves qui ont redoublé pendant leur carrière scolaire courent un plus grand risque de décrocher.

Les élèves très supérieurs qui ont redoublé courent autant de chance d’abandonner l’école que les élèves non-redoublants moyens. Il vaut donc mieux être considéré comme « moyen » et n’avoir pas redoublé que comme « très supérieur » et avoir redoublé.

Schultz, Toles, Rice, Brauer & Harvey (1986) confirment le résultat de Hess & Lauber (1985). Le fait d’avoir redoublé au cours des 8 premières années d’étude a une influence propre. A compétence en lecture égale, le pourcentage d’abandons scolaires est supérieur de 13 % chez les élèves ayant subi un redoublement.

Conclusion

 Les élèves qui ont redoublé une fois au moins courent plus de chance de décrocher que ceux qui ont été promus. Plus tôt se fait le redoublement, plus grand est le pourcentage d’abandons scolaires.

Le redoublement n’améliore pas les notes scolaires des élèves

Le redoublement n’améliore pas les notes scolaires des élèves

Bain (Suisse 1988) pensait qu’une façon de vérifier les vertus et avantages pédagogiques du redoublement serait de montrer qu’à la fin de l’année répétée, les élèves ont fortement progressé, sont à nouveau à flot et peuvent repartir d’un bon pied (…). Le bénéfice attendu du redoublement est rarement défini précisément. On s’accordera cependant à admettre que le progrès doit être substantiel pour qu’on estime que le jeu en valait la chandelle.

A Genève les notes varient entre 0 et 6 ; la barre du suffisant est à 2,5. Bain fixe la limite du satisfaisant à 4. C’est aussi la note minimale pour passer en 7e dans la section supérieure.

Evolution des redoublants de 6e de 1981 à 1982. Elèves insuffisants dans la branche

Le redoublement accompagné de remédiations individualisées est-il efficace ?

1. Holmes (1990)

On remarquera dans le tableau 4 que les résultats d’ensemble obtenus par Holmes (1990) sont légèrement moins défavorables que ceux qu’il avait obtenus en 1984 avec Mattews (tableau 3). L’explication en est intéressante. Parmi les 19 études réalisées entre 1984 (portant sur 44 études) et 1990 (portant sur 63 études), neuf produisent des effets positifs, soit la moitié. Dans ces neuf cas, la répétition de l’année échouée a été combinée avec un programme de remédiation individualisée.

Comparaison des études de Holmes et Mattews (1984) et Holmes (1990) en matière de performances académiques.

Holmes s’est attaché à procéder à 2 types de comparaisons :

Type 1 : Il a comparé l’évolution d’élèves redoublants et celle d’élèves « faibles » promus sans qu’aucune intervention particulière ne soit affectée auprès des uns et des autres.

Type 2 : Il a comparé l’évolution d’élèves « faibles » qui redoublent et bénéficient de la remédiation immédiate individuelle, à ceux d’élèves qui, présentant le même degré de « faiblesse initiale », ont été promus et ne bénéficient d’aucune assistance individuelle.

Etudes comparant l’effet du redoublement entre les études de type 1 et celles de type 2.

Dans les études de type 1, on remarque que les effets sont plus négatifs. Le redoublement sans remédiation individualisée immédiate est contreproductif. Il ne sert absolument à rien sur le plan pédagogique !

Par contre, les études de type 2 montrent que la remédiation individualisée immédiate est profitable aux élèves redoublants, ce qui est rassurant.

Puisque ces résultats laissent présumer l’efficacité de l’assistance individualisée immédiate et que, d’autre part, les méta-analyses (tableaux 3 et 4) incitent à privilégier la promotion des élèves au détriment du redoublement, il semble logique de concevoir une approche pédagogique qui tire parti de ces informations.

On peut imaginer qu’un test pronostique soit proposé aux élèves au milieu de l’année, et ceci afin de repérer les élèves « à risques ». Ces élèves bénéficieraient d’un programme d’aide spécialisé pendant la seconde partie de l’année. En fin d’année, tous seraient promus, quels que soient leurs résultats aux bilans de fin d’année. En seconde année, ces élèves en difficulté bénéficieraient d’une assistance comparable à celle que reçoivent les redoublants.

2. Leinhardt (1980)

Leinhardt (1980) a fait ce double raisonnement et a comparé l’évolution en lecture d’élèves redoublants bénéficiant d’une assistance individualisée avec celle d’élèves que l’on promeut tout en leur assurant le même accompagnement individualisé.

Etudes de Leinherdt (1980)

Les résultats sont probants : les progrès des élèves promus mais bénéficiant d’un encadrement individualisé sont largement supérieurs à ceux des élèves qui doublent et bénéficient de cette même attention individualisée.

Conclusion

Apporter la remédiation individuelle immédiate[1] à un élève faible redoublant est positif mais l’est nettement moins que si on lui apporte la même remédiation individuelle immédiate après l’avoir promus.  

La promotion des élèves jugés « faibles » leur est profitable dans tous les cas mais l’est plus encore accompagnée de remédiation individuelle immédiate

[1] La seule remédiation vraiment efficace est celle qui se fait immédiatement, durant le cours même. Il peut s’agir de l’aide individualisée de l’enseignant (qui reste le premier remédiateur) ou de pairs (tutorat), voire d’un enseignant remédiateur qui seconde le titulaire du cours durant celui-ci, lorsque c’est nécessaire.

Est-il bénéfique de faire redoubler la troisième maternelle ?

Est-il bénéfique de faire redoubler la troisième maternelle ?

En C.F., de plus en plus d’enfants commencent l’école primaire avec une année de retard, après avoir redoublé leur troisième maternelle. La croyance étant que passer une année de plus en préscolaire n’est pas à proprement parler un redoublement, mais permet une année de préparation supplémentaire à des enfants manquant de maturité qui permettrait d’éviter d’éventuels échecs ultérieurement.

Diverses études (Bell, 1972 ; Mattews, 1977 ; Raygor, 1972, Talmadge, 1981, Gelder, 1984 ; Holmes, 1990 ; Shepard, 1990 ; …) ont été menées sur le sujet. Les conclusions sont édifiantes : quelle que soit la catégorie d’élèves (jugés mûrs, à maturité douteuse, immatures), le fait d’avoir vu son entrée à l’école primaire retardée d’un an constitue un handicap ; leur pourcentage d’échecs sont toujours supérieurs à ceux enregistrés du côté des élèves admis à l’âge légal. C’est surtout pour les élèves immatures que le préjudice est sévère : plus de 80% d’entre eux connaissent l’échec alors qu’ils sont moins de 30% lorsqu’ils ont eu la chance d’entrer en première année à l’âge légal.

Réussite et échec au terme de la 9e année de fréquentation scolaire selon que les élèves ont redoublé ou non leur troisième maternelle, selon deux études menées en Allemagne (Münchener et Kern).

tableau

Tous les constats vont dans le même sens : retarder d’un an l’entrée en première primaire est défavorable à tous les enfants mais l’est d’autant plus que les élèves sont jugés immatures (28 % d’échec sans redoublement en troisième maternelle, contre 83 à 87 % d’échec après un redoublement en troisième maternelle).

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