Le redoublement – Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Le redoublement – Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

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Le redoublement est du « prêt-à-porter » là où il faudrait du « sur mesure »[1]. Le redoublement n’est jamais que le résultat de l’échec d’un système, d’une école (et donc des humains qui y travaillent) qui, pour des raisons diverses et variées n’a pas voulu ou pas su transmettre les savoirs qu’il a mission de transmettre, à tous les élèves. On sait la doxa[2] qui règne dans les salles de profs : « On ne peut pas faire réussir tout le monde », « Si un élève est en échec, c’est parce qu’il n’a pas étudié », « Un prof qui fait réussir tout le monde est laxiste », « Si tu n’as pas ta courbe de Gauss, c’est que tu es mauvais professeur », etc[3]. Mais passons sur le refus de certaines « bonnes » écoles de faire réussir[4] tout le monde, et voyons pourquoi ces professeurs n’ont « p)as pu » transmettre ces savoirs.

Elles sont aussi diverses que variées. Commençons par la « culture scolaire » et donc les exigences de l’école par rapport à son corps professoral (« notre école prépare ses élèves à l’université, donc ne veut pas faire réussir tout le monde » ; « on passe de 5 à 4 classes entre la S2 et la S3 (NDLR entre 13 et 14 ans), il faut donc mettre 15 élèves en échec », …). En fonction de sa place sur le quasi-marché scolaire, l’école a des attentes différentes de la part de ses professeurs ou enseignants. Celle-ci exigera un taux d’échec correspondant à la place qu’elle veut occuper ou conserver. Une école à pédagogie active incitera ses enseignants à faire acquérir les savoirs par tous leurs élèves, tandis qu’une école élitiste[5] attendra de ses professeurs qu’ils « saquent dans le tas », en privilégiant les élèves – évidemment – les plus fragiles, ceux qu’elle ne veut pas (« dys », porteurs de handicaps, élèves socialement défavorisés, étrangers, etc.).

Ensuite, la formation initiale des « enseignants » qui, selon les cursus, va de « moyennement formé » à « pas formé du tout ». En Belgique, l’institutrice ou l’instituteur reçoit une formation en 3 ans[6] qui correspond grosso-modo à une demi-formation. Idem pour le régent (qui enseigne en début de secondaire = le collège en France), mais pour qui la partie « disciplinaire » prend plus de place au détriment de la partie pédagogique. Enfin, le/la licencié·e (qui enseigne au lycée) qui sort de l’université ne reçoit qu’une vague approche de ce qu’est enseigner, via l’agrégation. Celle-ci ne forme pas des enseignants mais se contente de faire croire à des universitaires qu’avec leur bagage disciplinaire et les quelques heures de cours et de stage qu’ils ont fait, ils savent enfin tout sur le métier d’enseignant. En effet, ils savent comment mettre un élève en échec, cela l’université le leur a bien appris[7].

Enseigner, c’est un art, l’art de savoir pratiquer une pédagogie active qui permettra à tou·te·s d’acquérir tous les savoirs. Lorsqu’un élève éprouve des difficultés à comprendre une matière, il ne sert à rien de l’évaluer et de passer à l’apprentissage suivant. Le cours n’a pas été correctement donné (trop peu de différenciations, d’explications, d’échanges entre pairs, …) ce qui rend la matière trop complexe pour lui ou pour elle. Ce serait le mettre en échec. Il est indispensable, alors, de mettre en place une remédiation efficace, voire de pratiquer la différenciation. La réponse doit être IMMEDIATE (c’est-à-dire pendant le cours et non après). Dans le cas contraire, cela reviendrait à mettre intentionnellement en place toute les conditions nécessaires pour le conduire à l’échec.

Les psychologues connaissent bien les dégâts provoqués par le redoublement chez les jeunes qui en sont victimes. Nous utilisons intentionnellement le terme de « victime » et non pas celui de « responsable ». On vient de le voir, le redoublement ne sert strictement à rien. Il s’agit d’une décision émanant de l’école, de l’enseignant ou du conseil de classe et donc d’un choix politique, stratégique ou philosophique qui concerne le jeune et sur laquelle il n’a aucune emprise. Cette décision profondément injuste – on vient de le voir – est prise la plupart du temps sans débat contradictoire. Le jeune n’a pas le droit de s’exprimer (encore l’aurait-il qu’il faudrait qu’il ait accès à des arguments qui ne sont pas de son niveau) et – pire –  d’être défendu. Les personnes qui la prennent sont celles qui, le plus souvent, sont responsables de cet échec (on a vu que la plupart du temps, les professeurs évaluent dans le seul but d’hiérarchiser leur groupe classe et non pour mesurer les acquis) avec pour seule rambarde un droit d’appel de trois jours, pas toujours respecté, pour des familles qui la plupart du temps ne possèdent pas les codes de l’école et ne reçoivent pas toujours l’explication des raisons réelles de l’échec.

On l’a vu, faire recommencer une année scolaire à un élève est inefficace. Au mieux, l’effet est limité et à court terme. Cette pratique est, en outre, contre-productive. Les conséquences du redoublement sont connues depuis des décennies. Plus l’élève est jeune, plus le redoublement va le marquer psychiquement. Les effets sont DEVASTATEURS : le redoublement opère un marquage social des élèves qui le subissent : les mauvais élèves ! A partir de celui-ci se développe un processus de stigmatisation. Ces élèves vont être affublés d’une série de stéréotypes négatifs : bête, idiot, têtu, lent, mauvais, médiocre, faible, nul, paresseux, fait le pitre, indiscipliné, lent d’esprit, travaille mal, méchant, pas développé, étranger, …

Ils vivent dans la peur des sarcasmes des camarades, voire des enseignants. La perte des tissus sociaux établis n’est pas la moindre des souffrances. Se retrouver dans une classe avec de plus jeunes élèves fait perdre le lien qui existait avec les copains d’avant. Il faut tout recommencer avec, en plus, une étiquette très lourde à porter.

Les élèves qui ont vécu un redoublement ressentent divers sentiments : de honte, de tristesse, de gêne. Ils vivent un véritable malaise intérieur, ont des sentiments d’incapacité et d’infériorité. Le doute s’installe, la confiance s’étiole, l’auto-dévalorisation se développe[8]. La loi du silence est générale. Ces élèves taisent leur souffrance, leur honte vis-à-vis de leurs condisciples. La plupart ne savent même pas pourquoi ils redoublent. A l’école, tout est fait pour faire taire les redoublants. Rien n’est mis en place pour rencontrer leurs difficultés propres.

Il semble que ce n’est qu’à la maison que l’on parle du redoublement. Le plus souvent c’est l’engueulade, alors que l’élève n’y est pour rien. Mais la pression de l’école et le discours culpabilisant des enseignants et des directions font retomber, aux yeux des parents, la faute de l’échec sur le dos de l’élève. Il ne faut pas oublier la souffrance et la honte des familles qui sont importantes. Non contente de maltraiter l’élève, l’Ecole met des dizaines de milliers de familles en souffrance et les culpabilise de ses propres manquements.

Le redoublement engendre, chez les élèves qui le subissent, ce que les psychologues appellent le sentiment d’incompétence acquis[9]. L’élève se résigne à ne pas être compétent. Ses expériences ainsi que les messages envoyés par l’école lui ont démontré qu’il « ne savait pas », qu’il était incompétent et que rien ne pouvait modifier cet état. Le sentiment d’incompétence acquis est difficilement modifiable chez l’enfant qui le ressent. Il a le sentiment de ne pas avoir le contrôle des causes qui l’ont amené à cet échec et qu’elles ne pourront jamais changer. Il est persuadé d’être bête et incapable, une fois pour toute[10].

En outre, les recherches ont démontré qu’un élève qui redouble son école maternelle ou en début d’école primaire a toutes les chances de redoubler une seconde, voire une troisième fois dans la suite de leur scolarité. Les élèves qui ont redoublé durant leurs primaires ou au début de l’école secondaire abandonnent plus souvent l’école que leurs condisciples confrontés aux mêmes difficultés scolaires mais qui n’ont jamais redoublé. Bref, le redoublement appelle d’autres redoublements et augmente le risque de décrochage scolaire.

L’origine sociale des familles influe sur le risque de redoublement. Au plus la famille d’un élève est défavorisée, au plus le risque d’échec scolaire augmente. A titre d’exemple, on redouble plus à Charleroi qu’ailleurs. Les derniers chiffres disponibles, pour l’année 2017-2018 le montrent clairement. Le taux d’échec, y est le plus élevé, avec 14,5% d’échecs. Alors que le Luxembourg a le plus bas taux de redoublement avec moins de 10%, et que la moyenne de la Région Wallonie-Bruxelles est à 12,5%. Charleroi est deux points au-dessus, comme Bruxelles et Mons[11].

On observe le même effet à l’échelle d’une implantation ou d’un établissement, un élève défavorisé voit sa probabilité de redoubler augmenter si l’implantation qu’il fréquente est fréquentée par un public plus défavorisé[12].

Enfin, les orientations consécutives à un échec scolaire augmentent les discriminations sociales. Ce sont essentiellement les enfants issus de milieux les moins favorisés qui sont orientés vers les enseignements qualifiant et professionnalisant. Certaines filières regroupent davantage d’élèves en retard que d’autres, comme l’indique la figure ci-dessous. Notez qu’en général, les filles sont moins en retard que les garçons. En 2011-2012, dans le primaire, 19 % des garçons et 16 % des filles étaient en retard scolaire d’au moins un an ; dans le secondaire, c’étaient 53 % des garçons et 49 % des filles qui étaient en retard scolaire d’au moins un an[13] ».


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Chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[2] La doxa est l’ensemble des opinions reçues sans discussion, comme évidentes. La salle des profs est un lieu où règnent des idées reçues et où leur remise en cause est taboue. Les remettre en cause serait se remettre en cause, remettre en cause ses pratiques et faire le constat de son incompétence éventuelle, une impossibilité pour la plupart des professeurs.

[4] Sur le terme « réussir », il s’agit, bien entendu, non pas de « donner les points » comme pourraient le penser certain·e·s qui ne connaissent rien à l’enseignement, mais de « faire acquérir tous les savoirs ».

[5] Pour la liste des écoles élitistes, se référer à celles qui ont eu des files lors de la première année de la mise en place du Décret Inscription/mixité. Mais nous vous la déconseillons, ces écoles étant tout, sauf des écoles.

[6] Il est prévu que cette formation passe en 4 ans, ce qui sera mieux mais restera incomplète.

[7] L’échec et l’abandon des étudiants qui entament des études supérieures en première année est en moyenne de 60%! Autrement dit, le taux de réussite moyen est de 40%. C’est ce merveilleux exemple que les licencié·e·s qui arrivent dans l’enseignement vont tenter de reproduire dans leurs classes. « On a toujours fait comme cela, mon bon monsieur… ».

[8] Crahay 2003 : Peut-on lutter contre l’échec scolaire p 228 et suivantes.

[9] Learned helplessness aussi appelée théorie de la résignation apprise (Seligman, Maier & Solomon 1969).

[10] Tous les élèves sont capables – Lire notre dossier sur le Postulat d’éducabilité. Un élève ne devrait donc jamais être persuadé qu’il est incompétent puisque, précisément, il est parfaitement doué pour l’étude. C’est l’Ecole en CF qui n’est pas capable.

[11] TéléSambre, 7 juin 2019 – A Charleroi, on redouble plus qu’ailleurs, mais on travaille contre l’échec scolaire

[12] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[13] Indicateurs de l’enseignement 2013

Le redoublement – Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

Le redoublement – Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

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La question de l’efficacité du redoublement est, depuis peu, redébattue au sein de la communauté scientifique. Hugues Draelants estimant que « les résultats des recherches sur les effets du redoublement sur les performances des élèves ne sont, pour l’heure, pas pleinement probants[1] », Benoit Galand[2], Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur estimant quant à eux qu’ « à une exception près, tous ces résultats concluent soit à une absence de bénéfice du redoublement sur les acquis scolaires des élèves à moyen terme, soit à des effets négatifs ». Hughes Draelants ne plaide pas, pour autant, pour une réhabilitation du redoublement. Il invite à aller plus loin dans les recherches sur les conditions qui feraient qu’un redoublement pourrait être bénéfique et a contrario non bénéfique. « Il s’agit autrement dit de penser les conditions de possibilité d’un « bon usage » du redoublement, qui devrait être envisagé comme une solution de dernier recours à utiliser de manière réflexive[3] ».

Nous ne les départagerons pas, étant loin d’être spécialistes des sciences de l’éducation. Nous sommes essentiellement des défenseurs des droits fondamentaux luttant contre toutes les discriminations qui touchent les enfants. C’est à ce titre que ce dossier est rédigé. Notre posture est pleinement engagée et nous assumons notre opposition à la compétition et la sélection par le redoublement, ainsi qu’à celles et ceux qui le soutiennent et/ou le pratiquent car c’est, selon nous, de la maltraitance, qu’il est profondément injuste car il permet à des adultes de jouer à la roulette russe avec des enfants et leur avenir[4].

Disons quand même un mot sur les recherches en question. La question de l’efficacité du redoublement revient à se demander s’il permet aux élèves de progresser dans leurs apprentissages, bref si leurs résultats scolaires s’améliorent. Chacun d’entre nous a pu constater que lorsque nous avons côtoyé un « redoublant » durant nos études ou, pour nous enseignants, chaque fois que nous avons eu un élève qui redoublait dans notre classe, en fin de seconde année, celui-ci avait fait des progrès. C’est encore heureux ! Lorsqu’on est confronté deux fois aux mêmes apprentissages, il est assez normal que nous les acquérions mieux ! Le contraire serait dramatique, tout enfant qui apprend quelque chose pour la seconde fois progresse au moins un petit peu. Dès lors, le redoublement peut apparaître aux professeurs comme positif et efficace en termes d’apprentissages.

Cependant, cette impression ne suffit pas à déterminer si le redoublement est réellement efficace. Est-elle objective ou est-elle basée sur des mirages tels que nous a depuis longtemps habitué notre cerveau d’humain. De nombreux chercheurs se sont penchés sur la question et ont suivi des cohortes d’élèves durant parfois de nombreuses années. Leur constat va dans le même sens que celui des professeurs : un élève qui redouble et qui réapprend pour la seconde fois une même matière progresse. On s’y attendait, mais est-ce suffisant ? La question subsidiaire que nous devons poser maintenant – la bonne question – est : « A-t-il progressé plus, autant ou moins que s’il n’avait pas été contraint de redoubler ? » Autrement dit, le redoublement a-t-il été plus efficace (ou l’a-t-il été moins) que la promotion (le passage dans la classe supérieure) ? Sous-sous-question : « Ai-je maltraité ou non un élève en lui faisant perdre inutilement un an dans sa vie ? »

Pour répondre à cette question on ne peut plus fondamentale, les chercheurs[5] ont apparié sur base d’évaluations externes, au sein d’importants groupes d’élèves ceux qui sont de niveau scolaire identique et très faible. On sait que les exigences des professeurs varient fortement. Dès lors, selon que l’on soit dans une classe plutôt que dans une autre, certains élèves sont contraints de redoubler alors que d’autres sont promus.

Ils ont donc établi deux groupes d’élèves. Le premier étant constitué d’élèves redoublants, tandis que le second était quant à lui constitué d’élèves qui, bien qu’étant du même niveau que les enfants du premier groupe, ont été promus dans les classes supérieures. A l’entrée et à la sortie de chaque année ces jeunes ont été testés et cela parfois durant plusieurs années successives. Voici ce que cela donnait et les résultats obtenus. L’année de référence, celle du redoublement ou de la promotion ayant la valeur N. C’est donc sur les années suivantes N+1 et N+2, etc. que vont se baser les études comparatives.

On peut remarquer qu’il n’y a pas de différence entre le test 3 des élèves ayant redoublé et le test 2 des élèves ayant été promus. Malheureusement pour les premiers il aura fallu un an de plus.

Les conclusions des chercheurs sont instructives : l’élève qui redouble s’améliore mais celui qui a été promu malgré qu’il avait les mêmes difficultés progresse plus encore. Autrement dit, la promotion (le passage dans la classe supérieure) permet à un élève de progresser plus que si on l’avait fait redoubler.

Ceci démontrerait l’inefficacité du redoublement. Sur les diverses études sur les effets du redoublement, nous vous renvoyons vers notre dossier disponible sur Internet « L’échec scolaire est une maltraitance [6]».

Pour Benoit Galand & al, La plupart de ces études sont de bonne qualité méthodologique et observent soit une absence de bénéfice du redoublement, soit des effets négatifs. L’année redoublée semble bien une année inutile[7]. Par contre, selon Hugues Draelants, le problème de ces recherches tient au fond à ce que l’on ne sait rien du contexte, raison pour laquelle on ne peut jamais s’assurer que les groupes comparés dans les études procédant par appariement (ou matching) sont équivalents. Ce qui […] semble particulièrement problématique est que les chercheurs qui recourent à ce type d’étude sont susceptibles de comparer des élèves qui ne sont pas scolarisés dans les mêmes classes, ni dans les mêmes établissements et zones scolaires[8].

Malgré que des études plus actuelles aboutissent à des résultats quasiment opposés à ceux des études antérieures, leurs auteurs ne révisent pas leur jugement sur le redoublement. Dans l’ensemble, les résultats positifs sont des résultats de court terme. Ils ne seraient donc que transitoires. Les effets à moyen et long terme seraient quant à eux négatifs : risque accru de décrochage scolaire, sortie du système scolaire sans diplôme, …

L’efficacité du redoublement à la lumière des enquêtes internationales            

Que penser des effets du redoublement à la lumière des enquêtes internationales ? Selon Benoit Galand[9], « Les enquêtes internationales menées à l’initiative de l’OCDÉ (PISA[10]) et de l’IEA[11] (PIRLS et TIMSS) constituent une source précieuse pour étudier le lien entre certains mécanismes structurels comme le redoublement, l’efficacité des systèmes éducatifs, leur équité et les phénomènes de ségrégation. »

  1. Le redoublement est-il une pratique universelle ?

En Communauté française, les professeurs adhèrent au redoublement pensant que c’est une pratique universelle (hormis en Finlande, pays dont on leur bassine les oreilles… à juste titre, ce qui a tendance à les crisper). Il est vrai qu’on redouble aussi dans les pays limitrophes à la Belgique, ce qui les conforte dans leurs croyances. Mais qu’en est-il vraiment ?

Le tableau ci-dessous montre que notre système scolaire est celui où la proportion des jeunes en retard à l’âge de 15 ans est la plus élevée des pays industrialisés. Près de la moitié des jeunes de 15 ont redoublé au moins une fois dans leur jeune carrière d’élèves : 47,8% en 2012 contre une moyenne de 13% pour les pays de l’OCDE.

Les pays sont classés par ordre décroissant, en fonction de leur taux de retard en 2009[12].

Dans 18 pays sur 34, le taux de retard est inférieur à 10%, ce qui chez nous correspond au nombre d’élèves en retard en début de…. 3e primaire (CE2). En recourant massivement au redoublement, nous sommes bien une exception dans les pays qui se disent civilisés.

Comme le rappellent Baye, Chenu, Crahay, Lafontaine, & Monseur  : « Par ailleurs, ces résultats permettent de réfuter l’idée selon laquelle une pratique intensive du redoublement va de pair avec un haut niveau de performance (conséquence d’exigences plus fortes liées au redoublement) : les pays qui apparaissent dans la partie supérieure du classement en fonction du taux de redoublement ne sont pas particulièrement réputés pour afficher des scores moyens élevés aux épreuves PISA. D’ailleurs, la corrélation entre taux de retard et performances en mathématiques à PISA 2012 n’est pas significative (0.06, p=.74). Il n’y a pas de lien entre le taux d’élèves en retard et la performance enregistrée dans PISA. Ces données battent en brèche l’idée selon laquelle une pratique intensive du redoublement irait de pair avec un niveau d’exigence élevé. »

  • Le redoublement de masse rend-il notre système scolaire particulièrement efficace ?

Si le redoublement était efficace, nous serions en tête des classements PISA, puisque nous sommes les champions toutes catégories de cette pratique. Pourtant, on peut constater qu’il n’en est rien. La Fédération Wallonie-Bruxelles se situe loin dans le classement, que ce soit en sciences, en lecture ou en mathématique (source PISA 2015).

Le redoublement n’a donc servi à rien. Pire, selon Benoit Galand et al[13], des indicateurs d’efficacité, de dispersion, d’inégalités sociales, de ségrégation scolaire et sociale ont été mis en relation avec les taux de retard respectifs des différents systèmes éducatifs. Ils en ont donc dégagé un ensemble de forces, notamment concernant les inégalités sociales.

C’est dans ce domaine que les résultats sont les plus nets et les plus concordants. C’est dans les systèmes qui pratiquent le redoublement que les inégalités liées aux origines socioculturelles de élèves sont les plus importantes. « En d’autres termes, le déterminisme social y est plus pesant. Il y est plus difficile de sortir de sa condition en empruntant l’ascenseur social. » Et ils continuent en expliquant comment le redoublement amplifie ces inégalités : « des élèves qui ont la même performance dans PISA n’ont pas les mêmes risques d’avoir connu le redoublement selon leur origine sociale ; ces risques sont accrus pour un élève défavorisé. Il y a donc bien injustice, le redoublement amplifie les écarts de performances en fonction de l’origine sociale. […] Le niveau de performances d’une école à l’autre varie nettement plus quand les taux de retard sont plus élevés. Si le redoublement ne crée pas les différences entre écoles, il participe d’une logique de séparation ou de tri qui est à l’origine des différences entre écoles. » Et ils précisent qu’un « recours plus fréquent au redoublement s’accompagne ainsi d’une exacerbation des différences entre écoles et d’une homogénéisation des élèves à l’intérieur des écoles. Ce résultat n’a rien de surprenant : c’est précisément une logique fondée sur des conceptions éducatives consistant à penser que l’enseignement sera plus efficace si les élèves sont plus semblables, ou si les classes sont plus homogènes, qui justifie le recours au redoublement et aux autres mécanismes de tri et de sélection des élèves comme les filières précoces dans le secondaire. »

C’est le grand mythe de l’homogénéité des classes qui a conduit des écoles à regrouper les élèves par classe en fonction de leurs résultats scolaires, et donc de leurs origines socioculturelles. C’est en somme ce que font également les pratiques du redoublement et de l’orientation : regrouper progressivement les élèves selon leurs classes sociales, dans des écoles socialement ségrégées. 

  • Au vu des enquêtes internationales, qu’en est-il sur le plan de l’efficacité ?

Sur ce plan, les résultats sont moins nets. Dans PISA, selon que les taux de retard sont importants, les performances ont tendance à être moins élevées dans tous les cycles. PIRLS n’est pas plus précis, les résultats variant selon les cycles. Galand et al. concluent en précisant que « Ce qui est par contre certain, c’est que des taux de retard élevés ne « dopent » pas les performances des élèves. »

Ils concluent en affirmant qu’ « il est possible d’affirmer qu’en optant pour une politique visant à réduire les taux de redoublement, les inégalités scolaires liées à l’origine sociale et la ségrégation scolaire et sociale pourraient diminuer pour autant que ces réductions s’accompagnent d’un véritable changement de logique ou de politique dans la gestion des difficultés d’apprentissage et pas d’une réduction mécanique des taux de redoublement. »

  • Oui, mais… ne peut-on craindre un nivellement par le bas ?

Ah… le nivellement par le bas, le vieux mythe de tous ceux qui ne connaissent rien en pédagogie, ainsi que des élitistes qui ont l’obsession de la sélection sociale. Faire peur aux gens pour surtout ne rien changer du tout. Leur discours est connu, jamais assorti d’études sérieuses (ou d’études tout court). 

Dans le tableau ci-dessous, et en se référant au tableau précédent, on remarquera que de nombreux pays qui pratiquent peu ou pas le redoublement atteignent un niveau de performance de loin supérieur aux résultats obtenus par le système scolaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Nous sommes, en tous points, en-deçà de la moyenne de l’OCDE, comme d’autres pays le pratiquant également (quoique moins que nous) comme le Luxembourg, l’Espagne ou le Portugal. La France a des résultats légèrement supérieurs à la moyenne de l’OCDE, mais elle a changé sa politique en matière de redoublement.

Deux de nos plus proches voisins, le Luxembourg et la France ont diminué de façon sensible le redoublement depuis 2000[14], ils n’ont enregistré aucun effondrement de leur niveau, ce qui démontre qu’un système scolaire qui diminue le redoublement, ne baisse en aucune manière de niveau.

Ce qui fait la différence entre redoublement et non redoublement, c’est la mise en place de pédagogies efficaces. L’enseignement frontal tel que le pratiquent les professeurs en Fédération Wallonie-Bruxelles, n’est pas de l’enseignement, mais de la sélection. Tant qu’on en restera à une pratique de sélection, on continuera à faire redoubler et notre système scolaire sera particulièrement inefficace.

Le tableau suivant montre les performances globales dans les trois disciplines pour les pays de l’OCDÉ et les trois communautés belges (source PISA 2015) :


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Chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] Hugues Draelants – Le redoublement est-il vraiment moins efficace que la promotion automatique ? Une évidence à réinterroger & Le redoublement n’est pas un médicament – Réponses et pistes pour une approche modérée et réflexive de son usage – Les Cahiers de recherche du Girsef, N°113, juin 2018 & 115, Mai 2019

[2] Benoît Galand, Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur – Le redoublement est inefficace, socialement injuste, et favorise le décrochage scolaire – Les Cahiers des Sciences de l’Éducation 38 – 2019

[3] Hugues Draelants – Le redoublement n’est pas un médicament – Réponses et pistes pour une approche modérée et réflexive de son usage – Les Cahiers de recherche du Girsef 115, mai 2019.

[4] Selon la CIDE (Convention Internationale des Droits de l’Enfant), est enfant tout jeune de moins de 18 ans. Nous étendrons les droits de ceux-ci à tous ceux que l’école a retardé par des redoublements en cours de scolarité. Si leurs droits ont été bafoués et qu’ils ont perdu des années d’adultes en devant recommencer un an, voire plus, leurs droits doivent être préservés tout au long de la scolarité obligatoire.

[5] Marcel Crahay – Peut-on lutter contre l’échec scolaire 1996 et 2003

[6] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2016/11/02/lechec-scolaire-est-une-maltraitance/ – 2010

[7] Benoît Galand, Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur – Le redoublement est inefficace, socialement injuste, et favorise le décrochage scolaire – Les Cahiers des Sciences de l’Éducation 38 – 2019

[8] Hugues Draelants – Le redoublement est-il vraiment moins efficace que la promotion automatique ? Une évidence à réinterroger – Les Cahiers de recherche du Girsef, N°113, juin 2018

[9] Benoît Galand, Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur – Le redoublement est inefficace, socialement injuste, et favorise le décrochage scolaire – Les Cahiers des Sciences de l’Éducation 38 – 2019

[10] PISA est une enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les pays membres de l’OCDE et dans de nombreux pays partenaires. Elle évalue l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire. Les tests portent sur la lecture, la culture mathématique et la culture scientifique.

[11] l’International Association for the Evaluation of Educational. Les enquêtes internationales sur les acquis des élèves sont bien antérieures à l’arrivée de PISA dans les années 2000.

[12] Source : Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[13] Benoît Galand, Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur – Le redoublement est inefficace, socialement injuste, et favorise le décrochage scolaire – Les Cahiers des Sciences de l’Éducation 38 – 2019

[14] La France a diminué le redoublement de 16 %) et le Luxembourg de 9 %.

Le redoublement – chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Le redoublement – chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

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Prost[1] a postulé que la menace de l’échec serait le moteur du travail des élèves. Et pour que la menace soit crédible, il faut qu’elle soit appliquée sur un certain nombre d’élèves. Bref, le redoublement ne sert pas tant aux élèves qui en sont victimes mais à tous les autres et les professeurs auraient besoin de pouvoir brandir cette menace pour les « faire travailler ».

Pour Prost, l’orientation par l’échec ne constitue pas une anomalie, mais au contraire un trait constitutif de notre système, celui-ci s’en accommode. Mieux, il en tire parti pour faciliter son propre fonctionnement, et peut-être même cesserait-il de fonctionner s’il cessait d’orienter par l’échec, c’est-à-dire s’il perdait le droit de pouvoir refuser aux élèves les sanctions qu’ils demandent[2].

Cette crainte est présente chez les professeurs. L’enquête menée par Stegen[3] auprès de 263 professeurs et enseignants de la Communauté française Wallonie-Bruxelles (partie francophone de la Belgique), 62 % d’entre eux estiment que la suppression du redoublement en début de secondaire, préconisée par le Ministre de l’Education de l’époque, entraînera un nivellement vers le bas.

Selon Draelants[4] l’attachement au redoublement en Belgique francophone satisfait des fonctions latentes essentielles : gestion de l’hétérogénéité et tri des élèves au sein des établissements ; positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; régulation de l’ordre scolaire au sein des classes ; maintien de l’autonomie professionnelle des professeurs.

Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin[5] se demandant comment aseptiser, en profondeur et dans les meilleurs délais le redoublement en France en ont conclu que les changements d’organisation, voire l’accroissement des moyens, ne sont rien face au comportement de l’acteur essentiel à l’école qu’est l’enseignant. Si le professeur n’adhère pas au changement, nos procédures sont telles que peu de choses évolueront au sein de la classe.

Précisons à la décharge des professeurs adeptes du redoublement, qu’une large fraction des parents – en particulier ceux qui tirent parti de la sélectivité scolaire – manifeste un grand attachement au redoublement. Bourdieu et Passeron[6] précisent que pour certaines familles, généralement celles issues des milieux sociaux les plus privilégiées, l’échec scolaire d’une partie des élèves, l’inégalité des formations n’est pas l’échec du système d’enseignement mais au contraire le signe de sa réussite par rapport à ce qu’[ils] en attendent, c-à-d. maximiser leur position sociale au détriment des classes les plus modestes. Draelants précise que [cette] demande parentale de sélectivité, … , stimule l’offre et participe au maintien de pratiques élitistes dans certaines classes et établissements préoccupés d’attirer le public le plus ajusté aux attentes de l’école.

Pour François Dubet[7], le professeur aurait de « bonnes raisons » de croire dans les vertus du redoublement quand bien même les études démontrent largement le contraire. Dans le meilleur des cas (qui ne concerne qu’une minorité d’élèves redoublants), l’élève sera un peu « meilleur » dans son année de redoublement. Il s’agirait donc d’observation et de bon sens. En fait, le professeur compare le même élève dans la même classe alors que le chercheur procède tout autrement, en comparant deux élèves dont les niveaux ont été testés et qui sont considérés comme « identiques », dont l’un a redoublé et l’autre pas. Il démontre ainsi que le second réussit mieux. Le chercheur a incontestablement raison puisqu’il établit une comparaison scientifique mais le professeur n’a pas tout-à-fait tort de penser le contraire puisqu’il voit que « son » élève a progressé. Seulement, il ne peut le comparer à rien et de ce fait ne peut se rendre compte que le non-redoublement lui aurait été bénéfique.

Pour Dubet, il y aurait une seconde famille de raisons qui fondent la croyance des professeurs. Ceux-ci sauvent des croyances essentielles que l’expérience la plus banale ne confirme pas, mais qu’il est indispensable de maintenir pour continuer à vivre dans l’école. Ce sont des fictions nécessaires que la connaissance ne peut franchir facilement. Le système des fictions nécessaires de l’école démocratique repose sur deux piliers, sur deux principes considérés comme indiscutables et non démontrables : un principe d’égalité, tous les élèves sont fondamentalement égaux et peuvent prétendre aux mêmes choses ; un principe de mérite, fondant des inégalités justes. Le problème tient évidemment au caractère contradictoire de ces deux principes car, pratiquement, il convient de classer les élèves et d’affirmer leur égalité, ce qui oblige à expliquer leurs inégalités de performances comme les conséquences de leur liberté. Professeurs et élèves s’accordent sur cette fiction grâce aux vertus du travail, considérant que les différences scolaires tiennent à la quantité de travail que les élèves engagent librement dans les exercices scolaires : tous les élèves sont égaux et les meilleurs sont ceux qui travaillent le plus. »

Malheureusement, la science a largement démontré l’inexactitude de cette fiction. Les élèves sont loin d’être égaux et le travail n’est guère un gage de réussite. Dubet conclut que les professeurs ont de « bonnes raisons » de croire dans les vertus du redoublement mais qu’ils n’ont pas raison. Ceux-ci demeurent responsables.

Pour Hughes Draelants[8], les grandes fonctions latentes du redoublement sont au nombre de quatre :

1. Fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements

Bernard Delvaux[9] a montré que dans le système éducatif belge francophone, le redoublement et l’orientation forment deux outils de gestion de la grande hétérogénéité des publics scolaires. Il contribue à l’homogénéité des classes. La suppression du redoublement en première secondaire a forcé les professeurs à devoir gérer des classes plus hétérogènes. Ce changement a compliqué le travail des professeurs qui étaient auparavant habitués à travailler avec des publics sélectionnés. La sélection des « meilleurs » élèves peut s’expliquer par une lutte contre les dégradations des conditions de travail des professeurs, au détriment de leurs collègues qui, se situant dans les enseignements techniques et professionnels, auront à gérer des élèves broyés, cassés par les ‘profs’ des « bonnes écoles ». En somme, ce que les uns ne veulent pas assumer, les autres n’auront qu’à faire avec.

2. Fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants

Selon Hughes Draelants, le redoublement peut servir de ressource stratégique à un établissement scolaire pour se construire une place et une réputation dans le champ des organisations scolaires locales. La production de hiérarchies d’excellence est recherchée par certains établissements scolaires afin d’asseoir leur positionnement et leur image au sein de l’espace d’interdépendance qui les relie aux établissements environnants. (…) Lorsqu’un établissement utilise le mécanisme du redoublement afin de se positionner dans un espace local, le recours (ou non) au redoublement s’inscrit dans une double logique : instrumentale d’une part, lorsque l’établissement vise « simplement » à occuper une place déterminée dans une hiérarchie instituée, symbolique d’autre part, dans la mesure où se construire une place passe aussi par le fait de se définir une image, une réputation, dans un processus de construction d’une identité d’établissement. A cet égard, on peut dire que le redoublement fonctionne comme un marqueur, un signal au sens des économistes, qui en l’occurrence renvoie à l’idée de qualité.

3. Fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe

Nous avons vu que Prost a postulé que, selon les professeurs, la menace de l’échec serait le moteur du travail des élèves. Dans les faits, les professeurs se sont appuyés sur la pratique du redoublement afin d’asseoir leur autorité auprès des élèves. La croyance selon laquelle l’interdiction du redoublement en première secondaire allait niveler vers le bas et permettrait aux élèves de réussir sans travailler traduit une vraie tradition basée sur le principe de la menace. La remise en cause du redoublement bouleverse donc les rôles jusque-là établis et soutenus par ce dispositif, et redistribue les cartes du pouvoir. Les élèves contribuent à maintenir le système. Ceux-ci ont été formatés par les pratiques traditionnelles d’évaluation et de sélection, « un rapport essentiellement instrumental aux savoirs et à la scolarité[10] ». Bref, les élèves fonctionnent « à la note » et non aux apprentissages. Les notes sont la manière dont la plupart des professeurs évaluent  – non les savoirs et les savoir-faire – mais le travail et le comportement de leurs élèves. Les élèves sont donc formatés pour ne pas apprendre mais pour « gagner des notes ». Hughes Draelants conclut qu’ « […] on peut dire que l’attachement au redoublement est d’ordre pragmatique : dans les conditions actuelles des rapports entre enseignants et élèves et dans un système qui valorise la note, il est difficile de s’en passer, de fonctionner autrement. »

Nous faisons le pari que l’évaluation sans notations est plus performante et permet à plus d’élèves d’acquérir les savoirs, les savoir-faire et les compétences[11].

4. Fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants

Pour Hughes Draelants, si le professeur ressent une perte de pouvoir en classe dans sa relation aux élèves, collectivement les professeurs se sentent également de plus en plus dépossédés de leur métier compte tenu d’une pression plus forte que par le passé émanant d’une part des autorités politiques[12] et d’autre part des parents, des élèves et de la société en général[13].(…)

Face à (…) l’abolition des anciens repères, certains professeurs résistent afin de conserver la maîtrise de leur profession. Ainsi l’attachement manifesté par les professeurs vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être. Le redoublement apparaît comme un des instruments de la sélection méritocratique qui, elle-même, symbolise un certain pouvoir professoral et modèle de fonctionnement du système scolaire aujourd’hui en crise.


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Chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] Pierre Prost – L’Enseignement s’est-il démocratisé? Les élèves des lycées et collèges de l’agglomération d’Orléans de 1945 à 1980. Paris, PUF, « coll. Sociologies », 1986, 2e éd. augmentée 1992

[2] L’orientation par l’échec accroit la pression sélective sur les élèves, bref il ne faut pas être orienté. Cette pression accrue permet au système scolaire de surmonter deux obstacles majeurs de son fonctionnement : – l’écart grandissant entre culture scolaire et son public (distance culture école/élève, usage utilitaire qui a détruit les motivations, savoirs scolaires éloignés de l’expérience commune…) – difficultés sociologiques (conduite de classe difficile, autorité larguée, refus de l’univers des adultes). Donc la crainte de l’orientation est une relation de pouvoir, de pression, sur les élèves.

[3] Pierre Stegen – Quelques éléments du contexte dans lequel s’est implantée la réforme du premier cycle de l’enseignement secondaire. Rapport d’une recherche commanditée par le Ministère de l’Education de la Communauté française de Belgique. Liège : Service de pédagogie expérimentale de l’Université. 1994

[4] Hugues Draelants Le redoublement est moins un problème qu’une solution – Comprendre l’attachement social au redoublement en Belgique francophone Les Cahiers de Recherche en Education et Formation GIRSEF.

[5] Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin. Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traité les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire. Rapport 14, Haut conseil de l’évaluation de l’école (HCéé), Décembre 2004.

[6] P. Bourdieu et J-C Passeron – La reproduction : éléments pour une théorie du système d’enseignement. Paris : Les Editions de Minuit 1970

[7] François Dubet – Pourquoi ne croit-on pas les sociologues ? Education et société, 2002

[8] Hugues Draelants Le redoublement est moins un problème qu’une solution – Comprendre l’attachement social au redoublement en Belgique francophone Les Cahiers de Recherche en Education et Formation GIRSEF.

[9] Bernard Delvaux, Orientation et redoublement : recomposition de deux outils de gestion des trajectoires scolaires. In G. Bajoit (dir), Jeunesse et société : la socialisation des jeunes dans un monde en mutation, De Boeck Université. 2000

[10] B. Charlot – Du rapport au savoir. Eléments pour une théorie. Paris : Anthropos 2002

[11] Philippe Perrenoud – La fabrication de l’excellence scolaire : du curriculum aux pratiques d’évaluation. Vers une analyse de la réussite, de l’échec et des inégalités comme réalités construites par le système scolaire Genève, Droz, 1984, 2e édition augmentée 1995.

[12] Christian Maroy, Branka Cattonar – professionnalisation ou déprofessionnalisation des enseignants ? Le cas de la Communauté française de Belgique. Cahier de recherche du Girsef 18 – 2002

[13] N. Dauphin et M. Verhoeven – La mobilité scolaire au cœur des transformations du système scolaire. Cahiers de recherche en éducation  et formation – 2002

Le redoublement – chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Le redoublement – chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

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En Belgique comme en France ou au Grand-duché de Luxembourg, penser à une école sans redoublement est inimaginable. De nombreux professeurs sont convaincus que le redoublement aurait une réelle utilité pédagogique : il permettrait de remédier aux difficultés constatées. Puisque les rythmes de développement personnels et d’apprentissage varient d’un élève à l’autre, le redoublement permettrait de corriger ces rythmes en offrant un supplément d’apprentissage aux plus lents. Mieux encore, il servirait aussi de thérapie puisqu’il permettrait aux élèves de gagner en maturité et de repartir sur de meilleures bases.

Comme de nombreux parents qui ne sont pas spécialistes de la pédagogie, les professeurs considèrent encore le redoublement comme un moyen de remédiation efficace. Ils lui attribuent par ailleurs un rôle instrumental. Un sondage[1] d’OpinionWay révèle que 70 % des parents et 64 % des professeurs interrogés sont d’accord avec la phrase « Le redoublement permet réellement à l’élève de rattraper son retard et d’être mieux préparé pour les classes supérieures » .

Le point de vue des parents n’a pas été fort étudié par la recherche scientifique. Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin[2] citent plusieurs études anciennes qui révèlent une adhésion massive au redoublement, mais on manque d’enquêtes récentes. Thierry Troncin[3] a montré que très peu de parents s’opposent au redoublement de leur enfant en première primaire (ou CP). Selon l’auteur, ce serait le signe de la confiance des parents envers les enseignants à ces niveaux scolaires. Mais, rappelons-le, les parents – tout comme les professeurs adeptes du redoublement – ne sont pas experts en pédagogie, ne connaissent rien des études sur les effets psychologiques et le manque d’efficacité du redoublement et encore moins des alternatives que mettent en place les enseignants (contrairement aux professeurs) pour éviter l’échec scolaire et ses dérives.

Non, les professeurs ne sont pas les seuls responsables de l’échec de notre système scolaire. Des parents – principalement ceux issus des classes les plus favorisées et dont la classe sociale tire profit de la sélectivité – manifestent également un triste attachement au redoublement, donc à l’échec scolaire… des enfants des autres.

Tenir à sa classe sociale et refuser de la partager avec les moins nantis est profondément inique. Evidemment, si on veut des riches, il faut des pauvres. Supprimer les pauvres, reviendrait à rendre les gens égaux et donc, à partager les richesses de la société. Cela ne peut être acceptable par une partie minoritaire mais influente de la société. Quels sont les parents qui écrivent des cartes blanches dans la presse, sinon des gens instruits qui défendent leurs acquis sociaux pour leurs propres enfants ? Ce sont des gens qui refusent de partager ces acquis avec l’immense majorité paupérisée de la population. Ce sont ceux qui, en un mot, ne cherchent qu’à protéger leur progéniture et à veiller à leur succès au détriment des plus fragiles. Nous sommes loin du respect du Droit de tous les enfants, mais uniquement de celui d’une minorité de privilégiés prétendument « bien nés ».

L’attachement de ces parents au redoublement renforce celui des enseignants et des établissements élitistes. Il s’agit clairement d’une volonté de maintien de la ségrégation sociale. Il suffit qu’un seul enseignant se pose des questions sur l’inefficacité du redoublement pour, qu’immédiatement, des voix s’élèvent en lui demandant s’il ne vise pas plutôt le « nivellement par le bas » ? Le « nivellement par le bas », vieux fantasme des « élites » libérales qui craignent de partager avec les plus fragiles. Il suffirait simplement de lire la presse qui, en cette matière, fait bien son travail, pour voir que les systèmes scolaires les plus équitables sont aussi les plus performants et donc, qu’ils nivellent vers le haut. Le problème pour ces parents ou grands-parents élitistes belges, c’est que ces systèmes nivellent vers le haut TOUS les élèves, et cela leur est intolérable !

Quant aux familles socialement défavorisées et mal informées des enjeux citoyens, elles imitent ceux qui crient le plus fort sans comprendre les enjeux, en se rassurant que les gens instruits (parents favorisés et enseignants) ont forcément raison. Il est donc important que les médias auxquels ils ont (peu) accès s’engagent, sur le plan citoyen, à expliquer les enjeux sociaux aux personnes les moins bien informées. Nous pensons également aux associations de première ligne, celles qui accueillent les familles et leurs enfants (maisons de quartier, écoles de devoirs, aides en milieu ouvert, services d’accrochage scolaire, médiateurs, …) qui peuvent avoir un rôle fondamental dans l’éducation des classes populaires. Leur faire prendre consciences des enjeux pour l’avenir de leurs enfants leur permettra de ne plus se laisser prendre pour des idiots par l’école qui, elle, a tout intérêt à ce que les parents ne puissent pas contester ses messages. Bref, qu’ils restent dans l’ignorance.

Cependant, les choses sont en train de changer. Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin notent que les familles dites « favorisées » sont beaucoup plus critiques par rapport au redoublement, en ce qui concerne leurs propres enfants. Elles seraient moins disposées à en accepter la décision d’office. Il commence à y avoir un scepticisme à l’égard du redoublement. Dans l’enseignement fondamental, de nombreux parents contestent les décisions de redoublement[4]

Géry Marcoux et Marcel Crahay [5] (2008) expliquent aussi l’adhésion des professeurs au redoublement car ils s’appuient « sur une conception pédagogique selon laquelle l’apprentissage se fait de façon linéaire avec emboîtement des connaissances brique après brique, des professeurs expliquent que le redoublement permet de récupérer les lacunes et de consolider les bases non encore acquises ». En 3e maternelle et en 1ère primaire, 80 % à 90 % des enseignants doutent de l’effet négatif du redoublement sur la confiance en soi d’un élève. Selon eux, un élève qui répète une année le vit rarement comme un échec. Selon eux, on ne « fait pas redoubler une troisième maternelle, on permet à l’élève de mûrir ». Pourtant, aucun professeur n’est formé pour évaluer la maturité d’un enfant. Il s’agit donc bien d’une croyance infondée, telle que le démontrent les parcours d’élèves maintenus en 3e maternelle :



Parcours d’élèves non maintenus en M3 versus parcours d’élèves maintenus
[6]

Comme on peut le voir sur ces graphiques, les élèves qui ont été promus en 1ère primaire (CP) sont 85 % à arriver en 4e année (CM1) sans passer par l’échec. Par contre, ceux qui ont été maintenus en 3e maternelle (grande section) sont un peu moins de la moitié à faire le même parcours. Pire, un quart d’entre eux connaît un second échec et un second quart est orienté vers l’enseignement spécialisé, alors qu’ils sont moins d’un pourcent chez les non maintenus.

Cette conception biaisée fait que le redoublement apparaît dès lors aux professeurs comme une solution adaptée pour solidifier les « bases » des élèves et leur faire gagner en « maturité » afin d’être plus aptes à comprendre les apprentissages et acquérir les compétences visées. « Reposant également sur cette conception cumulative des apprentissages scolaires, bon nombre de professeurs croient aux bienfaits du redoublement précoce[7]»  Comme si l’échec scolaire était un manque de maturité… des élèves ? Personne n’a, fort malheureusement, encore étudié la maturité des professeurs. Pourquoi ceux-ci pratiquent-ils l’échec scolaire alors que les enseignants, eux, ne le font pas. Et ces derniers[8] sont loin d’être des laxistes. Enseigner et transmettre les savoirs à tous les élèves nécessite un engagement professionnel et humain autrement plus important que ce que pratiquent les sélectionneurs. Tout le monde sait donner cours de quelque chose, par contre, enseigner est un art.

Pour Géry Marcoux et Marcel Crahay, « De multiples propos de professeurs traduisent la persistance de croyances sur les effets bénéfiques du redoublement. Celui-ci reste majoritairement vu comme une seconde chance. De manière synthétique, recommencer présenterait différents avantages liés au fait général de donner un supplément de temps. Ainsi, il serait bénéfique de donner du temps aux enfants pas assez mûrs, car on suppose que, durant l’année de redoublement, la maturité va s’acquérir. Il serait également bénéfique de donner du temps aux enfants qui ont des situations familiales difficiles à gérer: on protège ces enfants en ne rajoutant pas une difficulté supplémentaire à leurs problèmes. Le redoublement serait également une manière d’éviter une perte de confiance en soi (par rapport à une promotion qui l’affecterait nécessairement) ou d’aider à la restaurer par la répétition d’activités déjà connues, ce qui réduit la charge cognitive ou la « charge de travail » de l’élève et devrait contribuer à le rassurer sur ses capacités. [9]»

Le redoublement, c’est la roulette russe des professeurs, mais ils mettent le canon du revolver sur la tempe des élèves.

Depuis les années 80, les recherches ont démontré que les professeurs adaptent leurs exigences en fonction de l’établissement scolaire dans lequel ils travaillent, mais également en fonction du niveau moyen de leur classe. C’est une optique peu humaniste mais généralisée. Il leur faudrait, au contraire, se baser sur les plus « faibles » pour pouvoir s’assurer que tout le monde ait compris[10]. En effet, en visant l’élève « moyen », notion que personne au monde n’est capable de définir scientifiquement, il met la barre suffisamment haut pour pratiquer sa sélection, au détriment des plus « faibles ». C’est inéquitable. Non seulement parce que les élèves en difficulté ont été ignorés du début à la fin de l’apprentissage, mais selon la classe dans laquelle il se trouve et les exigences du professeur, l’élève sera placé en échec ou non. Deux élèves aux compétences et connaissances identiques, placés dans deux classes différentes seront pour l’un promu, pour l’autre mis en échec et contraint de redoubler.

Sur les exigences des professeurs en matière d’évaluation, Pierre Merle[11] rappelle que « les recherches sur la notation ont montré l’existence de biais sociaux de notation. Les professeurs sont inconsciemment influencés par le sexe de l’élève, un redoublement éventuel, son âge, son origine sociale, son niveau scolaire, ses notes précédentes, le niveau de la classe, de l’établissement » et, plus étonnant encore, son prénom, comme l’indique une étude intitulée « Name Stereotypes and Teachers’Expectations » dans laquelle deux chercheurs nord-américains ont démontré que les enfants étaient évalués différemment selon la manière dont leur prénom était perçu par leurs enseignants. Il est ainsi apparu qu’une même rédaction se voyait attribuer une note statistiquement supérieure lorsque son «rédacteur» portait un prénom «socialement désirable»[12].

De même on sait que les professeurs tiennent compte des exigences de leurs collègues suivants pour décider du sort d’un élève[13].  

On rappellera toutefois que dans le cadre de l’étude menée par Chenu et al. (2011), deux tiers des institutrices de 3e maternelle (grande section) prenaient en compte les attentes plus ou moins explicites de l’enseignant de première primaire (CP) en termes de maintien. La prise en compte des attentes implicites des collègues de la classe supérieure n’est pas l’apanage exclusif des institutrices de 3e maternelle. Comme le précise Marcel Crahay, « pour un professeur, l’évaluation est aussi un élément crucial dans sa relation avec ses collègues. Au moment de décider de la réussite ou de l’échec des élèves, il est confronté à un dilemme […] : faire échouer un élève dont le niveau de performance est à la limite de ce qu’il croit devoir exiger, c’est courir le risque d’interrompre inutilement la scolarité d’un élève, mais cette erreur possible […], il est fort peu probable qu’on la lui reproche. En revanche, laisser réussir ce même élève, c’est prendre le risque qu’il se montre incapable de suivre l’enseignement du collègue de la classe supérieure ; et là, la probabilité des reproches venant de collègues est bien plus élevée. On touche ici au cœur même de ce qu’il faut bien appeler une culture de l’échec. Un professeur chez qui tous les élèves réussissent est suspect.[14] »

Au quotidien, ces attentes prennent probablement des formes implicites, tacites. On peut penser que c’est aussi par empathie avec le collègue de l’année suivante que certains professeurs décident de ne pas laisser passer un enfant dont la gestion des difficultés risque d’être très lourde pour son collègue[15]. Marcel Crahay cite ensuite différents travaux qui montrent que quand l’enseignant monte avec sa classe, le redoublement est quasi-nul[16].

En résumé, la décision d’un redoublement ne dépend pas des performances d’un élève, mais avant tout des « exigences » du ou des professeurs qui sont, comme on l’a vu, fortement influencées par le niveau de l’école, de la classe et les caractéristiques socioéconomiques et physique de celui -ci. Elle dépend aussi des attentes implicites ou explicite des collègues de la classe supérieure.


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Chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] OpinionWay. Le redoublement à l’école, quels ressentis des enseignants et des parents. Sondage, Novembre 2012. URL http://www.apel.fr/images/stories/apel-opinionway-redoublement.pdf.

[2] Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin. Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire. Rapport 14, Haut conseil de l’évaluation de l’école (HCéé), Décembre 2004.

[3] Thierry Troncin. Le redoublement : radiographie d’une décision à la recherche de sa légitimité. Dijon, Université de Bourgogne, 582 p., Thèse de doctorat, sous la direction de Jean-Jacques Paul. 2005.

[4] Rappelons qu’en Belgique, les parents ont le droit de s’opposer au redoublement tout au long de l’enseignement fondamental. Le CEB (Certificat d’Etudes de Base) que l’on passe à 12 ans est le seul moment de certification et donc de possibilité de redoublement pour un élève. 

[5] Géry Marcoux et Marcel Crahay. Mais pourquoi continuent-ils à faire redoubler ? essai de compréhension du jugement des enseignants concernant le redoublement. Revue suisse des sciences de l’éducation, 30 : 501–518, 2008.

[6] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[7] Géry Marcoux et Marcel Crahay. Ibid.

[8] Nous rappelons que nous faisons une différence fondamentale entre professeur et enseignant. Le professeur, pratique la sélection dans une compétition mortifère, tandis que l’enseignant enseigne… donc vise l’acquisition de tous les savoirs chez tous les élèves. Bref, la « réussite » de tous, contrairement au premier qui, de son côté, n’est pas formé ou ne s’est pas auto-formé pour enseigner. Pour savoir dans quelle catégorie vous situer, demandez-vous si vous pratiquez ou non le redoublement.

[9] Géry Marcoux et Marcel Crahay, Mais pourquoi continuent-ils à faire redoubler? Essai de compréhension du jugement des enseignants concernant le redoublement – Université de Genève, Université de Genève, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, 2008

[10] L’idée étant bien de s’assurer que tous les élèves, les plus « faibles » compris, aient acquis un niveau de compétences élevé.

[11] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes

[12] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes

[13] Chenu, F., Dupont, V., Lejong, M., Staelens, V. Hindryckx, G., & Grisay, A. (2011). Analyse des causes et des conséquences du maintien en 3e maternelle. Rapport de recherche. Administration Générale de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique.

[14] Crahay, M. (1996). Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? (1re éd.). Bruxelles : De Boeck.

[15] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[16] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian, ibid.

Le redoublement – Dossier pédagogique

Le redoublement – Dossier pédagogique

Le redoublement est, avec les orientations précoces, le signe le plus visible de l’échec scolaire. La Belgique, et plus spécifiquement la Fédération Wallonie-Bruxelles, est constamment sur le podium des pays de l’OCDE qui font redoubler massivement et cassent[1] le plus d’élèves. Chaque année un peu moins de 60 000 élèves sont contraints de perdre une année de leur vie à recommencer une classe, 17 000 sont orientés précocement vers des filières de relégation dont ils ne veulent pas (spécialisé, technique ou professionnel) et un peu moins de 20 000 étudiants abandonnent sans diplôme du secondaire supérieur, complètement cassés par des échecs successifs générés par un enseignement trop souvent inefficace. Ils sont 14,8% en Région de Bruxelles-Capitale et 10,3% en Région wallonne ( contre 6,8% en Région flamande, soit 8,8% au niveau belge) [2] .

Même si la communauté scientifique débat sur la pertinence de leurs conclusions, les recherches sur les effets du redoublement montrent qu’au mieux, celui-ci est inefficace, au pire, c’est de la maltraitance[3]. Non seulement, il ne permet pas à un élève de « repartir du bon pied », mais il a l’effet inverse : un redoublement décourage, démotive et induit le « sentiment d’incompétence acquis » qui va bloquer le jeune, non seulement tout au long de ses études, l’empêchant d’apprendre, mais sans doute aussi le bloquer psychologiquement tout au long de sa vie professionnelle.

Comment se fait-il qu’au XXIe siècle (bien entamé) des professeurs considèrent encore que le redoublement soit efficace pour remettre l’élève à « niveau » ? Les résultats des pays en tête des enquêtes PISA ont largement démontré depuis des décennies que c’est le non-redoublement et son remplacement par des pratiques pédagogiques validées qui leur permettent d’afficher de tels taux de réussite. Pour les enseignants de ces pays, le redoublement est comparé aux supplices médiévaux et ils n’imaginent pas que des systèmes scolaires qui se disent développés utilisent encore de telles pratiques barbares.

Mais comme ces valeureux gaulois, nous résistons encore et toujours aux pratiques pédagogiques efficaces. C’est moins fatigant ; il ne faut pas enseigner, il suffit de casser de l’élève…

Quelle est l’importance du redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles ?

Comme le rappellent les indicateurs de l’enseignement, en Fédération Wallonie-Bruxelles, un enfant entre en première année primaire l’année civile durant laquelle il atteint 6 ans. Après un parcours de 12 ans, il devrait, en théorie, sortir de l’enseignement secondaire l’année de ses 18 ans. C’est loin d’être le cas le plus fréquent. Le pourcentage d’élèves à l’heure diminue de manière quasi linéaire dès la troisième maternelle[5] (M3). En cinquième et sixième années primaire (P5 et P6), près de 20 % des élèves sont en retard scolaire. En première secondaire (S1), le taux de retard s’élève à 29 %. Il est encore plus important en deuxième (36 %). En cinquième année, ce sont plus de 61 % des élèves qui ont dépassé l’âge légal de scolarisation.

L’abandon scolaire est un des effets du l’échec scolaire et par corrélation, du redoublement. En Fédération Wallonie-Bruxelles, parmi les élèves âgés de 15 à 22 ans en 2016‑2017 et qui fréquentaient une troisième, quatrième ou cinquième année de l’enseignement secondaire ordinaire de plein exercice en 2015‑2016, 5,1 % ne sont plus inscrits ni dans l’enseignement ordinaire de plein exercice ou en alternance (CÉFA), ni dans l’enseignement spécialisé en 2016‑2017[6].

Taux de redoublement, année après année, dans l’enseignement fondamental  et dans l’enseignement secondaire, en 2016-2017[7]

Chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] Même s’ils déplaisent –  et tant mieux s’ils choquent – nous utilisons intentionnellement des mots forts car ce sont les seuls à exprimer combien le redoublement est une véritable maltraitance et a des effets dramatiques sur l’avenir de nombreux élèves. Pour rappel, nous défendons les droits humains et ne sommes donc pas dans le consensus, mais dans un combat contre l’obscurantisme A-pédagogique (notez l’ἄλφα privatif) qui règne dans de nombreuses écoles et chez de nombreux professionnels.

[2] http://accrochagescolaire.brussels/le-ba-ba-de-laccrochage/indicateurs

[3] « Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées. » Le Tartuffe, III, 2 (v. 860-862)

[3] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2016/11/02/lechec-scolaire-est-une-maltraitance/   (Texte qui date de 2010)

[4] Source : Indicateurs de l’enseignement 2018 – En troisième maternelle, le taux de retard est le rapport (%) entre le nombre d’élèves de 6 ans et plus inscrits en maternel et le nombre d’élèves âgés de 5 ans et plus inscrits en maternel.

[5] Source : Indicateurs de l’enseignement 2018

[6] Source : Indicateurs de l’enseignement 2018

[7] La sixième primaire présente le taux de redoublants le plus bas. Cela peut s’expliquer par le fait que, sauf dérogation, les élèves de 13 ans ou ayant déjà redoublé en primaire passent directement en secondaire. Aussi, le taux d’obtention du CEB et l’entrée dans le premier degré différencié peuvent également expliquer les fluctuations du taux de redoublants observées en sixième primaire.

[8] Le faible taux de redoublants s’explique par la récente suppression de la première année complémentaire (1S). Parallèlement, le taux de redoublants est en nette augmentation pour les élèves qui fréquentent une deuxième.