Sep 8, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
On a vu que les familles n’étaient pas égales face
aux devoirs. Selon qu’il soit né de parents qui ont fait de longues études ou
non, un enfant bénéficie d’aide aux devoirs ou non. Dès lors, il est important
que chaque professeur ait son attention attirée sur la nécessité d’éviter que
la scolarité ne pénalise les enfants en fonction de leur environnement familial.
Si les familles ne sont pas égales face aux
devoirs, il en va de même pour les professeurs. Selon qu’ils soient formés ou
non à la pédagogie, la multiplication de leurs exigences se révèlera ou non
inflationniste. Avec le risque de pénaliser les élèves jusqu’à provoquer des
rejets scolaires et/ou à décourager et les démobiliser par des excès de travaux
à domicile.
En continuant d’affirmer que le travail assure une réussite scolaire, l’Ecole légitimise sa propre incompétence et induit chez les élèves une course à la réussite et la croyance qu’à « travail égal, note égale »[1]. C’est évidemment faux, car nul n’est égal face aux apprentissages. Cette course à la réussite fait de nos enfants des compétiteurs prêts à sacrifier les autres – leurs pairs – sur l’autel de la réussite scolaire, du moment qu’eux aux moins passent à travers les mailles du filet. En ce sens, les professeurs qui donnent des devoirs ne forment pas leurs élèves à la citoyenneté. Tout au contraire !
Les devoirs vont à l’encontre des rythmes
biologiques de l’enfant. Il est absurde de laisser des enfants assis 6 à 8
heures par jour derrière une table, puis de les obliger à se remettre aux
apprentissages une fois rentrés à la maison pour étudier une leçon ou faire un
devoir. La journée est trop lourde.
Une étude Pisa a établi que, dans les pays de l’OCDE, en moyenne, un élève de 15 ans consacre 5 heures par semaine à faire des devoirs. L’Espagnol, en bas du classement, y passe 7 heures. Le Belge frôle les 6 heures. Finlande et Corée : 3 heures. Portant sur l’année 2012, publiée en 2014, cette étude a noté que, globalement, le temps consacré aux devoirs était en recul par rapport à une étude menée en 2002. Mais pour l’OCDE, ce temps reste « considérable ». Bref : excessif[2].
Les devoirs vont à l’encontre des rythmes
scolaires. L’année scolaire, en Belgique, compte 182 jours ouvrables chaque
année. Sur ces 37 semaines, deux aux moins sont perdues à Noël, puis en juin
pour faire des révisions, des examens et pour occuper les élèves en attendant
les vacances. Cela représente au moins 20 jours perdus sur l’année pour les
apprentissages. Perdus, parce que les examens ne servent pas à évaluer mais à
sélectionner les élèves au cours d’une compétition qui n’a rien de pédagogique.
C’est tout le contraire d’enseigner : l’évaluation ne doit pas être
sommative mais formative[3].
Le fait d’évaluer formativement, au quotidien, permettrait de gagner 4 à 5
semaines par an pour les apprentissages, pour les remédiations et donc aussi…
pour faire les devoirs en classe. Dans une école où les professeurs courent
constamment après le temps, il est étonnant qu’ils aiment tant en perdre.
Les devoirs ne respectent pas les droits de l’Enfant. Notamment, ils l’empêchent de bénéficier des droits reconnus dans l’article 31 de la Convention relative aux Droits de l’Enfant. Celui-ci reconnaît à l’enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique[4]. Il n’est pas normal que des élèves de primaire ou de secondaire soient obligés d’abandonner des activités sportives ou culturelles pour consacrer leur soirée, leur mercredi après-midi, ou leurs WE au travail scolaire. Outre le fait que cela nuise à leur repos, les devoirs empêchent d’autres apprentissages non scolaires, mais au moins tout aussi importants : pouvoir faire du sport, de la musique, d’accéder à l’art et de se cultiver dans d’autres registres que ceux imposés par l’école.
Les devoirs affectent également la santé de
l’enfant. Non seulement, ils le privent d’un juste repos et d’une détente bien
méritée, mais les devoirs pèsent physiquement lourds sur le dos de l’enfant. La
charge moyenne d’un cartable est de 6,4 kg par enfant, ce qui représente entre
27 et 36 % de son poids, alors qu’il ne devrait pas dépasser les 10 %[5].
Enfin, d’autres droits de base sont mis à mal par les devoirs, notamment le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique[6]. Quel temps lui reste-t-il pour cela, une fois ses nombreux devoirs terminés ? Quantité d’enfants ne peuvent pas faire de scoutisme, s’inscrire dans un club sportif ou bénéficier des plaines de jeux, de par la charge du travail pour l’école, externalisé vers la famille.
A suivre… Des bénéfices pas toujours démontrés
[1] Barrère A., 1997, Les lycéens au travail, Puf
[2] LE SOIR 16 novembre 2016 – Pierre
Bouillon « La Ligue des
droits de l’enfant part en guerre contre les devoirs excessifs ».
[3] Article 15 du Décret Missions – 1997
[4] CIDE – ONU 1989
[5] Dominique Glasman, Leslie Besson. Le travail
des élèves pour l’école en dehors de l’école, Rapport établi à la demande du Haut
conseil de l’évaluation de l’école, 2004
[6] Article 15 de la Convention Internationale des
Droits de l’Enfant
Sep 8, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
Posons-nous la question de l’équité
des devoirs
A force de constater et de lister les
difficultés en relation avec les devoirs, rencontrées par nombre de familles, chaque
enseignant doit se poser la question de l’équité de ceux-ci. Un devoir est, en
principe, le prolongement d’une notion vue en classe. Or, dans un groupe
d’élèves, il y en a toujours qui comprennent plus vite que d’autres. Enfin, des
élèves ont des difficultés d’apprentissage. Or, une fois hors de la classe,
ceux qui n’ont pas compris ou ont mal compris la notion à revoir ou à
approfondir ne peuvent plus compter sur le professeur pour la leur réexpliquer.
Ils ne pourront pas effectuer le devoir correctement et ce dernier constituera,
par définition, une source d’iniquité.
Si l’on veut que l’élève tire profit de son
devoir, il est fondamental que celui-ci tienne compte de la correspondance
entre, d’une part la nature de la tâche demandée et, d’autre part, les
compétences et la motivation de l’élève. La seule manière de rendre les devoirs
équitables et éthiques est donc de les différencier en fonction des compétences
des élèves. Ainsi, ceux qui rencontrent des difficultés ou ne peuvent pas
trouver d’aide seraient à même de les réaliser.
On ne peut pas, non plus, ne pas tenir compte
du contexte dans lequel l’élève aura à réaliser son devoir. Celui-ci questionne
trois axes aussi importants l’un que l’autre :
- l’environnement
de l’élève : a-t-il, par exemple, un endroit calme et confortable pour le
réaliser ?
- de
même que l’équipement matériel : vit-il l’exclusion numérique ou a-t-il un
accès aisé à Internet, bénéficie-t-il d’une imprimante, d’encyclopédies, d’un
atlas, … ?
- et
la disponibilité et la qualité du soutien dont il peut bénéficier.
L’équité dans les devoirs ne doit pas viser exclusivement les élèves de milieux populaires ou les enfants en difficultés d’apprentissage. L’évolution sociétale fait que de nombreuses familles sont susceptibles de vivre des « transitions » familiales : séparations, recompositions, monoparentalité, qui leur rendront plus difficiles de concilier emploi et encadrement des devoirs. Dans tous les milieux sociaux, des enfants ne peuvent déjà plus bénéficier de soutiens familiaux pour réaliser leurs devoirs.
A suivre… Les dangers du travail à la maison, ou le déni des droits de l’enfant
Sep 8, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
Tous les élèves n’ont pas les mêmes espaces de socialisation familiale. Selon leurs formes de socialisation qui sont fortement corrélées au milieu social, les familles seront avantagées ou désavantagées par rapport aux devoirs. Selon l’espace de socialisation, les questions qui touchent aux devoirs n’ont pas le même statut.
Différents critères différencient ces socialisations familiales, à commencer par le rapport à l’écrit[1] et l’importance que lui accorde la famille. Les relations entre parents et enfants constituent également des critères de différenciation : jouent-ils ensemble, ont-ils des activités culturelles collectives ? Enfin, la manière de se questionner constitue un élément déterminant. On sait que l’on pose différemment les questions à l’école et à la maison. A l’école, le maître pose des questions dont il connaît les réponses, tandis qu’à la maison, on pose plutôt des questions dont la famille ne connaît pas nécessairement les réponses mais qui sont utiles à la vie familiale.
L’école prend rarement
en charge ces différences de socialisation, faisant des devoirs un élément qui
intervient de manière déterminante dans la production des inégalités scolaires.
Pire, ces différences de socialisation permettent à l’école de renvoyer aux
parents (et accessoirement à l’élève) la responsabilité de la réussite ou de
l’échec scolaire. Ils entretiennent la croyance dans « l’équivalent travail »[2],
dont on connaît l’absence de fondement mais qui permet au système de trouver
une justification sociale[3].
Les malentendus
sociocognitifs se retrouvent dans les effets qu’induisent les devoirs à la
maison. Les inégalités, sont liées à la
mobilisation d’attitudes cognitives, de « rapports au savoir », qui ne sont pas
ceux qui permettent de s’approprier les savoirs scolaires, contrairement aux
enfants issus de milieux plus favorisés. Ces derniers savent, parce qu’ils l’ont
appris auparavant (probablement hors de l’école), que la réalisation des tâches
scolaires, l’application des consignes et l’obtention du bon résultat, s’ils
sont importants, ne le sont que parce que cela constitue un moyen de construire
un savoir, de consolider ou d’évaluer son acquisition. Leur confrontation à
l’école sur le registre cognitif engage une attitude beaucoup plus réflexive,
une attitude d’appropriation, car ils ont conscience du lien entre les tâches
et leurs finalités. Cette attitude d’appropriation est beaucoup plus conforme
aux exigences spécifiques de la transmission scolaire et à l’apprentissage de
savoirs modelés par les logiques de la culture écrite. Mais les dispositifs pédagogiques observés prévoient peu ce que nous
appellerons la mise en travail des élèves, de façon qu’ils construisent les
postures cognitives adéquates à l’appropriation des savoirs. De ce fait, ces postures
apparaissent comme des prérequis, exigés implicitement de tous les élèves sans
être enseignés. En ne prenant pas en charge la transformation des dispositions
construites dans l’éducation familiale en attitudes requises pour apprendre,
l’école fait ici preuve d’une «indifférence aux différences» propice à la
production d’inégalités scolaires[4].
Selon une étude[5],
la majorité des parents auraient des difficultés pour aider un enfant de primaire
à faire ses devoirs. Seulement un tiers se sentiraient à l’aise. L’étude a
questionné 1 000 parents qui ont reçu trois questions-types rédigées par une
enseignante de niveau primaire et tirées des programmes d’anglais, de
mathématiques et de sciences. Seul 1/16 des participants a pu répondre aux 3
questions.
Un quart des parents a reconnu se sentir
« sous pression » lorsqu’il doit aider son enfant à faire ses devoirs
et les trois quarts admettent chercher les réponses sur Internet.
En mathématique, seulement 38 % des parents ont
pu convertir la fraction 23/6 en nombre fractionnaire, 22 % ont correctement
identifié « and » (« et » en français) comme une
conjonction subordonnée et seulement 40 % savaient qu’un « élément
clé » du cycle de la vie d’un amphibien est le moment où les
« têtards éclosent ». Enfin, 39 % des pères disent se sentir
confiants face aux devoirs, contre 28 % des mères.
Les professeurs donneurs de leçons et de
devoirs, qui attendent des familles qu’elles supervisent les travaux à
domicile, ne se rendent pas compte à quel point ils les mettent mal à l’aise.
Ils ne se rendent pas compte non plus que le message qu’ils transmettent aux
élèves disqualifie symboliquement leurs parents à cause de leur faible niveau
scolaire, ou parce qu’ils ne comprennent pas les tâches demandées et les
notions qui les traversent. Non, l’école n’est pas hors du temps et de
l’espace. L’Ecole est pleinement au cœur des familles et peut les détruire,
comme elle peut tisser du lien et les aider à construire ensemble les
apprentissages et donc l’avenir de leurs enfants.
A suivre… Posons-nous la question de l’équité des devoirs
[1] « Ensemble
diversié de relations dynamiques d’un sujet-lecteur avec la lecture littéraire ».
Judith Émery-Bruneau, Le rapport à la lecture littéraire. Des pratiques et des conceptions
de sujets-lecteurs en formation à l’enseignement du français à des intentions
didactiques, Thèse de doctorat en éducation, Québec, Université Laval, 2010,
432 p.
[2] Anne Barrère, Travailler à l’école.
Que font les élèves populaires, PUF et Les enseignants du secondaire ? PUR 2003
[3] L’équivalent travail : La procédure de justification mise en œuvre
fait appel à l’insuffisance du travail fourni. La catégorie du travail, ou plutôt
du manque de travail, se constitue donc comme catégorie justificative d’échecs
scolaires répétés, et permet de donner sens à ces échecs.
[4] Stéphane Bonnery « Un cadrage
inadéquat des activités qui facilite les malentendus », Comprendre la
difficulté scolaire, extraits pour le Parcours magistère sur le décrochage.
[5] Citée sur Breizh-Info : https://www.breizh-info.com/2019/02/25/112808/education-devoirs-primaire-parents
Sep 8, 2019 | Ecole - Education - Inclusion
L’école
demande de plus en plus aux enfants de réaliser à la maison la partie la plus
délicate de l’apprentissage qui n’a pas été saisie en classe : ils doivent
comprendre la matière et l’assimiler sans plus aucune aide, complètement privés
de leur professeur, ce qui augmente encore les inégalités scolaires. Car tous
les enfants n’ont pas la possibilité de recevoir une aide pédagogique
compétente en dehors de la classe.
Selon la Ligue des familles[1],
« De plus en plus, les établissements du
primaire au secondaire (et le supérieur n’est pas épargné non plus)
externalisent la question de la remédiation des difficultés et de l’échec
scolaire. Les maîtres se disent
impuissants à les résoudre en interne, dans les conditions et contraintes
inhérentes à leur métier. »
Les devoirs sont considérés par trop de
professeurs comme de la remédiation. Un enfant qui n’a pas fini un exercice
doit le terminer à la maison, éventuellement sans aide. Quel intérêt ?
Nous assistons de plus en plus à l’externalisation vers le secteur privé de
la remédiation scolaire[2],
ce qui renforce encore plus les inégalités sociales, puisque certaines familles
peuvent se le « payer », tandis que d’autres en sont incapables. Et
l’UFAPEC de préciser que « le soutien
scolaire a un coût ! Pas seulement un coût financier pour les familles si ce
soutien est payant, mais aussi un coût relationnel (pression des parents sur
l’enfant, organisation difficile, stigmatisation de l’enfant, tensions
familiales si ce soutien est effectué par les parents) et un coût psychologique
pour l’enfant et ses parents (découragement, culpabilisation, baisse de
l’estime de soi, etc.) »
- Les écoles de devoirs
Face à l’incapacité de l’école d’aider leurs enfants, les familles de milieux populaires n’ont pour seule possibilité que de se tourner vers les structures périscolaires, essentiellement les écoles de devoirs. Or, si leur mission est, notamment, de favoriser le développement intellectuel de l’enfant, notamment par l’accompagnement aux apprentissages, à sa scolarité et par l’aide aux devoirs et travaux à domicile[3], elles doivent également favoriser trois axes supplémentaires qui sont :
– le développement et l’émancipation
sociale de l’enfant, notamment par un suivi actif et personnalisé, dans le
respect des différences, dans un esprit de solidarité et dans une approche
interculturelle;
– la
créativité de l’enfant, son accès et son initiation aux cultures dans leurs
différentes dimensions, par des activités ludiques, d’animation, d’expression,
de création et de communication;
– l’apprentissage
de la citoyenneté et de la participation.
On remarquera que l’aide aux devoirs et aux travaux à domicile ne
représentent qu’une des quatre missions délivrées aux écoles de devoirs.
Pourtant, c’est souvent ce qu’elles sont essentiellement amenées à faire. Le
temps qu’il leur reste pour assurer les trois derniers axes
est mis à mal par des devoirs chronophages. Ces trois missions sont, en fait,
les plus importantes. Elles doivent aider les enfants de milieux populaires à
devenir des citoyens désireux de construire une société plus juste. L’école, là
encore, empêche les enfants et les jeunes de voir leurs droits à l’éducation,
telle que définie par la Convention des Droits de l’Enfant, simplement
respectés[4].
Pour le système scolaire, les écoles de devoirs
relèvent souvent d’une politique de compensation. L’aide est essentiellement
proposée aux familles qui sont supposées n’avoir pas les outils nécessaires
pour aider leur enfant. Le rapport Glasman[5]
(sociologue à l’Université de Savoie) a montré une efficacité limitée de
l’accompagnement des élèves dans les lieux périscolaires d’aide aux
devoirs : « en termes stricts
de résultats scolaires, c’est-à-dire d’amélioration des performances telles
qu’elles ont été mesurées, la
fréquentation de l’accompagnement scolaire ne se traduit pas par des progrès
notables. Les progrès concernent une minorité d’élèves, sauf dans certains cas bien précis ».
Le soutien scolaire semble être plus efficace
pour les élèves qui en ont le moins besoin. « De même, les dispositifs obtenant les résultats les moins contestables
sont ceux qui sont très directement en prise sur le travail scolaire. Cela
tient en partie, bien entendu, au fait que les évaluations mesurent d’abord les
résultats scolaires, qu’elles ne saisissent rien ou presque des changements
visés par les activités plus culturelles, d’expression, etc. Est-ce à dire que
celles-ci sont sans pertinence voire sans effets ? (…) Rien n’a sur ce
point été démontré, peut-être simplement parce que ces activités n’ont d’impact
que dans un contexte où elles prennent sens, reliées à un ensemble d’autres
sollicitations, d’autres inculcations, et qu’il s’avère en conséquence
impraticable de démêler ce qui revient, en l’affaire, à tel ou tel
« facteur ».
Il en reste que le nombre d’enfants à
accompagner ou à aider est trop important. Cela se confirme sur le terrain, la
plupart des écoles de devoirs des grandes villes sont sursaturées et les
familles doivent patienter sur une liste d’attente. Même quand l’encadrement
est de qualité (personnes formées, enseignants, …), le ratio de temps consacré
à chaque élève lors d’une « étude du soir », est en moyenne
inférieur à 4 minutes. Cela ne permet pas de réaborder des notions non
comprises mais tout au plus d’expliquer les consignes et d’aider l’élève à
remplir la tâche demandée.
Les lieux périscolaires ne peuvent remplir
qu’imparfaitement les attentes des familles qui espèrent que leur enfant en
difficultés d’apprentissage y trouvera l’aide dont il a besoin. Tout au plus les
intervenants peuvent-ils mettre l’élève en conformité avec le travail demandé
par le maître.
La présence des écoles de devoirs est plus
qu’importante dans le parcours d’un enfant, et pas seulement au niveau de sa
scolarité. Son épanouissement personnel et son ouverture d’esprit en dépendent
grandement.
Enfin la recherche a permis de constater que ces
lieux représentent un observatoire exceptionnel des difficultés scolaires des
élèves, si bien que les professionnels qui y exercent ont souvent une
connaissance fine de ces difficultés. Des temps d’échange enseignants et
intervenants extrascolaires autour de ces difficultés permettraient
certainement d’analyser au plus près la nature des difficultés des élèves
concernés.
Le nombre d’officines privées surfant
sur l’angoisse des familles en proposant des tarifs prohibitifs pour des
sessions de rattrapage intensifs durant les vacances ou en dehors, ne cesse
d’augmenter. De même, des « profs au noir », toujours plus nombreux,
arrondissent leurs fins de mois grâce aux échecs qu’eux ou leurs confrères
génèrent au quotidien. L’échec scolaire est un juteux business. Evidemment, ces
« services » ne sont accessibles qu’à une catégorie de familles,
précisément celles qui en ont le moins besoin car leurs enfants sont nés dans
des familles aisées et que, quoiqu’il leur arrive, ils réussiront toujours à
s’en sortir, avec la bénédiction de l’institution scolaire. Tandis que les
familles des milieux sociaux les plus exposés à l’échec scolaire n’auront pas,
ou auront peu, les moyens de financer l’aide dont auraient vraiment besoin
leurs enfants.
L’aide scolaire n’a de sens que pour
l’élève qui voit clairement ses lacunes et reconnaît ainsi que ses problèmes
sont liés à un déficit qu’il est capable de combler (excluant ainsi les enfants
qui ont des « dys »). Quand cela arrive, l’aide scolaire est à analyser
car il est alors possible qu’elle ne soit pas vraiment nécessaire. L’élève,
s’il en a la détermination, pourra toujours remédier à ses difficultés l’année
suivante avec l’aide de la remédiation mise en place dans toutes les vraies
« bonnes » écoles. Quant aux autres, celles qui pratiquent l’échec
scolaire de manière industrielle, il n’y aura guère d’autres choix que
d’enrichir ces officines et intervenants privés.
- Alors,
externalisation ou internalisation de l’aide aux devoirs ?
Philippe Meirieu est clair sur le rôle des
devoirs et le lieu où ils doivent être réalisés : « Il
est indispensable que les élèves aient un travail personnel à accomplir. Il
doit être progressivement de plus en plus complexe, pour passer de la
restitution au travail d’élaboration. Le travail individuel est un objet de
formation tellement important qu’il ne faut pas l’abandonner à des gens qui ne
sont pas des professionnels de l’apprentissage, ni le laisser à la diversité
des situations familiales individuelles et des soutiens payants que les parents
peuvent ou non fournir à leurs enfants. Cet apprentissage doit se faire dans la
classe. L’enseignant ne peut plus être un distributeur d’informations qui
laisse ses élèves travailler seuls. Il accompagne et aide l’élève à se prendre
en charge, à accéder à l’autonomie documentaire. Il faut pour cela que l’enfant
apprenne à utiliser toutes les sources d’informations à sa disposition: la
télé, la presse, Internet. Les nouveaux outils sont une double source
d’inégalités sociales car tout le monde n’a pas Internet, tout le monde n’a pas
la possibilité de regarder intelligemment la télévision. D’autre part, il y a
une grande disparité dans la capacité d’accéder à la bonne information. On peut
avoir l’ordinateur, mais ne pas être capable de se poser la bonne question.
Cela s’apprend à l’école. C’est ce que j’appelle la pédagogie du coude à coude[6] ».
Les devoirs sont un outil parmi d’autres à la
disposition du personnel enseignant. Il n’y a aucune obligation à en donner et,
si on y recourt, ils doivent être pertinents compte tenu des objectifs
poursuivis. Ils doivent également être cohérents avec le projet pédagogique de
l’école. Pour peu que ce dernier n’ait pas, comme dans tant de prétendument « bonnes » écoles, de
« pédagogique » que le nom[7].
Il est fondamental d’internaliser les
dispositifs de soutien aux apprentissages personnels[8].
En effet, seuls des professionnels sont capables de voir comment les élèves
travaillent réellement et suivre le cheminement qu’ils empruntent. Le fait
d’externaliser cette observation creuse plus encore les inégalités engendrées par
les devoirs à la maison : « Le
travail hors la classe des élèves, parce qu’il est relativement peu cadré par
l’institution scolaire, parce qu’il suppose de la part des élèves une autonomie
que tous n’ont pas nécessairement acquise ou encore parce qu’il fait intervenir
une pluralité d’acteurs aux intérêts divergents nous semble, de ce point de vue,
un analyseur particulièrement pertinent de leur construction au quotidien [9]»
L’école doit repenser le lien à établir entre
elle et les dispositifs externes d’aide aux devoirs, ainsi qu’avec les tiers
intervenants (familles, intervenants psychosociaux, …) afin d’en faire de réels
collaborateurs avec une formation adéquate. « Or le partage de la responsabilité éducative est exigeant. Il ne s’agit
pas d’avoir une approche cloisonnée du travail éducatif (aux uns les missions
“nobles” de l’enseignement, aux autres les actions “vulgaires” de l’animation),
mais d’en faire un objet de “travail conjoint” [10]».
Autrement, les discriminations engendrées par le « travail de l’école fait
hors de l’école » continueront à détruire des élèves et à oppresser leurs
familles.
On sait que l’aide aux devoirs n’est efficace que si les acteurs collaborent étroitement et interviennent ensemble, en classe, pour aider les élèves dans les difficultés qu’ils rencontrent. Et en pensant les remédiations en conséquence.
Mais ne rêvons pas, l’externalisation des
devoirs et de la remédiation vers la famille ne s’arrêtera pas du jour au
lendemain, tant elle fait partie de l’inconscient collectif des parents,
pédagogiquement peu informés mais aussi – et cela reste étonnant – chez les
professionnels. Dès lors, « Les effets
positifs mais aussi négatifs que peuvent produire les dispositifs d’aide aux
devoirs dépendent intrinsèquement de ce qui circule entre classe et dispositifs
hors la classe[11]
».
Si un enseignant veut que les élèves aient
compris ce qu’il attend d’eux, il est nécessaire qu’il termine le cours par un
moment durant lequel les élèves pourront s’approprier ce qui a été vu en classe
afin de préparer le travail à faire à la maison.
Pour les élèves qui éprouvent le plus de difficultés, les devoirs devraient se faire au sein même de l’établissement avec des professeurs compétents. Par exemple lors d’une étude dirigée (non payante, puisque l’école est gratuite). Une étude qui se limitera à 5-6 élèves, afin que chacun ait au moins 10-12 minutes qui lui sont consacrées. Temps minimal si la « difficulté » est… simple.
Enfin, il est nécessaire que l’école et les
parents agissent en partenaires. Pour cela, l’école devrait :
- Sensibiliser les parents au fait que leur rôle est aussi de participer au vécu scolaire de leur enfant ;
- Amener les parents à se sentir compétents dans l’aide qu’ils peuvent lui apporter, ne pas faire des demandes trop difficiles que les parents ne pourraient pas comprendre ;
- Clarifier les rôles des professionnels et des parents afin qu’ils soient complémentaires ;
- Former les professeurs à être des enseignants et donc à l’importance de permettre aux parents de participer au vécu scolaire et sur les stratégies qui favorisent la participation des parents ;
- Faire de la collaboration avec la famille sur le plan pédagogique, une priorité pour l’école.
A suivre… Les devoirs à la maison jouent de manière déterminante dans la production des inégalités scolaires.
[1] Remédier – Une mission de l’école,
pas un marché, analyse de la Ligue des familles. Cité par Les écoles de devoirs
: au-delà du soutien scolaire, page 11.
[2] Van Honsté C., L’enfant doit-il
aller deux fois à l’école pour éviter l’échec scolaire, Analyse UFAPEC 2011
n°28.11, page 2.
[3] Décret relatif à la reconnaissance et au soutien des écoles de devoirs 28 avril 2004
[4] En outre, l’article 7 du décret décrit les
critères de reconnaissance [des écoles de devoirs]. Pour obtenir sa
reconnaissance par l’ONE, […] le pouvoir organisateur doit [notamment] répondre
à des critères pédagogiques […] :
– organiser des activités de soutien scolaire
ainsi que des animations éducatives ludiques, culturelles ou sportives ;
– respecter le Code de qualité de l’accueil de
l’enfant, quel que soit l’âge des enfants ou des jeunes accueillis ;
– élaborer, en collaboration active et
effective avec l’équipe pédagogique, et mettre en œuvre un projet pédagogique
qui tient compte des caractéristiques socioculturelles et des besoins des
enfants que le pouvoir organisateur accueille, ainsi que de l’environnement
social et culturel dans lequel il évolue ;
– élaborer, mettre en oeuvre et évaluer un plan
d’action annuel, qui constitue la traduction concrète des objectifs déterminés
par le projet pédagogique et comprend notamment un calendrier et un descriptif
d’activités ainsi que les moyens humains et matériels envisagés pour les mettre
en oeuvre ;
– veiller à la coordination de son travail avec
les autres acteurs sociaux et éducatifs de l’accueil de l’enfant et du jeune
dans son environnement direct, en collaborant notamment avec les établissements
scolaires d’où proviennent les enfants qui la fréquentent et leurs familles ;
– respecter et défendre en son sein les droits
de l’homme et les droits de l’enfant. »
[5] Glasman Dominique et Besson Leslie : Le travail des élèves pour l’école en dehors
de l’école, Haut conseil de l’évaluation de l’école, France 2005
[6] Philippe Meirieu, in LE SOIR du 17
mars 2000, ibid.
[7] Autrement dit, s’appuyant sur une pédagogie
et/ou des pratiques pédagogiques validées par la recherche scientifique.
[8] Kakpo Séverine & Rayou Patrick
(2010). Contrats didactiques et contrats sociaux du travail hors la classe. Éducation
et didactique, vol. 4, n° 2, p. 41-55.
[9] Kakpo Séverine & Rayou Patrick
(2010). Ibid.
[10] Federini, in Kus & Martin-Dametto, 2015
[11] Kakpo Séverine & Netter Julien
(2013). L’aide aux devoirs. Dispositif de lutte contre l’échec scolaire ou caisse
de résonance des difficultés non résolues au sein de la classe ? Revue
française de pédagogie, n° 182, p. 55-70.