Les dangers du travail à la maison, ou le déni des droits de l’enfant

Les dangers du travail à la maison, ou le déni des droits de l’enfant

On a vu que les familles n’étaient pas égales face aux devoirs. Selon qu’il soit né de parents qui ont fait de longues études ou non, un enfant bénéficie d’aide aux devoirs ou non. Dès lors, il est important que chaque professeur ait son attention attirée sur la nécessité d’éviter que la scolarité ne pénalise les enfants en fonction de leur environnement familial.

Si les familles ne sont pas égales face aux devoirs, il en va de même pour les professeurs. Selon qu’ils soient formés ou non à la pédagogie, la multiplication de leurs exigences se révèlera ou non inflationniste. Avec le risque de pénaliser les élèves jusqu’à provoquer des rejets scolaires et/ou à décourager et les démobiliser par des excès de travaux à domicile.

En continuant d’affirmer que le travail assure une réussite scolaire, l’Ecole légitimise sa propre incompétence et induit chez les élèves une course à la réussite et la croyance qu’à « travail égal, note égale »[1]. C’est évidemment faux, car nul n’est égal face aux apprentissages. Cette course à la réussite fait de nos enfants des compétiteurs prêts à sacrifier les autres – leurs pairs – sur l’autel de la réussite scolaire, du moment qu’eux aux moins passent à travers les mailles du filet. En ce sens, les professeurs qui donnent des devoirs ne forment pas leurs élèves à la citoyenneté. Tout au contraire !

Les devoirs vont à l’encontre des rythmes biologiques de l’enfant. Il est absurde de laisser des enfants assis 6 à 8 heures par jour derrière une table, puis de les obliger à se remettre aux apprentissages une fois rentrés à la maison pour étudier une leçon ou faire un devoir. La journée est trop lourde.

Une étude Pisa a établi que, dans les pays de l’OCDE, en moyenne, un élève de 15 ans consacre 5 heures par semaine à faire des devoirs. L’Espagnol, en bas du classement, y passe 7 heures. Le Belge frôle les 6 heures. Finlande et Corée : 3 heures. Portant sur l’année 2012, publiée en 2014, cette étude a noté que, globalement, le temps consacré aux devoirs était en recul par rapport à une étude menée en 2002. Mais pour l’OCDE, ce temps reste « considérable ». Bref : excessif[2].

Les devoirs vont à l’encontre des rythmes scolaires. L’année scolaire, en Belgique, compte 182 jours ouvrables chaque année. Sur ces 37 semaines, deux aux moins sont perdues à Noël, puis en juin pour faire des révisions, des examens et pour occuper les élèves en attendant les vacances. Cela représente au moins 20 jours perdus sur l’année pour les apprentissages. Perdus, parce que les examens ne servent pas à évaluer mais à sélectionner les élèves au cours d’une compétition qui n’a rien de pédagogique. C’est tout le contraire d’enseigner : l’évaluation ne doit pas être sommative mais formative[3]. Le fait d’évaluer formativement, au quotidien, permettrait de gagner 4 à 5 semaines par an pour les apprentissages, pour les remédiations et donc aussi… pour faire les devoirs en classe. Dans une école où les professeurs courent constamment après le temps, il est étonnant qu’ils aiment tant en perdre. 

Les devoirs ne respectent pas les droits de l’Enfant. Notamment, ils l’empêchent de bénéficier des droits reconnus dans l’article 31 de la Convention relative aux Droits de l’Enfant. Celui-ci reconnaît à l’enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique[4]. Il n’est pas normal que des élèves de primaire ou de secondaire soient obligés d’abandonner des activités sportives ou culturelles pour consacrer leur soirée, leur mercredi après-midi, ou leurs WE au travail scolaire. Outre le fait que cela nuise à leur repos, les devoirs empêchent d’autres apprentissages non scolaires, mais au moins tout aussi importants : pouvoir faire du sport, de la musique, d’accéder à l’art et de se cultiver dans d’autres registres que ceux imposés par l’école.

Les devoirs affectent également la santé de l’enfant. Non seulement, ils le privent d’un juste repos et d’une détente bien méritée, mais les devoirs pèsent physiquement lourds sur le dos de l’enfant. La charge moyenne d’un cartable est de 6,4 kg par enfant, ce qui représente entre 27 et 36 % de son poids, alors qu’il ne devrait pas dépasser les 10 %[5].

Enfin, d’autres droits de base sont mis à mal par les devoirs, notamment le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique[6]. Quel temps lui reste-t-il pour cela, une fois ses nombreux devoirs terminés ? Quantité d’enfants ne peuvent pas faire de scoutisme, s’inscrire dans un club sportif ou bénéficier des plaines de jeux, de par la charge du travail pour l’école, externalisé vers la famille.

A suivre… Des bénéfices pas toujours démontrés



[1] Barrère A., 1997, Les lycéens au travail, Puf

[2] LE SOIR 16 novembre 2016 – Pierre Bouillon « La Ligue des droits de l’enfant part en guerre contre les devoirs excessifs ». 

[3] Article 15 du Décret Missions – 1997

[4] CIDE – ONU 1989

[5] Dominique Glasman, Leslie Besson. Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école, Rapport établi à la demande du Haut conseil de l’évaluation de l’école, 2004

[6] Article 15 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant

DEVOIRS : LES EFFETS ESCOMPTÉS, SELON LES PROFESSEURS

DEVOIRS : LES EFFETS ESCOMPTÉS, SELON LES PROFESSEURS

Dans différentes recherches, Cooper (2007) a relevé que les professeurs américains attribuent des effets positifs, mais également négatifs aux devoirs. Les effets qu’ils estiment positifs sont invoqués pour justifier leurs pratiques en matière de devoirs[1] :

Effets positifs Effets négatifs
Résultats immédiats et apprentissage :
Meilleure rétention des savoirs
Augmentation de la compréhension
Meilleur sens critique, meilleure conceptualisation et meilleur traitement de l’information
Enrichissement du curriculum

Effets à long terme sur l’apprentissage:
Encourage l’apprentissage pendant les temps libres
Améliore l’attitude envers l’école
Développe de meilleures habitudes d’étude et de travail

Effets extrascolaire :
Plus grande capacité d’organisation
Plus grande discipline personnelle
Meilleure gestion du temps
Davantage de curiosité
Plus de compétence dans la résolution de problèmes
Plus grande satisfaction des parents envers l’école et plus grande implication à l’école  
Effet de saturation :
Perte d’intérêt envers le matériel utilisé
Fatigue physique et émotionnelle
Manque de temps libre et de temps destiné à d’autres activités dans la communauté (sports et autres)

Interférences de la part des parents :
Pression pour terminer les devoirs sans faute
Confusion dans les techniques d’apprentissage

Tricherie :
Copie sur d’autres travaux d’élèves
Aide qui va au-delà du tutorat
Augmentation de l’écart entre les élèves performants et les élèves en difficulté.  

Au regard de ces éléments, on se retrouve avec deux groupes. D’une part, les professeurs, ceux qui donnent des devoirs parce qu’ils estiment que les bénéfices sont supérieurs aux effets négatifs ; et d’autre part les enseignants, ceux qui estiment le contraire, à savoir que les effets négatifs sont supérieurs à des effets positifs non démontrés.

A suivre : Les parents en sont convaincus : les devoirs participent à la réussite de leurs enfants.



[1] Cooper (2007)

Posons-nous la question de l’équité des devoirs

Posons-nous la question de l’équité des devoirs

Posons-nous la question de l’équité des devoirs

A force de constater et de lister les difficultés en relation avec les devoirs, rencontrées par nombre de familles, chaque enseignant doit se poser la question de l’équité de ceux-ci. Un devoir est, en principe, le prolongement d’une notion vue en classe. Or, dans un groupe d’élèves, il y en a toujours qui comprennent plus vite que d’autres. Enfin, des élèves ont des difficultés d’apprentissage. Or, une fois hors de la classe, ceux qui n’ont pas compris ou ont mal compris la notion à revoir ou à approfondir ne peuvent plus compter sur le professeur pour la leur réexpliquer. Ils ne pourront pas effectuer le devoir correctement et ce dernier constituera, par définition, une source d’iniquité. 

Si l’on veut que l’élève tire profit de son devoir, il est fondamental que celui-ci tienne compte de la correspondance entre, d’une part la nature de la tâche demandée et, d’autre part, les compétences et la motivation de l’élève. La seule manière de rendre les devoirs équitables et éthiques est donc de les différencier en fonction des compétences des élèves. Ainsi, ceux qui rencontrent des difficultés ou ne peuvent pas trouver d’aide seraient à même de les réaliser.

On ne peut pas, non plus, ne pas tenir compte du contexte dans lequel l’élève aura à réaliser son devoir. Celui-ci questionne trois axes aussi importants l’un que l’autre :

  • l’environnement de l’élève : a-t-il, par exemple, un endroit calme et confortable pour le réaliser ?
  • de même que l’équipement matériel : vit-il l’exclusion numérique ou a-t-il un accès aisé à Internet, bénéficie-t-il d’une imprimante, d’encyclopédies, d’un atlas, … ?
  • et la disponibilité et la qualité du soutien dont il peut bénéficier.

L’équité dans les devoirs ne doit pas viser exclusivement les élèves de milieux populaires ou les enfants en difficultés d’apprentissage. L’évolution sociétale fait que de nombreuses familles sont susceptibles de vivre des « transitions » familiales : séparations, recompositions, monoparentalité, qui leur rendront plus difficiles de concilier emploi et encadrement des devoirs. Dans tous les milieux sociaux, des enfants ne peuvent déjà plus bénéficier de soutiens familiaux pour réaliser leurs devoirs. 

A suivre… Les dangers du travail à la maison, ou le déni des droits de l’enfant

Les devoirs à la maison jouent de manière déterminante dans la production des inégalités scolaires.

Les devoirs à la maison jouent de manière déterminante dans la production des inégalités scolaires.

Tous les élèves n’ont pas les mêmes espaces de socialisation familiale. Selon leurs formes de socialisation qui sont fortement corrélées au milieu social, les familles seront avantagées ou désavantagées par rapport aux devoirs. Selon l’espace de socialisation, les questions qui touchent aux devoirs n’ont pas le même statut.

Différents critères différencient ces socialisations familiales, à commencer par le rapport à l’écrit[1] et l’importance que lui accorde la famille. Les relations entre parents et enfants constituent également des critères de différenciation : jouent-ils ensemble, ont-ils des activités culturelles collectives ? Enfin, la manière de se questionner constitue un élément déterminant. On sait que l’on pose différemment les questions à l’école et à la maison. A l’école, le maître pose des questions dont il connaît les réponses, tandis qu’à la maison, on pose plutôt des questions dont la famille ne connaît pas nécessairement les réponses mais qui sont utiles à la vie familiale. 

L’école prend rarement en charge ces différences de socialisation, faisant des devoirs un élément qui intervient de manière déterminante dans la production des inégalités scolaires. Pire, ces différences de socialisation permettent à l’école de renvoyer aux parents (et accessoirement à l’élève) la responsabilité de la réussite ou de l’échec scolaire. Ils entretiennent la croyance dans « l’équivalent travail »[2], dont on connaît l’absence de fondement mais qui permet au système de trouver une justification sociale[3].

Les malentendus sociocognitifs se retrouvent dans les effets qu’induisent les devoirs à la maison. Les inégalités, sont liées à la mobilisation d’attitudes cognitives, de « rapports au savoir », qui ne sont pas ceux qui permettent de s’approprier les savoirs scolaires, contrairement aux enfants issus de milieux plus favorisés. Ces derniers savent, parce qu’ils l’ont appris auparavant (probablement hors de l’école), que la réalisation des tâches scolaires, l’application des consignes et l’obtention du bon résultat, s’ils sont importants, ne le sont que parce que cela constitue un moyen de construire un savoir, de consolider ou d’évaluer son acquisition. Leur confrontation à l’école sur le registre cognitif engage une attitude beaucoup plus réflexive, une attitude d’appropriation, car ils ont conscience du lien entre les tâches et leurs finalités. Cette attitude d’appropriation est beaucoup plus conforme aux exigences spécifiques de la transmission scolaire et à l’apprentissage de savoirs modelés par les logiques de la culture écrite. Mais les dispositifs pédagogiques observés prévoient peu ce que nous appellerons la mise en travail des élèves, de façon qu’ils construisent les postures cognitives adéquates à l’appropriation des savoirs. De ce fait, ces postures apparaissent comme des prérequis, exigés implicitement de tous les élèves sans être enseignés. En ne prenant pas en charge la transformation des dispositions construites dans l’éducation familiale en attitudes requises pour apprendre, l’école fait ici preuve d’une «indifférence aux différences» propice à la production d’inégalités scolaires[4].

Selon une étude[5], la majorité des parents auraient des difficultés pour aider un enfant de primaire à faire ses devoirs. Seulement un tiers se sentiraient à l’aise. L’étude a questionné 1 000 parents qui ont reçu trois questions-types rédigées par une enseignante de niveau primaire et tirées des programmes d’anglais, de mathématiques et de sciences. Seul 1/16 des participants a pu répondre aux 3 questions.

Un quart des parents a reconnu se sentir « sous pression » lorsqu’il doit aider son enfant à faire ses devoirs et les trois quarts admettent chercher les réponses sur Internet.

En mathématique, seulement 38 % des parents ont pu convertir la fraction 23/6 en nombre fractionnaire, 22 % ont correctement identifié « and » (« et » en français) comme une conjonction subordonnée et seulement 40 % savaient qu’un « élément clé » du cycle de la vie d’un amphibien est le moment où les « têtards éclosent ». Enfin, 39 % des pères disent se sentir confiants face aux devoirs, contre 28 % des mères.

Les professeurs donneurs de leçons et de devoirs, qui attendent des familles qu’elles supervisent les travaux à domicile, ne se rendent pas compte à quel point ils les mettent mal à l’aise. Ils ne se rendent pas compte non plus que le message qu’ils transmettent aux élèves disqualifie symboliquement leurs parents à cause de leur faible niveau scolaire, ou parce qu’ils ne comprennent pas les tâches demandées et les notions qui les traversent. Non, l’école n’est pas hors du temps et de l’espace. L’Ecole est pleinement au cœur des familles et peut les détruire, comme elle peut tisser du lien et les aider à construire ensemble les apprentissages et donc l’avenir de leurs enfants.

A suivre… Posons-nous la question de l’équité des devoirs



[1] « Ensemble diversi­é de relations dynamiques d’un sujet-lecteur avec la lecture littéraire ». Judith Émery-Bruneau, Le rapport à la lecture littéraire. Des pratiques et des conceptions de sujets-lecteurs en formation à l’enseignement du français à des intentions didactiques, Thèse de doctorat en éducation, Québec, Université Laval, 2010, 432 p.

[2] Anne Barrère, Travailler à l’école. Que font les élèves populaires, PUF et Les enseignants du secondaire ? PUR 2003

[3] L’équivalent travail : La procédure de justification mise en œuvre fait appel à l’insuffisance du travail fourni. La catégorie du travail, ou plutôt du manque de travail, se constitue donc comme catégorie justificative d’échecs scolaires répétés, et permet de donner sens à ces échecs.

[4] Stéphane Bonnery « Un cadrage inadéquat des activités qui facilite les malentendus », Comprendre la difficulté scolaire, extraits pour le Parcours magistère sur le décrochage.

[5] Citée sur Breizh-Info : https://www.breizh-info.com/2019/02/25/112808/education-devoirs-primaire-parents

L’externalisation des devoirs et de la remédiation

L’externalisation des devoirs et de la remédiation

L’école demande de plus en plus aux enfants de réaliser à la maison la partie la plus délicate de l’apprentissage qui n’a pas été saisie en classe : ils doivent comprendre la matière et l’assimiler sans plus aucune aide, complètement privés de leur professeur, ce qui augmente encore les inégalités scolaires. Car tous les enfants n’ont pas la possibilité de recevoir une aide pédagogique compétente en dehors de la classe.

Selon la Ligue des familles[1], « De plus en plus, les établissements du primaire au secondaire (et le supérieur n’est pas épargné non plus) externalisent la question de la remédiation des difficultés et de l’échec scolaire. Les maîtres se disent impuissants à les résoudre en interne, dans les conditions et contraintes inhérentes à leur métier. »

Les devoirs sont considérés par trop de professeurs comme de la remédiation. Un enfant qui n’a pas fini un exercice doit le terminer à la maison, éventuellement sans aide. Quel intérêt ?

Nous assistons de plus en plus  à l’externalisation vers le secteur privé de la remédiation scolaire[2], ce qui renforce encore plus les inégalités sociales, puisque certaines familles peuvent se le « payer », tandis que d’autres en sont incapables. Et l’UFAPEC de préciser que « le soutien scolaire a un coût ! Pas seulement un coût financier pour les familles si ce soutien est payant, mais aussi un coût relationnel (pression des parents sur l’enfant, organisation difficile, stigmatisation de l’enfant, tensions familiales si ce soutien est effectué par les parents) et un coût psychologique pour l’enfant et ses parents (découragement, culpabilisation, baisse de l’estime de soi, etc.) »

  1. Les écoles de devoirs

Face à l’incapacité de l’école d’aider leurs enfants, les familles de milieux populaires n’ont pour seule possibilité que de se tourner vers les structures périscolaires, essentiellement les écoles de devoirs. Or, si leur mission est, notamment, de favoriser le développement intellectuel de l’enfant, notamment par l’accompagnement aux apprentissages, à sa scolarité et par l’aide aux devoirs et travaux à domicile[3],  elles doivent également favoriser trois axes supplémentaires qui sont :

– le développement et l’émancipation sociale de l’enfant, notamment par un suivi actif et personnalisé, dans le respect des différences, dans un esprit de solidarité et dans une approche interculturelle;

–  la créativité de l’enfant, son accès et son initiation aux cultures dans leurs différentes dimensions, par des activités ludiques, d’animation, d’expression, de création et de communication;

–  l’apprentissage de la citoyenneté et de la participation.

On remarquera que l’aide aux devoirs et aux travaux à domicile ne représentent qu’une des quatre missions délivrées aux écoles de devoirs. Pourtant, c’est souvent ce qu’elles sont essentiellement amenées à faire. Le temps qu’il leur reste pour assurer les trois derniers axes est mis à mal par des devoirs chronophages. Ces trois missions sont, en fait, les plus importantes. Elles doivent aider les enfants de milieux populaires à devenir des citoyens désireux de construire une société plus juste. L’école, là encore, empêche les enfants et les jeunes de voir leurs droits à l’éducation, telle que définie par la Convention des Droits de l’Enfant, simplement respectés[4].

Pour le système scolaire, les écoles de devoirs relèvent souvent d’une politique de compensation. L’aide est essentiellement proposée aux familles qui sont supposées n’avoir pas les outils nécessaires pour aider leur enfant. Le rapport Glasman[5] (sociologue à l’Université de Savoie) a montré une efficacité limitée de l’accompagnement des élèves dans les lieux périscolaires d’aide aux devoirs : « en termes stricts de résultats scolaires, c’est-à-dire d’amélioration des performances telles qu’elles ont été mesurées, la fréquentation de l’accompagnement scolaire ne se traduit pas par des progrès notables. Les progrès concernent une minorité d’élèves, sauf dans certains cas bien précis ».

Le soutien scolaire semble être plus efficace pour les élèves qui en ont le moins besoin. « De même, les dispositifs obtenant les résultats les moins contestables sont ceux qui sont très directement en prise sur le travail scolaire. Cela tient en partie, bien entendu, au fait que les évaluations mesurent d’abord les résultats scolaires, qu’elles ne saisissent rien ou presque des changements visés par les activités plus culturelles, d’expression, etc. Est-ce à dire que celles-ci sont sans pertinence voire sans effets ? (…) Rien n’a sur ce point été démontré, peut-être simplement parce que ces activités n’ont d’impact que dans un contexte où elles prennent sens, reliées à un ensemble d’autres sollicitations, d’autres inculcations, et qu’il s’avère en conséquence impraticable de démêler ce qui revient, en l’affaire, à tel ou tel « facteur ».

Il en reste que le nombre d’enfants à accompagner ou à aider est trop important. Cela se confirme sur le terrain, la plupart des écoles de devoirs des grandes villes sont sursaturées et les familles doivent patienter sur une liste d’attente. Même quand l’encadrement est de qualité (personnes formées, enseignants, …), le ratio de temps consacré à chaque élève lors d’une « étude du soir », est en moyenne inférieur à 4 minutes. Cela ne permet pas de réaborder des notions non comprises mais tout au plus d’expliquer les consignes et d’aider l’élève à remplir la tâche demandée.

Les lieux périscolaires ne peuvent remplir qu’imparfaitement les attentes des familles qui espèrent que leur enfant en difficultés d’apprentissage y trouvera l’aide dont il a besoin. Tout au plus les intervenants peuvent-ils mettre l’élève en conformité avec le travail demandé par le maître.

La présence des écoles de devoirs est plus qu’importante dans le parcours d’un enfant, et pas seulement au niveau de sa scolarité. Son épanouissement personnel et son ouverture d’esprit en dépendent grandement.

Enfin la recherche a permis de constater que ces lieux représentent un observatoire exceptionnel des difficultés scolaires des élèves, si bien que les professionnels qui y exercent ont souvent une connaissance fine de ces difficultés. Des temps d’échange enseignants et intervenants extrascolaires autour de ces difficultés permettraient certainement d’analyser au plus près la nature des difficultés des élèves concernés.

  • Les officines privées

Le nombre d’officines privées surfant sur l’angoisse des familles en proposant des tarifs prohibitifs pour des sessions de rattrapage intensifs durant les vacances ou en dehors, ne cesse d’augmenter. De même, des « profs au noir », toujours plus nombreux, arrondissent leurs fins de mois grâce aux échecs qu’eux ou leurs confrères génèrent au quotidien. L’échec scolaire est un juteux business. Evidemment, ces « services » ne sont accessibles qu’à une catégorie de familles, précisément celles qui en ont le moins besoin car leurs enfants sont nés dans des familles aisées et que, quoiqu’il leur arrive, ils réussiront toujours à s’en sortir, avec la bénédiction de l’institution scolaire. Tandis que les familles des milieux sociaux les plus exposés à l’échec scolaire n’auront pas, ou auront peu, les moyens de financer l’aide dont auraient vraiment besoin leurs enfants.

L’aide scolaire n’a de sens que pour l’élève qui voit clairement ses lacunes et reconnaît ainsi que ses problèmes sont liés à un déficit qu’il est capable de combler (excluant ainsi les enfants qui ont des « dys »). Quand cela arrive, l’aide scolaire est à analyser car il est alors possible qu’elle ne soit pas vraiment nécessaire. L’élève, s’il en a la détermination, pourra toujours remédier à ses difficultés l’année suivante avec l’aide de la remédiation mise en place dans toutes les vraies « bonnes » écoles. Quant aux autres, celles qui pratiquent l’échec scolaire de manière industrielle, il n’y aura guère d’autres choix que d’enrichir ces officines et intervenants privés. 

  • Alors, externalisation ou internalisation de l’aide aux devoirs ?

Philippe Meirieu est clair sur le rôle des devoirs et le lieu où ils doivent être réalisés :  « Il est indispensable que les élèves aient un travail personnel à accomplir. Il doit être progressivement de plus en plus complexe, pour passer de la restitution au travail d’élaboration. Le travail individuel est un objet de formation tellement important qu’il ne faut pas l’abandonner à des gens qui ne sont pas des professionnels de l’apprentissage, ni le laisser à la diversité des situations familiales individuelles et des soutiens payants que les parents peuvent ou non fournir à leurs enfants. Cet apprentissage doit se faire dans la classe. L’enseignant ne peut plus être un distributeur d’informations qui laisse ses élèves travailler seuls. Il accompagne et aide l’élève à se prendre en charge, à accéder à l’autonomie documentaire. Il faut pour cela que l’enfant apprenne à utiliser toutes les sources d’informations à sa disposition: la télé, la presse, Internet. Les nouveaux outils sont une double source d’inégalités sociales car tout le monde n’a pas Internet, tout le monde n’a pas la possibilité de regarder intelligemment la télévision. D’autre part, il y a une grande disparité dans la capacité d’accéder à la bonne information. On peut avoir l’ordinateur, mais ne pas être capable de se poser la bonne question. Cela s’apprend à l’école. C’est ce que j’appelle la pédagogie du coude à coude[6] ».

Les devoirs sont un outil parmi d’autres à la disposition du personnel enseignant. Il n’y a aucune obligation à en donner et, si on y recourt, ils doivent être pertinents compte tenu des objectifs poursuivis. Ils doivent également être cohérents avec le projet pédagogique de l’école. Pour peu que ce dernier n’ait pas, comme dans tant de prétendument « bonnes » écoles, de « pédagogique » que le nom[7].

Il est fondamental d’internaliser les dispositifs de soutien aux apprentissages personnels[8]. En effet, seuls des professionnels sont capables de voir comment les élèves travaillent réellement et suivre le cheminement qu’ils empruntent. Le fait d’externaliser cette observation creuse plus encore les inégalités engendrées par les devoirs à la maison : « Le travail hors la classe des élèves, parce qu’il est relativement peu cadré par l’institution scolaire, parce qu’il suppose de la part des élèves une autonomie que tous n’ont pas nécessairement acquise ou encore parce qu’il fait intervenir une pluralité d’acteurs aux intérêts divergents nous semble, de ce point de vue, un analyseur particulièrement pertinent de leur construction au quotidien [9]»

L’école doit repenser le lien à établir entre elle et les dispositifs externes d’aide aux devoirs, ainsi qu’avec les tiers intervenants (familles, intervenants psychosociaux, …) afin d’en faire de réels collaborateurs avec une formation adéquate. « Or le partage de la responsabilité éducative est exigeant. Il ne s’agit pas d’avoir une approche cloisonnée du travail éducatif (aux uns les missions “nobles” de l’enseignement, aux autres les actions “vulgaires” de l’animation), mais d’en faire un objet de “travail conjoint” [10]». Autrement, les discriminations engendrées par le « travail de l’école fait hors de l’école » continueront à détruire des élèves et à oppresser leurs familles.

On sait que l’aide aux devoirs n’est efficace que si les acteurs collaborent étroitement et interviennent ensemble, en classe, pour aider les élèves dans les difficultés qu’ils rencontrent. Et en pensant les remédiations en conséquence.

Mais ne rêvons pas, l’externalisation des devoirs et de la remédiation vers la famille ne s’arrêtera pas du jour au lendemain, tant elle fait partie de l’inconscient collectif des parents, pédagogiquement peu informés mais aussi – et cela reste étonnant – chez les professionnels. Dès lors, « Les effets positifs mais aussi négatifs que peuvent produire les dispositifs d’aide aux devoirs dépendent intrinsèquement de ce qui circule entre classe et dispositifs hors la classe[11] ».

Si un enseignant veut que les élèves aient compris ce qu’il attend d’eux, il est nécessaire qu’il termine le cours par un moment durant lequel les élèves pourront s’approprier ce qui a été vu en classe afin de préparer le travail à faire à la maison.

Pour les élèves qui éprouvent le plus de difficultés, les devoirs devraient se faire au sein même de l’établissement avec des professeurs compétents. Par exemple lors d’une étude dirigée (non payante, puisque l’école est gratuite). Une étude qui se limitera à 5-6 élèves, afin que chacun ait au moins 10-12 minutes qui lui sont consacrées. Temps minimal si la « difficulté » est… simple.

Enfin, il est nécessaire que l’école et les parents agissent en partenaires. Pour cela, l’école devrait :

  • Sensibiliser les parents au fait que leur rôle est aussi de participer au vécu scolaire de leur enfant ;
  • Amener les parents à se sentir compétents dans l’aide qu’ils peuvent lui apporter, ne pas faire des demandes trop difficiles que les parents ne pourraient pas comprendre ;
  • Clarifier les rôles des professionnels et des parents afin qu’ils soient complémentaires ;
  • Former les professeurs à être des enseignants et donc à l’importance de permettre aux parents de participer au vécu scolaire et sur les stratégies qui favorisent la participation des parents ;
  • Faire de la collaboration avec la famille sur le plan pédagogique, une priorité pour l’école.

A suivre… Les devoirs à la maison jouent de manière déterminante dans la production des inégalités scolaires.


[1] Remédier – Une mission de l’école, pas un marché, analyse de la Ligue des familles. Cité par Les écoles de devoirs : au-delà du soutien scolaire, page 11.

[2] Van Honsté C., L’enfant doit-il aller deux fois à l’école pour éviter l’échec scolaire, Analyse UFAPEC 2011 n°28.11, page 2.

[3] Décret relatif à la reconnaissance et au soutien des écoles de devoirs 28 avril 2004

[4] En outre, l’article 7 du décret décrit les critères de reconnaissance [des écoles de devoirs]. Pour obtenir sa reconnaissance par l’ONE, […] le pouvoir organisateur doit [notamment] répondre à des critères pédagogiques […] :

– organiser des activités de soutien scolaire ainsi que des animations éducatives ludiques, culturelles ou sportives ;

– respecter le Code de qualité de l’accueil de l’enfant, quel que soit l’âge des enfants ou des jeunes accueillis ;

– élaborer, en collaboration active et effective avec l’équipe pédagogique, et mettre en œuvre un projet pédagogique qui tient compte des caractéristiques socioculturelles et des besoins des enfants que le pouvoir organisateur accueille, ainsi que de l’environnement social et culturel dans lequel il évolue ;

– élaborer, mettre en oeuvre et évaluer un plan d’action annuel, qui constitue la traduction concrète des objectifs déterminés par le projet pédagogique et comprend notamment un calendrier et un descriptif d’activités ainsi que les moyens humains et matériels envisagés pour les mettre en oeuvre ;

– veiller à la coordination de son travail avec les autres acteurs sociaux et éducatifs de l’accueil de l’enfant et du jeune dans son environnement direct, en collaborant notamment avec les établissements scolaires d’où proviennent les enfants qui la fréquentent et leurs familles ;

– respecter et défendre en son sein les droits de l’homme et les droits de l’enfant. »

[5] Glasman Dominique et Besson Leslie : Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école, Haut conseil de l’évaluation de l’école, France 2005

[6] Philippe Meirieu, in LE SOIR du 17 mars 2000, ibid.

[7] Autrement dit, s’appuyant sur une pédagogie et/ou des pratiques pédagogiques validées par la recherche scientifique.

[8] Kakpo Séverine & Rayou Patrick (2010). Contrats didactiques et contrats sociaux du travail hors la classe. Éducation et didactique, vol. 4, n° 2, p. 41-55.

[9] Kakpo Séverine & Rayou Patrick (2010). Ibid.

[10] Federini, in Kus & Martin-Dametto, 2015

[11] Kakpo Séverine & Netter Julien (2013). L’aide aux devoirs. Dispositif de lutte contre l’échec scolaire ou caisse de résonance des difficultés non résolues au sein de la classe ? Revue française de pédagogie, n° 182, p. 55-70.

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