La ministre Caroline Désir a annoncé au parlement sa volonté de plafonner le cout des excursions et voyages scolaires. Cela constituerait une avancée importante dans l’accès à la gratuité scolaire, attendue de longue date : dans la lignée du Pacte pour un enseignement d’excellence, depuis 2019, un décret demande au gouvernement de définir des plafonds en primaire comme en secondaire, pour en finir avec les pratiques abusives et limiter la concurrence entre écoles. Toutefois, le montant des plafonds et les années d’études concernées seront des enjeux essentiels pour que cette mesure porte ses fruits et ne génère pas d’effets pervers. Si « les voyages forment la jeunesse », trop nombreux sont les jeunes exclus pour des raisons financières de la participation à un voyage. Nous appelons à des balises équilibrées, qui garantissent l’organisation de plusieurs séjours de qualité pédagogique en primaire comme en secondaire, empêchent les pratiques abusives et permettent à tous les élèves, en particulier ceux dont les familles sont en difficulté financière, d’y participer.

Un élève sur vingt en primaire ne peut pas participer aux voyages scolaires que son école organise à cause de leur cout, et en secondaire, c’est un sur dix. L’absence totale de régulation du prix des voyages que la Fédération Wallonie-Bruxelles a pratiquée jusqu’ici a généré au fil du temps des situations d’exclusion sociale terribles. Quel stigmate un jeune de huit ou treize ans porte-t-il quand tous ses camarades de classe partent trois jours ou une semaine, et que lui-même ne peut pas les accompagner parce que ses parents ne sont pas en mesure d’assumer des couts aussi élevés ? Quelle souffrance peut exister dans une famille ne pouvant s’offrir de vacances, mais appelée par l’école à financer des excursions et séjours aux prix démentiels sous peine de voir leur enfant mis à l’écart de l’expérience que vont vivre ses condisciples ? Rappelons qu’en 2021, 15 % des Wallons déclarent n’avoir pas les moyens financiers de participer régulièrement à une activité de loisirs, et plus de 3 Wallons sur 10 n’arrivent pas à se payer une semaine de vacances annuelles1. Et à Bruxelles, 30 % des ménages ont des difficultés à boucler leur budget2

Cette situation très grave existait déjà avant la crise. Mais alors qu’actuellement, aux conséquences sociales d’une crise sanitaire se sont ajoutées pour une part significative de la population les inondations et ses conséquences dramatiques, une inflation galopante et le cout de l’énergie, le cout de la fréquentation de l’école devient de plus en plus insoutenable à mesure que les inégalités sociales s’aggravent et que la précarité touche de plus en plus de couches de la population. Dans ces circonstances, l’organisation même de voyages scolaires accessibles à tous et porteurs de sens est mise en péril, alors qu’ils devraient permettre de sortir de la morosité, apporter évasion et épanouissement.

Sans compter que les frais de voyage ne sont qu’une part des trop importants couts scolaires. Le gouvernement a récemment posé un geste fort, en prévoyant qu’en première et deuxième primaire les fournitures seront gratuites à partir de la rentrée 2023. Mais les autres années ne sont pas concernées actuellement, et d’autres frais, parfois iniques, se surajoutent : frais de garderie le matin et l’après-midi, cout du repas de midi, frais de garderie au temps de midi, frais informatiques en secondaire… Le chemin vers la gratuité scolaire, dans lequel se sont engagés la Belgique3, les acteurs de l’école au travers du Pacte, et le gouvernement FWB dans sa déclaration politique, est encore long, alors qu’il est urgent pour un nombre grandissant de familles vivant la pauvreté ou l’appauvrissement que cette gratuité soit effective au plus vite. Rappelons que le financement de la gratuité est un investissement, qui rapportera au bien-être des familles concernées comme à la société dans un futur proche et à long terme.

Beaucoup d’écoles tentent d’organiser des séjours porteurs de sens, inscrits dans un projet pédagogique enrichissant pour l’ensemble des élèves. Les ingéniosités ne manquent pas, entre recherche de lieux et d’activités épanouissantes en Belgique, et caisses de solidarités scolaires, mais dépendent souvent de bonnes volontés locales et d’initiatives individuelles. Malheureusement, l’absence de cadre légal conduit d’autres écoles à des abus dramatiques pour les familles qui doivent les supporter. Et il est particulièrement difficile en tant que parent de faire état de ses difficultés financières, car il sait tous les risques que cela comporte pour son enfant. C’est lui qui risque d’être identifié au sein de l’école comme le pauvre qui fait appel à la charité.

Acteurs de l’école et associations réunis au sein de la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire, nous nous réjouissons de la volonté d’avancer sur ce plafonnement et appelons le gouvernement à être attentif aux balises suivantes :

  • Des plafonds qui permettent à la fois une accessibilité à toutes les familles et l’organisation de voyages pédagogiques de qualité. Si les voyages forment la jeunesse, il faut que toute la jeunesse puisse en bénéficier.
  • La fixation d’un plafond doit pouvoir concrètement diminuer le prix des voyages et réduire les inégalités entre élèves et écoles. Si l’objectif principal est d’éviter les pratiques abusives, il existe un risque, si un plafond trop élevé est fixé, que certaines écoles tendent à s’aligner sur cette norme élevée. Un plafond qui ne serait pas éloigné du prix moyen que paient actuellement les parents sur la scolarité primaire et secondaire, soit 350 € pour les voyages organisés sur toutes les années de primaire, 550 € pour les années de secondaire, permettrait de garantir des voyages scolaires à visée pédagogique de qualité accessibles, sans pour autant générer une pression à la hausse des couts demandés aux parents.
  • Tant que la gratuité totale n’est pas assurée, il faut veiller à ce que les coûts financiers demandés aux parents par l’école ne puissent en aucun cas aggraver la situation financière des familles qui sont déjà en difficulté. Un tel plafond de 350 euros/550 euros resterait élevé pour les familles vivant la pauvreté, mais aussi de plus en plus pour la classe moyenne inférieure qui vit un appauvrissement accéléré et radical actuellement. Sans aide extérieure prévue par décret et par rapport à laquelle une information claire est donnée aux parents, les familles vivant la pauvreté et celles s’appauvrissant fortement actuellement ne seront pas en mesure de faire face à ces frais.
  • Les voyages les plus onéreux prennent généralement cours en fin de cycle primaire et en secondaire. Un plafond qui ne concernerait que les premières années de primaire manquerait largement sa cible. Il faut fixer d’ores et déjà pour la rentrée 2023 des plafonds pour l’ensemble des années de primaire et secondaire – une mesure non coutante –, applicables à la génération des élèves qui arrivent en première et deuxième année primaire et secondaire.
  • Il faut éviter que les écoles puissent reporter sur plusieurs années le cout maximal qu’elles auraient pu demander les années précédentes. Un parent ne pourrait ainsi pas être amené en cinquième ou sixième primaire à payer en une fois des montants faramineux, parce qu’on aurait « reporté » à la fin du parcours scolaire les couts de voyages scolaires non organisés toutes les années précédentes. En Belgique en 2022, 22,3 % des familles n’arrivent pas à faire face à des dépenses imprévues4.

Nous, acteurs de l’éducation, porterons ces balises dans les différents lieux où ces discussions ont cours et appelons chacune et chacun à s’en saisir. C’est à notre sens nécessaire pour cheminer vers ce triple objectif d’améliorer les projets pédagogiques organisés pour les élèves, éviter les situations abusives, et garantir que chaque élève quelle que soit son origine puisse accéder à une école épanouissante et à toutes les opportunités qu’elle propose, porteuse de sens et d’inclusion sociale.

La Plateforme de lutte contre l’échec scolaire est un rassemblement d’associations, organisations syndicales, et collectifs oeuvrant ensemble vers une école plus inclusive, travaillant à réduire les inégalités scolaires et à combattre la relégation.


Membres de la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire :

  • CSC Enseignement
  • CGSP Enseignement
  • SEL-SETCA
  • APED – Appel pour une école démocratique
  • ATD Quart-Monde Jeunesse
  • CGé – ChanGements pour l’égalité – mouvement sociopédagogique
  • Coalition des parents de milieux populaires et des organisations qui les soutiennent pour changer l’école
  • FAPEO – Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel
  • Infor-Jeunes Laeken
  • Ligue des droits de l’enfant
  • Ligue des familles
  • Lire-et-Ecrire
  • MOC – Mouvement ouvrier chrétien
  • RWLP – Réseau wallon de lutte contre la pauvreté
    Autres cosignataires de cet appel :
  • Le Forum – Bruxelles contre les inégalités
  • Fédération Infor-Jeunes Wallonie-Bruxelles
  • CEF – Comité des élèves francophones
  • Fédération des CPAS

1 Statistiques EU-SILC. Cette donnée est l’un des éléments qui caractérisent l’état de déprivation matérielle et sociale. https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-materielle-sociale/
2 Institut bruxellois de statistique et d’analyse. https://ibsa.brussels/le-saviez-vous/30-des-menages-bruxellois-ont-eu-des-difficultes-a-boucler-leur-budget-en-2021
3 La Belgique a notamment ratifié la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, dont l’article 28 qui engage à la gratuité de l’enseignement primaire comme secondaire.

4 Statistiques EU-SILC. Cette donnée est l’un des éléments qui caractérisent l’état de déprivation matérielle et sociale. https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/ilc_mdes04/default/table?lang=fr

Accessibilité