En mai 2014, dans la perspective des élections et à l’initiative de la Plate-forme de lutte contre l’échec scolaire, des associations, syndicats et représentants de la société civile lançaient un « Appel au débat en vue d’une refondation de l’École ». Nous affirmions qu’il est plus que temps de rénover une Ecole où les disparités sont importantes et socialement déterminées. Nous identifiions les principaux freins au changement : le quasi-marché scolaire et les réseaux, la hiérarchisation des filières, les modes d’évaluation, la gestion du temps scolaire… Nous demandions par conséquent aux responsables politiques de mettre fin à la course aux réformes bâclées et d’avoir le courage d’un débat de fond, sans tabous, avec tous les acteurs, afin de proposer « un projet global, concerté et cohérent » pour l’enseignement obligatoire.

Le Pacte pour un enseignement d’excellence nous a laissé espérer que nous avions été entendus. Pourtant nous sommes inquiets pour plusieurs raisons.

Pour commencer, la Ministre propose un débat sur des finalités de l’école qui privilégient à la fois « la révolution numérique » et « l’adéquation de l’enseignement avec le monde socio-économique ». Il nous semble qu’il s’agit là d’une conception économiste et utilitariste de l’éducation, diamétralement opposée à la vision émancipatrice et démocratique que nous revendiquons. Les objectifs que l’on décidera d’assigner à l’école détermineront les savoirs, les pratiques et les valeurs qui seront privilégiées : la connaissance et la compréhension du monde pour un citoyen critique ou la flexibilité du travailleur/consommateur ? La solidarité dans la coopération ou l’excellence dans la compétition ? Derrière le choix des mots de Madame Milquet, nous craignons qu’elle n’en ait déjà fait d’autres.

Notre deuxième sujet d’inquiétude porte sur l’idéologie « de remettre la pédagogie au centre du processus plutôt que les systèmes ». Or nous le savons – et de nombreuses études l’ont montré – l’on ne peut réduire les inégalités sans s’attaquer aux filières scolaires et à la concurrence entre écoles et donc sans l’instauration d’un véritable tronc commun pluridisciplinaire. Le cabinet Milquet sait tout cela, il l’énonce même assez clairement dans l’introduction du texte de présentation du Pacte. Et puis il lâche : « nous ne toucherons pas au système ». Voilà un singulier manque de cohérence… qui renforce notre scepticisme.

Enfin, notre troisième inquiétude porte sur le calendrier. Le Gouvernement veut des résultats dans un an ; le MR, par la voix de madame Bertiaux, leur rétorque (Le Soir, 27/1) qu’on peut prendre les mesures les plus importantes sans attendre.

Nous ne voulons plus d’un énième décret mal ficelé, d’une tantième somme de « mesurettes » sans vision. En dépit de la gravité de la situation, ou peut-être justement en raison de cette gravité, nous voulons que l’on prenne le temps d’une réflexion politiquement aboutie et scientifiquement fondée ; le temps d’un profond travail pédagogique en direction des enseignants et des parents afin d’obtenir un large accord ; le temps, enfin, d’une mise en œuvre cohérente, commençant dans l’enseignement maternel et s’étendant progressivement vers les années suivantes.

Pour ce faire, il est essentiel que tous les partis politiques s’engagent à contribuer positivement à l’effort fourni. Il serait criminel de voir toute cette énergie réduite à néant par des querelles politiciennes, confirmant ainsi l’idée selon laquelle l’école est quelque chose de beaucoup trop précieux pour le confier aux politiques.

Malgré ces craintes, nous comptons bien participer activement au débat, dans l’espoir qu’il soit encore possible d’infléchir l’orientation du Pacte vers des objectifs qui permettront réellement à l’Ecole de devenir démocratique, solidaire et humaniste. En tout cas, nous ne ménagerons pas nos efforts en ce sens.

Signataires :
Delphine Chabbert, directrice Études et action politique de la Ligue des familles
Pascal CHARDOME, Président de la CGSP Enseignement
Jean-Pierre Coenen, Président de la Ligue des Droits de l’Enfant
Bernard Delvaux, chercheur au GIRSEF (UCL)
Stéphanie Demoulin, Coordinatrice de la Fédération francophone des Ecoles de Devoirs
Eugène ERNST, Secrétaire général CSC-Enseignement
Nico Hirtt, membre de l’APED
Jean-Pierre Kerckhofs, Président de l’APED
Joan LISMONT, Président communautaire SEL (SETCa)
Christine Mahy, Secrétaire générale du RWLP.
Véronique MARISSAL, Coordinatrice de la Coordination des Ecoles de Devoirs de Bruxelles
Chantale Massaer, Directrice d’Infor Jeunes Laeken.
Sylvie Pinchart, directrice de Lire et Ecrire
Luc Pirson, Président de la FAPEO

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