Nous sommes de plus en plus souvent interpellés par des familles qui sont débordées par les demandes d’achats de leurs enfants. Comment refuser ces demandes quand on est une famille qui ne roule pas sur l’or ou qui ne souhaite pas que son enfant fasse des caprices dans une grande surface, simplement parce qu’on lui refuse un achat non indispensable, voire nuisible pour sa bonne alimentation ou sa santé ? En effet, de nombreuses publicités à destination des enfants concernent des aliments trop sucrés ou trop salés, ce qui peut influencer le choix alimentaire des enfants et les inciter à consommer de la malbouffe.

Enfin, comment faire pour diminuer l’emprise qu’a la publicité sur les enfants sans les priver de télévision, voire de réseaux sociaux (à partir de 12 ans) ? Bien sûr, nous n’avons pas les réponses à ces questions. Chaque parent doit chercher les mots que son ou ses enfants peuvent comprendre et entendre. Néanmoins, nous partageons leurs questionnements et constatons impuissants que les enfants sont les cibles des publicitaires qui ne respectent en aucune manière leurs droits fondamentaux. Celui de pouvoir faire des choix raisonnés sans subir d’influences extérieures ou de manipulations mentales.

Les enfants sont des prescripteurs d’achats

Selon l’enseignant-chercheur Julien Intartaglia, Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université d’Aix-Marseille, dès l’âge de 2-3 ans, les enfants reconnaissent les logos des marques et certains peuvent même les dessiner.

Avant huit ans, l’enfant ne fait pas la différence entre une publicité et un programme qui lui est destiné dans le cadre d’une émission « jeunesse »[1]. Or, selon le CSA (France), les enfants de 4 à 10 ans passent plus de deux heures par jour devant la télévision et 10 % de leur temps de visionnage est consacré à la publicité. Tout est mis en place, par les publicitaires, pour que l’enfant perçoive le moins de différences possibles entre une publicité et une émission qui lui est destinée : personnages sympathiques, chansons amusantes et entraînantes, couleurs éclatantes et messages simplistes, faciles à faire retenir par un enfant, surtout s’il est fredonné ou chanté.

Rien que via le petit écran, les enfants sont bombardés de spots publicitaires très suggestifs. Leur répétition a pour objectif d’augmenter le désir de l’enfant d’acquérir l’objet du spot, que ce soit un jouet, de la nourriture, une boisson sucrée, voire influencer ses parents dans le choix de la future voiture familiale ou encore des vacances de l’été suivant. Les publicitaires ont compris depuis longtemps le pouvoir de prescription des enfants auprès de leurs parents. Ce sont des centaines de publicités qui sont présentées aux enfants chaque semaine (parfois jusqu’à 60 sur une matinée).

Selon le psychiatre Serge Tisseron[2], « Si un enfant regarde une pub vantant le goût d’une barre chocolatée, il va se précipiter sur ce produit, s’il est dans le placard de la cuisine. Et s’il n’y est pas, comme l’enfant est un prescripteur d’achats auprès de ses parents, il va les convaincre d’acheter cette barre chocolatée. »

Selon une étude de Lagardère Publicité sur « Le pouvoir d’Influence des 4-10 ans » menée avec Ipsos, 76% des demandes ou des achats faits par les enfants de 4 à 10 ans sont en lien avec une publicité. C’est la télévision qui est le média le plus influent sur les demandes d’achat des enfants : 82% d’entre eux disent qu’il leur arrive régulièrement de demander ou d’acheter un produit « vu à la TV ».  Ils ont un grand niveau d’influence sur leurs parents. Celui-ci est en moyenne de 87% sur 8 catégories étudiées : jeux/jouets, food, mode, loisirs, beauté, high tech, santé, automobile[3].

Les enfants sont de futurs consommateurs

L’excès de publicités – pour rappel, jusqu’à 60 sur une matinée – a pour objectif de créer de surconsommateurs. N’étant pas – ou prou – supervisés par leurs parents lors du passage des publicités, les enfants ne comprennent pas qu’on leur refuse, sans explication, un produit du type « malbouffe ». Il s’agit alors, pour eux, d’une injustice et la relation parents-enfants peut s’en retrouvée détériorée.

Toujours selon Julien Intertaglia : « les marques ont intérêt à s’instiller dans l’esprit du consommateur très tôt : sept marques sur dix consommées par les 23-35 ans ont déjà créé un lien dès l’adolescence. » « De leur côté, les annonceurs l’ont bien compris. Ils n’imposent plus, ils sont dans la séduction, ils sollicitent une participation du jeune consommateur, cherchent à l’impliquer dans leurs campagnes de communication. »

Le « branding » ou le règne du « logo »

« Branding » signifie littéralement : « porter la marque ». C’est un mot qui englobe toutes les actions visant à gérer l’image d’une entreprise, d’une marque, voire d’un produit. « Le branding consiste essentiellement à gérer, de la façon la plus positive et subtile qui soit, tous les aspects culturels liés à l’image du produit ou de la marque représentée, afin d’optimiser son impact auprès du public visé. Le branding correspond donc à tout l’écosystème culturel créé pour affirmer l’identité d’une marque dans l’inconscient collectif [4]».

Le branding est d’autant plus pervers qu’il est invisible pour les consommateurs. Il utilise les procédés de manipulation du subconscient. C’est aussi valable pour les adultes que pour les enfants et cela touche toutes les classes sociales. C’est une manière d’hypnotiser les consommateurs – et d’autant plus les enfants prescripteurs – qu’il nous dicte de manière inconsciente l’attitude à adopter pour nous faire croire que nous allons vivre « heureux » grâce à l’usage des produits de ces marques.

Les marques, grâce au branding parviennent à formater les goûts des enfants pour le reste de leur vie. Leur première victoire est d’être parvenues à leur faire accepter cette manipulation mentale et de les faire aimer cette servitude. Car lorsqu’on est « addict » à une marque, on l’est souvent pour la vie entière. En se faisant aimer par les enfants, elles gagnent le gros lot pour les 70 à 80 prochaines années.

En publicité, la fin justifie les moyens. Les enfants, plus ils sont jeunes, sont la cible idéale : fragiles, peu formés, manipulables, incapables d’avoir un avis critique sur ce qu’ils voient dans les publicités et inconscients qu’on les manipule. Ce sont des proies faciles. Au plus tôt, ils sont formatés par la publicité, au plus difficile sera de les dé-formater. Les publicitaires savent bien que les enfants sont souvent les principaux prescripteurs dans les familles.

Tenter, pour les familles, d’y résister devient cause perdue. C’est l’école qui leur donne le coup de grâce. La cohabitation avec des pairs formatés grâce au branding des marques, conjugué avec le besoin qu’a tout être humain de créer des liens sociaux, de se trouver des amis et amies pour grandir et s’insérer dans la société, désarme même les parents les plus volontaires et les plus impliqués contre la publicité et ses effets pernicieux.

Selon Julien Intartaglia, « Avant la publicité, le premier agent de socialisation du consommateur, c’est la famille. Les plus grands influenceurs, ce sont les parents. Puis viennent les pairs et amis. Dès la crèche, on appartient à un groupe qui nous influence plus que la pub ». Encore faut-il que les parents encadrent l’enfant lors des visions de publicités – et des émissions en général. Malheureusement, la télévision reste la baby-sitter la moins chère qu’il y a sur le marché. Grâce à elle, maman et papa peuvent vaquer à leurs occupations ménagères ou professionnelles à domicile. N’étant souvent pas présents lors du passage des spots publicitaires, les enfants ne peuvent pas profiter de leur esprit critique. A condition, bien entendu, qu’ils en aient un et ne soient pas eux-mêmes sous l’emprise des publicités.

Et ces dernières font tout pour hypnotiser les consommateurs, tous âges confondus. « Certains spots font passer les parents pour des attardés et les enfants comme les membres les mieux informés ou les plus à la mode de la famille. « Certains spots font passer les parents pour des attardés et les enfants comme les membres les mieux informés ou les plus à la mode de la famille. Du coup, cela renverse les rôles, ce qui est troublant pour l’enfant », analyse Serge Tisseron. En inversant les rôles de « celui qui connaît » et « celui qui apprend », les agences de publicité troublent les enfants qui perdent confiance en leurs parents : « La télévision sait mieux que maman et/ou papa ».

Il y a-t-il une/des solution/s ???

Nous les aborderons dans les mois à venir. L’éducation et la prise de conscience restent la solution, mais elle est difficile à mettre en place et il faut tenir sur la durée, car les pubs reviennent jour après jours, que ce soit à la télé, sur les réseaux sociaux, dans la presse, et même…. quand on espère un peu de calme sur le route des vacances … à la radio.

Le premier travail à faire par les parents et à faire… sur eux-mêmes. Il leur faut admettre d’abord qu’ils sont eux-mêmes victimes du branding et manipulés. Ils doivent commencer par comprendre comme ils sont eux-mêmes prescripteurs d’achats. Ils doivent déculpabiliser et analyser leurs propres attitudes face à la publicité. Ensuite, ils pourront commencer à faire faire ce même chemin progressivement à leurs enfants.


[1] Quelle est l’influence de la publicité sur les enfants ? (http://www.20minutes.fr/societe/1711807-20151018-influence-publicite-enfants) – 20 Minutes, 18/10/2016

[2] https://www.20minutes.fr/societe/1548719-20150224-publicite-age-2-3-ans-enfants-reconnaissent-logos-marques

[3] https://www.offremedia.com/la-publicite-est-impliquee-dans-3-demandes-dachats-sur-4-des-enfants-selon-une-etude-lagardere-publicite-ipsos-

[4] https://www.journaldunet.fr/business/dictionnaire-du-marketing/1198143-branding-definition-traduction-et-synonymes/

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