Mme Alexander nous livre son témoignage
Merci, de nous donner la parole aujourd’hui, à la suite d’un courrier que j’ai envoyé au Ministre du Logement, des Transports et du Développement Territorial.
Je suis la maman de Cannelle Alexander. Je suis invitée à m’exprimer sur un problème récurrent : le transport scolaire. Cannelle ne parle pas : sa maladie l’en empêche. Aussi je m’exprime pour elle, ainsi que pour les autres enfants, dans la même situation qu’elle.
Avant de développer mon intervention, je tiens à vous rappeler que le transport scolaire dans l’enseignement spécialisé est un droit acquis depuis 1974, en raison de la distance plus importante à parcourir pour les enfants handicapés.
Comment cela fonctionne-t-il ? Le MET (Ministère de l’Equipement et des Transports) délègue au TEC (Transport en Commun) le soin d’organiser les transports et, pour cela, le TEC fait appel à des sociétés privées. Mais les conditions de transport sont loin d’être idéales ! Pour beaucoup d’enfants, le temps de transport est incroyablement trop long. A titre d’exemple, Cannelle aurait 5 heures de car par jour pour aller à l’école, distante de 40 km de la maison. Quel parent accepterait que son enfant, valide, fasse autant d’heures de bus tous les jours ?
Par ailleurs, quand votre enfant monte en voiture, l’attachez-vous ? Sachez que, dans les bus du TEC, les enfants ne le sont pas toujours : tous les véhicules ne sont pas équipés de ceinture et, donc, ne respectent pas les mesures de sécurité en vigueur dans notre pays, mesures qui sont plus que nécessaires pour des enfants qui ne sont pas autonomes. Imaginez un enfant autiste, avec des troubles du comportement. Cet enfant doit être drogué pour qu’il reste calme durant ces interminables heures de bus. Je vous invite à visiter la page qui parle du transport scolaire sur le site de la Ligue des Droits de l’Enfant et qui reprend l’ensemble des dysfonctionnements dont je parle.
Maintenant, je souhaite vous lire le courrier que j’ai envoyé au Ministre, ainsi qu’à tous les responsables du transport. Je vais demander à mon mari de vous distribuer un petit fascicule dans lequel j’ai repris la lettre, ainsi qu’un document joint en annexe.
Monsieur le Ministre,
Je vous adresse ce courrier, suite au premier passage d’un bus de transport scolaire, ce lundi 3 novembre.
Bonne nouvelle a-priori puisque nous l’attendions depuis le 1er septembre. Quel sens de l’humour a le TEC puisqu’on m’annonçait : « Nous passerons chercher Cannelle à 6 h 35 ! » C’est une bonne blague, me dis-je, au vu de ses problèmes de santé. Non, ce n’est pas une blague !
Vous excuserez d’avance le ton quelque peu déconcertant de ce courrier. Mais, après quelques années de grande galère avec le transport scolaire et, n’ayant plus rien à perdre puisque, quoi qu’on fasse, on est toujours perdant avec vous, autant me libérer un peu.
Je parlais donc de problème de santé. Il apparaît en effet que vos services soient plus à même qu’un médecin pour juger de la nécessité ou non d’un transport scolaire individuel ou en groupe restreint afin d’en diminuer le temps (voir les certificats médicaux remis en début de chaque année scolaire). Je me permettrai donc de vous joindre en annexe, la dernière radio de ma fille. On pourrait croire que cela fait partie du secret professionnel, auquel tout patient a droit mais, dans notre cas, un transport décent me semble un droit plus important. Voilà à quoi ressemble un enfant handicapé (pas tous, mais la mienne, oui) vue de l’intérieur ! Un enfant handicapé, c’est un peu plus qu’un peu de bave qui dégouline, des cris effrayants, un air débile.
Un enfant handicapé, ma fille en l’occurrence, souffre de problèmes orthopédiques et d’une lourde scoliose – d’une énorme, gigantesque, extraordinaire scoliose – qui lui cause quelques souffrances.
Cannelle aura 15 ans bientôt, elle pèse 19 kg et elle mesure 135 cm. Sa colonne vertébrale fait les « montagnes russes ». Elle ne sait pas s’asseoir seule ; elle ne sait pas marcher ; elle ne sait pas parler pour me dire : « Maman, j’ai mal, atrocement mal dans ce p… de bus. Aide-moi ! »
Il n’est vraisemblablement pas permis ni au MET, ni dans ces messieurs-dames politiques – ministres de tous genres et de tous bords -, qu’il y ait un enfant handicapé, sinon on aurait revu la situation depuis longtemps et on aurait trouvé l’argent ou, au moins, une façon plus intelligente de le gérer. Donc, airs compatissants et mines de circonstances en notre présence. Mais, c’est bien connu, « Loin des yeux, loin du cœur ».
Pour conclure, je me demande si la mettre dans un bus à 6 h 35 pour commencer l’école à 9 h, sans oublier le retour, serait bien raisonnable, sauf … si je veux la tuer. Et, dans ce cas, merci le transport scolaire ou « comment se débarrasser de sa fille handicapée, un peu gênante et encombrante, en quelques semaines » … sans risque d’être inquiété par la justice, puisque voilà comment contourner le meurtre par négligence ou encore, la non-assistance à personne en danger… Merci encore le transport scolaire
…
Je vous remercie d’avoir lu ce courrier jusqu’au bout et vous prie de recevoir, Monsieur le Ministre, mes meilleures salutations.
En lisant ceci, vous aurez compris que 5 h de route pour aller à l’école, c’est vraiment beaucoup !
A ce jour, mon courrier est resté sans nouvelles. Après cette lecture, moi, je me demande si le transport de bestiaux n’est pas plus réglementé dans notre pays car, très vite, Gaïa monterait au créneau, avec la couverture médiatique que l’on connaît, et les soutiens de toutes parts. Pour nos enfants, qui crie au scandale ?
Mon souhait aujourd’hui, c’est simplement de vous interpeller pour que vous preniez conscience de cette situation qui est intolérable pour la maman que je suis. Sachez que nos enfants handicapés sont des enfants avant tout et pourraient être les vôtres. La voix de ces enfants n’est pas entendue. Aussi, aujourd’hui, je parle en leur nom, au nom de toutes les souffrances qu’ils endurent par une politique qui fait fi de tout cela.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de m’avoir écoutée mais, plus encore, de m’entendre.
Mr Coenen, Ligue des Droits de l’Enfant
Merci, Mme Alexander.
Au nom de la Ligue des Droits de l’Enfant, je vais maintenant exposer nos revendications en matière de transport scolaire.
Les transports scolaires concernent environ 15 000 enfants en Communauté Française (Région de Bruxelles-Capitale et Région wallonne). Pour plus de 90 % d’entre eux, cela se passe sans problèmes. Malheureusement, pour 9 % des enfants, la durée des trajets est une réelle souffrance, jusqu’à cinq heures par jour (et parfois au-delà). Cela génère des horaires trop lourds. Certains enfants quittent leur domicile avant 6h30 pour le retrouver 12 heures plus tard. Il leur reste deux bonnes heures pour faire leurs devoirs, souper, se détendre, … Tôt levés, tôt couchés. Peu de vie de famille.
Il s’agit clairement, pour certains enfants (ceux qui sont plus d’une heure par trajet dans le bus) d’une situation inhumaine, voire carrément dégradante. Le terme de maltraitance que nous utilisons depuis 2006 n’est nullement usurpé. En effet, cette situation génère une véritable souffrance, tant au niveau psychologique que physique, selon les déficiences des enfants. Pour plus de détails, nous vous conseillons de relire notre dossier de presse de novembre 2006 http://www.ligue-enfants.be/?p=28
La Ligue rappelle ses revendications dans l’intérêt supérieur des enfants concernés
Nous demandons qu’une règle soit établie en direction des TECs organisateurs des tournées, afin que celles-ci aient une durée maximale pour chaque enfant. Nous estimons que 60 minutes est un maximum au-delà duquel ce n’est plus rendre service à l’enfant. Dans les cas exceptionnels, on pourrait (si le handicap de l’enfant le permet) monter à 90 minutes maximum. Mais cela devrait rester des exceptions et ne pas durer plus d’une année dans la scolarité d’un enfant. Pour rappel, les normes de l’AWIPH sont de deux heures maximum aller ET retour !!!
Favoriser, pour les enfants ayant les horaires les plus lourds, l’utilisation de véhicules de catégorie 3 (8 places + chauffeurs) tels que ceux utilisés par les ASBL qui organisent les transports scolaires.
De même, nous demandons que les bus soumissionnés par les TECs auprès des firmes de car, aient un confort minimal véritable, permettant aux enfants de passer ce temps dans les meilleures conditions qui soient. Au niveau sécurité, ils doivent être équipés de sièges individuels, d’appuie-têtes et de ceintures de sécurité.
Nous demandons également que les convoyeuses soient correctement formées aux handicaps et à ce qui doit être mis en œuvre pour leur favoriser la période passée dans le bus, ainsi qu’à la gestion d’un groupe d’enfants dans un espace clos. De même une équipe suffisante de convoyeuses doit être mis en place pour palier aux absences.
Nous demandons que tout transport scolaire d’enfant soit établi en concertation avec la famille ou l’institution en charge de l’enfant, ainsi qu’avec l’institution scolaire. Chacune de ces parties ayant son mot à dire et pouvant exiger un meilleur service. La seule gestion actuelle par les TECs ayant montré ses limites et son unique souci financier, au mépris total de la problématique des enfants.