Les coûts et les avantages de l’intégration

Les coûts et les avantages de l’intégration

On n’inclut pas un élève, on l’intègre[1]. C’est la classe, c’est l’école qui doivent être inclusives. Intégrer un élève porteur ou porteuse d’une déficience intellectuelle ou physique, ou ayant de grandes difficultés d’apprentissages (notamment un ou des ‘dys’), au-delà d’être une obligation légale[2], est un acte citoyen. Et, comme tous les actes citoyens, il apporte de (parfois) grandes satisfactions, mais présente également de (parfois) grandes difficultés. Le métier d’enseignant[3] est un métier difficile mais quand il est bien fait, il apporte d’immenses satisfactions.

L’intégration mobilise de nombreux acteurs

Une intégration (voire plusieurs intégrations dans une même classe) a des coûts. Ceux-ci peuvent être soit financiers (aménagement de rampes, déménagement d’une classe au rez-de-chaussée, investissements pédagogiques ou matériels, …), psychologiques (charge supplémentaire pour l’enseignant, pour les élèves accueillants qui apporteront leur aide au projet d’intégration, difficultés relationnelles, découverte de la différence, naissance de nouvelles amitiés, satisfaction d’avoir pu porter un enfant différent jusqu’au bout, …) et sociaux. Mais ce sera, plus probablement, un mix des trois.

Dans une intégration, les acteurs sont multiples. S’il y a l’enfant intégré et l’enseignant qui sont au centre du projet, il est de nombreux autres partenaires :

  • les parents et la direction pour commencer ;
  • L’école d’enseignement spécialisé partenaire ;
  • les CPMS[4] des deux écoles ;
  • tous les élèves de la classe, mais aussi ceux des autres classes qui, s’ils fréquentent moins l’enfant intégré, auront cette chance durant les moments communs (repas, récréations, garderies, activités sportives extérieures, fêtes d’école, …) ;
  • tous les adultes de l’école qui croiseront l’enfant au quotidien (enseignants, personnel administratif, personnel ouvrier, personnel des garderies, la/le bénévole qui fait traverser les élèves devant l’école le matin et à la fin des cours, …) ;
  • parents des élèves de la classe où est intégré l’enfant, voire encore les parents d’autres classes ;
  • mais il est aussi des professionnels extrascolaires qui aident l’école à accueillir un enfant en intégration : services d’aides à l’intégration, logopèdes, professionnels de la santé,  services ou associations apportant des aides à l’intégration (services régionaux ou nationaux d’aide pour les personnes avec handicap, services de traducteurs en langue des signes, associations de soutien, …) ;
  • etc…

Il faut garantir la qualité de vie de tous les acteurs

Si l’on veut donner des chances à un projet d’intégration scolaire, la qualité de vie de tous les acteurs et actrices doit être préservée. Il est donc fondamental de rechercher un équilibre dynamique entre les différentes composantes de l’intégration. Celles-ci sont au nombre de quatre : ce sont les coûts de l’intégration, les bénéfices de celle-ci, les contraintes inhérentes à toute entreprise (à fortiori humaine) et, enfin, le projet en lui-même.

On estime à plus de 50.000 les situations de présence d’enfants réputés « à besoins éducatifs spécifiques » dans les écoles ordinaires subsidiées par la Région Wallonie-Bruxelles[5]. Au vu du nombre d’actrices et d’acteurs impliqués dans un projet d’intégration, on peut considérer qu’il n’est pas une école qui, avec ses partenaires, ne soit confrontée à la nécessité de veiller à garantir le bien-être de toutes les parties.

L’intégration influence la qualité de vie de chacun

Quand commence une intégration, l’enseignant s’investit pleinement dans l’intégration. Il a pour principal souci de viser l’intérêt de l’enfant concerné. L’accueil d’un enfant avec maladie ou handicap pose forcément de multiples préoccupations qui concernent à la fois la qualité de vie de l’enfant intégré mais également des autres enfants du groupe, et partant, la qualité des apprentissages de tous. Et ce, même si tout le monde n’apprendra pas la même chose ou n’apprendra pas au même rythme.

Les parents, quant à eux, ont l’espoir que leur enfant se sente bien dans son école, tant avec son enseignant ou son enseignante qu’avec ses pairs. Ils espèrent qu’il pourra y faire les meilleurs apprentissages possibles en fonction de ses capacités, tant sociaux que scolaires.

Devant les difficultés auxquelles l’intégration confronte, il y a une tendance naturelle à attribuer à tel ou tel professionnel, tel décideur, telle équipe, tel élève, telle association ou tel parent les raisons des échecs et des incompréhensions mutuelles, mais également des réussites et de la qualité des collaborations qui se sont établies. Les équilibres qui se mettent en place sont en effet des partenariats délicats par définition, liés à une implication plus ou moins forte des différents acteurs.

Dans une intégration, de nombreux facteurs entrent en jeu. Ils sont multiples et diversifiés.

  1. L’intégration renvoie aux représentations culturelles ainsi qu’à la manière de les gérer.

Une intégration est un questionnement quotidien, tout au long de la scolarité. Les enseignants s’interrogent fort normalement au moment des premiers jours de classe.  Ils se demandent comment ils vont pouvoir gérer la classe avec un enfant à besoins spécifiques. Mais on peut compter sur eux car l’intégration est un engagement qu’on ne laisse pas au bord de la route dès qu’apparaissent les difficultés inhérentes au projet et aux difficultés de l’enfant. L’intégration renvoie ainsi aux valeurs de société (tolérance, humanisme, solidarité, empathie, …). On sort de la doxa scolaire qui mine notre enseignement : l’école n’est plus faite pour mettre en compétition et sélectionner, elle est là pour former des citoyens solidaires et qui seront un jour (on peut l’espérer) désireux de se battre pour plus de justice.

  • L’intégration renvoie à la dynamique relationnelle entre les acteurs : Parents-enfants, enfants-enfants, enseignants-élèves, enseignants-parents, enseignants-enseignants.

L’intégration c’est tout d’abord une négociation et une collaboration entre de nombreux intervenants. Le rôle des tiers est important. On n’intègre pas un enfant dans une école, dans une classe, sans qu’il n’y ait un projet bien ficelé avec toutes les parties. Une relation ouverte et positive entre ces dernières est fondamentale et tout le monde doit se sentir intégré dans le projet. La qualité du dialogue est un élément important pour affronter les difficultés liées à l’intégration. Il est donc nécessaire que les parties se rencontrent plusieurs fois par an et, si besoin, à la demande de l’une d’elle. Pour les enseignantes, les enseignants, les directions d’école, cela implique d’être disponible même en dehors de l’horaire scolaire, que ce soit par téléphone, mail ou sur rendez-vous. Les périodes de travail collaboratif doivent pouvoir être utilisées à cette fin.

Il est important que la coordination se fasse notamment sous la forme d’un document écrit afin que tout le monde soit clair sur les objectifs du projet d’intégration et sur son évolution. Le coordinateur ou la coordinatrice du projet (en général, la direction de l’école ordinaire) se charge de transmettre une copie de ce document à toutes les parties, sans oublier les parents qui sont les premiers partenaires.

  1. L’intégration renvoie au contrôle perçu des acteurs sur ce qu’on leur demande.

Une intégration, c’est de la fine dentelle. Les enjeux sont grands pour l’enfant et c’est bien son avenir qui est en jeu. Du moins en partie. En outre, lorsqu’un handicap est associé à la demande d’intégration, de nombreux questionnements se posent. Pour l’enseignant, cela a un coût émotionnel. Il se demandera s’il sera en mesure d’aider l’enfant et, surtout, s’il sera capable de gérer sa classe (et la présence de l’enfant) malgré son investissement. Parfois, certaines directions ou certains professeurs préfèrent assumer le coût d’un refus d’inscription pour s’assurer un meilleur contrôle sur leurs conditions de travail à venir. Pour les parents, l’intégration a aussi un coût émotionnel. Ils rêvent que leur enfant puisse aller à l’école du quartier et ainsi pouvoir créer des liens sociaux avec des pairs. Parfois cela se passe bien. D’autres fois c’est l’incompréhension. Nombreux sont ceux qui doivent affronter des situations qui leur semblent inadaptées, voire injustes. L’intégration est encore trop souvent un parcours du combattant, au point que les parents sont amenés à ressentir un sentiment de perte de contrôle. Les familles « ordinaires » parviennent à inscrire leurs enfants dans une école ordinaire sans difficultés, mais pas eux. Parfois on leur demande d’investir dans des outils onéreux (tablette, ordinateur, matériel ergonomique, …), ce qu’ils n’ont pas toujours les moyens de faire. L’école n’est-elle pas « gratuite » ? A l’injustice de la vie s’ajoute l’injustice institutionnelle. On demande à ces parents de subir ces injustices avec bonne grâce. Ils doivent être tous les jours des Super-Parents.

  1. L’intégration renvoie à la motivation mutuelle.

Il est important de ne pas sous-estimer l’impact de l’expérience préalable et personnelle des acteurs qui influence leur motivation.

Les enseignants émettent d’avantage de réserves lorsqu’ils gardent un mauvais souvenir de leur expérience passée. Par contre, ils sont d’autant plus motivés à s’investir dans l’accueil de l’enfant avec handicap qu’ils souhaitent que quelqu’un s’investisse de la même manière pour un jeune qu’ils connaissent. Pour les enseignants qui ont exercé en enseignement spécialisé, l’intégration d’un enfant à besoins spécifiques est plus souvent un moteur qu’un frein dans leur motivation à s’investir.

L’enseignant, face à une situation de manque de contrôle (problèmes de discipline, sentiment de décrochage motivationnel de l’élève voire constat d’un décrochage scolaire et/ou social) risque de perdre une part de sa motivation. Il peut alors demander des moyens pour réaliser cet accueil, via l’aide de l’enseignement spécialisé (si ce n’est pas déjà le cas) ou de professionnels du handicap ou du trouble de l’apprentissage (‘dys’).

Une intégration permet à l’enseignant de remettre en question ses méthodes et ses pratiques. Il bénéficie d’un partage de ressources et de compétences avec un collègue de l’enseignement spécialisé, ce qui est un enrichissement à la fois personnel et professionnel.

Les jeunes, parfois, sont cassés par des expériences précédentes négatives. D’autres sont motivés par l’intégration sociale, le fait d’être avec leurs pairs, dans l’école du quartier, et de pouvoir enfin se créer un tissu social. Leur motivation à apprendre dépend de nombreux facteurs, comme pour l’ensemble des autres élèves de la classe :  leurs conditions de vie, l’estime de soi, l’importance de se sentir concerné par les apprentissages qu’on propose, de leur ambition plus ou moins importante, etc. Mais pour un enfant à besoins spécifiques, il faut ajouter à cela l’accessibilité des activités proposées, la valorisation de ses compétences et l’aide complémentaire adaptée à ses difficultés.

Dans le cadre de l’évolution de la classe, de l’école vers une structure inclusive, les pairs doivent être considérés comme des partenaires incontournables. Pour eux, l’intégration d’un élève à besoins spécifiques permet de s’ouvrir au monde du handicap et de connaître et d’apprendre à accepter la différence. Ils peuvent profiter des remédiations et des aménagements raisonnables qui sont mis en place pour l’enfant en intégration. La mise en place de tutorat, par exemple, permet à toutes et tous d’apprendre l’entraide et la coopération, tout en bénéficiant d’explications complémentaires entre pairs lorsqu’une difficulté se présente.

Les parents doivent s’investir dans le projet d’intégration de leur enfant et ce, même s’ils n’ont pas les codes, voire la langue de l’école. L’attitude des personnes dont dépend l’enfant est déterminante. Une intégration est un sacrifice, celui de la facilité de l’inscription dans l’enseignement spécialisé. Une intégration n’est jamais de tout repos pour les parents. L’intégration pendant les temps scolaires fait partie d’une préoccupation globale des parents pour l’évolution sociale et intellectuelle de leurs enfants, elle représente un moyen et non une finalité. Ils ont souvent le souci de ne pas « imposer » leur enfant. Ils ont tendance à s’identifier à l’enseignant, présumant que ce qui est perçu comme une charge par eux, voire ce qui leur est problématique, le sera aussi pour l’enseignant.

  1. L’intégration renvoie au temps.

L’intégration nécessite une disponibilité en temps et en énergie. Elle amène les enseignants à consacrer du temps :

  • pour la gestion des liens sociaux entre les jeunes ;
  • pour être disponible vis-à-vis des parents afin de prendre connaissance de ce qui se passe en-dehors de l’école (autrement dit, aborder l’enfant, et non seulement l’élève) ;
  • pour la gestion de la dynamique de classe ;
  • pour rester à côté de l’élève pour favoriser ses apprentissages, à le réconforter, à entretenir une relation privilégiée par le dialogue ;
  • consacré aux besoins physiques (soins) ;
  • d’observation ;
  • pour les démarches visant à s’informer ;
  • de dialogue avec les services spécialisés ;
  • de préparation de supports pour cet unique élève, parfois ;
  • où l’on doit avoir en tête qu’il faut s’adapter à l’enfant en question en modifiant sa manière de donner cours et se former dans une pédagogie active et coopérative ;
  • de doutes et de remises en question.

Les parents souhaitent généralement être impliqués davantage dans le projet d’intégration. Ils éprouvent la nécessité de s’investir en temps et en énergie. Ils ressentent, par l’investissement plus important, une complicité accrue et un rapprochement à l’égard de leur enfant. Cela comporte des risques. Parfois, un investissement en temps et en énergie devient trop lourd. Cela peut les amener à réorienter leur enfant dans les structures spécialisées dans un souci de soulagement personnel. Ce n’est, malheureusement, pas toujours l’intérêt même de l’enfant qui est en jeu.

Chaque étape d’évolution de l’enfant est valorisante aux yeux de ceux qui s’investissent, et contribue à motiver cet investissement. C’est aussi grâce au temps que les liens peuvent se nouer entre les jeunes, par exemple. L’influence de l’intervention du réseau social peut être performante.

  1. L’intégration renvoie aux moyens disponibles et à la bonne volonté des acteurs :
  • Problème d’accessibilité des moyens matériels. Les collaborations sont à établir avec les organismes qui en disposent.

En fonction des déficiences ou difficultés d’apprentissage, il existe des aides spécifiques qui peuvent être allouées par les services régionaux ou locaux d’aides aux personnes à besoins spécifiques. De même, des associations spécifiquement dédiées à l’un ou l’autre handicap ont du matériel qu’elles prêtent (ou donnent) afin de permettre la poursuite de la scolarité d’un enfant dans les meilleures conditions matérielles.

  • L’organisation de certains établissements secondaires ne plaide pas pour l’intégration. Ces écoles doivent s’adapter aux élèves à besoins spécifiques.

Des élèves avec une infirmité motrice cérébrale se sont retrouvés sans école par le simple manque de volonté d’un pouvoir organisateur[6]. D’autres, une fois intégrés ont été ballotés d’un coin à l’autre de l’école alors que leur mobilité était réduite et alors que la disposition des locaux de l’école permettait de les intégrer sans qu’ils n’aient à subir des allées-venues incessantes.

On a vu des établissements scolaires réserver leurs classes du rez-de-chaussée pour installer des bureaux administratifs (une personne pour 50 m², soit une suite « royale » pour une direction d’école, par exemple) et empêchaient ainsi l’utilisation de ces locaux pour des classes avec élèves à besoins spécifiques. Les rez-de-chaussées doivent être inclusifs, c’est-à-dire flexibles. Le local du RDC accueillant un élève à mobilité réduite restera ‘son’ local jusqu’à la fin de ses études. Il changera d’appellation d’année en année passant progressivement de la 1ère à la 6e . Ensuite, il bénéficiera à un/d’ autre(s) élève(s) à besoins spécifiques.

Ce n’est pas parce qu’il y a un ascenseur qu’un enfant à mobilité réduite doit être envoyé au deuxième étage. Les pannes, les (alertes) incendie(s) qui interdisent l’usage de l’ascenseur, les livraisons qui monopolisent l’outil pendant un quart d’heure, précisément quand il faut passer d’un étage à l’autre, …, tout cela impose que ce soient les locaux du rez-de-chaussée qui soient destinés à l’accueil de ces élèves prioritaires.

Dans une école qui se place sur le chemin de l’inclusion, une large réflexion est posées avec l’équipe enseignante, sur l’organisation et  l’occupation des espaces en fonction de la structure physique des lieux. Ou comment rendre l’école inclusive une fois pour toute. Il faut repenser les accès, notamment les marches d’entrées de chaque bâtiment, créer des toilettes dégenrées[7], pour toutes et pour tous, veiller à ce que les cours de gymnastique, par exemple, soient également dégenrés, de même que les cours de récréations (l’espace terrain de foot est, en général occupé essentiellement par des garçons et il vaut mieux ne pas traverser cet espace en fauteuil roulant ou avec des béquilles, au risque de devenir une cible involontaire) et qu’elles soient pleinement accessibles. Les classes doivent être repensées pour tous les handicaps, elles doivent également être accessibles, tout comme le réfectoire, les salles de gym, …. De nombreux bâtiments scolaires ont été pensés il y a un près d’un siècle, voire plus, alors que l’on ne parlait pas d’intégration et encore moins d’école inclusive.

  • Attribution de ressources financières spécifiques

Toutes les intégrations ne nécessitent pas de moyens financiers. Intégrer un enfant avec une dyslexie implique peu de frais supplémentaires. Un enfant avec un IMC aura besoin d’une rampe pour lui permettre (ou à sa chaise) de passer la marche. Mais, en général, les écoles s’en tirent sans grands frais supplémentaires. Le terme aménagement « raisonnable » n’a malheureusement pas été conçu pour les élèves à besoins spécifiques mais pour protéger les écoles (notamment) de manière à ce qu’elles ne soient pas obligées de s’engager  financièrement dans des frais trop onéreux pour leurs subsides.

La plupart des intégrations n’engendrent que peu de frais supplémentaires, voire aucun dans la plupart des cas.

  • Définir les besoins en termes de personnel supplémentaire pour réaliser l’intégration.

Il est évident que peu d’enseignants ont reçu, dans leur formation initiale, le mode d’emploi de l’accueil d’un enfant sourd en classe, même si celui-ci est appareillé. Les troubles du comportement sont parfois difficiles à gérer. Une dyscalculie laisse souvent le professionnel devant de grandes questions pour lesquelles il n’a pas de réponses. Et ainsi pour de nombreux handicaps et de nombreux « dys ». Il est donc important que celle ou celui qui se trouve face à de telles difficultés puisse bénéficier d’aide et de soutien.

D’où l’intérêt même de l’intégration : travailler en partenariat avec une école d’enseignement spécialisé. Ce partenariat, loin d’être monté pour accompagner l’enfant intégré, l’est surtout pour accompagner l’enseignant accueillant. Il permet de mettre en place les outils pédagogiques adaptés aux difficultés de l’élève mais aussi de l’enseignant.

De même, les services d’accompagnement (Bruxelles) et les services d’aide à l’intégration (Wallonie) ont cette mission d’accompagnement dans leurs gênes.

  • Plus grande implication du personnel de l’enseignement spécialisé au sein même de l’école ordinaire.

Nous venons d’en toucher un mot. La collaboration entre les deux structures, le spécialisé et l’ordinaire est constitutif de l’idée même de l’école inclusive. La charte de Luxembourg[8] décrit l’Ecole pour tous et pour chacun, c’est-à-dire une école qui comprend tout le monde, comme :

  • Une structure administrative commune pour l’enseignement spécifique et ordinaire ;
  • La formation des enseignants en vue de l’enseignement inclusif ;
  • La collaboration entre les enseignants ordinaires et spécifiques ;
  • La flexibilité et l’adaptation des cursus ;
  • Le partenariat avec les parents ;
  • La prise de conscience et l’information.
  • L’école ordinaire regorge de moyens humains non spécialisés mais qui peuvent/doivent se spécialiser.

L’école inclusive de demain devrait être une école qui ressemblera à un hôpital. Il y a bien des infirmiers et doctoresses généralistes mais ils ne sont pas légion. Il y a surtout des infirmières et médecins spécialisés dans des domaines différents. Ces spécialisations sont complémentaires. Le patient qui a été opéré d’une tumeur à l’estomac a besoin de nombreux spécialistes : un ou une gastro-entérologue , une équipe de chirurgiens spécialisés dans les tumeurs digestives, d’un ou d’une oncologue, d’un ou d’une diététicienne, d’infirmiers et d’infirmières spécialisées, etc.

L’école inclusive, cela doit être cela : des professionnels spécialisés dans les difficultés d’apprentissages. Quand on rencontre un enfant avec un autisme (ou un autisme supposé), il y a un ou une collègue qui, même si elle ou il n’est pas pointu dans le domaine, s’est formé avec l’aide d’une association spécialisée (qui peut venir à la rescousse) et peut donner les premiers conseils. Ces premiers conseils peuvent être la bouée de sauvetage de l’intégration. En attendant, éventuellement, si besoin s’en fait ressentir, l’intervention de spécialistes.

  • Mobilisation des moyens organisationnels

L’école ordinaire a été pensée pour les élèves ordinaires. En fait, pour des élèves qui n’existent pas. Car il n’existe aucune liste de critères pour définir ce qu’est un élève ‘ordinaire’. En général, on utilise le terme ‘ordinaire’ pour différencier les élèves. Ce sont ceux qui n’ont pas de handicap. Le problème est qu’il ne faut pas ne pas avoir de handicap pour ne pas avoir de grosses difficultés d’apprentissages. On parle aujourd’hui d’élèves à besoins spécifiques ou non. Le terme ‘ordinaire’ renvoie trop à ce qui n’a rien d’exceptionnel. Or, tous les élèves sont exceptionnels. De même que l’élève ‘médian’ ou l’élève ‘moyen’, l’élève ‘ordinaire’ fait défaut dans toutes les écoles.

Dès lors, l’organisation de l’école telle, qu’on la connaît, a été pensée pour des élèves qui n’existent pas. Son organisation est telle qu’elle ne peut répondre aux besoins des élèves qu’elle accueille en temps ordinaires. Que dire, lorsqu’elle accueille des élèves à besoins spécifiques ?

Il faut donc repenser la structure même de l’école. Travailler par classes de 25, est-ce vraiment efficace ? Programmer des heures de 50 minutes qui mobilisent toutes les ressources professionnelles permet-il de venir en aide à des élèves à besoins spécifiques ? Il est d’autres alternatives : les groupes de besoin, passer à des heures de 40 minutes pour permettre la remédiation, voire laisser tomber les heures minutées et passer à autre chose de plus coopératif. Il faut donner des moyens à l’intégration. Des enseignants formés dans l’une ou l’autre difficulté d’apprentissage doivent pouvoir trouver du temps pour aider leurs collègues. Si ce soutien est intensif au départ, il se révèle très peu nécessaire par après.

Sur le terme ordinaire, on peut se faire la même réflexion pour les écoles que l’on différencie d’ordinaires ou spécialisées. Or, il y a des écoles qui n’ont absolument rien d’ordinaire et qui sont exceptionnelles et qui accueillent déjà de nombreux élèves à besoins spécifiques. Sans doute pourraient-elles même prétendre être également spécialisées, car leurs enseignants se sont formés et continuent année après année. Elles ne sont pas ordinaires, ni spécialisées tout en ayant des spécialistes des difficultés d’apprentissages. Ce sont des écoles inclusives.

  • Absence de personnel qualifié pour les soins

L’école inclusive a besoin de moyens humains. Notamment en termes de professionnels (nous venons d’en parler). Puéricultrices, logopèdes, … doivent être intégré(e)s à toutes les équipes pédagogiques qui travaillent dans une école à vocation inclusive. De même, un ou une infirmièr(e), un(e) kiné, traducteur en langue des signes, ou spécialiste en fonction des nécessités, doivent pouvoir venir en aide aux équipes éducatives.


[1] Actuellement nous sommes dans une logique intégrative qui suppose une négociation pour que soit accueilli l’élève dit “à besoins spécifiques” au sein d’une classe d’enseignement ordinaire. L’école inclusive, quant à elle, est une école qui se pense et s’organise de telle façon à pouvoir accueillir tout élève, quelles que soient ses caractéristiques.On s’écarte donc d’une vision « intégrative » dans laquelle l’élève différent doit se faire accepter au sein d’un système régulier. Développer une école inclusive suppose de trouver un équilibre entre un enseignement de type académique et une éducation à la vie en société et à la citoyenneté. On s’écarte donc de pratiques d’enseignement « traditionnelles » ce qui nécessite un nouveau positionnement face à la différence; une évolution du rôle de l’enseignant et une autre conception de l’organisation de l’école. In fine, l’enseignement inclusif est vu comme un moyen de faire participer la personne handicapée à la vie de la société.

[2] Convention des Droits des Personnes handicapées – ONU 2006

[3] Nous partons du principe que l’enseignant inclusif s’est progressivement formé à l’accueil de toutes et tous les élèves quelles que soient leurs différences et difficultés. Il est capable de transmettre tous les savoirs à tous les élèves. Il ne pratique pas la sélection et donc, n’a pas d’échecs scolaires.  

[4] Centre Psycho-MédicoSocial. En Belgique, il s’agit d’un lieu d’accueil, d’écoute et de dialogue où le jeune et/ou sa famille peuvent aborder les questions qui les préoccupent en matière de scolarité, d’éducation, de vie familiale et sociale, de santé, d’orientation scolaire et professionnelle, …. Le Centre PMS est à la disposition des élèves et de leurs parents, dès l’entrée dans l’enseignement maternel et jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire. Il développe également des activités au bénéfice des élèves fréquentant les Centres d’Education et de Formation en Alternance (CEFA), ainsi que de leur famille. Le Centre PMS est composé de psychologues (conseillers et assistants psychopédagogiques), d’assistants sociaux (auxiliaires sociaux) et d’infirmiers (auxiliaires paramédicaux) qui travaillent en équipe. Un médecin est également attaché à chaque Centre PMS (www.enseignement.be).

[5] Il s’agit d’un chiffre noir, tant il est difficile de les répertorier, tous les enfants n’étant pas diagnostiqués. Le dispositif actuel ne permet d’en identifier qu’une partie (via les écoles spécialisées, les services d’aide précoce, services d’aide à l’intégration, centres PMS…).

[6] Le pouvoir organisateur d’un établissement d’enseignement est l’autorité, la ou les personne(s) physique(s) ou morale(s), publique(s) ou privée(s), qui en assume(nt) la responsabilité.

[7] Ôter le genre ou toute notion de genre d’un lieu, d’une activité, etc.

[8] 1996

Une école inclusive : aussi pour les élèves avec une déficience intellectuelle ?

Une école inclusive : aussi pour les élèves avec une déficience intellectuelle ?

  1. Les défis posés par l’accueil d’un élève avec déficience intellectuelle dans l’enseignement ordinaire

Progresser dans le sens d’une éducation inclusive à l’école va demander

  • D’articuler les objectifs définis pour l’ensemble des élèves avec les objectifs plus particuliers de l’élève avec déficience intellectuelle
  • D’utiliser les outils et ressources existant dans chaque classe, dans chaque école pour mettre en place un programme répondant aux besoins de tous
  • Se référer aux compétences transversales (savoir écouter, savoir raconter en choisissant les bons supports, savoir poser des questions, etc.)  pour construire sa démarche méthodologique
  • Construire un bulletin axé sur la progression dans les compétences et élaborer un portfolio pouvant suivre l’élève tout au long de sa scolarité
  • Penser une progression de l’élève avec déficience intellectuelle sans viser nécessairement l’obtention d’une certification finale (CEB,…)
  • De se rappeler que tout enfant apprend mieux par plaisir et curiosité et que la sphère relationnelle et émotionnelle doit être prise en considération à tout moment
  • Croire dans les potentialités de tout enfant et proposer des défis d’apprentissage : les recherches scientifiques basées sur un suivi longitudinal de cohortes d’élèves, montrent que des apprentissages sont possibles au niveau de la littératie et de la numératie.
  • Penser en termes de parcours de vie en prenant en compte les besoins de l’enfant une fois celui-ci devenu adulte et ne le conduire pas à pas vers l’autodétermination
  • Modifier radicalement notre mode de partenariat avec les parents et ce, dès l’annonce de la déficience : en effet, la manière dont ceux-ci sont amenés à découvrir le handicap et à exercer leur parentalité face à cet enfant va les conduire ou non à aborder le monde scolaire de manière positive et dans une optique d’éducation inclusive. Se rappeler aussi que les structures précédant l’école (crèches, pré-gardiennats) doivent également concevoir une approche inclusive.
  • Sensibiliser les pairs de l’élève à ce qu’implique la déficience afin de développer des interactions positives entre élèves
  • Sensibiliser les autres parents et rencontrer leurs craintes quant à l’impact d’un enfant avec déficience intellectuelle sur le groupe-classe en montrer les effets bénéfiques pour tous les élèves
  • Permettre à l’élève avec déficience intellectuelle de rencontrer d’autres élèves ayant des caractéristiques de fonctionnement similaires
  • Veiller à assurer dès le départ de l’accueil de l’élève en enseignement ordinaire, un suivi tout au long de sa scolarité sans devoir se baser uniquement sur la bonne volonté d’un seul enseignant mais en impliquant toute l’équipe éducative
  • Arrêter de faire de l’intégration un privilège pour l’enfant et sa famille : l’accueil en enseignement ordinaire est un droit      
  • Rencontrer les peurs et questionnements des enseignants, les informer, leur donner des ressources adéquates et les aider de manière pragmatique (accompagnement sur site). A cet égard, il s’agit de mieux coordonner les ressources existantes et les rendre accessibles.
  • Réfléchir à la manière dont les ressources de l’enseignement spécialisé peuvent être mises à disposition de l’enseignement ordinaire et de manière plus générale, envisager l’avenir de la structure de l’enseignement spécialisé (soutien en enseignement ordinaire, accueil d’élèves en situation de handicap très sévère, intervention d’enseignants chevronnés dans la formation, etc.)
  • Avoir un engagement clair de la part des pouvoirs organisateurs dans le sens d’une évolution vers un enseignement inclusif
  • Associer tous les acteurs concernés dans la communauté scolaire et autour de celle-ci (services d’aide précoce, services d’aide à l’intégration, CRF mais aussi les médecins généralistes, neurologues pédiatres). Plusieurs de ces acteurs sont amenés à jouer un rôle de facilitateur, de médiateur dans le dispositif d’intégration.
  • Quels sont les apports du Pacte pour un enseignement d’excellence ?

Tout comme le rappelle l’avis d’UNIA du 15 mars 2017, le Pacte confond intégration et inclusion. De plus, la volonté est de limiter le nombre d’élèves dans l’enseignement spécialisé à ceux pour lesquels des aménagements raisonnables dans l’enseignement ordinaire ne s’avèrent pas suffisants (p 236 du Pacte).

Le Pacte ne propose pas une stratégie bien définie pour faire évoluer notre enseignement vers un enseignement plus inclusif.

Le Pacte fait la distinction entre aménagements imposables et aménagements conseillés, ce qui ne correspond pas à la Convention : les aménagements sont obligatoires dans tous les cas et doivent être mis en place dès qu’ils sont sollicités.

Ceci étant,  potentiellement positifs, à savoir

  • Le renforcement du partenariat parents-professionnels ;
  • L’idée d’un dossier unique qui suivrait l’enfant tout au long de sa scolarité
  • Le rôle d’une expertise en orthopédagogie qui viendrait de l’enseignement spécialisé
  • L’obligation d’accueil et de mise en place d’aménagements dans le cadre de pôles régionaux : l’idée serait donc de développer des écoles inclusives par pôles territoriaux. Cette formule risque évidemment de conduire au regroupement d’élèves dits à besoins spécifiques dans des écoles que l’on qualifierait d’inclusives !
  •  Stigmatisation de l’élève : les procédures d’évaluation et d’orientation

Sans nier la nécessité d’une évaluation correctement menée et de manière pluridisciplinaire, il importe de quitter un mode d’évaluation uniquement centré sur le relevé de déficiences et l’indication des écarts par rapport à une norme (vision très statique) pour adopter une évaluation plus qualitative et fonctionnelle des compétences de l’enfant en termes de profil des forces et faiblesses. L’évaluation ne doit pas contribuer à exclure l’enfant : nous observons encore beaucoup trop souvent que c’est sur la seule base du quotient intellectuel qu’un enfant est orienté vers l’enseignement spécialisé.

Une telle démarche évaluative plus qualitative va permettre de réfléchir aux adaptations qu’il s’agira de mettre en place en classe.

Ce travail d’évaluation demande du temps et donc des moyens financiers.

Par ailleurs le développement d’un dossier unique de l’enfant, qui puisse le suivre et dans lequel sont consignés ses progrès, quel que soit le service fréquenté est nécessaire pour assurer une coordination et une cohérence des interventions dans le temps. Pour faciliter le partage entre les divers intervenants, on peut concevoir un dossier informatisé.

Il serait donc important que les formations données aux psychologues et aux neuropsychologues soient davantage axées sur une évaluation dynamique. En particulier les psychologues des CPMS et des centres agréés ne devrait plus pratiquer l’orientation sur la seule base d’un diagnostic s

Par ailleurs, l’ensemble des professionnels devraient mieux connaître les enjeux de l’intégration et ceux de l’inclusion. Ces professionnels doivent prendre conscience que toute stigmatisation de l’élève comme « incapable » va marquer la personne à vie.

  • Organiser le curriculum de l’élève : quels apprentissages faut-il privilégier et comment ?

Il s’agit d’approcher toute élève dans sa globalité avec un projet pense de manière personnalisée. Le PIA est vu comme un outil rassembleur (et obligatoire) avec consignation des attentes des parents et de l’élève, la reconnaissance des divers obstacles aux apprentissages ainsi que les moyens pour tenter de les surmonter. Ce PIA est aussi un outil de communication avec le C.PMS et les divers partenaires extérieurs. C’est un outil de formation réflexive. Il doit bien entendu reprendre les objectifs visés, les moyens que l’on va dégager, la répartition des rôles de chacun, des critères sur lesquels portera une évaluation ainsi qu’un échéancier. Idéalement ce PIA sera rédigé dans un langage accessible à tous, dont l’élève.

Les apprentissages sont à promouvoir tant sur le plan cognitif que socio-émotionnel et ils doivent permettre de maintenir une bonne qualité de vie tant pour l’élève que pour sa famille.

Les contenus vont concerner les domaines du lire, écrire et calculer, la communication, la socialisation, l’autonomie (capacité à faire des choix) et l’indépendance fonctionnelle, l’acquisition de repères spatio-temporels, l’acquisition de compétences transversales et disciplinaires permettant d’amplifier les domaines de l’estime de soi, de l’autodétermination, du sentiment d’efficacité personnelle. La pédagogie devra s’adresser aux divers sens (ouïe, vue, tact, odorat et goût). Il faut laisser l’enfant avec déficience intellectuelle progresser à son rythme en s’appuyant sur ses capacités développementales, en pensant à la nécessité des répétitions pour consolider les acquis et en privilégiant les supports visuels.

Il faut encourager l’investissement des espaces extérieurs en continuité avec l’espace de la classe et comme support à divers apprentissages favorisant la mobilisation de différentes formes d’intelligence.

La pédagogie par projets, le travail coopératif (spontané et organisé) et le tutorat seront ainsi facilités.

L’apport d’une approche différenciée dans l’enseignement est aussi reconnu comme favorisant les apprentissages de tous.

Comme la littérature le recommande, il faut laisser l’enfant dans sa classe d’âge.

Enfin, il est important que l’élève soit correctement installé en classe : l’aide d’un ergothérapeute ou d’un kinésithérapeute peut s’avérer très utile.

  • Organiser l’école

Il parait nécessaire de penser les soutiens présents dans l’école et dans la classe comme non stigmatisant pour un élève en particulier. La personne ressource devrait donc travailler avec le groupeclasse. Par ailleurs il s’agit d’éviter de sortir l’élève de son groupe-classe pour des activités plus individuelles.

Il faut bien entendu disposer de moyens financiers adéquats pour mettre en place certaines adaptations et disposer du matériel nécessaire, sans que l’enseignant n’ait à payer du matériel de ses propres deniers.

L’idée de donner un pot aux écoles pour leur permettre d’en disposer et se donner les moyens humains et matériels nécessaires est évoquée. Le maître mot est la souplesse, par exemple au niveau de la répartition des heures de l’enseignant qui accueille des élèves avec déficience intellectuelle dans sa classe.

L’engagement d’orthopédagogues (niveau bachelier) et d’orthopédagogues cliniciens (niveau master)  réfléchir l’organisation de la classe et de l’école, apporter les ressources complémentaires utiles en fonction des besoins, coordonner les interventionsun partenariat avec les familles.

Parmi les ressources externes à l’école, les services d’aide précoce, les services d’aide à l’intégration, les CRF, et d’autres services (asbl, services hospitaliers) tentent d’apporter une aide. Les conseillers pédagogiques ont un rôle important à jouer. Les associations de parents devraient aussi contribuer à l’évolution de l’école vers une école inclusive.

En lien avec le projet autour de l’enfant et avec lui, il s’agit de dégager un temps de concertation entre les divers acteurs dans le fonctionnement de la classe et de l’école.

Le rôle de la direction est mis en avant : il faut que toute l’équipe se sente concernée par le projet d’évolution de l’école vers une école inclusive.

Contrairement à l’idée généralement répandue, l’accueil d’un élève avec déficience intellectuelle au niveau maternel n’est pas plus facile même si les contraintes de l’évaluation sont absentes. Les enseignants de ce niveau ont un programme.

Plusieurs enseignants signalent qu’ils doivent déjà faire face à une diversité de difficultés chez les jeunes enfants.

Enfin, nous avons vu qu’une vingtaine de projets de classes intégrées (appelées de manière erronées « classes inclusives ») se sont développées. Ces dispositifs ont chacun leur histoire et se présentent sous des formes différentes. On peut penser que l’existence même de ces classes contribue à une sensibilisation au sein de l’école. De plus, elles permettent à l’élève avec déficience intellectuelle de ne pas se sentir seul au sein de l’école et de ne pas être stigmatisé. Ces projets bénéficient d’une aide de la part de chargés de mission. Il est important de souligner que les activités communes entre les élèves de cette classe et les élèves des autres classes doivent être pensées et organisées. La question est donc posée de savoir si ces classes p constituer une démarche transitoire dans le cheminement d’une école vers une école inclusive au sens propre.

  • Sensibiliser à la différence au sein de la classe, de l’école et maintenir les interactions entre élèves avec déficience intellectuelle et ses pairs

Il s’agit de travailler à la cohésion du groupe-classe et comme déjà mentionné plus haut, les approches comme le tutorat, l’apprentissage coopératif y contribuent.

Il s’agit aussi de permettre à l’enfant avec déficience intellectuelle de se présenter.

Les activités d’information et de sensibilisation doivent s’adresser à l’ensemble de la communauté scolaire. Le conseil de participation peut être utilisé comme un espace d’échanges et de sensibilisation. Les parents de l’enfant avec déficience intellectuelle doivent, tout comme les parents des autres enfants, être impliqués dans une réflexion centrée sur l’intérêt de la démarche inclusive. La communauté scolaire devient ainsi une communauté apprenante et créative.

Dans le cadre de l’évolution de la classe, de l’école vers une structure inclusive, les pairs doivent être considérés comme des partenaires incontournables.

  • Partager des ressources et (re)penser la formation tant initiale que continuée des professionnels

L’idée du partage des expériences et des savoirs autour de la démarche inclusive apparaît comme essentiel :au sein de l’école, entre les écoles, il s’agit de mettre en place des forums d’échanges et de diffuser de petits documents informatifs sans que ceux-ci ne soient présentés comme des « recettes » toutes faites. La diffusion de brochures à la fois sur la connaissance des droits et des procédures et à la fois sur le quoi faire et comment, avec quels objectifs est perçue comme très utile. Des sites existent et méritent d’être consultés : UNIA, ONE, Aviq, Phare, Inclusion asbl, Prebs (Portail de référencement pour l’enfant à besoins spécifiques), sites de diverses associations.

Le concours de personnes adultes avec déficience intellectuelle (comme les membres du Mouvement Personne d’Abord) a un rôle important à jouer pour informer sur leur parcours propre et leur expérience et ainsi alimenter une réflexion.

Enfin, les campagnes de sensibilisation pour le grand public sont aussi à organiser en se demandant quel est le message à faire passer et pour quel public prioritaire.

En conclusion

Trois phrases choc

  • Pourquoi pas un droit  au même titre que l’implant cochléaire, le port de lunettes, l’utilisation d’une voiturette. Et pourquoi doit-on encore négocier des aménagements qui de plus, sont dits dev être raisonnables ?
  • Ce n’est pas aux parents de défendre le droit à l’Education pour leur enfant déficient dans le cadre d’une école d’enseignement ordinaire. Il faut une démarche plus globale de notre société.
  • Pourquoi continue-t-on à confondre les concepts intégration et inclusion et pourquoi n’entrevoit-on pas les réels enjeux de la démarche inclusive ? Les initiés ne devraient-ils pas utiliser ces concepts de manière plus précise afin de ne pas promouvoir des représentations erronées au sein du monde de l’enseignement et plus largement au sein de la société.

21 novembre 2017, Synthèse du colloque par le Prof.ém. J.-J. Detraux, administrateur de la Ligue des Droits de l’Enfant. La présente synthèse est basée sur les notes prises au cours de la journée par Bénédicte Decleyre et JJ Detraux ainsi que sur les diverses notes qui nous ont été adressées par les intervenants et par des participants.

Le redoublement – chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Le redoublement – chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

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En Belgique comme en France ou au Grand-duché de Luxembourg, penser à une école sans redoublement est inimaginable. De nombreux professeurs sont convaincus que le redoublement aurait une réelle utilité pédagogique : il permettrait de remédier aux difficultés constatées. Puisque les rythmes de développement personnels et d’apprentissage varient d’un élève à l’autre, le redoublement permettrait de corriger ces rythmes en offrant un supplément d’apprentissage aux plus lents. Mieux encore, il servirait aussi de thérapie puisqu’il permettrait aux élèves de gagner en maturité et de repartir sur de meilleures bases.

Comme de nombreux parents qui ne sont pas spécialistes de la pédagogie, les professeurs considèrent encore le redoublement comme un moyen de remédiation efficace. Ils lui attribuent par ailleurs un rôle instrumental. Un sondage[1] d’OpinionWay révèle que 70 % des parents et 64 % des professeurs interrogés sont d’accord avec la phrase « Le redoublement permet réellement à l’élève de rattraper son retard et d’être mieux préparé pour les classes supérieures » .

Le point de vue des parents n’a pas été fort étudié par la recherche scientifique. Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin[2] citent plusieurs études anciennes qui révèlent une adhésion massive au redoublement, mais on manque d’enquêtes récentes. Thierry Troncin[3] a montré que très peu de parents s’opposent au redoublement de leur enfant en première primaire (ou CP). Selon l’auteur, ce serait le signe de la confiance des parents envers les enseignants à ces niveaux scolaires. Mais, rappelons-le, les parents – tout comme les professeurs adeptes du redoublement – ne sont pas experts en pédagogie, ne connaissent rien des études sur les effets psychologiques et le manque d’efficacité du redoublement et encore moins des alternatives que mettent en place les enseignants (contrairement aux professeurs) pour éviter l’échec scolaire et ses dérives.

Non, les professeurs ne sont pas les seuls responsables de l’échec de notre système scolaire. Des parents – principalement ceux issus des classes les plus favorisées et dont la classe sociale tire profit de la sélectivité – manifestent également un triste attachement au redoublement, donc à l’échec scolaire… des enfants des autres.

Tenir à sa classe sociale et refuser de la partager avec les moins nantis est profondément inique. Evidemment, si on veut des riches, il faut des pauvres. Supprimer les pauvres, reviendrait à rendre les gens égaux et donc, à partager les richesses de la société. Cela ne peut être acceptable par une partie minoritaire mais influente de la société. Quels sont les parents qui écrivent des cartes blanches dans la presse, sinon des gens instruits qui défendent leurs acquis sociaux pour leurs propres enfants ? Ce sont des gens qui refusent de partager ces acquis avec l’immense majorité paupérisée de la population. Ce sont ceux qui, en un mot, ne cherchent qu’à protéger leur progéniture et à veiller à leur succès au détriment des plus fragiles. Nous sommes loin du respect du Droit de tous les enfants, mais uniquement de celui d’une minorité de privilégiés prétendument « bien nés ».

L’attachement de ces parents au redoublement renforce celui des enseignants et des établissements élitistes. Il s’agit clairement d’une volonté de maintien de la ségrégation sociale. Il suffit qu’un seul enseignant se pose des questions sur l’inefficacité du redoublement pour, qu’immédiatement, des voix s’élèvent en lui demandant s’il ne vise pas plutôt le « nivellement par le bas » ? Le « nivellement par le bas », vieux fantasme des « élites » libérales qui craignent de partager avec les plus fragiles. Il suffirait simplement de lire la presse qui, en cette matière, fait bien son travail, pour voir que les systèmes scolaires les plus équitables sont aussi les plus performants et donc, qu’ils nivellent vers le haut. Le problème pour ces parents ou grands-parents élitistes belges, c’est que ces systèmes nivellent vers le haut TOUS les élèves, et cela leur est intolérable !

Quant aux familles socialement défavorisées et mal informées des enjeux citoyens, elles imitent ceux qui crient le plus fort sans comprendre les enjeux, en se rassurant que les gens instruits (parents favorisés et enseignants) ont forcément raison. Il est donc important que les médias auxquels ils ont (peu) accès s’engagent, sur le plan citoyen, à expliquer les enjeux sociaux aux personnes les moins bien informées. Nous pensons également aux associations de première ligne, celles qui accueillent les familles et leurs enfants (maisons de quartier, écoles de devoirs, aides en milieu ouvert, services d’accrochage scolaire, médiateurs, …) qui peuvent avoir un rôle fondamental dans l’éducation des classes populaires. Leur faire prendre consciences des enjeux pour l’avenir de leurs enfants leur permettra de ne plus se laisser prendre pour des idiots par l’école qui, elle, a tout intérêt à ce que les parents ne puissent pas contester ses messages. Bref, qu’ils restent dans l’ignorance.

Cependant, les choses sont en train de changer. Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin notent que les familles dites « favorisées » sont beaucoup plus critiques par rapport au redoublement, en ce qui concerne leurs propres enfants. Elles seraient moins disposées à en accepter la décision d’office. Il commence à y avoir un scepticisme à l’égard du redoublement. Dans l’enseignement fondamental, de nombreux parents contestent les décisions de redoublement[4]

Géry Marcoux et Marcel Crahay [5] (2008) expliquent aussi l’adhésion des professeurs au redoublement car ils s’appuient « sur une conception pédagogique selon laquelle l’apprentissage se fait de façon linéaire avec emboîtement des connaissances brique après brique, des professeurs expliquent que le redoublement permet de récupérer les lacunes et de consolider les bases non encore acquises ». En 3e maternelle et en 1ère primaire, 80 % à 90 % des enseignants doutent de l’effet négatif du redoublement sur la confiance en soi d’un élève. Selon eux, un élève qui répète une année le vit rarement comme un échec. Selon eux, on ne « fait pas redoubler une troisième maternelle, on permet à l’élève de mûrir ». Pourtant, aucun professeur n’est formé pour évaluer la maturité d’un enfant. Il s’agit donc bien d’une croyance infondée, telle que le démontrent les parcours d’élèves maintenus en 3e maternelle :



Parcours d’élèves non maintenus en M3 versus parcours d’élèves maintenus
[6]

Comme on peut le voir sur ces graphiques, les élèves qui ont été promus en 1ère primaire (CP) sont 85 % à arriver en 4e année (CM1) sans passer par l’échec. Par contre, ceux qui ont été maintenus en 3e maternelle (grande section) sont un peu moins de la moitié à faire le même parcours. Pire, un quart d’entre eux connaît un second échec et un second quart est orienté vers l’enseignement spécialisé, alors qu’ils sont moins d’un pourcent chez les non maintenus.

Cette conception biaisée fait que le redoublement apparaît dès lors aux professeurs comme une solution adaptée pour solidifier les « bases » des élèves et leur faire gagner en « maturité » afin d’être plus aptes à comprendre les apprentissages et acquérir les compétences visées. « Reposant également sur cette conception cumulative des apprentissages scolaires, bon nombre de professeurs croient aux bienfaits du redoublement précoce[7]»  Comme si l’échec scolaire était un manque de maturité… des élèves ? Personne n’a, fort malheureusement, encore étudié la maturité des professeurs. Pourquoi ceux-ci pratiquent-ils l’échec scolaire alors que les enseignants, eux, ne le font pas. Et ces derniers[8] sont loin d’être des laxistes. Enseigner et transmettre les savoirs à tous les élèves nécessite un engagement professionnel et humain autrement plus important que ce que pratiquent les sélectionneurs. Tout le monde sait donner cours de quelque chose, par contre, enseigner est un art.

Pour Géry Marcoux et Marcel Crahay, « De multiples propos de professeurs traduisent la persistance de croyances sur les effets bénéfiques du redoublement. Celui-ci reste majoritairement vu comme une seconde chance. De manière synthétique, recommencer présenterait différents avantages liés au fait général de donner un supplément de temps. Ainsi, il serait bénéfique de donner du temps aux enfants pas assez mûrs, car on suppose que, durant l’année de redoublement, la maturité va s’acquérir. Il serait également bénéfique de donner du temps aux enfants qui ont des situations familiales difficiles à gérer: on protège ces enfants en ne rajoutant pas une difficulté supplémentaire à leurs problèmes. Le redoublement serait également une manière d’éviter une perte de confiance en soi (par rapport à une promotion qui l’affecterait nécessairement) ou d’aider à la restaurer par la répétition d’activités déjà connues, ce qui réduit la charge cognitive ou la « charge de travail » de l’élève et devrait contribuer à le rassurer sur ses capacités. [9]»

Le redoublement, c’est la roulette russe des professeurs, mais ils mettent le canon du revolver sur la tempe des élèves.

Depuis les années 80, les recherches ont démontré que les professeurs adaptent leurs exigences en fonction de l’établissement scolaire dans lequel ils travaillent, mais également en fonction du niveau moyen de leur classe. C’est une optique peu humaniste mais généralisée. Il leur faudrait, au contraire, se baser sur les plus « faibles » pour pouvoir s’assurer que tout le monde ait compris[10]. En effet, en visant l’élève « moyen », notion que personne au monde n’est capable de définir scientifiquement, il met la barre suffisamment haut pour pratiquer sa sélection, au détriment des plus « faibles ». C’est inéquitable. Non seulement parce que les élèves en difficulté ont été ignorés du début à la fin de l’apprentissage, mais selon la classe dans laquelle il se trouve et les exigences du professeur, l’élève sera placé en échec ou non. Deux élèves aux compétences et connaissances identiques, placés dans deux classes différentes seront pour l’un promu, pour l’autre mis en échec et contraint de redoubler.

Sur les exigences des professeurs en matière d’évaluation, Pierre Merle[11] rappelle que « les recherches sur la notation ont montré l’existence de biais sociaux de notation. Les professeurs sont inconsciemment influencés par le sexe de l’élève, un redoublement éventuel, son âge, son origine sociale, son niveau scolaire, ses notes précédentes, le niveau de la classe, de l’établissement » et, plus étonnant encore, son prénom, comme l’indique une étude intitulée « Name Stereotypes and Teachers’Expectations » dans laquelle deux chercheurs nord-américains ont démontré que les enfants étaient évalués différemment selon la manière dont leur prénom était perçu par leurs enseignants. Il est ainsi apparu qu’une même rédaction se voyait attribuer une note statistiquement supérieure lorsque son «rédacteur» portait un prénom «socialement désirable»[12].

De même on sait que les professeurs tiennent compte des exigences de leurs collègues suivants pour décider du sort d’un élève[13].  

On rappellera toutefois que dans le cadre de l’étude menée par Chenu et al. (2011), deux tiers des institutrices de 3e maternelle (grande section) prenaient en compte les attentes plus ou moins explicites de l’enseignant de première primaire (CP) en termes de maintien. La prise en compte des attentes implicites des collègues de la classe supérieure n’est pas l’apanage exclusif des institutrices de 3e maternelle. Comme le précise Marcel Crahay, « pour un professeur, l’évaluation est aussi un élément crucial dans sa relation avec ses collègues. Au moment de décider de la réussite ou de l’échec des élèves, il est confronté à un dilemme […] : faire échouer un élève dont le niveau de performance est à la limite de ce qu’il croit devoir exiger, c’est courir le risque d’interrompre inutilement la scolarité d’un élève, mais cette erreur possible […], il est fort peu probable qu’on la lui reproche. En revanche, laisser réussir ce même élève, c’est prendre le risque qu’il se montre incapable de suivre l’enseignement du collègue de la classe supérieure ; et là, la probabilité des reproches venant de collègues est bien plus élevée. On touche ici au cœur même de ce qu’il faut bien appeler une culture de l’échec. Un professeur chez qui tous les élèves réussissent est suspect.[14] »

Au quotidien, ces attentes prennent probablement des formes implicites, tacites. On peut penser que c’est aussi par empathie avec le collègue de l’année suivante que certains professeurs décident de ne pas laisser passer un enfant dont la gestion des difficultés risque d’être très lourde pour son collègue[15]. Marcel Crahay cite ensuite différents travaux qui montrent que quand l’enseignant monte avec sa classe, le redoublement est quasi-nul[16].

En résumé, la décision d’un redoublement ne dépend pas des performances d’un élève, mais avant tout des « exigences » du ou des professeurs qui sont, comme on l’a vu, fortement influencées par le niveau de l’école, de la classe et les caractéristiques socioéconomiques et physique de celui -ci. Elle dépend aussi des attentes implicites ou explicite des collègues de la classe supérieure.


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Chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] OpinionWay. Le redoublement à l’école, quels ressentis des enseignants et des parents. Sondage, Novembre 2012. URL http://www.apel.fr/images/stories/apel-opinionway-redoublement.pdf.

[2] Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin. Les apports de la recherche sur l’impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires au cours de la scolarité obligatoire. Rapport 14, Haut conseil de l’évaluation de l’école (HCéé), Décembre 2004.

[3] Thierry Troncin. Le redoublement : radiographie d’une décision à la recherche de sa légitimité. Dijon, Université de Bourgogne, 582 p., Thèse de doctorat, sous la direction de Jean-Jacques Paul. 2005.

[4] Rappelons qu’en Belgique, les parents ont le droit de s’opposer au redoublement tout au long de l’enseignement fondamental. Le CEB (Certificat d’Etudes de Base) que l’on passe à 12 ans est le seul moment de certification et donc de possibilité de redoublement pour un élève. 

[5] Géry Marcoux et Marcel Crahay. Mais pourquoi continuent-ils à faire redoubler ? essai de compréhension du jugement des enseignants concernant le redoublement. Revue suisse des sciences de l’éducation, 30 : 501–518, 2008.

[6] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[7] Géry Marcoux et Marcel Crahay. Ibid.

[8] Nous rappelons que nous faisons une différence fondamentale entre professeur et enseignant. Le professeur, pratique la sélection dans une compétition mortifère, tandis que l’enseignant enseigne… donc vise l’acquisition de tous les savoirs chez tous les élèves. Bref, la « réussite » de tous, contrairement au premier qui, de son côté, n’est pas formé ou ne s’est pas auto-formé pour enseigner. Pour savoir dans quelle catégorie vous situer, demandez-vous si vous pratiquez ou non le redoublement.

[9] Géry Marcoux et Marcel Crahay, Mais pourquoi continuent-ils à faire redoubler? Essai de compréhension du jugement des enseignants concernant le redoublement – Université de Genève, Université de Genève, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, 2008

[10] L’idée étant bien de s’assurer que tous les élèves, les plus « faibles » compris, aient acquis un niveau de compétences élevé.

[11] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes

[12] Cité in Le temps, https://www.letemps.ch/economie/lecole-supprimons-notes

[13] Chenu, F., Dupont, V., Lejong, M., Staelens, V. Hindryckx, G., & Grisay, A. (2011). Analyse des causes et des conséquences du maintien en 3e maternelle. Rapport de recherche. Administration Générale de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique.

[14] Crahay, M. (1996). Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? (1re éd.). Bruxelles : De Boeck.

[15] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[16] Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian, ibid.

Le redoublement – Dossier pédagogique

Le redoublement – Dossier pédagogique

Le redoublement est, avec les orientations précoces, le signe le plus visible de l’échec scolaire. La Belgique, et plus spécifiquement la Fédération Wallonie-Bruxelles, est constamment sur le podium des pays de l’OCDE qui font redoubler massivement et cassent[1] le plus d’élèves. Chaque année un peu moins de 60 000 élèves sont contraints de perdre une année de leur vie à recommencer une classe, 17 000 sont orientés précocement vers des filières de relégation dont ils ne veulent pas (spécialisé, technique ou professionnel) et un peu moins de 20 000 étudiants abandonnent sans diplôme du secondaire supérieur, complètement cassés par des échecs successifs générés par un enseignement trop souvent inefficace. Ils sont 14,8% en Région de Bruxelles-Capitale et 10,3% en Région wallonne ( contre 6,8% en Région flamande, soit 8,8% au niveau belge) [2] .

Même si la communauté scientifique débat sur la pertinence de leurs conclusions, les recherches sur les effets du redoublement montrent qu’au mieux, celui-ci est inefficace, au pire, c’est de la maltraitance[3]. Non seulement, il ne permet pas à un élève de « repartir du bon pied », mais il a l’effet inverse : un redoublement décourage, démotive et induit le « sentiment d’incompétence acquis » qui va bloquer le jeune, non seulement tout au long de ses études, l’empêchant d’apprendre, mais sans doute aussi le bloquer psychologiquement tout au long de sa vie professionnelle.

Comment se fait-il qu’au XXIe siècle (bien entamé) des professeurs considèrent encore que le redoublement soit efficace pour remettre l’élève à « niveau » ? Les résultats des pays en tête des enquêtes PISA ont largement démontré depuis des décennies que c’est le non-redoublement et son remplacement par des pratiques pédagogiques validées qui leur permettent d’afficher de tels taux de réussite. Pour les enseignants de ces pays, le redoublement est comparé aux supplices médiévaux et ils n’imaginent pas que des systèmes scolaires qui se disent développés utilisent encore de telles pratiques barbares.

Mais comme ces valeureux gaulois, nous résistons encore et toujours aux pratiques pédagogiques efficaces. C’est moins fatigant ; il ne faut pas enseigner, il suffit de casser de l’élève…

Quelle est l’importance du redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles ?

Comme le rappellent les indicateurs de l’enseignement, en Fédération Wallonie-Bruxelles, un enfant entre en première année primaire l’année civile durant laquelle il atteint 6 ans. Après un parcours de 12 ans, il devrait, en théorie, sortir de l’enseignement secondaire l’année de ses 18 ans. C’est loin d’être le cas le plus fréquent. Le pourcentage d’élèves à l’heure diminue de manière quasi linéaire dès la troisième maternelle[5] (M3). En cinquième et sixième années primaire (P5 et P6), près de 20 % des élèves sont en retard scolaire. En première secondaire (S1), le taux de retard s’élève à 29 %. Il est encore plus important en deuxième (36 %). En cinquième année, ce sont plus de 61 % des élèves qui ont dépassé l’âge légal de scolarisation.

L’abandon scolaire est un des effets du l’échec scolaire et par corrélation, du redoublement. En Fédération Wallonie-Bruxelles, parmi les élèves âgés de 15 à 22 ans en 2016‑2017 et qui fréquentaient une troisième, quatrième ou cinquième année de l’enseignement secondaire ordinaire de plein exercice en 2015‑2016, 5,1 % ne sont plus inscrits ni dans l’enseignement ordinaire de plein exercice ou en alternance (CÉFA), ni dans l’enseignement spécialisé en 2016‑2017[6].

Taux de redoublement, année après année, dans l’enseignement fondamental  et dans l’enseignement secondaire, en 2016-2017[7]

Chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Chapitre 4 : Le redoublement est-il efficace ?

Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] Même s’ils déplaisent –  et tant mieux s’ils choquent – nous utilisons intentionnellement des mots forts car ce sont les seuls à exprimer combien le redoublement est une véritable maltraitance et a des effets dramatiques sur l’avenir de nombreux élèves. Pour rappel, nous défendons les droits humains et ne sommes donc pas dans le consensus, mais dans un combat contre l’obscurantisme A-pédagogique (notez l’ἄλφα privatif) qui règne dans de nombreuses écoles et chez de nombreux professionnels.

[2] http://accrochagescolaire.brussels/le-ba-ba-de-laccrochage/indicateurs

[3] « Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées. » Le Tartuffe, III, 2 (v. 860-862)

[3] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2016/11/02/lechec-scolaire-est-une-maltraitance/   (Texte qui date de 2010)

[4] Source : Indicateurs de l’enseignement 2018 – En troisième maternelle, le taux de retard est le rapport (%) entre le nombre d’élèves de 6 ans et plus inscrits en maternel et le nombre d’élèves âgés de 5 ans et plus inscrits en maternel.

[5] Source : Indicateurs de l’enseignement 2018

[6] Source : Indicateurs de l’enseignement 2018

[7] La sixième primaire présente le taux de redoublants le plus bas. Cela peut s’expliquer par le fait que, sauf dérogation, les élèves de 13 ans ou ayant déjà redoublé en primaire passent directement en secondaire. Aussi, le taux d’obtention du CEB et l’entrée dans le premier degré différencié peuvent également expliquer les fluctuations du taux de redoublants observées en sixième primaire.

[8] Le faible taux de redoublants s’explique par la récente suppression de la première année complémentaire (1S). Parallèlement, le taux de redoublants est en nette augmentation pour les élèves qui fréquentent une deuxième.

Pour une école inclusive : l’apprentissage coopératif

Pour une école inclusive : l’apprentissage coopératif

1ère partie : qu’est-ce que l’apprentissage coopératif ?

Entre les deux guerres, de nombreux psychologues, philosophes et enseignants ont remis en cause les méthodes et pratiques de l’enseignement traditionnel car celui-ci ne réservait à l’élève qu’un rôle relativement passif [1]. Jean Piaget ainsi que Lev Vygotski notamment, ont démontré toute l’importance des interactions entre les élèves qui permettaient de susciter les apprentissages [2].

Ils ont donc émis l’hypothèse que les apprentissages des élèves seraient de meilleure qualité s’ils étaient actifs, dans un cadre collectif. L’apprentissage coopératif était né ! Les élèves ont été placés dans de petites équipes (ou groupes) et il leur était assigné un objectif commun[3].

Mais cela ne suffisait pas[4]. Pour faire réussir l’apprentissage coopératif, il fallait réunir cinq conditions de base : l’interdépendance positive, la responsabilité individuelle, la promotion des interactions, les habiletés sociales ou coopératives et les processus de groupe[5].

A ces cinq conditions de base, les enseignants cherchaient à développer des valeurs qui favorisaient l’apprentissage coopératif telles que le partage, l’entraide et le respect. Il s’agissait ainsi de viser, en plus, l’apprentissage des compétences coopératives. C’est ainsi que l’on parle aujourd’hui de pédagogie coopérative ou de pédagogie de la coopération.

Apprentissage coopératif vs apprentissage individuel

Pour faire comprendre ce que nous entendons par apprentissage coopératif, il nous faut la comparer aux formes les plus courantes d’apprentissage traditionnel à l’école.

1.     Le travail individuel

Dans l’apprentissage individuel, les élèves « travaillent » en fonction d’un objectif individuel, chacun pour soi, sous la supervision d’un enseignant. Ils ne sont responsables que d’eux-mêmes et leurs rapports les uns aux autres sont basés sur la compétition. Les interactions avec les pairs sont pour ainsi dire inexistantes, voire carrément interdites. Les élèves sont laissés à eux-mêmes et l’enseignant a peu de temps pour s’occuper de tous ceux qui ont des difficultés. L’entraide n’est pas au programme ou est exceptionnelle.

Sur le plan des apprentissages, seul le « travail » individuel est valorisé. Sur le plan comportemental, ce sont la docilité, la soumission aux exigences de l’enseignant et la capacité à se comporter en groupe sans déranger les autres qui sont valorisées.

Dans une classe compétitive, les objectifs pédagogiques sont liés de manière négative (pas de partage des ressources de la classe). Lorsqu’un élève atteint l’objectif, la probabilité que les autres l’atteignent diminue. Ceux qui mettent plus de temps que les plus rapides sont sanctionnés ou délaissés.

Dans les classes compétitives, les élèves sont motivés par le désir de vaincre, ou démotivés par le vain espoir de survivre. Comme dans toute compétition, les élèves ont tendance à attribuer leurs résultats à leur mérite ou leurs capacités (suffisantes ou insuffisantes, selon leurs résultats) ou à leurs efforts ou leur « incompétence ».

Les élèves sont motivés par le désir d’atteindre un certain niveau d’excellence ou, au contraire, sont démotivés parce qu’ils se comparent aux autres et sont convaincus qu’ils ne l’atteindront pas. Notre système scolaire encourage la compétition.

Dans ce système, la marge d’autonomie que les enseignants délivrent à leurs élèves est extrêmement réduite, tout comme la formation une citoyenneté responsable et participative.

2.     Le travail d’équipe

Le travail d’équipe traditionnel implique des interactions plus ou moins organisées entre les élèves. Cela peut être lors d’exercices individuels durant lesquels les élèves comparent leurs réponses, ou lors de tâches où chacun en effectue une partie de son côté, en classe ou à la maison, et qu’une mise en commun est effectuée. Cela peut être également organisé lors d’ « ateliers » où l’on se choisit par affinité.

Dans le travail d’équipe traditionnel, les élèves sont peu éduqués à la coopération. Ils travaillent ensemble occasionnellement et l’efficacité est relative. Certaines équipes sont plus efficaces car elles regroupent les élèves dits « forts », tandis que d’autres équipes ont plus de mal car elles se composent d’élèves moins scolaires. Les équipes sont souvent mises en compétition : il faut terminer avant les autres et le résultat doit être « meilleur ».

3.     Les structures coopératives

La coopération, dans tous les domaines et à fortiori à l’école, repose sur un système motivationnel basé sur l’entraide. Les élèves sont incités à s’entraider afin d’augmenter leur capacité à atteindre les objectifs fixés par l’école. C’est, par des efforts à la fois individuels et collectifs qu’ils vont tenter d’atteindre leur cible.

Dans une classe coopérative, les objectifs sont liés de manière positive (partage des ressources de la classe). Lorsqu’un élève atteint un objectif, la probabilité que les autres l’atteignent est augmentée de par le partage de ces ressources : tutorat, coopération, entraide, …

Tous les élèves qui essaient de contribuer au résultat final sont valorisés, quelles que soient leurs compétences initiales. Il n’y a pas de compétition et chacun est reconnu à part égale avec les autres. Chaque élève est valorisé au même titre que les autres membres de son équipe et bénéficie des mêmes résultats scolaires.

Puisque les élèves ne peuvent atteindre leurs objectifs personnels que si l’ensemble de l’équipe réussit la tâche, ceux-ci sont portés à s’entraider et à fournir le maximum d’effort.

Ceux qui aident les autres sont reconnus et appréciés. Ils sont incités à atteindre des niveaux de réussite élevés.

La marge d’autonomie que les enseignants délivrent à leurs élèves est de plus en plus élevée en fonction des compétences développées par les élèves au sein des équipes coopératives.

L’apprentissage coopératif peut être mis en place de l’entrée de la maternelle à la fin de l’université

Ce que nous entendons par apprentissage coopératif[7]

La pédagogie de la coopération est une forme d’organisation des apprentissages qui permet à de petites équipes hétérogènes d’élèves d’acquérir des apprentissages, grâce à une interdépendance qui nécessite une pleine participation de chacun à l’activité.

Les apprentissages exigent le plus souvent des ressources qu’aucun élève ne possède à lui seul. Ils ne peuvent, en principe, être résolus sans l’apport des autres. Aussi, chaque membre du groupe est responsabilisé pour qu’il apporte sa juste contribution à l’œuvre collective. Ces apprentissages s’acquièrent soit en participant à des tâches collectives structurées, soit par l’entraide au sein du groupe durant des apprentissages plus formels, en utilisant le tutorat, l’encouragement, … Cela permet aux élèves les plus lents de recevoir une aide qu’un enseignant ne peut pas toujours apporter à chacun d’entre eux.

L’apprentissage coopératif peut être mis en place de la maternelle à l’université.  

Bénéfices de l’apprentissage coopératif

Selon Isabelle Plante, de l’Université du Québec à Montréal[8] L’examen de près de 160 documents a révélé que la coopération procure des effets positifs non seulement sur le rendement des élèves, mais également sur leurs attitudes scolaires et leurs habiletés sociales et relationnelles[9].

Un des premiers bénéfices que l’on remarque quand on met en place dans sa classe des équipes coopératives, c’est l’accroissement de l’implication des élèves dans les apprentissages. Ils se sentent responsabilisés et, s’ils continuent à craindre l’échec, ce n’est plus sur le plan individuel. Au contraire, cela les motive pour mieux faire réussir l’apprentissage collectif. Aucun élève n’a envie d’être tenu pour responsable d’un échec collectif, fût-il momentané.

Sur le plan cognitif, l’interaction stimule l’activité cognitive dans l’apprentissage de concepts complexes. Les élèves s’apprennent les uns aux autres, et les uns des autres, en utilisant différentes méthodes : par la discussion, l’exemple, la confrontation de points de vues différents, de raisonnements adéquats ou inadéquats, ou encore la reformulation pour favoriser la compréhension des autres qui favorise l’intégration dans la mémoire. 

Sur le plan social, la coopération établit des relations sociales plus harmonieuses entre personnes ayant des spécificités ou provenant de milieux socioculturels différents. Les élèves considèrent davantage les qualités personnelles des autres que ce qui pourrait les différencier sur les plans physiques, ethniques, sociaux, … On observe l’éclosion d’une identité commune, puisque les apprentissages qu’ils font ensemble sont d’un intérêt commun et se font dans un but commun.

Cette identité commune engendre l’acceptation de la diversité et favorise l’intégration de tous dans un système inclusif, au-delà des appartenances particulières. Les élèves acquièrent ainsi une identité sociale qui les rassemble au lieu de les diviser en groupes distincts.

L’apprentissage coopératif forme les jeunes aux exigences d’une vie dans une société démocratique pluraliste. Les pratiques de la coopération reproduisent, en effet, les conditions de la vie relationnelle dans une société démocratique moderne. Les élèves y apprennent à la fois l’autonomie et la responsabilité via la coresponsabilité de la construction de leurs apprentissages. Ils apprennent également à assumer des rôles sociaux et à prendre des responsabilités dans leur environnement social. Les élèves acquièrent une capacité à dialoguer, à régler des conflits, à confronter des points de vue, à co-construire des aménagements sociaux et à participer à l’élaboration de lois et du vivre ensemble.

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[1] Slavin, Hurley, & Chamberlain, 2003, Sharan, 2010

[2] Laferrière, 2003;  Beaudrit, 2005; Peyrat-Malaterre, 2011

[3] Johnson, Johnson, & Smith, 2007; Rouiller & Lehraus, 2008; Sharan, 2010

[4] Gillies, 2004.

[5] Slavin et al., 2003 ; Johnson & Johnson, 2009

[6] Howden & Kopiec, 2000; Beaudrit, 2005 ; Rouiller & Lehraus, 2008 ; Sabourin & Lehraus, 2008 ; Rouiller & Howden, 2010;

[7] « La pédagogie coopérative est une approche interactive de l’organisation du travail […] où des étudiants de capacités et de forces différentes […] ont chacun une tâche précise et travaillent ensemble pour atteindre un but commun » (Howden et Martin, 1997, p. 6).

[8] Isabelle Plante, 2012 – L’apprentissage coopératif : des effets positifs sur les élèves aux difficultés liées à son implantation en classe.

[9] En contexte scolaire, chercheurs et praticiens reconnaissent depuis longtemps les bienfaits du travail d’équipe dit « en coopération » durant lequel les élèves apprennent les uns des autres (Aronson, Blaney, Stephin, Sikes, & Snapp, 1978; Brody & Davidson, 1998; Slavin & Tanner, 1979)

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