« Une fessée n’a jamais tué personne », « une bonne correction fait la bonne éducation »… Ces adages, encore trop présents dans notre culture, traduisent une vision dépassée, voire dangereuse, de l’éducation. Ils reposent sur l’idée qu’une dose de violence – physique ou psychologique – serait nécessaire pour bien élever un enfant. Pourtant, cette idée ne tient plus. Elle est non seulement inefficace, mais elle est aussi contraire aux droits fondamentaux des enfants.
Les violences dites « éducatives ordinaires » (VEO) – gifles, fessées, cris, humiliations, menaces – sont encore tolérées dans de nombreux foyers, sous prétexte qu’elles feraient partie de l’autorité parentale. Mais ce sont bel et bien des violences, qu’il faut nommer comme telles. Ce ne sont pas de “petites” violences. Elles sont banalisées, invisibilisées, mais leurs conséquences sont bien réelles. Elles nuisent au développement émotionnel, cognitif et affectif des enfants, compromettent leur sécurité intérieure, abîment leur confiance en eux… et transmettent l’idée qu’on peut obtenir l’obéissance par la peur.
Historiquement, l’enfant était vu comme une propriété du père, sur lequel pesait un « droit de correction » jamais consacré légalement mais socialement admis. Il obéissait, et le père pouvait punir. Aujourd’hui, cette conception est incompatible avec les valeurs d’une société démocratique et respectueuse des droits humains. L’enfant n’est plus un objet de droit, il est une personne à part entière, vulnérable, mais titulaire de droits fondamentaux reconnus par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, que la Belgique a ratifiée en 1991.
Pourtant, malgré les engagements internationaux pris, notre pays n’a toujours pas adopté de législation fédérale interdisant explicitement les violences dites éducatives ordinaires. Ce flou juridique est une faille grave. En 2003, 2015 et 2018, le Comité européen des droits sociaux a déjà rappelé à l’ordre la Belgique pour cette absence. Et en 2025, rien n’a changé : aucune loi claire, aucune interdiction explicite.
Les chiffres, eux, parlent d’eux-mêmes : en 2024, SOS Enfants a recensé plus de 6 154 signalements de violences éducatives. La réalité est d’autant plus alarmante que ces chiffres ne représentent que la partie visible de l’iceberg. Beaucoup d’enfants grandissent dans des environnements où la violence est encore perçue comme “normale”, voire “éducative”.
Face à cela, la Ligue des Droits de l’Enfant s’engage. Parce que défendre les droits des enfants, c’est aussi remettre en question des pratiques éducatives héritées, ancrées et nuisibles. Une éducation bienveillante ne signifie pas une absence de cadre ou de limites. Elle repose sur le respect, l’écoute, la fermeté sans brutalité, et le refus de toute forme de violence – même celle que la tradition a longtemps maquillée en “bonne intention”.
Aujourd’hui encore, certains justifient leur opposition à une telle loi en invoquant le respect de la vie privée, la crainte d’une ingérence dans le foyer, ou la peur de perdre l’autorité parentale. D’autres évoquent la complexité du paysage institutionnel belge ou la sensibilité de ce sujet dans l’opinion publique. Mais protéger un enfant n’a jamais été une ingérence. C’est un devoir. Ce n’est pas restreindre les parents, c’est les accompagner. C’est offrir des outils, des ressources, des alternatives : montrer qu’il est possible d’éduquer sans frapper, sans hurler, sans rabaisser.
Interdire les VEO, ce n’est pas imposer un modèle éducatif unique. C’est fixer une limite claire : aucune violence n’est acceptable dans la relation adulte-enfant. Ce n’est pas un combat idéologique, c’est une exigence de dignité humaine. C’est affirmer que la société n’a pas à tolérer ce qu’elle reconnaît comme inacceptable dans toutes les autres sphères de la vie.
L’éducation non violente ne fabrique pas des “enfants-rois”, elle forme des adultes équilibrés, autonomes et respectueux. Elle impose des règles, sans recourir à la violence. Elle cultive la confiance, la sécurité affective, l’estime de soi. Elle ne fait pas l’impasse sur les conflits ou les frustrations, mais elle y répond avec des outils respectueux.
Aujourd’hui, plus de 60 pays dans le monde ont déjà légiféré pour interdire toute forme de violence éducative. La Belgique, pourtant classée parmi les États les plus respectueux des droits de l’enfant, reste à la traîne. Ce retard est incompréhensible et inexcusable. La société civile se mobilise. Des voix s’élèvent. Des actions en justice, comme celle initiée en janvier 2025 par Défense des Enfants International – Belgique, rappellent l’urgence de cette réforme.
L’année 2025 doit être celle du changement. Une législation fédérale claire et ambitieuse est indispensable. Elle doit interdire sans ambiguïté toute forme de violence éducative, et s’accompagner d’une politique publique de sensibilisation, de formation et de soutien à la parentalité. Car la loi, seule, ne suffira pas. Il faudra aussi changer les mentalités. Déconstruire les habitudes. Ouvrir le dialogue. Offrir aux familles des repères et des ressources.
La Ligue des Droits de l’Enfant en fait une de ses priorités majeures. Chaque enfant a le droit de grandir dans un environnement sécurisé, respectueux et aimant. La violence n’a pas sa place dans leur éducation. Ce combat est celui de la dignité humaine, du respect de l’enfance, et de l’avenir même de notre société.
Protéger les enfants, ce n’est pas punir les parents. C’est construire ensemble une société plus juste, plus humaine, plus forte.