Appel au débat en vue d’une refondation de l’École

Appel au débat en vue d’une refondation de l’École

Dans la perspective des élections de mai 2014, les signataires de cet appel demandent aux hommes ou femmes politiques d’affirmer leur volonté d’ouvrir le débat en vue d’une refondation de l’École pour répondre aux défis de notre société.

« Les indicateurs de l’enseignement ainsi que plusieurs études (FRB, PISA…) montrent à quel point les disparités sont importantes et socialement liées en Communauté française.

Le quasi-marché scolaire et les enjeux de sélection implicitement présents dans tout le système amènent une reproduction dramatique des inégalités sociales qui se transforment en inégalités scolaires. »

En savoir plus : Appel au débat en vue d’une refondation de l’École (31/01/2014)

L’exclusion scolaire de l’enfant handicapé à la lumière des droits de l’enfant

L’exclusion scolaire de l’enfant handicapé à la lumière des droits de l’enfant

Communiqué de presse à l’occasion de la journée internationale des Droits de la Personne handicapée.

Lorsqu’on parle d’exclusion scolaire, on pense généralement à l’enseignement « ordinaire » et l’enfant handicapé est l’éternel oublié. Pourtant, en Fédération Wallonie-Bruxelles, de nombreux élèves sont privés d’école – et donc de leur droit fondamental à l’instruction – simplement parce qu’ils sont porteurs d’un handicap. Il s’agit d’une discrimination inacceptable qui frappe, non seulement ces jeunes qui sont déjà victimes de la Vie, mais également leurs familles toutes entières.

L’enseignement spécialisé n’est pas le seul système d’enseignement destiné aux élèves porteurs d’un handicap. En effet, la Convention des Nations Unies relative aux Droits des Personnes Handicapées (ratifiée par la Belgique en 2009) précise qu’elles doivent pouvoir, « sur base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire. [1]» Autrement dit, elles doivent pouvoir suivre une scolarité ordinaire, avec des enfants ordinaires, dans des écoles ordinaires, sans distinction de handicap (mental ou physique). C’est donc en contradiction avec le Droit international, que des écoles « ordinaires » refusent l’inscription d’élèves au motif qu’ils sont handicapés, ou les orientent en cours de scolarité vers l’enseignement spécialisé.

L’enseignement spécialisé, à son tour, ne se prive pas d’exclure sur les mêmes motifs : le handicap. On oublie souvent que, par rapport à leur population globale, les exclusions y sont 2,5 fois plus importantes que dans l’enseignement ordinaire. Il s’agit principalement d’enfants porteurs de troubles du spectre de l’autisme ou du comportement, ou d’enfants polyhandicapés. Quand ils ont de la chance, ces enfants sont accueillis dans des centres d’accueil de jour ou d’hébergement, mais il y a peu de places  adaptées.  Dans la majeure partie des cas, ces  élèves  sont

confinés au cercle familial et à la garde d’un parent qui, quant à lui, est obligé de perdre son emploi afin de se consacrer prioritairement à l’accompagnement de son enfant. Dans ces deux cas, le droit fondamental à l’éducation leur est refusé.

Il est temps que cesse la double peine. Le fait d’être porteur d’une différence physique ou intellectuelle, d’une autre manière d’être ou d’agir, est déjà assez lourd pour ces jeunes. Chaque enfant a le droit d’avoir accès à l’éducation sur base de l’égalité des chances, et doit pouvoir bénéficier, au sein du système d’enseignement général, de l’accompagnement nécessaire pour faciliter [son] éducation.

Parce qu’elle a ratifié les Conventions des Droits de l’Enfant et des Droits de la Personne Handicapée, la Fédération Wallonie-Bruxelles ainsi que toutes les institutions qu’elle organise ou subsidie a l’obligation de respecter les droits de tous les enfants, en mettant en œuvre les pédagogies actives nécessaires à leur épanouissement et en évitant toute forme de discrimination, à commencer par l’exclusion ou l’orientation-relégation.

En cette journée internationale de la personne handicapée, nous tenons à rappeler les droits des enfants porteurs d’un handicap à une éducation de qualité, mais aussi et surtout le devoir de notre société d’inclure et accueillir tous ses enfants, dès le plus jeune âge, sans discrimination, et dans le respect de la richesse de la diversité humaine.

Jean-Pierre Coenen – Ligue des Droits de l’Enfant

Cinzia Agoni – Inforautisme

Flavio Tolfo – Les briques du Gamp

Claire Borchgraeve – Gamp


[1] Les italiques sont des extraits de l’article 24 de la Convention des Nations Unies relative aux Droits des personnes handicapées.


L’exclusion scolaire de l’enfant handicapé à la lumière des Droits de l’Enfant

L’exclusion scolaire de l’enfant handicapé à la lumière des Droits de l’Enfant

3 décembre 2013 : Journée internationale de la personne handicapée

Lorsqu’on parle d’exclusion scolaire, on pense généralement à l’enseignement « ordinaire » et l’enfant handicapé est l’éternel oublié. Pourtant, en Fédération Wallonie-Bruxelles, de nombreux élèves sont privés d’école – et donc de leur droit fondamental à l’instruction – simplement parce qu’ils sont porteurs d’un handicap. Il s’agit d’une discrimination inacceptable qui frappe, non seulement ces jeunes qui sont déjà victimes de la Vie, mais également leurs familles toutes entières.

L’enseignement spécialisé n’est pas le seul système d’enseignement destiné aux élèves porteurs d’un handicap. En effet, la Convention des Nations Unies relative aux Droits des Personnes Handicapées (ratifiée par la Belgique en 2009) précise qu’elles doivent pouvoir, « sur base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire.[1]» Autrement dit, elles doivent pouvoir suivre une scolarité ordinaire, avec des enfants ordinaires, dans des écoles ordinaires, sans distinction de handicap (mental ou physique). C’est donc en contradiction avec le Droit international, que des écoles « ordinaires » refusent l’inscription d’élèves au motif qu’ils sont handicapés, ou les orientent en cours de scolarité vers l’enseignement spécialisé.

L’enseignement spécialisé, à son tour, ne se prive pas d’exclure sur les mêmes motifs : le handicap. On oublie souvent que, par rapport à leur population globale, les exclusions y sont 2,5 fois plus importantes que dans l’enseignement ordinaire. Il s’agit principalement d’enfants porteurs de troubles du spectre de l’autisme ou du comportement, ou d’enfants polyhandicapés. Quand ils ont de la chance, ces enfants sont accueillis dans des centres d’accueil de jour ou d’hébergement, mais il y a peu de places adaptées. Dans la majeure partie des cas, ces élèves sont confinés au cercle familial et à la garde d’un parent qui, quant à lui, est obligé de perdre son emploi afin de se consacrer prioritairement à l’accompagnement de son enfant. Dans ces deux cas, le droit fondamental à l’éducation leur est refusé.

Il est temps que cesse la double peine. Le fait d’être porteur d’une différence physique ou intellectuelle, d’une autre manière d’être ou d’agir, est déjà assez lourd pour ces jeunes. Chaque enfant a le droit d’avoir accès à l’éducation sur base de l’égalité des chances, et doit pouvoir bénéficier, au sein du système d’enseignement général, de l’accompagnement nécessaire pour faciliter [son] éducation.

Parce qu’elle a ratifié les Conventions des Droits de l’Enfant et des Droits de la Personne Handicapée, la Fédération Wallonie-Bruxelles ainsi que toutes les institutions qu’elle organise ou subsidie a l’obligation de respecter les droits de tous les enfants, en mettant en œuvre les pédagogies actives nécessaires à leur épanouissement et en évitant toute forme de discrimination, à commencer par l’exclusion ou l’orientation-relégation.

En cette journée internationale de la personne handicapée, nous tenons à rappeler les droits des enfants porteurs d’un handicap à une éducation de qualité, mais aussi et surtout le devoir de notre société d’inclure et accueillir tous ses enfants, dès le plus jeune âge, sans discrimination, et dans le respect de la richesse de la diversité humaine.

Jean-Pierre Coenen – Ligue des Droits de l’Enfant

Cinzia Agoni – Inforautisme

Flavio Tolfo – Les briques du Gamp

Claire Borchgraeve – Gamp

[1] Les italiques sont des extraits de l’article 24 de la Convention des Nations Unies relative aux Droits des personnes handicapées.

6e Journée du refus de l’échec scolaire : L’échec scolaire est une maltraitance

6e Journée du refus de l’échec scolaire : L’échec scolaire est une maltraitance

Communiqué de presse 23 septembre 2013

Chaque année, l’institution scolaire maltraite plus de 100 000 élèves

60 000 enfants sont poussés au redoublement ;

17 000 élèves subissent une orientation contrainte ;

20 000 jeunes décrochent et quittent l’école sans diplômes ;

2 600 à 3000 élèves sont exclus ou subissent un refus d’inscription ;

Un millier d’enfants socialement défavorisés sont orientés vers l’enseignement spécialisé.

L’éducation est un Droit pour tous les enfants et doit s’exercer sur base de l’égalité des chances[1]. A ce titre, chaque enfant a le droit d’accéder aux mêmes savoirs que les autres élèves et à recevoir une formation citoyenne de la même qualité sans échec, redoublement ou orientation précoce (au moins avant 16 ans). L’Ecole a pour mission d’assurer l’accès à ce droit fondamental pour TOUS les enfants, quelles que soient leurs origines sociales ou économique, leurs difficultés d’apprentissage, leurs qualités scolaires, etc.

L’échec scolaire doit être considéré comme un mauvais traitement. Il engendre des effets psychologiques graves qui relèvent de la brutalité mentale[2]. En reproduisant, voire amplifiant les inégalités sociales, il est une entrave importante à l’épanouissement personnel[3] des jeunes et, en ne mettant pas en place les pratiques pédagogiques indispensables à la réussite de tous, les écoles sont responsables de négligence.

Il a été largement démontré que TOUS les élèves sont capables d’apprendre[4]. Mais toutes les écoles ne sont pas capables d’enseigner à tous les élèves. Choisir d’enseigner de manière frontale, en mettant les élèves en compétition et pratiquant la sélection, est un choix politique et idéologique que font ces « fabriques d’échecs ». Il s’agit de maintenir un système social qui ne profite qu’aux classes sociales les plus nanties.

Il est tout-à-fait possible d’atteinte la « réussite » de tous[5] les élèves. Il faut, pour cela, changer de paradigme et passer aux pédagogies actives qui favorisent la coopération plutôt que la compétition. Dans un système scolaire efficace, càd à pédagogie active, l’échec scolaire est rare.

[1] Article 28 de la Convention internationale des Droits de l’Enfant traitant de l’éducation.

[2] Est maltraitance « Toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalité physique ou mentale, d’abandon, de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle. » Article 19 de la Convention internationale des Droits de l’Enfant

[3] Est maltraitant tout comportement et/ou attitude qui ne tient pas compte de la satisfaction des besoins d’un enfant et constitue par le fait même une entrave importante à son épanouissement L’aide aux enfants victimes de maltraitance – guide à l’usage des intervenants auprès des enfants et des adolescents – Communauté française 2002. http://www.yapaka.be/files/ta_guide.pdf

[4] Piaget, Bloom, les systèmes à tronc commun ont démontré que tous les élèves étaient capables d’apprendre.

[5] Par le terme de « réussite », il ne faut pas entendre « avoir les points », mais « avoir acquis tous les savoirs ».

Tous les élèves sont doués pour l’étude

Tous les élèves sont doués pour l’étude

L’époque où l’on pouvait penser que certains élèves étaient doués pour l’étude et d’autres pour faire des métiers manuels voire artistiques est révolue depuis plus d’un demi siècle. Bien sûr, les croyances traditionnelles sont dures à éradiquer.

Les croyances en matière de psychologie ont profondément influencé l’Ecole au début du XXe siècle. Des pédagogues français comme BINET et WALLON, suisse comme CLAPAREDE et, dans une moindre mesure belge comme DECROLY postulaient que les êtres humains naissaient doués d’aptitudes diverses qui prédestinaient leur avenir.

Ces théories sont aujourd’hui à ranger au musée de l’histoire de la pédagogie depuis le début des années 60 (cela fait quand même un demi-siècle). C’est le suisse PIAGET qui a posé les balises d’une nouvelle approche psychologique du développement intellectuel de l’être humain. Grâce à lui, on sait aujourd’hui que l’intelligence n’est pas quelque chose d’innée mais qu’elle se construit. Le jeune enfant vient au monde avec un capital d’outils intellectuels rudimentaires. Durant son évolution il devra s’adapter au monde qui l’entoure et chercher à le comprendre. Cela lui permettra d’enrichir ses compétences et d’approfondir ses connaissances. Son entourage (parents, éducateurs, enseignants et condisciples) vont lui permettre de reconstruire les conquêtes intellectuelles de l’humanité. Il va réinventer le concept de nombre, les notions de surface, de volume, etc ; les concepts et théories qui, pour nous, paraissent évidents.

BLOOM, comme de nombreux scientifiques, a mené des expériences appuyant les principes de PIAGET prouvant que tous les élèves sont doués pour l’étude. Celui-ci a constitué trois groupes d’élèves au hasard. Ceux-ci étaient composés de manière équivalente d’élèves prétendument « forts », d’autres « moyens » et enfin de « faibles ». Aux trois groupes on a enseigné les mêmes matières mais de manière différente.

Le premier groupe a reçu un enseignement « traditionnel ». Les élèves étaient regroupés dans une classe comme nous les connaissons tous, avec des enseignants donnant des cours frontaux sans remédiation immédiate ni aide particulière.

Pour le second groupe, la matière à enseigner à été découpée par unités d’apprentissage. Chacune d’elles était enseignée collectivement, mais, à la fin de chaque unité, les élèves étaient soumis à une évaluation formative et bénéficiaient de remédiations s’il n’avait pas compris. On nomme cette façon de procéder Pédagogie de maîtrise.

Chaque élève du troisième groupe bénéficiait d’un précepteur choisi pour ses compétences et soigneusement formé.

Les trois groupes ont été soumis aux mêmes tests finaux. On a constaté que les élèves du premier groupe ont progressé selon des proportions variables, tout comme nos élèves dans la majorité de nos classes qui enseignent en « frontal ». On a donc ainsi obtenu une distribution gaussienne des résultats avec quelques « très bons » élèves, un ventre mou d’élèves « moyens » et quelques en échec.

Dans le second groupe, la distribution des résultats s’approchait d’une courbe en J. La majorité des élèves ont un score proche du maximum.

Le troisième groupe obtient, bien évidemment, les meilleurs résultats, au point que les plus faibles de ce groupe atteignent des résultats équivalents à ceux des plus forts du premier groupe.

On ne peut, évidemment, généraliser le préceptorat. C’est impayable et peu intéressant en terme d’apprentissages sociaux. Mais il a le mérite de démontrer que tous les élèves sont doués pour l’étude si on les met dans les conditions d’apprendre. Le préceptorat a également pu démontrer la puissance de l’enseignement : des enseignants compétents peuvent faire réussir tous les élèves.

L’efficacité de la pédagogie de maîtrise a été démontrée. Appliquée dans des classes normales (comme celles que nous avons dans nos écoles) ce dispositif permet d’atteindre des résultats nettement supérieurs à ceux que nous atteignons aujourd’hui avec la « pédagogie inactive », càd frontale et sans remédiations. Un élève peut réussir lorsqu’il est placé dans des conditions normales d’enseignement.

Les systèmes à tronc commun jusqu’à la fin de la quatrième secondaire ont démontré cette réalité : tous les élèves sont doués pour l’étude. Non seulement le redoublement n’existe pas dans ces systèmes mais les résultats de leurs élèves sont parmi les meilleurs des pays de l’OCDE.

Conclusion

 Tous les élèves[1] sont capables de réussir un enseignement général.

C’est une simple question de choix de l’école.

Lorsqu’on veut faire réussir les élèves et leur donner les savoirs et savoir-faire auxquels ils ont droit pour acquérir les compétences définies par les programmes, c’est tout à fait possible. Il suffit de mettre en place une pédagogie adaptée, càd une pédagogie active, une pédagogie de la réussite.

[1] Les seuls à ne pas pouvoir y arriver sont les jeunes porteurs d’un handicap mental. Même s’ils n’auront jamais leur diplôme, ils sont, quant à eux, capables d’apprendre à vivre avec les autres jeunes, dans une structure scolaire commune jusqu’à 18 ans. Pour plus d’information : https://www.liguedroitsenfant.be/category/integration-scolaire/

L’échec scolaire ne sert que l’école

L’échec scolaire ne sert que l’école

Prost (1989) a postulé que la menace de l’échec serait le moteur du travail des élèves. Et pour que la menace soit crédible, il faut qu’elle soit appliquée sur un certain nombre d’élèves. Bref, le redoublement ne sert pas tant aux élèves qui en sont victimes mais à tous les autres et les enseignants auraient besoin de pouvoir brandir cette menace pour les « faire travailler ».

Pour Prost « l’orientation par l’échec ne constitue pas une anomalie, mais au contraire un trait constitutif de notre système, celui-ci s’en accommode. Mieux, il en tire parti pour faciliter son propre fonctionnement, et peut-être même cesserait-il de fonctionner s’il cessait d’orienter par l’échec, c’est-à-dire s’il perdait le droit de pouvoir refuser aux élèves les sanctions qu’ils demandent.

Cette crainte est présente chez les enseignants. L’enquête menée par Stegen (1994) auprès de 263 enseignants de la CFWB, 62 % d’entre eux estiment que la suppression du redoublement en début de secondaire, préconisée par le -Ministre de l’Education de l’époque, entraînera un nivellement vers le bas.

Selon Draelants (2006[1]) l’attachement au redoublement en Belgique francophone satisfait des fonctions latentes essentielles : gestion de l’hétérogénéité et tri des élèves au sein des établissements ; positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; régulation de l’ordre scolaire au sein des classes ; maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants.

Paul et Troncin (2004) se demandant comment aseptiser, en profondeur et dans les meilleurs délais le redoublement en France en ont conclu que les changements d’organisation, voire l’accroissement des moyens, ne sont rien face au comportement de l’acteur essentiel à l’école qu’est l’enseignant. Si l’enseignant n’adhère pas au changement, nos procédures sont telles que peu de choses évolueront au sein de la classe.

Précisons à la décharge des enseignants adeptes du redoublement, qu’une large fraction des parents – en particulier ceux qui tirent parti de la sélectivité scolaire – manifeste un grand attachement au redoublement. Bourdieu et Passeron (1970) précisent que  pour certaines familles, généralement celles issues des milieux sociaux les plus privilégiées, l’échec scolaire d’une partie des élèves, l’inégalité des formations n’est pas l’échec du système d’enseignement mais au contraire le signe de sa réussite par rapport à ce qu’[ils] en attendent, c-à-d. maximiser maintenir leur position sociale au détriment des classes les plus modestes. Draelants précise que [cette] demande parentale de sélectivité,…, stimule l’offre et participe au maintien de pratiques élitistes dans certaines classes et établissements préoccupés d’attirer le public le plus ajusté aux attentes de l’école.

Pour Dubet (2002), l’enseignant aurait de « bonnes raisons » de croire dans les vertus du redoublement quand bien même les études démontrent largement le contraire. Dans le meilleur des cas (une minorité d’élèves), l’élève redoublant sera un peu « meilleur » dans son année de redoublement. Il s’agirait donc d’observation et de bon sens. En fait, l’enseignant compare le même élève dans la même classe alors que le chercheur procède tout autrement en comparant deux élèves dont les niveaux ont été testés et qui sont considérés comme « identiques », dont l’un a redoublé et l’autre pas. Il démontre ainsi que le second réussit mieux. Le chercheur a incontestablement raison puisqu’il établit une comparaison scientifique mais l’enseignant n’a pas tout-à-fait tort de penser le contraire puisqu’il voit que « son » élève a progressé. Seulement, il ne peut le comparer à rien et de ce fait ne peut se rendre compte que le non-redoublement lui aurait été bénéfique.

Pour Dubet (2002) il y aurait une seconde famille de raisons qui fondent la croyance des enseignants. [Les enseignants] sauvent des croyances essentielles que l’expérience la plus banale ne confirme pas, mais qu’il est indispensable de maintenir pour continuer à vivre dans l’école. Ce sont des fictions nécessaires que la connaissance ne peut franchir facilement. Le système des fictions nécessaires de l’école démocratique repose sur deux piliers, sur deux principes considérés comme indiscutables et non démontrables : un principe d’égalité, tous les élèves sont fondamentalement égaux et peuvent prétendre aux mêmes choses ; un principe de mérite, fondant des inégalités justes. Le problème tient évidemment au caractère contradictoire de ces deux principes car, pratiquement, il convient de classer les élèves et d’affirmer leur égalité, ce qui oblige à expliquer leurs inégalités de performances comme les conséquences de leur liberté. Professeurs et élèves s’accordent sur cette fiction grâce aux vertus du travail, considérant que les différences scolaires tiennent à la quantité de travail que les élèves engagent librement dans les exercices scolaires : tous les élèves sont égaux et les meilleurs sont ceux qui travaillent le plus. » Malheureusement, la science a largement démontré l’inexactitude de cette fiction. Les élèves sont loin d’être égaux et le travail n’est guère un gage de réussite. Dubet conclus que les enseignants ont de « bonnes raisons » de croire dans les vertus du redoublement mais qu’ils n’ont pas raison. Ceux-ci demeurent responsables.

Pour Draelants (2006), les grandes fonctions latentes du redoublement sont au nombre de quatre :

  1. Fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements

Delvaux (2000) a montré que dans le système éducatif belge francophone, le redoublement et l’orientation forment deux outils de gestion de la grande hétérogénéité des publics scolaires. Il contribue à l’homogénéité des classes. La suppression du redoublement en première secondaire a forcé les enseignants à devoir gérer des classes plus hétérogènes. Ce changement a compliqué le travail des enseignants qui étaient auparavant habitués à travailler avec des publics sélectionnés. La sélection des meilleurs élèves peut s’expliquer par une lutte contre les dégradations des conditions de travail des enseignants. Au détriment de ceux qui, se situant dans les enseignements technique et professionnels, auront à gérer des élèves broyés, cassés par leurs collègues « des bonnes écoles ». Ce que les uns ne veulent pas assumer, les autres n’auront qu’à faire avec.

  1. Fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants

Selon Draelants, le redoublement peut servir de ressource stratégique à un établissement scolaire pour se construire une place et une réputation dans le champ des organisations scolaires locales. La production de hiérarchies d’excellence est recherchée par certains établissements scolaires afin d’asseoir leur positionnement et leur image au sein de l’espace d’interdépendance qui les relie aux établissements environnants. (…) Lorsqu’un établissement utilise le mécanisme du redoublement afin de se positionner dans un espace local, le recours (ou non) au redoublement s’inscrit dans une double logique : instrumentale d’une part, lorsque l’établissement vise « simplement » à occuper une place déterminée dans une hiérarchie instituée, symbolique d’autre part, dans la mesure où se construire une place passe aussi par le fait de se définir une image, une réputation, dans un processus de construction d’une identité d’établissement. A cet égard, on peut dire que le redoublement fonctionne comme un marqueur, un signal au sens des économistes, qui en l’occurrence renvoie à l’idée de qualité.

  1. Fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe

Nous avons vu que Prost (1989) a postulé que, selon les enseignants, la menace de l’échec serait le moteur du travail des élèves. Dans les faits, les enseignants se sont appuyés sur la pratique du redoublement afin d’asseoir leur autorité auprès des élèves. La croyance selon laquelle l’interdiction du redoublement en première secondaire allait niveler vers le bas et permettrait aux élèves de réussir sans travailler traduit une vraie tradition basée sur le principe de la menace. La remise en cause du redoublement bouleverse donc les rôles jusque là établis et soutenus par ce dispositif, et redistribue les cartes du pouvoir. Les élèves contribuent à maintenir le système. Ceux-ci ont été formatés par les pratiques traditionnelles d’évaluation et de sélection un rapport essentiellement instrumental aux savoirs et à la scolarité (Charlot 2002). Bref, les élèves fonctionnent « à la note » et non aux apprentissages. Les notes sont la manière dont la plupart des enseignants évaluent le – non les savoirs et les savoir-faire – mais le travail et le comportement de leurs élèves. Les élèves sont donc formatés pour ne pas apprendre mais pour « gagner des notes ». Draelants conclus que (…) on peut que l’attachement au redoublement est d’ordre pragmatique : dans les conditions actuelles des rapports entre enseignants et élèves et dans un système qui valorise la note, il est difficile de s’en passer, de fonctionner autrement.

Nous faisons le pari que l’évaluation sans notations est plus performante et permet à plus d’élèves d’acquérir les savoirs, les savoir-faire et les compétences[2].

  1. Fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants

Pour Draelants (2006), si l’enseignants ressent une perte de pouvoir en classe dans sa relation aux élèves, collectivement les enseignants se sentent également de plus en plus dépossédés de leur métier compte tenu d’une pression plus forte que par le passé émanant d’une part des autorités politiques (Maroy & Cattonar, 2002) et d’autre part des parents, des élèves et de la société en général (Dauphin & Verhoeven, 2002).(…) Face à (…) l’abolition des anciens repères, certains enseignants résistent afin de conserver la maîtrise de leur profession. Ainsi l’attachement manifesté par les enseignants vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être. Le redoublement apparaît comme un des instruments de la sélection méritocratique qui, elle-même, symbolise un certain pouvoir enseignant et modèle de fonctionnement du système scolaire aujourd’hui en crise.

Conclusion

 Le redoublement ne sert, en réalité, que des acteurs qui ne bénéficient pas du droit à l’éducation : P.O, directions, voire certains enseignants ou encore des familles socialement favorisées qui ne voient leur réussite sociale qu’au travers du prisme de l’échec des enfants des familles moins favorisées.

 Le redoublement est donc mis en place exclusivement pour permettre à l’institution scolaire de ne pas remplir correctement sa mission tout en reportant les responsabilités sur les élèves redoublants et leurs familles

[1] Hugues Draelants Le redoublement est moins un problème qu’une solution – Comprendre l’attachement social au redoublement en Belgique francophone Les Cahiers de Recherche en Education et Formation GIRSEF.

[2] Philippe Perrenoud – La fabrication de l’excellence scolaire :du curriculum aux pratiques d’évaluation.
Vers une analyse de la réussite, de l’échec et des inégalités comme réalités construites par le système scolaire
Genève, Droz, 1984, 2e édition augmentée 1995.

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