1. Les défis posés par l’accueil d’un élève avec déficience intellectuelle dans l’enseignement ordinaire

Progresser dans le sens d’une éducation inclusive à l’école va demander

  • D’articuler les objectifs définis pour l’ensemble des élèves avec les objectifs plus particuliers de l’élève avec déficience intellectuelle
  • D’utiliser les outils et ressources existant dans chaque classe, dans chaque école pour mettre en place un programme répondant aux besoins de tous
  • Se référer aux compétences transversales (savoir écouter, savoir raconter en choisissant les bons supports, savoir poser des questions, etc.)  pour construire sa démarche méthodologique
  • Construire un bulletin axé sur la progression dans les compétences et élaborer un portfolio pouvant suivre l’élève tout au long de sa scolarité
  • Penser une progression de l’élève avec déficience intellectuelle sans viser nécessairement l’obtention d’une certification finale (CEB,…)
  • De se rappeler que tout enfant apprend mieux par plaisir et curiosité et que la sphère relationnelle et émotionnelle doit être prise en considération à tout moment
  • Croire dans les potentialités de tout enfant et proposer des défis d’apprentissage : les recherches scientifiques basées sur un suivi longitudinal de cohortes d’élèves, montrent que des apprentissages sont possibles au niveau de la littératie et de la numératie.
  • Penser en termes de parcours de vie en prenant en compte les besoins de l’enfant une fois celui-ci devenu adulte et ne le conduire pas à pas vers l’autodétermination
  • Modifier radicalement notre mode de partenariat avec les parents et ce, dès l’annonce de la déficience : en effet, la manière dont ceux-ci sont amenés à découvrir le handicap et à exercer leur parentalité face à cet enfant va les conduire ou non à aborder le monde scolaire de manière positive et dans une optique d’éducation inclusive. Se rappeler aussi que les structures précédant l’école (crèches, pré-gardiennats) doivent également concevoir une approche inclusive.
  • Sensibiliser les pairs de l’élève à ce qu’implique la déficience afin de développer des interactions positives entre élèves
  • Sensibiliser les autres parents et rencontrer leurs craintes quant à l’impact d’un enfant avec déficience intellectuelle sur le groupe-classe en montrer les effets bénéfiques pour tous les élèves
  • Permettre à l’élève avec déficience intellectuelle de rencontrer d’autres élèves ayant des caractéristiques de fonctionnement similaires
  • Veiller à assurer dès le départ de l’accueil de l’élève en enseignement ordinaire, un suivi tout au long de sa scolarité sans devoir se baser uniquement sur la bonne volonté d’un seul enseignant mais en impliquant toute l’équipe éducative
  • Arrêter de faire de l’intégration un privilège pour l’enfant et sa famille : l’accueil en enseignement ordinaire est un droit      
  • Rencontrer les peurs et questionnements des enseignants, les informer, leur donner des ressources adéquates et les aider de manière pragmatique (accompagnement sur site). A cet égard, il s’agit de mieux coordonner les ressources existantes et les rendre accessibles.
  • Réfléchir à la manière dont les ressources de l’enseignement spécialisé peuvent être mises à disposition de l’enseignement ordinaire et de manière plus générale, envisager l’avenir de la structure de l’enseignement spécialisé (soutien en enseignement ordinaire, accueil d’élèves en situation de handicap très sévère, intervention d’enseignants chevronnés dans la formation, etc.)
  • Avoir un engagement clair de la part des pouvoirs organisateurs dans le sens d’une évolution vers un enseignement inclusif
  • Associer tous les acteurs concernés dans la communauté scolaire et autour de celle-ci (services d’aide précoce, services d’aide à l’intégration, CRF mais aussi les médecins généralistes, neurologues pédiatres). Plusieurs de ces acteurs sont amenés à jouer un rôle de facilitateur, de médiateur dans le dispositif d’intégration.
  • Quels sont les apports du Pacte pour un enseignement d’excellence ?

Tout comme le rappelle l’avis d’UNIA du 15 mars 2017, le Pacte confond intégration et inclusion. De plus, la volonté est de limiter le nombre d’élèves dans l’enseignement spécialisé à ceux pour lesquels des aménagements raisonnables dans l’enseignement ordinaire ne s’avèrent pas suffisants (p 236 du Pacte).

Le Pacte ne propose pas une stratégie bien définie pour faire évoluer notre enseignement vers un enseignement plus inclusif.

Le Pacte fait la distinction entre aménagements imposables et aménagements conseillés, ce qui ne correspond pas à la Convention : les aménagements sont obligatoires dans tous les cas et doivent être mis en place dès qu’ils sont sollicités.

Ceci étant,  potentiellement positifs, à savoir

  • Le renforcement du partenariat parents-professionnels ;
  • L’idée d’un dossier unique qui suivrait l’enfant tout au long de sa scolarité
  • Le rôle d’une expertise en orthopédagogie qui viendrait de l’enseignement spécialisé
  • L’obligation d’accueil et de mise en place d’aménagements dans le cadre de pôles régionaux : l’idée serait donc de développer des écoles inclusives par pôles territoriaux. Cette formule risque évidemment de conduire au regroupement d’élèves dits à besoins spécifiques dans des écoles que l’on qualifierait d’inclusives !
  •  Stigmatisation de l’élève : les procédures d’évaluation et d’orientation

Sans nier la nécessité d’une évaluation correctement menée et de manière pluridisciplinaire, il importe de quitter un mode d’évaluation uniquement centré sur le relevé de déficiences et l’indication des écarts par rapport à une norme (vision très statique) pour adopter une évaluation plus qualitative et fonctionnelle des compétences de l’enfant en termes de profil des forces et faiblesses. L’évaluation ne doit pas contribuer à exclure l’enfant : nous observons encore beaucoup trop souvent que c’est sur la seule base du quotient intellectuel qu’un enfant est orienté vers l’enseignement spécialisé.

Une telle démarche évaluative plus qualitative va permettre de réfléchir aux adaptations qu’il s’agira de mettre en place en classe.

Ce travail d’évaluation demande du temps et donc des moyens financiers.

Par ailleurs le développement d’un dossier unique de l’enfant, qui puisse le suivre et dans lequel sont consignés ses progrès, quel que soit le service fréquenté est nécessaire pour assurer une coordination et une cohérence des interventions dans le temps. Pour faciliter le partage entre les divers intervenants, on peut concevoir un dossier informatisé.

Il serait donc important que les formations données aux psychologues et aux neuropsychologues soient davantage axées sur une évaluation dynamique. En particulier les psychologues des CPMS et des centres agréés ne devrait plus pratiquer l’orientation sur la seule base d’un diagnostic s

Par ailleurs, l’ensemble des professionnels devraient mieux connaître les enjeux de l’intégration et ceux de l’inclusion. Ces professionnels doivent prendre conscience que toute stigmatisation de l’élève comme « incapable » va marquer la personne à vie.

  • Organiser le curriculum de l’élève : quels apprentissages faut-il privilégier et comment ?

Il s’agit d’approcher toute élève dans sa globalité avec un projet pense de manière personnalisée. Le PIA est vu comme un outil rassembleur (et obligatoire) avec consignation des attentes des parents et de l’élève, la reconnaissance des divers obstacles aux apprentissages ainsi que les moyens pour tenter de les surmonter. Ce PIA est aussi un outil de communication avec le C.PMS et les divers partenaires extérieurs. C’est un outil de formation réflexive. Il doit bien entendu reprendre les objectifs visés, les moyens que l’on va dégager, la répartition des rôles de chacun, des critères sur lesquels portera une évaluation ainsi qu’un échéancier. Idéalement ce PIA sera rédigé dans un langage accessible à tous, dont l’élève.

Les apprentissages sont à promouvoir tant sur le plan cognitif que socio-émotionnel et ils doivent permettre de maintenir une bonne qualité de vie tant pour l’élève que pour sa famille.

Les contenus vont concerner les domaines du lire, écrire et calculer, la communication, la socialisation, l’autonomie (capacité à faire des choix) et l’indépendance fonctionnelle, l’acquisition de repères spatio-temporels, l’acquisition de compétences transversales et disciplinaires permettant d’amplifier les domaines de l’estime de soi, de l’autodétermination, du sentiment d’efficacité personnelle. La pédagogie devra s’adresser aux divers sens (ouïe, vue, tact, odorat et goût). Il faut laisser l’enfant avec déficience intellectuelle progresser à son rythme en s’appuyant sur ses capacités développementales, en pensant à la nécessité des répétitions pour consolider les acquis et en privilégiant les supports visuels.

Il faut encourager l’investissement des espaces extérieurs en continuité avec l’espace de la classe et comme support à divers apprentissages favorisant la mobilisation de différentes formes d’intelligence.

La pédagogie par projets, le travail coopératif (spontané et organisé) et le tutorat seront ainsi facilités.

L’apport d’une approche différenciée dans l’enseignement est aussi reconnu comme favorisant les apprentissages de tous.

Comme la littérature le recommande, il faut laisser l’enfant dans sa classe d’âge.

Enfin, il est important que l’élève soit correctement installé en classe : l’aide d’un ergothérapeute ou d’un kinésithérapeute peut s’avérer très utile.

  • Organiser l’école

Il parait nécessaire de penser les soutiens présents dans l’école et dans la classe comme non stigmatisant pour un élève en particulier. La personne ressource devrait donc travailler avec le groupeclasse. Par ailleurs il s’agit d’éviter de sortir l’élève de son groupe-classe pour des activités plus individuelles.

Il faut bien entendu disposer de moyens financiers adéquats pour mettre en place certaines adaptations et disposer du matériel nécessaire, sans que l’enseignant n’ait à payer du matériel de ses propres deniers.

L’idée de donner un pot aux écoles pour leur permettre d’en disposer et se donner les moyens humains et matériels nécessaires est évoquée. Le maître mot est la souplesse, par exemple au niveau de la répartition des heures de l’enseignant qui accueille des élèves avec déficience intellectuelle dans sa classe.

L’engagement d’orthopédagogues (niveau bachelier) et d’orthopédagogues cliniciens (niveau master)  réfléchir l’organisation de la classe et de l’école, apporter les ressources complémentaires utiles en fonction des besoins, coordonner les interventionsun partenariat avec les familles.

Parmi les ressources externes à l’école, les services d’aide précoce, les services d’aide à l’intégration, les CRF, et d’autres services (asbl, services hospitaliers) tentent d’apporter une aide. Les conseillers pédagogiques ont un rôle important à jouer. Les associations de parents devraient aussi contribuer à l’évolution de l’école vers une école inclusive.

En lien avec le projet autour de l’enfant et avec lui, il s’agit de dégager un temps de concertation entre les divers acteurs dans le fonctionnement de la classe et de l’école.

Le rôle de la direction est mis en avant : il faut que toute l’équipe se sente concernée par le projet d’évolution de l’école vers une école inclusive.

Contrairement à l’idée généralement répandue, l’accueil d’un élève avec déficience intellectuelle au niveau maternel n’est pas plus facile même si les contraintes de l’évaluation sont absentes. Les enseignants de ce niveau ont un programme.

Plusieurs enseignants signalent qu’ils doivent déjà faire face à une diversité de difficultés chez les jeunes enfants.

Enfin, nous avons vu qu’une vingtaine de projets de classes intégrées (appelées de manière erronées « classes inclusives ») se sont développées. Ces dispositifs ont chacun leur histoire et se présentent sous des formes différentes. On peut penser que l’existence même de ces classes contribue à une sensibilisation au sein de l’école. De plus, elles permettent à l’élève avec déficience intellectuelle de ne pas se sentir seul au sein de l’école et de ne pas être stigmatisé. Ces projets bénéficient d’une aide de la part de chargés de mission. Il est important de souligner que les activités communes entre les élèves de cette classe et les élèves des autres classes doivent être pensées et organisées. La question est donc posée de savoir si ces classes p constituer une démarche transitoire dans le cheminement d’une école vers une école inclusive au sens propre.

  • Sensibiliser à la différence au sein de la classe, de l’école et maintenir les interactions entre élèves avec déficience intellectuelle et ses pairs

Il s’agit de travailler à la cohésion du groupe-classe et comme déjà mentionné plus haut, les approches comme le tutorat, l’apprentissage coopératif y contribuent.

Il s’agit aussi de permettre à l’enfant avec déficience intellectuelle de se présenter.

Les activités d’information et de sensibilisation doivent s’adresser à l’ensemble de la communauté scolaire. Le conseil de participation peut être utilisé comme un espace d’échanges et de sensibilisation. Les parents de l’enfant avec déficience intellectuelle doivent, tout comme les parents des autres enfants, être impliqués dans une réflexion centrée sur l’intérêt de la démarche inclusive. La communauté scolaire devient ainsi une communauté apprenante et créative.

Dans le cadre de l’évolution de la classe, de l’école vers une structure inclusive, les pairs doivent être considérés comme des partenaires incontournables.

  • Partager des ressources et (re)penser la formation tant initiale que continuée des professionnels

L’idée du partage des expériences et des savoirs autour de la démarche inclusive apparaît comme essentiel :au sein de l’école, entre les écoles, il s’agit de mettre en place des forums d’échanges et de diffuser de petits documents informatifs sans que ceux-ci ne soient présentés comme des « recettes » toutes faites. La diffusion de brochures à la fois sur la connaissance des droits et des procédures et à la fois sur le quoi faire et comment, avec quels objectifs est perçue comme très utile. Des sites existent et méritent d’être consultés : UNIA, ONE, Aviq, Phare, Inclusion asbl, Prebs (Portail de référencement pour l’enfant à besoins spécifiques), sites de diverses associations.

Le concours de personnes adultes avec déficience intellectuelle (comme les membres du Mouvement Personne d’Abord) a un rôle important à jouer pour informer sur leur parcours propre et leur expérience et ainsi alimenter une réflexion.

Enfin, les campagnes de sensibilisation pour le grand public sont aussi à organiser en se demandant quel est le message à faire passer et pour quel public prioritaire.

En conclusion

Trois phrases choc

  • Pourquoi pas un droit  au même titre que l’implant cochléaire, le port de lunettes, l’utilisation d’une voiturette. Et pourquoi doit-on encore négocier des aménagements qui de plus, sont dits dev être raisonnables ?
  • Ce n’est pas aux parents de défendre le droit à l’Education pour leur enfant déficient dans le cadre d’une école d’enseignement ordinaire. Il faut une démarche plus globale de notre société.
  • Pourquoi continue-t-on à confondre les concepts intégration et inclusion et pourquoi n’entrevoit-on pas les réels enjeux de la démarche inclusive ? Les initiés ne devraient-ils pas utiliser ces concepts de manière plus précise afin de ne pas promouvoir des représentations erronées au sein du monde de l’enseignement et plus largement au sein de la société.

21 novembre 2017, Synthèse du colloque par le Prof.ém. J.-J. Detraux, administrateur de la Ligue des Droits de l’Enfant. La présente synthèse est basée sur les notes prises au cours de la journée par Bénédicte Decleyre et JJ Detraux ainsi que sur les diverses notes qui nous ont été adressées par les intervenants et par des participants.

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