LA PLACE DES ECOLES DE DEVOIRS

L’idée que l’école est un passage obligé vers une insertion socioprofessionnelle réussie reste tenace. Pourtant la réalité est toute autre car loin d’assurer la réussite de tous, l’école produit massivement de l’échec scolaire, tout spécialement chez les enfants et jeunes issus des milieux défavorisés. Leurs parents n’ont souvent ni les moyens financiers, ni les compétences ni les codes nécessaires pour y faire face. Pour ces familles, les écoles de devoirs ou EDD représentent la seule forme de soutien et d’accrochage scolaire accessible hors de l’école.

Actuellement, plus de 16.000 enfants et jeunes âgés entre 6 et 18 ans fréquentent chaque jour les 346 EDD[1] réparties sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. De plus en en plus de parents cherchent l’aide et l’encadrement qu’elles offrent. L’Observatoire de l’enfance estimait en 2017 à 70 %[2] le nombre des EDD qui ont une liste d’attente. Ce pourcentage est encore plus élevé à Bruxelles où il est très difficile de trouver une place libre.

Un constat qui donne l’occasion de s’interroger sur ce succès grandissant des EDD et sur la place et le rôle qu’elles occupent entre l’école et la famille.

Sur base du constat que l’école ne faisait que reproduire les inégalités sociales et devant l’absence de réponse face à ces inégalités, des citoyens et des associations se sont mobilisés au début des années 70 pour créer les premières EDD à Bruxelles.

Contrairement à leur nom, les écoles de devoirs ne sont pas des écoles et leur objectif depuis leur début n’est pas de faire les devoirs ou de pallier aux lacunes du système scolaire mais de réduire les inégalités sociales et scolaires pour des populations dont le rapport à l’école et au savoir est difficile.

Elles sont implantées généralement dans des quartiers populaires pour offrir à des enfants et jeunes en âge scolaire issus pour la plupart de milieux défavorisés, un soutien scolaire et un lieu d’accueil, de découvertes et de rencontres. C’est souvent une occasion unique pour ces enfants et jeunes de sortir de leur cadre familial et scolaire. C’est probablement cette  ouverture sur le monde qui constitue le principal atout des EDD[3].

Mais qu’est–ce qu’une EDD ou école des devoirs au juste?

Selon la définition donnée par la FWB « Les écoles de devoirs sont des structures d’accueil des enfants et des jeunes en âge d’obligation scolaire, après l’école, et parfois également durant le week-end et/ou les vacances scolaires, qui développent, sur base d’un plan d’action élaboré, un travail pédagogique, éducatif et culturel de soutien et d’accompagnement à la scolarité et à la formation citoyenne, de façon indépendante des établissements scolaires, même si elles bénéficient parfois de leurs infrastructures ou collaborent avec ceux-ci ».[4]

Cette définition permet d’abord de se rendre compte que les EDD ne sont pas des cours particuliers à bon marché. Leur mission et leur fonctionnement sont très différents aussi bien des cours privés que des écoles.

Les EDD sont des structures associatives situées au carrefour des domaines scolaire, familial, social et culturel. Elles jouent un rôle de cohésion sociale face à une société qui exclut de plus en plus.  Leur mission ne s’arrête pas au soutien scolaire. Loin de là ! Elles accompagnent leur public dans leurs différents apprentissages, aussi bien scolaires, sociaux, citoyens que culturels. Elles visent l’épanouissement global de l’enfant et du jeune et « mènent des projets qui contribuent à faire des jeunes accueillis de futurs citoyens actifs, réactifs et responsables, capables de poser un regard critique sur le monde qui les entoure et d’en comprendre le fonctionnement. »[5]

Qui sont les encadrants des enfants et jeunes dans une EDD ?

L’équipe encadrante se compose de personnes qualifiées, salariées ou volontaires. La plupart des EDD sont majoritairement composées de bénévoles, parfois même rien que de bénévoles. 

Comment se déroulent les activités dans une EDD ?

L’EDD commence par un temps d’accueil avec le goûter. Un moment qui permet de faire la transition entre école et EDD. Après ce temps de « pause », débutent les activités scolaires proprement dites avec la consultation du journal de classe de l’enfant. L’encadrant travaille ensuite le devoir avec ce dernier pour d’abord le soutenir, le mettre à l’aise mais surtout pour l’autonomiser face à son travail scolaire.

Après le soutien scolaire, les EDD proposent de travailler ce qu’on appelle les compétences transversales telles que développer l’esprit critique, le vivre ensemble, le respect, l’écoute, le partage, via des activités ludiques, créatives, culturelles, et sportives. Ces activités sont organisées dans un esprit de coopération et d’éducation à la citoyenneté, sans oublier la dimension multiculturelle et le respect de l’autre.

Quelle est précisément la mission d’une EDD ?

Les EDD ont pour mission de favoriser :

  • « le développement intellectuel de l’enfant, notamment par l’accompagnement aux apprentissages, à sa scolarité et par l’aide aux devoirs et autres travaux à domicile ;
  • le développement et l’émancipation sociale de l’enfant, notamment par un suivi actif et personnalisé, dans le respect des différences, dans un esprit de solidarité et dans une approche interculturelle;
  • la créativité de l’enfant, son accès et son initiation aux cultures dans leurs différentes dimensions, par des activités ludiques, d’animation, d’expression, de création et de communication;
  • l’apprentissage de la citoyenneté et de la participation ».[6]

Ces missions ont pour objectif de répondre aux attentes d’une société qui demande des compétences que l’enseignement traditionnel ne dispense pas toujours. Et avec l’avènement de la société de l’information et d’internet, l’école ne détient plus le monopole de l’apprentissage.

Les EDD vont dans ce sens et visent plutôt à déscolariser les apprentissages scolaires pour promouvoir une autre approche du savoir qui favorise l’apprendre à apprendre, en cherchant à éveiller d’abord l’envie et le plaisir d’apprendre. Elles privilégient l’acquisition de compétences et attitudes qui serviront fortement à l’enfant et au jeune dans leur avenir.

Mener un tel défi n’est déjà pas aisé après une journée d’école ; elle l’est encore moins quand le travail des EDD est freiné à cause des travaux scolaires. Les encadrants en EDD tout comme leur public sont freinés et envahis quotidiennement par les devoirs[7]. Ils n’ont le choix que d’accorder beaucoup de temps à ces derniers au détriment des autres missions et compétences que cherchent à développer les EDD.

Or justement le devoir est l’une des causes des inégalités scolaires.

Une étude de l’Université de Liège commanditée par l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse a révélé à quel point les devoirs contribuent à accentuer ces inégalités:

« Les travaux à domicile –  ou à tout le moins certains types de travaux à domicile (notamment les devoirs de « prolongement » et les devoirs créatifs) – renforcent clairement les inégalités entre enfants. En effet, ceux-ci requièrent un encadrement et des ressources matérielles auxquels tous les enfants n’ont pas nécessairement accès.

Les facteurs d’inégalités s’accentuent encore quand les devoirs sont perçus comme outil de remédiation : ce sont les enfants qui ont le plus de difficultés qui prendront le plus de temps pour les faire et qui auront besoin d’aide d’un parent ou d’une aide externe pour y parvenir, voire pour leur réexpliquer la matière. Par ailleurs, pour les enfants ayant déjà compris en classe, le travail à domicile sera inutile. » [8]

Face à des parents fatigués après une journée de travail, qui n’ont pas les compétences pour aider leur enfant ou qui n’ont pas les moyens de payer des cours privés ou bien encore des enfants qui ne peuvent bénéficier du calme et de l’espace nécessaire pour travailler chez eux, les devoirs sont aussi sources de tensions, de frustrations et même de souffrances au sein de nombreuses familles. Tous ces facteurs pèsent en temps et en émotions sur tous les acteurs concernés, sur les parents, les enfants et les EDD et concourent à cristalliser les inégalités scolaires et sociales.

Dès lors, on peut comprendre que ces parents n’ont d’autre choix que de se tourner vers les EDD.

Quels sont les rapports entre parents et EDD?

Les Ecoles de Devoirs jouent un rôle très important auprès des parents d’abord parce qu’elles offrent le soutien scolaire que ces derniers ne peuvent offrir à leurs enfants mais aussi parce que les EDD contribuent à réconcilier ces parents dans leur propre rôle.  Des parents qui ressentent une atmosphère de bienveillance et qu’ils ne trouvent pas dans l’école de leur enfant.

Des réunions, des sorties, des fêtes et d’autres occasions sont organisées avec eux pour leur permettre de découvrir leur enfant sous un angle différent. Ces moments privilégiés favorisent la communication parent-enfant en leur permettant de vivre ensemble des activités communes.

 En valorisant les compétences des enfants, les EDD valorisent aussi les compétences des parents, ce qui crée des conditions rassurantes et propices au dialogue et à la confiance mutuels entre parents, enfants et EDD.

Ce soutien à la parentalité passe aussi par des ateliers directement destinés aux parents eux-mêmes. De nombreuses associations dispensent parallèlement à leur EDD, des ateliers d’alphabétisation, d’initiation à l’informatique et des activités culturelles. Ces activités répondent à des besoins des parents et contribuent parallèlement à renforcer leur « accrochage » face à l’éducation et à la scolarité de leur enfant.

Pour construire ce partenariat solide, les EDD adoptent d’emblée une approche d’ouverture, de bienveillance et d’écoute que ces parents ne trouvent pas à l’école de leur enfant. Une approche que le guide de soutien à la parentalité de l’ONE résume bien : « le non-jugement, la non-disqualification, l’empathie, l’écoute active et respectueuse, la construction d’un lien de confiance réciproque, la prise en compte des références culturelles de la famille, le respect, la non-stigmatisation, la co-construction des solutions et l’alliance éducative »[9].

 C’est l’intégration de cette pratique et de cette philosophie dans la vie quotidienne des EDD qui fait d’elles un acteur incontournable.

Dans l’intérêt des enfants et jeunes, cette pratique peut être fortement améliorée si les 3 acteurs concernés, à savoir l’EDD, la famille et l’école qui forment un triangle éducatif autour de l’enfant communiquent efficacement ensemble.

Quels sont les rapports entre écoles et EDD ?

Ces rapports sont différents et bien moins réguliers que ceux entre EDD et parents.

Une situation qui alimente les préjugés basés sur une méconnaissance de l’autre. Ce manque de contacts réguliers peut s’expliquer par des horaires difficilement conciliables, et c’est l’EDD qui fait quasiment à chaque fois la démarche.

Cette collaboration à sens unique vers l’enseignant ou la direction d’école suscite un manque de compréhension, de confiance mutuelle et de reconnaissance du travail fait par les EDD  de la part de l’école:  « Les enseignants et les accompagnateurs ont souvent de la peine à se comprendre. Chacun craint que l’autre ne vienne empiéter sur ses prérogatives. La méconnaissance des rôles et des attributions de chacun crée des malentendus qui pourraient certainement être évités (…). » [10]

L’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse pointait il y a 10 ans déjà ce manque de dialogue entre elles[11].

La majorité des EDD soit 72% avaient à peine une fois par mois à une fois par semestre des contacts avec l’école.

Aujourd’hui, force est de constater que les échanges entre ces deux acteurs de l’éducation sont encore trop peu nombreux, même si d’après la Fédération Francophone des Ecoles de Devoirs et les Coordinations régionales, le climat est à l’apaisement et vise une collaboration accrue entre les équipes des encadrants dans les EDD et les enseignants. Connaissant le contact privilégié entre parents et EDD, certains enseignants expriment d’ailleurs le souhait de voir ces dernières jouer un rôle de médiation entre l’école et les familles[12].

Conclusion                                                   

Les EDD sont complémentaires de la mission de l’école pour que celles-ci tendent d’abord vers une école de la réussite pour tous. Elles visent non seulement le développement des capacités intellectuelles ou cognitives mais travaillent aussi la maturité sociale et affective de l’enfant et du jeune. Il s’agit de les rendre aptes à trouver leur place et à s’insérer dans la société. 

Les EDD sont tout aussi conscientes qu’informer, écouter les parents et leurs besoins, reconnaître leurs compétences, construire une relation de confiance  avec eux influe favorablement sur leur relation et implication dans la scolarité et l’éducation de leur enfant. Cette relation de confiance conjuguée au caractère familial des EDD, consolide encore plus ce partenariat constructif et l’inscrit dans la durée.

Elles contribuent à jouer aussi un rôle de médiation et même de déminage entre écoles et familles précarisées[13]. Même si elles n’ont pas un rôle aussi central que les deux acteurs que sont les parents et l’école, les EDD occupent une place importante dans les synergies de la mission éducative et dans leur mission au sein du triangle éducatif école-parents- EDD.

Dans le grand chantier du Pacte d’Excellence, les EDD sont très attentives sur la réforme des rythmes scolaires. Ce dispositif pourrait être une opportunité pour une meilleure reconnaissance de leurs missions et pour consolider leur place de partenaire privilégié des écoles.

Les EDD pourraient alors mieux développer une action complémentaire à celle des enseignants en ménageant aux enfants plus de temps libre, du temps pour apprendre autrement et comme le rappelle l’article 31 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, pour passer plus de temps de loisirs et de partage en famille.

Espérons qu’à l’aube d’une nouvelle décennie, le pacte permettra aux enfants et jeunes d’avoir enfin une vie après l’école. La fin des devoirs permettrait alors aux écoles des devoirs de mieux remplir leur mission de combat pour plus d’égalité scolaire et d’émancipation sociale, pour plus de soutien à la parentalité et de cohésion sociale.


[1] http://www.ecolesdedevoirs.be/qui-sommes-nous

[2] https://www.rtbf.be/info/regions/detail_70-des-ecoles-de-devoirs-doivent-placer-les-eleves-sur-liste-d-attente?id=9759285

[3] Les écoles de devoirs : au-delà du soutien scolaire.  La Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente asbl. Étude réalisée Valérie Silberberg et Antoine Bazantay

[4] http://www.faitsetgestes.cfwb.be/telechargement/FG_2003/faits_&_gestes_9.pdf , p5.

[5] http://www.ecolesdedevoirs.be/qui-sommes-nous/edd

[6] Décret relatif à la reconnaissance et au soutien des écoles de devoirs du 22 mai 2013 : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/28805_005.pdf

[7] http://coj.be/rapport-des-ecoles-de-devoirs/

[8]http://www.oejaj.cfwb.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=8147550380bb08c84e4ad6659c1b3051aff8c652&file=fileadmin/sites/oejaj/upload/oejaj_super_editor/oejaj_editor/pdf/Rapport_final_Travaux_a_domicile.pdf

[9] Écoles de devoirs. Exploitation des rapports d’activités 2008‐2009.Exploitation des données et rédaction : Alice Pierard, stagiaire. 2010.

[10] SIMONATO Alain, Rendre les élèves autonomes dans leurs apprentissages – En finir avec « les devoirs à la maison »,  p. 47.

[11] PIERARD Alice, Ecoles de devoirs – Exploitation des rapports d’activités 2008-2009 – Analyse partielle, Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse, décembre 2010, p. 26-31

[12] https://www.ecolesdedevoirs.be/ressources/ressource-213

[13] La Filoche, février 2008, p.14

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