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La question de l’efficacité du redoublement est, depuis peu, redébattue au sein de la communauté scientifique. Hugues Draelants estimant que « les résultats des recherches sur les effets du redoublement sur les performances des élèves ne sont, pour l’heure, pas pleinement probants[1] », Benoit Galand[2], Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur estimant quant à eux qu’ « à une exception près, tous ces résultats concluent soit à une absence de bénéfice du redoublement sur les acquis scolaires des élèves à moyen terme, soit à des effets négatifs ». Hughes Draelants ne plaide pas, pour autant, pour une réhabilitation du redoublement. Il invite à aller plus loin dans les recherches sur les conditions qui feraient qu’un redoublement pourrait être bénéfique et a contrario non bénéfique. « Il s’agit autrement dit de penser les conditions de possibilité d’un « bon usage » du redoublement, qui devrait être envisagé comme une solution de dernier recours à utiliser de manière réflexive[3] ».

Nous ne les départagerons pas, étant loin d’être spécialistes des sciences de l’éducation. Nous sommes essentiellement des défenseurs des droits fondamentaux luttant contre toutes les discriminations qui touchent les enfants. C’est à ce titre que ce dossier est rédigé. Notre posture est pleinement engagée et nous assumons notre opposition à la compétition et la sélection par le redoublement, ainsi qu’à celles et ceux qui le soutiennent et/ou le pratiquent car c’est, selon nous, de la maltraitance, qu’il est profondément injuste car il permet à des adultes de jouer à la roulette russe avec des enfants et leur avenir[4].

Disons quand même un mot sur les recherches en question. La question de l’efficacité du redoublement revient à se demander s’il permet aux élèves de progresser dans leurs apprentissages, bref si leurs résultats scolaires s’améliorent. Chacun d’entre nous a pu constater que lorsque nous avons côtoyé un « redoublant » durant nos études ou, pour nous enseignants, chaque fois que nous avons eu un élève qui redoublait dans notre classe, en fin de seconde année, celui-ci avait fait des progrès. C’est encore heureux ! Lorsqu’on est confronté deux fois aux mêmes apprentissages, il est assez normal que nous les acquérions mieux ! Le contraire serait dramatique, tout enfant qui apprend quelque chose pour la seconde fois progresse au moins un petit peu. Dès lors, le redoublement peut apparaître aux professeurs comme positif et efficace en termes d’apprentissages.

Cependant, cette impression ne suffit pas à déterminer si le redoublement est réellement efficace. Est-elle objective ou est-elle basée sur des mirages tels que nous a depuis longtemps habitué notre cerveau d’humain. De nombreux chercheurs se sont penchés sur la question et ont suivi des cohortes d’élèves durant parfois de nombreuses années. Leur constat va dans le même sens que celui des professeurs : un élève qui redouble et qui réapprend pour la seconde fois une même matière progresse. On s’y attendait, mais est-ce suffisant ? La question subsidiaire que nous devons poser maintenant – la bonne question – est : « A-t-il progressé plus, autant ou moins que s’il n’avait pas été contraint de redoubler ? » Autrement dit, le redoublement a-t-il été plus efficace (ou l’a-t-il été moins) que la promotion (le passage dans la classe supérieure) ? Sous-sous-question : « Ai-je maltraité ou non un élève en lui faisant perdre inutilement un an dans sa vie ? »

Pour répondre à cette question on ne peut plus fondamentale, les chercheurs[5] ont apparié sur base d’évaluations externes, au sein d’importants groupes d’élèves ceux qui sont de niveau scolaire identique et très faible. On sait que les exigences des professeurs varient fortement. Dès lors, selon que l’on soit dans une classe plutôt que dans une autre, certains élèves sont contraints de redoubler alors que d’autres sont promus.

Ils ont donc établi deux groupes d’élèves. Le premier étant constitué d’élèves redoublants, tandis que le second était quant à lui constitué d’élèves qui, bien qu’étant du même niveau que les enfants du premier groupe, ont été promus dans les classes supérieures. A l’entrée et à la sortie de chaque année ces jeunes ont été testés et cela parfois durant plusieurs années successives. Voici ce que cela donnait et les résultats obtenus. L’année de référence, celle du redoublement ou de la promotion ayant la valeur N. C’est donc sur les années suivantes N+1 et N+2, etc. que vont se baser les études comparatives.

On peut remarquer qu’il n’y a pas de différence entre le test 3 des élèves ayant redoublé et le test 2 des élèves ayant été promus. Malheureusement pour les premiers il aura fallu un an de plus.

Les conclusions des chercheurs sont instructives : l’élève qui redouble s’améliore mais celui qui a été promu malgré qu’il avait les mêmes difficultés progresse plus encore. Autrement dit, la promotion (le passage dans la classe supérieure) permet à un élève de progresser plus que si on l’avait fait redoubler.

Ceci démontrerait l’inefficacité du redoublement. Sur les diverses études sur les effets du redoublement, nous vous renvoyons vers notre dossier disponible sur Internet « L’échec scolaire est une maltraitance [6]».

Pour Benoit Galand & al, La plupart de ces études sont de bonne qualité méthodologique et observent soit une absence de bénéfice du redoublement, soit des effets négatifs. L’année redoublée semble bien une année inutile[7]. Par contre, selon Hugues Draelants, le problème de ces recherches tient au fond à ce que l’on ne sait rien du contexte, raison pour laquelle on ne peut jamais s’assurer que les groupes comparés dans les études procédant par appariement (ou matching) sont équivalents. Ce qui […] semble particulièrement problématique est que les chercheurs qui recourent à ce type d’étude sont susceptibles de comparer des élèves qui ne sont pas scolarisés dans les mêmes classes, ni dans les mêmes établissements et zones scolaires[8].

Malgré que des études plus actuelles aboutissent à des résultats quasiment opposés à ceux des études antérieures, leurs auteurs ne révisent pas leur jugement sur le redoublement. Dans l’ensemble, les résultats positifs sont des résultats de court terme. Ils ne seraient donc que transitoires. Les effets à moyen et long terme seraient quant à eux négatifs : risque accru de décrochage scolaire, sortie du système scolaire sans diplôme, …

L’efficacité du redoublement à la lumière des enquêtes internationales            

Que penser des effets du redoublement à la lumière des enquêtes internationales ? Selon Benoit Galand[9], « Les enquêtes internationales menées à l’initiative de l’OCDÉ (PISA[10]) et de l’IEA[11] (PIRLS et TIMSS) constituent une source précieuse pour étudier le lien entre certains mécanismes structurels comme le redoublement, l’efficacité des systèmes éducatifs, leur équité et les phénomènes de ségrégation. »

  1. Le redoublement est-il une pratique universelle ?

En Communauté française, les professeurs adhèrent au redoublement pensant que c’est une pratique universelle (hormis en Finlande, pays dont on leur bassine les oreilles… à juste titre, ce qui a tendance à les crisper). Il est vrai qu’on redouble aussi dans les pays limitrophes à la Belgique, ce qui les conforte dans leurs croyances. Mais qu’en est-il vraiment ?

Le tableau ci-dessous montre que notre système scolaire est celui où la proportion des jeunes en retard à l’âge de 15 ans est la plus élevée des pays industrialisés. Près de la moitié des jeunes de 15 ont redoublé au moins une fois dans leur jeune carrière d’élèves : 47,8% en 2012 contre une moyenne de 13% pour les pays de l’OCDE.

Les pays sont classés par ordre décroissant, en fonction de leur taux de retard en 2009[12].

Dans 18 pays sur 34, le taux de retard est inférieur à 10%, ce qui chez nous correspond au nombre d’élèves en retard en début de…. 3e primaire (CE2). En recourant massivement au redoublement, nous sommes bien une exception dans les pays qui se disent civilisés.

Comme le rappellent Baye, Chenu, Crahay, Lafontaine, & Monseur  : « Par ailleurs, ces résultats permettent de réfuter l’idée selon laquelle une pratique intensive du redoublement va de pair avec un haut niveau de performance (conséquence d’exigences plus fortes liées au redoublement) : les pays qui apparaissent dans la partie supérieure du classement en fonction du taux de redoublement ne sont pas particulièrement réputés pour afficher des scores moyens élevés aux épreuves PISA. D’ailleurs, la corrélation entre taux de retard et performances en mathématiques à PISA 2012 n’est pas significative (0.06, p=.74). Il n’y a pas de lien entre le taux d’élèves en retard et la performance enregistrée dans PISA. Ces données battent en brèche l’idée selon laquelle une pratique intensive du redoublement irait de pair avec un niveau d’exigence élevé. »

  • Le redoublement de masse rend-il notre système scolaire particulièrement efficace ?

Si le redoublement était efficace, nous serions en tête des classements PISA, puisque nous sommes les champions toutes catégories de cette pratique. Pourtant, on peut constater qu’il n’en est rien. La Fédération Wallonie-Bruxelles se situe loin dans le classement, que ce soit en sciences, en lecture ou en mathématique (source PISA 2015).

Le redoublement n’a donc servi à rien. Pire, selon Benoit Galand et al[13], des indicateurs d’efficacité, de dispersion, d’inégalités sociales, de ségrégation scolaire et sociale ont été mis en relation avec les taux de retard respectifs des différents systèmes éducatifs. Ils en ont donc dégagé un ensemble de forces, notamment concernant les inégalités sociales.

C’est dans ce domaine que les résultats sont les plus nets et les plus concordants. C’est dans les systèmes qui pratiquent le redoublement que les inégalités liées aux origines socioculturelles de élèves sont les plus importantes. « En d’autres termes, le déterminisme social y est plus pesant. Il y est plus difficile de sortir de sa condition en empruntant l’ascenseur social. » Et ils continuent en expliquant comment le redoublement amplifie ces inégalités : « des élèves qui ont la même performance dans PISA n’ont pas les mêmes risques d’avoir connu le redoublement selon leur origine sociale ; ces risques sont accrus pour un élève défavorisé. Il y a donc bien injustice, le redoublement amplifie les écarts de performances en fonction de l’origine sociale. […] Le niveau de performances d’une école à l’autre varie nettement plus quand les taux de retard sont plus élevés. Si le redoublement ne crée pas les différences entre écoles, il participe d’une logique de séparation ou de tri qui est à l’origine des différences entre écoles. » Et ils précisent qu’un « recours plus fréquent au redoublement s’accompagne ainsi d’une exacerbation des différences entre écoles et d’une homogénéisation des élèves à l’intérieur des écoles. Ce résultat n’a rien de surprenant : c’est précisément une logique fondée sur des conceptions éducatives consistant à penser que l’enseignement sera plus efficace si les élèves sont plus semblables, ou si les classes sont plus homogènes, qui justifie le recours au redoublement et aux autres mécanismes de tri et de sélection des élèves comme les filières précoces dans le secondaire. »

C’est le grand mythe de l’homogénéité des classes qui a conduit des écoles à regrouper les élèves par classe en fonction de leurs résultats scolaires, et donc de leurs origines socioculturelles. C’est en somme ce que font également les pratiques du redoublement et de l’orientation : regrouper progressivement les élèves selon leurs classes sociales, dans des écoles socialement ségrégées. 

  • Au vu des enquêtes internationales, qu’en est-il sur le plan de l’efficacité ?

Sur ce plan, les résultats sont moins nets. Dans PISA, selon que les taux de retard sont importants, les performances ont tendance à être moins élevées dans tous les cycles. PIRLS n’est pas plus précis, les résultats variant selon les cycles. Galand et al. concluent en précisant que « Ce qui est par contre certain, c’est que des taux de retard élevés ne « dopent » pas les performances des élèves. »

Ils concluent en affirmant qu’ « il est possible d’affirmer qu’en optant pour une politique visant à réduire les taux de redoublement, les inégalités scolaires liées à l’origine sociale et la ségrégation scolaire et sociale pourraient diminuer pour autant que ces réductions s’accompagnent d’un véritable changement de logique ou de politique dans la gestion des difficultés d’apprentissage et pas d’une réduction mécanique des taux de redoublement. »

  • Oui, mais… ne peut-on craindre un nivellement par le bas ?

Ah… le nivellement par le bas, le vieux mythe de tous ceux qui ne connaissent rien en pédagogie, ainsi que des élitistes qui ont l’obsession de la sélection sociale. Faire peur aux gens pour surtout ne rien changer du tout. Leur discours est connu, jamais assorti d’études sérieuses (ou d’études tout court). 

Dans le tableau ci-dessous, et en se référant au tableau précédent, on remarquera que de nombreux pays qui pratiquent peu ou pas le redoublement atteignent un niveau de performance de loin supérieur aux résultats obtenus par le système scolaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Nous sommes, en tous points, en-deçà de la moyenne de l’OCDE, comme d’autres pays le pratiquant également (quoique moins que nous) comme le Luxembourg, l’Espagne ou le Portugal. La France a des résultats légèrement supérieurs à la moyenne de l’OCDE, mais elle a changé sa politique en matière de redoublement.

Deux de nos plus proches voisins, le Luxembourg et la France ont diminué de façon sensible le redoublement depuis 2000[14], ils n’ont enregistré aucun effondrement de leur niveau, ce qui démontre qu’un système scolaire qui diminue le redoublement, ne baisse en aucune manière de niveau.

Ce qui fait la différence entre redoublement et non redoublement, c’est la mise en place de pédagogies efficaces. L’enseignement frontal tel que le pratiquent les professeurs en Fédération Wallonie-Bruxelles, n’est pas de l’enseignement, mais de la sélection. Tant qu’on en restera à une pratique de sélection, on continuera à faire redoubler et notre système scolaire sera particulièrement inefficace.

Le tableau suivant montre les performances globales dans les trois disciplines pour les pays de l’OCDÉ et les trois communautés belges (source PISA 2015) :


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Chapitre 2 : Croyance des professeurs et des parents dans le redoublement

Chapitre 3 : Les fonctions latentes du redoublement

Chapitre 5 : Au contraire, le redoublement est contre-productif

Chapitre 6 : Comment font les pays qui limitent le redoublement ?

Chapitre 7 : Conclusions


[1] Hugues Draelants – Le redoublement est-il vraiment moins efficace que la promotion automatique ? Une évidence à réinterroger & Le redoublement n’est pas un médicament – Réponses et pistes pour une approche modérée et réflexive de son usage – Les Cahiers de recherche du Girsef, N°113, juin 2018 & 115, Mai 2019

[2] Benoît Galand, Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur – Le redoublement est inefficace, socialement injuste, et favorise le décrochage scolaire – Les Cahiers des Sciences de l’Éducation 38 – 2019

[3] Hugues Draelants – Le redoublement n’est pas un médicament – Réponses et pistes pour une approche modérée et réflexive de son usage – Les Cahiers de recherche du Girsef 115, mai 2019.

[4] Selon la CIDE (Convention Internationale des Droits de l’Enfant), est enfant tout jeune de moins de 18 ans. Nous étendrons les droits de ceux-ci à tous ceux que l’école a retardé par des redoublements en cours de scolarité. Si leurs droits ont été bafoués et qu’ils ont perdu des années d’adultes en devant recommencer un an, voire plus, leurs droits doivent être préservés tout au long de la scolarité obligatoire.

[5] Marcel Crahay – Peut-on lutter contre l’échec scolaire 1996 et 2003

[6] https://www.liguedroitsenfant.be/blog/2016/11/02/lechec-scolaire-est-une-maltraitance/ – 2010

[7] Benoît Galand, Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur – Le redoublement est inefficace, socialement injuste, et favorise le décrochage scolaire – Les Cahiers des Sciences de l’Éducation 38 – 2019

[8] Hugues Draelants – Le redoublement est-il vraiment moins efficace que la promotion automatique ? Une évidence à réinterroger – Les Cahiers de recherche du Girsef, N°113, juin 2018

[9] Benoît Galand, Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur – Le redoublement est inefficace, socialement injuste, et favorise le décrochage scolaire – Les Cahiers des Sciences de l’Éducation 38 – 2019

[10] PISA est une enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les pays membres de l’OCDE et dans de nombreux pays partenaires. Elle évalue l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire. Les tests portent sur la lecture, la culture mathématique et la culture scientifique.

[11] l’International Association for the Evaluation of Educational. Les enquêtes internationales sur les acquis des élèves sont bien antérieures à l’arrivée de PISA dans les années 2000.

[12] Source : Baye Ariane, Chenu Florent, Crahay Marcel, Lafontaine Dominique, Monseur Christian – Le redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles 2014

[13] Benoît Galand, Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur – Le redoublement est inefficace, socialement injuste, et favorise le décrochage scolaire – Les Cahiers des Sciences de l’Éducation 38 – 2019

[14] La France a diminué le redoublement de 16 %) et le Luxembourg de 9 %.

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