2. Les enfants sont les premières victimes des additifs « alimentaires ».

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Dans son film et son livre « Notre poison quotidien », Marie-Monique Robin interroge Philippe Grandjean, professeur de santé environnementale à l’université de Harvard, et son collègue Philippe Ladrigant, de l’école de médecine Mont-Sinaï de New York, qui parlent d’une « épidémie silencieuse » due à la pollution de l’environnement (donc aussi la pollution de la nourriture par les additifs posant problème à la santé et à l’environnement) : Si leur constat concerne les nombreux troubles neurologiques qui touchent les enfants – autisme, troubles de l’attention, hyperactivité, retard mental -, il peut s’appliquer à toutes les autres maladies dont souffrent des centaines de milliers d’enfants nés dans les pays dits « développés », en raison de leur exposition aux poisons chimiques qui peuplent leur environnement, y compris le ventre de leur mère.

Et de rappeler que les enfants ne sont pas de « petits adultes ». C’est tellement vrai, continue-t-elle,  que le prix payé à la pollution de l’air, de l’eau et à la contamination par le plomb des enfants et les jeunes de moins de 20 ans s’élève, chaque année en Europe à 100 000 morts (soit 34% des décès de cette tranche d’âge).

Les enfants mangent et ingèrent proportionnellement plus d’additifs que les adultes

C’est ce que semblent ignorer les industriels qui ne font pas de différence entre enfants et adultes, proposant la même nourriture ultratransformée à tout le monde, à partir du moment où l’enfant est capable de tout manger. Malheureusement pour lui, ses voies de détoxification sont moins développées, l’organisme de l’enfant est moins capable de métaboliser et d’éliminer les polluants. (…) En outre, le processus de transformation des aliments préparés pour les enfants tend aussi à augmenter la concentration de résidus de pesticides[1].

Le plus inquiétant, explique Anne-Corinne Zimmer, tient à ce que les substances chimiques ne se contentent pas de passer dans l’organisme (ce qui peut prendre de quelques heures à quelques années), mais qu’elles y sont actives. Elles exercent une activité chimique sur l’organisme humain, en fonction de leurs caractéristiques propres et selon leurs affinités avec des cibles variées en créant des désordres, notamment, pour plusieurs substances les plus préoccupantes, au niveau du système endocrinien ou en endommageant des processus cellulaires vitaux[2].

Et le pire, poursuit-elle, c’est que leur impact donne toute sa mesure au cours du processus de développement et de croissance de l’organisme, du stade fœtal à la puberté. Les effets du développement du fœtus in utero et jusqu’à l’après puberté suivent un schéma précis d’évolution et de maturation que l’action de ces substances toxiques est susceptible d’altérer, de modifier, de déséquilibrer.

Enfin, les enfants sont proportionnellement plus lourdement exposés par unité de poids corporel. LA teneur en additifs dans les aliments ultratransformés est calculée sur l’exposition sensée être admise au cours d’une vie d’adulte. Les organismes de 3 à 15 kilos sont, de fait, soumis à une charge de polluants à ceux d’un adulte de 60 kilos (ils se nourrissent d’aliments identiques).  Le métabolisme des petits enfants est immature et n’a pas la capacité qu’ont les adultes d’éliminer les agents chimiques. L’absence de flore intestinale chez les nouveaux-nés qui boivent le lait maternel de leur maman nourrie en partie avec des aliments ultratransformés, amplifie la distribution de ces éléments chimiques à travers le corps du bébé au travers de la paroi gastro-intestinale. Certains éléments peuvent atteindre le système nerveux car la barrière hémato-encéphalique, qui contrôle le passage et la diffusion dans le système nerveux central des substances circulant dans le sang ne parvient à maturité que dans la troisième année  [3].

Les adolescents sont aussi particulièrement concernés. L’adolescence est en effet la dernière période de croissance rapide et le moment de la complète différenciation de l’appareil reproducteur. Les expositions aux pesticides, neurotoxiques, perturbateurs endocriniens, allergènes, à cette période de maturation peuvent alors s’avérer critiques[4].

Hyperactivité et troubles de l’attention

L’hyperactivité chez les enfants se développe de manière inquiétante. Selon certaines études, l’adjonction, dans la nourriture ultratransformée, aurait un lien notamment avec le syndrome de troubles déficitaires de l’attention/hyperactivité (TDA/H)[5]. Malheureusement, leur poids scientifique n’est pas suffisant pour convaincre qu’un tel risque menace l’ensemble de la population, enfantine en particulier.

En 2007, une étude randomisée, contrôlée par placebo, en double-aveugle a été effectuée, à la requête de la Food Standards Agency britannique, chez quelque 300 enfants de 3 ou 8/9 ans par un groupe de chercheurs de l’Hôpital universitaire de Southampton. Plus de 150 enfants de 3 ans et 144 enfants de 8 à 9 ans ont participé à l’étude. Ils ont consommé des boissons contenant soit du benzoate de sodium[6] et un additif/colorant alimentaire, soit un placebo[7]. Le comportement « hyperactif » a ensuite été évalué d’après les observations d’enseignants et des parents, ainsi que par un test d’attention.

Pour 85% des enfants ayant consommé des boissons avec colorants, les scores d’hyperactivité étaient significativement plus élevés que pour les enfants ayant bu le placebo.

Les auteurs concluent que l’administration orale de mélanges de colorants alimentaires (6 au total) et de benzoates induit des manifestations d’hyperactivité, des effets statistiquement significatifs mais relativement faibles et marqués par une forte variabilité interindividuelle[8]. Les résultats présents (…) apportent des éléments solides pour montrer que les additifs alimentaires exacerbent les comportements hyperactifs (inattention, impulsivité, suractivité) chez les enfants au moins jusqu’à la mi-enfance[9] ».

Ces résultats montrent que les effets délétères ne sont pas uniquement observés chez les enfants présentant une hyperactivité extrême (le TDAH) et qu’ils peuvent aussi être observés dans la population générale et à travers la gamme de sévérité de l’hyperactivité », ajoutent-ils.

Les aliments transformés ont un impact environnemental très important

Selon le magazine 60 millions de consommateurs de juin/juillet 2020[10], une étude australienne parue en janvier 2019 montrait que la consommation d’aliments ultratransformés contribuait à plus d’un tiers des effets environnementaux liés à l’alimentation. En France, l’empreinte carbone des produits alimentaires industriels est d’environ 9,1 millions de tonnes de CO2, hors transport. Les produits qui ont des facteurs de consommation d’énergie et d’émissions les plus élevés sont les pommes de terre transformées (purée, chips, frites, …), les boissons alcoolisées distillées, les plats préparés et le sucre.

Les contrôles sont inefficaces, ne protègent pas les consommateurs et encore moins les enfants

L’organisme français de défense des consommateurs UFC-Que Choisir estime que l’évaluation au niveau de l’EFSA  « consiste généralement en une simple relecture d’études fournies par les fabricants d’additifs eux-mêmes » et laisse planer « un doute sur la transparence et l’exhaustivité des recherches menées par des industriels, qui ont tout intérêt à ne présenter que des travaux permettant à leurs molécules d’être acceptées ».

En juin 2019, la Commission européenne a jeté la balle dans le camp de l’AFSCA  en l’accusant de ne pas suffisamment contrôler les additifs alimentaires. L’Afsca à son tour s’est défendue devant la Commission en mettant en avant une réglementation européenne trop complexe, donnant lieu à des divergences d’interprétation avec les entreprises et demande à « la Commission européenne de clarifier ses règles » .

Bref, des organismes de contrôle qui se renvoient la balle face à leur laxisme n’augure rien de bon pour les consommateurs que nous sommes.

Un quart des additifs alimentaires autorisés dans les produits alimentaires en Europe sont à bannir, compte tenu des « risques » qu’ils présentent pour la santé, selon une compilation de résultats d’études publiée en octobre 2018 par l’organisme de défense des consommateurs UFC-Que Choisir (France) .

L’association, qui estime que l’évaluation des additifs au niveau européen « s’enlise faute de moyens humains, financiers et analytiques », a décidé de passer en revue des études publiées par l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA), l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Nitrates et nitrites présents dans le jambon (E249, E250, E251, E252) présentant un risque accru de cancer du côlon, caramels au sulfite d’ammonium (E150c, E150d) suspectés d’être cancérigènes, ou encore colorants azoïques présents dans les confiseries (E102, E104, E110, E122, E124, E129) risquant de rendre les enfants hyperactifs, sont ainsi pointés du doigt .

Que pouvons-nous faire ?

Nos habitudes alimentaires ont considérablement évolué ces 50 dernières années, écrit 60 millions de consommateurs[11]. De plus en plus de repas sont pris en dehors du domicile (3/4 en moyenne par semaine en 2018) et nous passons moins de temps dans la préparation des repas.

Le risque est grand pour les enfants qui ingèrent souvent la viande et le poisson sous forme de plats surgelés. Et, continue la revue, la consommation de sandwiches, pizzas, quiches et autres pâtisseries salées est aussi en hausse. Il ressort également que les produits agroalimentaires industriels représentent la majorité de ces aliments transformés (les deux tiers chez les enfants et la moitié chez les adultes)[12].

De même, nous consommons des aliments de plus en plus diversifiés qui peuvent provoquer des réactions allergiques : fruits exotiques, comme le sésame ou les noix de pécan. Les fruits et légumes cultivés intensivement produisent des protéines de stress (« des profilines ») très allergisantes[13].

Dans le doute, il serait raisonnable de manger beaucoup moins d’aliments ultratransformés, voir même les supprimer totalement. Même si elles ne permettent pas de conclure à un lien de cause à effet, les recherches ont démontré une relation significative entre une alimentation riche en aliments ultratransformés et des risques importants pour la santé.

La parade commence à être connue. Elle se fait en 3 étapes :

  1. Lire les étiquettes et bannir tout ce qui est dangereux. Il existe des applications gratuites pour téléphones portables qui permettent de savoir ce qu’il y a dans un produit (exemple : Yuka, Open Food Facts, scan Eat, Is my Food Good, ou Kwalito). Ces applications ont leurs avantages et leurs défauts mais permettent de se faire une idée sur la quantité d’additifs présents dans les produits, et ce avant de les acheter. Mais, même sans ces applications, il s’agit d’avoir du bon sens :
    1. Les aliments sont classés par ordre décroissant de présence (poids) dans l’aliment ;
    2. Plus la liste est longue, plus il y a de chances que le produit soir ultratransformé ;
    3. Les produits sont-ils des produits naturels ou industriels (type cracking)[14] : Protéines de lait, hydrolysat, peptides, amidon modifié, sirop de glucose, arômes… ? Autant de composants dont on ne connaît ni la couleur ni les effets sur la santé ;
    4. Repérez les additifs, soit sous leur appellation officielle E… ou sous leur nom scientifique, grâce aux applications gratuites ;
  • Manger et boire le moins d’aliments ultratransformés possibles et consommer le plus d’aliments bios possible (le bio cuisiné soi-même coûte moins cher que les aliments ultratransformés. C’est tout bénéfice pour le portefeuille et… la santé des enfants) ;
  • Cuisiner soi-même ! Malheureusement, le temps consacré à la préparation des repas ne cesse de diminuer. Pourtant, préparer un repas n’est jamais une perte de temps et est même un plaisir, si on pense au nombre d’émissions culinaires suivies massivement à la télé ou sur Internet. Cuisinons ; la télé et les réseaux sociaux peuvent attendre. Ils sont moins importants que nos enfants.
  • Cuisiner soi-même permet d’offrir à nos enfants une nourriture de meilleure qualité que la nourriture industrielle, c’est également plus savoureux et plus économique.
  • La nourriture industrielle est un piège. On nous la vend au détail, mais il suffit de regarder son prix au kilo pour en être convaincu. Cependant, les aliments qu’elle contient sont de très basse qualité et ne coûtent pas cher du tout aux industriels.
  • Enfin, c’est un exemple à montrer à nos enfants qui leur permettra probablement d’éviter un cancer quand ils auront 50 ans. Encore mieux, le WE proposer aux enfants de participer à l’élaboration des repas. De même, en semaine, habituons-les à faire leurs tartines (si, si… le pain et les croûtes bios c’est bon). Apprenons-leur à éviter les sucres ajoutés pour les repas et collations.

Petit déjeuner en danger

Le petit déjeuner des enfants est en danger. Pains au lait, brioches et autres biscottes industrielles, corn flakes, granola et céréales fourrées… D’après une enquête du site lanutrition.fr, le rayon petit déjeuner renferme plus de 90% d’aliments ultratransformés. Or ce repas est l’un des plus importants pour l’organisme après le jeûne de la nuit. Il y a donc une vraie urgence à revenir à des produits traditionnels, bruts et peu transformés comme le pain, le beurre, le miel ou la confiture bio. Ni plus chers, ni plus chronophages à préparer, mais les bénéfices pour la santé, eux, sont bien réels[15] .

Interpelons les partis politiques démocratiques : il s’agit d’une situation inadmissible !

  1. La démission des partis politiques : une réglementation au service de l’industrie

Dans son livre Notre poison quotidien, Marie-Monique Robin dénonce le principe de « Dose journalière acceptable » (DJA) : « Le système réglementaire qui est censé protéger la santé publique contre les effets des produits cancérigènes ne fonctionne pas. (…) Le principe de la dose journalière acceptable, qui présente l’outil principal de la réglementation des produits toxiques contaminant la chaîne alimentaire, protège davantage l’industrie que la santé des consommateurs[16]. » La DJA ne repose sur aucune étude scientifique, mais cela n’empêche pas les toxicologues et gestionnaire du risque chimique d’y faire constamment référence. Il s’agit, poursuit-elle, d’une « décision arbitraire érigée en concept pseudo-scientifique pour couvrir les industriels et protéger les politiciens qui ont besoin de se cacher derrière des experts pour justifier leur action. La dose journalière acceptable est un artefact[17] indispensable pour ceux qui ont décidé qu’on a le droit d’utiliser des produits chimiques toxiques, y compris dans le processus de la production alimentaire ».

Actuellement, la loi permet plus d’additifs qu’il n’est nécessaire. La liste d’additifs existante et autorisée devrait donc pouvoir être fortement revue à la baisse autant concernant le nombre d’additifs que les doses autorisées[18].

  • Interpelons nos élus : un petit mail, une lettre, …

Chaque parent – et donc tout citoyen –  a le devoir d’interpeler les partis politiques démocratiques afin de leur demander d’agir pour protéger les enfants. Votre vote est important pour eux. Il est donc nécessaire de réclamer une législation nationale ET européenne plus rigoureuse. Celles-ci doivent se conformer aux principes généraux suivants :

  • Les additifs doivent être exempts de risques pour la santé, compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques.
  • Ils ne peuvent être utilisés que s’ils sont techniquement indispensables, c’est-à-dire s’il n’y a pas d’autre solution efficace.
  • Ils ne peuvent masquer des défauts de qualité et leurrer le consommateur sur la nature et la composition réelles du produit[19].

Comme le préconise l’Union Française des Consommateurs, c’est à cette autorité de contrôle « de mettre en œuvre une évaluation réellement indépendante de la dangerosité des additifs, à partir d’études financées par un fonds abondé par les fabricants »[20] afin de mieux nous protéger, nous et nos enfants, de tous les additifs alimentaires reconnus à risques ou plutôt de tous les polluants alimentaires !


[1] Marie-Monique Robin, Notre poison quotidien, Editions La Découverte/Arte Editions, 2011

[2] Anne-Corinne Zimmer, 2009, Polluants chimiques. Enfants en danger, les gestes qui sauvent.

[3] Anne-Corinne Zimmer, 2009, ibid.

[4] Anne-Corinne Zimmer, 2009, ibid.

[5] Manuel Diezi, Thierry Buclin, Jacques Diezi, 2011, Additifs alimentaires et troubles de l’attention/hyperactivité chez l’enfant, Paediatrica, vol. 22  N°5.

[6] E211, d’origine chimique, rarement végétale. Utilisé dans les boissons sucrées et les confitures. Risques important d’allergies, excitation, irritation des yeux, insomnies, troubles de la croissance, hyperactivité, aurait des liens avec la leucémie (Hélène Barbier du Vimont, Additifs alimentaires, ce que cachent les étiquettes).

[7] Hélène Barbier du Vimont, Additifs alimentaires, ce que cachent les étiquettes

[8] Manuel Diezi, Thierry Buclin, Jacques Diezi, 2011, ibid.

[9] The Lancet, publication en ligne du 6 septembre 2007

[10] 60 millions de consommateurs juin/juillet 2020, Alimentation industrielle, comment elle nuit à notre santé. Manger sans s’empoisonner.

[11] 60 millions de consommateurs juin/juillet 2020, ibid.

[12] 60 millions de consommateurs juin/juillet 2020, ibid.

[13] Science&Vie 16 05 2014, ibid.

[14] Envoyé Spécial, France 2, 13 septembre 2018 « Alerte aux faux aliments », C’est l’une des techniques les plus secrètes des géants de l’agroalimentaire. Elle consiste à fractionner les aliments non transformés (lait, fruits, céréales, etc.) en dizaines de poudres et de sirops pour refabriquer d’autres aliments. « On fabrique des viandes qui ressemblent à du poulet mais qui ne contiennent absolument pas de viande de poulet.

[15] Cité dans 60 millions de consommateurs, juin/juillet 2020

[16] Marie-Monique Robin, Notre poison quotidien, Editions La Découverte/Arte Editions, 2011

[17] Larousse : Structure ou phénomène d’origine artificielle ou accidentelle qui altère une expérience ou un examen portant sur un phénomène naturel. Altération du résultat d’un examen due au procédé technique utilisé.

[18] Test-Achats, Les additifs ajoutés aux denrées alimentaires: réglementation plus restrictive.

[19] Test-achats, ibid.

[20] UFC-Que Choisir. Octobre 2018

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