Depuis 2004, et surtout 2009, de plus en plus d’enfants sont intégrés dans l’enseignement ordinaire alors qu’auparavant ils étaient dirigés vers l’enseignement spécialisé. Il est utile de se questionner sur les raisons de cette dynamique, sur les motivations qui animent la Communauté française[1] visant l’intégration d’enfants en situation de handicap dans un enseignement « ordinaire » qui n’est pas habitué à les accueillir.

Par la même occasion, profitons-en pour questionner l’avenir de l’enseignement spécialisé. Est-il en sursis ? Comment va-t-il évoluer ? Sur ces questions, je ne pourrai qu’hypothéquer – n’étant pas dans les petits papiers de nos décideurs politiques – mais dans le cadre d’une évolution dont nous verrons qu’elle est inéluctable. 

Enfin, nous sommes tous concernés par l’inclusion et les aménagements raisonnables. Aujourd’hui, il n’est pas une classe, pas un enseignant qui n’ait, face à lui, au moins un enfant en situation de handicap. Il est donc important de comprendre ce que l’on entend par là et nos obligations légales qui découlent du Décret anti-discrimination[2]

L’intégration scolaire

L’intégration scolaire n’est pas neuve. Depuis toujours, des écoles et des enseignants de l’«ordinaire[3] »  intègrent des enfants porteurs de handicaps physiques ou intellectuels sans que ceux-ci ne fréquentent (peu ou prou) l’enseignement spécialisé. Cela avec beaucoup de bienveillance, plus ou moins de bonheur et, surtout, énormément de difficultés. Au siècle passé, on parlait d’ « intégrations scolaires pirates », car il n’y avait pas de cadre légal pour les organiser. Cela a changé le 3 mars 2004 ; le Décret organisant l’enseignement spécialisé, modifié par le décret du 5 février 2009 contenant des dispositions relatives à l’intégration des élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire, organise l’intégration scolaire en partenariat avec l’enseignement spécialisé.

Dès lors, depuis 2004, la question n’est plus de savoir si, de manière générale, l’intégration d’enfants à besoins spécifiques dans l’ordinaire est ou non une bonne chose. Aujourd’hui, il s’agit, tout simplement, d’un droit fondamental[4]. Ce droit avait déjà été défini une première fois par la Convention internationale des Droits de l’Enfant (20 novembre 1989) qui, en plus du droit à l’éducation sur base de l’égalité des chances (art 28 de la CIDE), parlait de concevoir l’aide fournie (…) de telle sorte que les enfants handicapés aient effectivement accès à l’éducation, à la formation (…), à la préparation à l’emploi et aux activités récréatives, et bénéficient de ces services de façon propre à assurer une intégration sociale aussi complète que possible et leur épanouissement personnel (…) (article 23 de la CIDE). Depuis 2006, la Convention des Droits des Personnes handicapée (ONU) a renforcé ce droit.

La Convention ONU de 2006 : un changement de paradigme

Avant 2006, on parlait d’un modèle médical du handicap. Les adultes et les enfants handicapés étaient « objets » de droits et la société et ses institutions (dont l’école) trouvaient normal de décider pour eux. Cette notion a été remplacée dans la Convention par le modèle social du handicap. Les personnes en situation de handicap sont enfin devenues « sujets » de droits. Elles peuvent donc décider pour elles-mêmes et la société se doit de respecter ce droit fondamental, sans plus décider à leur place.

Le handicap n’est plus seulement un problème médical mais le résultat d’une interaction avec des barrières environnementales. Ainsi, la maladie ou le handicap ne sont plus des problèmes. Les problèmes se trouvent dans l’environnement qui n’est pas adapté aux spécificités de la personne handicapée. C’est donc parce que l’environnement (rues, bâtiments, écoles, professionnels, …) n’est pas suffisamment adapté que ces personnes ne peuvent participer, sur pied d’égalité, à la vie en société.

Prenons l’exemple d’un enfant en chaise roulante : au XXe siècle, le modèle médical était de considérer que cet enfant avait eu une maladie ou un accident qui l’empêchait de faire usage de ses jambes. Si, en conséquence, il n’avait plus accès à son école parce que celle-ci n’était pas équipée de rampes et/ou d’ascenseur, c’était bien triste, mais on pouvait lui trouver une place dans une école adaptée pour enfants avec handicap physique. On le privait évidemment de son milieu social mais on répondait à son problème physique. Le modèle social aujourd’hui affirme que c’est parce qu’il n’y a pas de rampes d’accès dans tous les bâtiments scolaires, dans tous les transports, etc., que cet enfant ne sait pas participer à la vie en société. Il faut donc mettre en place des aménagements raisonnables[5] qui lui permettront de bénéficier d’un enseignement inclusif.

L’enseignement inclusif. Pour qui ?

Un enseignement inclusif est destiné aux enfants en situation de handicap, c’est-à-dire les enfants qui présentent des incapacités durables. Ces incapacités peuvent être physiques, mentales, intellectuelles et sensorielles. Ces incapacités entrent en interaction avec diverses barrières qui font obstacle à leur pleine participation à la société sur base de l’égalité avec les autres. La notion de situation de handicap est vaste et complexe, et concerne un nombre très important d’enfants (et d’adultes). Il ne s’agit pas seulement de handicaps intellectuels ou physiques : il peut également s’agir de maladies chroniques ou graves, ou d’élèves avec trouble·s de l’apprentissage (« dys »). La Convention ONU s’applique pour tous ces enfants, de même que la législation anti-discrimination, et ceux-ci ont droit à la mise en place d’aménagements raisonnables.

Comprendre le principe d’inclusion

Il y a quatre manières de définir la place de personnes en situation de handicap dans la société et, par corollaire, de définir la place des enfants à l’école[6] :

  • L’exclusion : concerne les enfants en situation de handicap qui ne sont pas scolarisés. Ils sont à charge de leurs familles ou sont placés en centres d’accueil non scolaires. L’exclusion concerne quelques centaines d’enfants en CF ;
  • La ségrégation : les enfants en situation de handicap sont placés dans un environnement différent que les personnes sans handicap. C’est le cas de l’école spécialisée. Dans notre enseignement, il y a une école pour les enfants sans handicap et une école spécialisée pour les enfants avec handicap. L’enseignement spécialisé accueille environ 36 600 enfants en CF[7].
  • L’intégration : ce sont les mesures qui sont prises dans certaines conditions par la Communauté française et qui permettent à certaines enfants en situation de handicap d’intégrer la vie en société. Dans ce système, on ne parle pas d’une réelle mixité : l’école ordinaire s’adapte à l’enfant et l’enfant doit s’adapter à l’école. L’intégration concerne un peu plus de 3 000 enfants en CF.
  • L’inclusion : Dans un système inclusif, tout est réfléchi dès le départ pour avoir un environnement adapté à l’ensemble des diversités de la population quelles qu’elles soient, y compris les personnes en situation de handicap[8].

Pour respecter ses engagements vis-à-vis de l’ONU, la Communauté française doit mettre en place des écoles inclusives et donc :

  • interdire l’exclusion de l’enseignement général ordinaire,
  • imposer un enseignement (primaire + secondaire) inclusif de qualité et gratuit à tous les niveaux,
  • imposer des aménagements raisonnables en fonction des besoins de chacun,
  • mettre en place un accompagnement nécessaire et individualisé[9],
  • le tout dans un environnement  qui optimise le progrès scolaire et la socialisation.

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[1] Cette dynamique concerne également les autres Communautés de Belgique, mais également la plupart des pays qui ont un système démocratique.

[2] Décret de la C.F., relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination du 12-12-2008 (M.B. 13-01-2009)

[3] On parle, en général, d’enseignement « ordinaire » pour le différencier de l’enseignement « spécialisé ». De même, on parle d’enfants « ordinaires » pour les différencier des enfants « en situation de handicap ».

[4] Cela ne veut pas dire que tous les enfants « doivent » être intégrés, mais qu’ils en ont le droit, en fonction de leur intérêt supérieur (article 3 de la CIDE) : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. ».

[5] Un aménagement raisonnable est une mesure concrète permettant de réduire, autant que possible, les effets négatifs d’un environnement inadapté sur la participation d’une personne à la vie en société (in A l’école de ton choix avec un handicap – Unia).

[6] Mais également toute personne en situation de handicap dans la société.

[7] 36 609 enfants en 2015 – Source Indicateurs de l’enseignement 2016, p23.

[8] Dans un système inclusif, les deux types d’enseignement (ordinaire et spécialisé) collaborent étroitement et se complètement mutuellement : ils sont intégrés.

[9] Où l’enseignement spécialisé a un rôle à jouer.

[10] Observations finales du Comité ONU à la Belgique

[11] Selon l’avis °3 du Pacte, L’école inclusive est définie comme « permettant à un élève à besoins spécifiques de poursuivre sa scolarité dans l’enseignement ordinaire moyennant la mise en place d’aménagements raisonnables d’ordre matériel, pédagogique et/ou organisationnel ».

[12] Sur ces points, nous sommes maîtres de nos formations personnelles (ce n’est pas la littérature pédagogique qui manque), ainsi que de nos pratiques pédagogiques qui visent la progression de tous les enfants au mieux de leurs capacités.

[13] Nous avons une liberté pédagogique qui nous permet la mise en place, dans nos classes, de pédagogies adaptées. Le fait de les mettre en place nous-mêmes – avant que cela ne nous soit imposé – permet de nous sentir bien, nous aussi, dans le processus inclusif.

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