Nos enfants méritent mieux qu’une idéologie poussiéreuse.

« Nos enfants, avenir de notre société, méritent mieux que des amalgames et des caricatures idéologiques. » Le 17 septembre dernier (2013 NDLR), un Psychologue et Directeur de Centre de Réadaptation Ambulatoire (C.R.A.) concluait ainsi une carte blanche, reprochant à Infor-jeunes Laeken et au Président de la Ligue des Droits de l’Enfant des propos « manichéens » au sujet de l’orientation abusive d’enfants n’ayant absolument aucun handicap, vers l’enseignement spécialisé.

Nous affirmons, à notre tour que Nos enfants méritent mieux qu’une idéologie poussiéreuse. Nous pouvons comprendre que des professionnels défendent leur « job », et donc leur gamelle, mais certainement pas sur le dos des enfants et des familles les plus vulnérables socialement, en niant ou manipulant les faits scientifiquement établis depuis des années, tant par des recherches indépendantes que par la Commission de pilotage du système éducatif.

Rappelons le contexte. En quinze ans, le nombre d’élèves accueillis dans l’enseignement spécialisé a augmenté de 25,7 %, passant de 26 891 à 33 820 jeunes. Cette augmentation est spécifique à certains « types » de l’enseignement spécialisé, à savoir les type 8 (troubles instrumentaux et troubles d’apprentissage) et type 1 (retard mental léger). Les raisons en sont connues ; elles ne découlent pas toujours d’une augmentation d’enfants porteurs de handicaps ou de troubles instrumentaux, mais plus souvent d’une orientation inadéquate des enfants de milieu socialement défavorisés. Autrement dit, la majorité des élèves qui sont orientés vers l’enseignement de T8 et de T1 n’y ont, tout simplement, pas leur place. Si cette réalité est majoritairement bruxelloise, affirmer que la Wallonie ne connaîtrait pas le même phénomène est faux. Il s’agit d‘un problème social qui n’épargne aucune province ou grande ville wallonne. La discrimination sur base de la précarité se moque des frontières régionales.

En 2008 déjà, la Commission de pilotage s’était inquiétée de la forte augmentation de l’orientation vers l’enseignement spécialisé, et de la forte corrélation de cette orientation dans le type 8 avec le niveau socio-économique de l’élève. Une grande majorité de ces élèves n’ayant, pour tout « handicap », que le milieu social dans lequel ils vivent. La difficulté de la réintégration des élèves issus de l’enseignement spécialisé de type 8 dans le secondaire avait été également soulignée, plus de 90 % des élèves fréquentant le type 8 n’obtenant pas leur CEB et étant orientés vers une première année secondaire différenciée, début d’un parcours aussi chaotique que discriminatoire.

Plus interpellant, 39 % de ces élèves qui, nous le rappelons, n’ont absolument aucun handicap, se voient, chaque année, orientés en fin d’école primaire vers l’enseignement spécialisé secondaire de type 1 (handicapés mentaux légers), l’enseignement de T8 n’existant pas en secondaire. Quel que soit leur parcours en secondaire, hors l’exception qui confirme la règle, tous ces élèves finiront indubitablement dans une filière qualifiante (ou sous-qualifiante, via l’enseignement spécialisé), hypothéquant ainsi leur avenir et leur espoir d’ascension sociale, alors qu’ils ont toutes les compétences intellectuelles pour suivre un cursus scolaire « normal ». Il s’agit, non seulement de discrimination, mais aussi et surtout de maltraitance !

Simplifier l’augmentation du nombre des élèves vers l’enseignement spécialisé à une « nette augmentation des enfants en « mal-être » psychique, voire affectés de troubles envahissants du développement, mal structurés psychiquement, souffrant de failles narcissiques, à l’identité mal assurée, aux fondations psychiques bancales » est non seulement choquant, voire méprisant pour les enfants concernés et pour leurs familles, mais n’est fondé sur aucune étude scientifique. Il s’agit d’un discours connu depuis l’invention de la psychanalyse et qui ne vise qu’à légitimer celle-ci et justifier ses pratiques. Il est plus que temps que l’on arrête de tenter de vouloir « soigner » des enfants avec troubles d’apprentissages, troubles instrumentaux, troubles envahissants du développement ou « mal-être psychique » (ce qui veut dire tout et son contraire). Non seulement, ces enfants ne sont pas malades mais en outre, l’Ecole est un lieu d’éducation et à ce titre doit mettre en place les pédagogies comportementalistes et éducatives qui existent et qui ont fait leur preuve, sans passer par la case « maltraitance ».

L’augmentation du nombre d’enfants vers certains types de l’enseignement spécialisé est due principalement à l’échec de certaines écoles qui ne peuvent plus – ou ne veulent plus – suivre certains de leurs élèves, pour des raisons essentiellement sociales : familles paupérisées ou étrangères, ne pouvant aider leurs enfants ou leur payer des cours particuliers, n’ayant pas trouvé de place dans les écoles de devoirs, élèves ne possédant pas la langue de l’enseignement, regroupement d’élèves cumulant les difficultés socioculturelles dans certains établissements qui sont dépassés, …

Affirmer que le type 8 de l’enseignement spécialisé – mais aussi trop souvent les types 1 (handicap mental léger), type 2 (handicap mental modéré à sévère), et type 3 (troubles du comportement) sont trop souvent des enseignements « poubelle » est malheureusement une vérité. Ces milliers d’élèves sont littéralement « jetés » de l’enseignement ordinaire alors qu’ils ont les compétences intellectuelles adéquates, mais ont le malheur de provenir de milieux sociaux défavorisés ou précarisés et pour lesquels les écoles ne parviennent pas – ou ne veulent pas – mettre des dispositifs pédagogiques visant la réussite de tous en place. L’enseignement spécialisé est trop souvent la voie de garage par laquelle l’enseignement ordinaire se débarrasse de ses élèves les plus en difficulté.

La place de tous les enfants est à l’école « ordinaire », quelles que soient leurs difficultés d’apprentissage (physiques ou intellectuelles). Si certains enfants, de par leurs difficultés de vie, ont besoin d’un encadrement et/ou d’une aide spécifique – et donc d’un passage momentané vers un enseignement plus spécialisé – celui-ci doit être limité dans le temps et avoir pour objectif exclusif l’intégration en milieu ordinaire, dans une filière de transition au moins jusque 16 ans. L’intégration scolaire est un droit de l’enfant. L’enseignement spécialisé a pour mission de favoriser cette intégration (ou cette réintégration) et de l’accompagner de manière à aider l’enseignement ordinaire à mettre les pratiques pédagogiques adéquates en place pour chacun de ces enfants.

L’intégration scolaire permet à des élèves ayant des difficultés d’apprentissage de rester dans leur école avec l’aide d’un enseignant spécialisé. Le rôle de ce dernier étant d’aider son collègue de l’enseignement ordinaire, à mettre en place des pratiques pédagogiques validées qui vont permettre à l’enfant en difficulté de progresser en même temps que tous les autres. L’intégration scolaire a montré sa richesse. Elle bénéficie à tous les élèves du fait de la mise en place de ces pratiques pédagogiques et pousse tout le groupe vers un plus haut niveau.

Nos enfants méritent mieux qu’une idéologie poussiéreuse. L’intégration scolaire est l’avenir de l’Ecole. Chaque enfant a des compétences qu’il faut pouvoir pousser à leur maximum et cela ne peut se faire que dans un cadre coopératif, où tous les élèves, par-delà leurs différences, vont progresser ensemble afin d’un jour, pouvoir participer, toujours ensemble, à la construction d’une société inclusive et basée sur plus de justice.

Jean-Pierre Coenen, Président de la Ligue des Droits de l’Enfant
Eric Bruggeman Permanent Juridique et Chantal Massaer Directrice D’Infor Jeunes Laeken

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