1.   Pourquoi   un   décret   inscriptions   en   Fédération Wallonie-Bruxelles ?

L’Ecole est un droit de tous les enfants et nul ne peut pratiquer de discrimination à leur encontre[1]. Ce principe élémentaire était bafoué par certaines[2]écoles au moment de l’inscription. En effet, ces écoles, parmi les plus demandées, pratiquaient allègrement la discrimination à l’inscription. Quoi de plus facile quand on a trop de demandes ? Elles triaient principalement leurs futurs élèves sur base de critères sociaux (les enfants issus de milieux moins favorisés étaient trop souvent refusés), mais également sur base de critères aléatoires (les résultats scolaires antérieurs) ou comportementaux (dossiers de l’élève à l’école primaire). D’autres encore acceptaient des inscriptions prématurées, parfois trois ans à l’avance, afin de réserver les places à leur public privilégié.

Le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, estimant à juste titre que ce sont principalement les personnes les moins favorisées qui avaient des difficultés à s’inscrire dans l’école de leur choix, a voulu promouvoir davantage de mixité sociale dans les écoles qu’elle subsidiait et a tenu à lutter contre cette forme de discrimination. En septembre 2007, le gouvernement de la Communauté française fixe une date commune de début des inscriptions des élèves en première secondaire. Les écoles devront dorénavant attendre le 30 novembre avant d’inscrire de nouveaux élèves pour l’année scolaire suivante.

L’inscription n’est, d’ailleurs, pas la seule illégalité pratiquée par les directions de certaines écoles élitistes. D’autres dysfonctionnements ont entraîné l’apparition d’une logique de marché scolaire dont les parents sont les clients, et qui ont pour conséquence l’inefficacité de notre système scolaire pointé par toutes les études internationales. Citons, par exemple, Le minerval ou les frais à l’inscription ; la ségrégation durant la scolarité (de manière à éliminer les moins « scolaires », de préférence s’ils sont issus de milieux sociaux défavorisés et ce, via l’échec scolaire) ou le caractère homogène de l’offre d’enseignement (peu de choix d’options ou choix d’options « fortes » comme, par exemple le latin, car on sait que certains milieux sociaux ne choisissent pas cette option), etc.

Il fallait commencer à détricoter cet écheveau en commençant par un bout : le Politique a choisi le moment de l’inscription dans l’enseignement secondaire[3]. Il est à porter au crédit de la Ministre Marie Arena d’avoir été la première à oser s’en prendre à ce système. Elle l’a payé sur le plan politique.

Comme le rappelle Benoît Galand[4] (CGé, 2007), « on peut s’interroger sur les effets en termes de cohésion sociale du degré de mixité sociale que l’on rencontre dans les écoles d’un système scolaire (Meirieu & Giraud, 1997). Quel message transmet-on aux jeunes en les scolarisant dans des écoles où ils rencontrent une grande diversité sociale ou au contraire dans des écoles très ségrégées socialement ? Comment cette mixité sociale affecte-t-elle les représentations des différents groupes et rôles sociaux, les préjugés, les perceptions de la justice sociale, … des élèves et des enseignants ? L’école n’a-t-elle pas là un rôle à jouer ? Les enjeux de la mixité sociale ne sont donc pas minces. D’autant que les effets en termes d’apprentissage sont socialement déséquilibrés : ce sont généralement les élèves les moins bien préparés à la scolarité (souvent ceux d’origine populaire) qui sont le plus affectés par la qualité de l’enseignement qui leur est proposé. »

Pour   rappel,   lors   de   son   adoption   le   décret   Inscriptions   entendait   répondre   plus particulièrement à trois objectifs[5]

  • organiser  de  manière  pragmatique  et  transparente  le  processus  d’inscription  en  vue  de limiter   la   tension   entre   les   places   disponibles   dans   certains   établissements   et l’importance de la demande les concernant ;
  • assurer à toutes les familles égalité d’accès à l’ensemble des établissements scolaires et égalité de traitement dans le processus d’inscription ;
  • promouvoir  la  lutte  contre  l’échec  scolaire,  améliorer  les  performances  de  chaque enfant,  lutte  contre  les  mécanismes  de  relégation  en  soutenant  la  mixité  sociale, culturelle et académique.

Il est évident que l’objectif politique est noble, puisqu’il vise, à terme, une société plus hétérogène et plus inclusive. Il ne peut qu’avoir le soutien de tous les progressistes, même si l’objectif de mixité sociale est loin d’être atteint. Si on veut arriver à une véritable mixité sociale cela imposera, qu’à Bruxelles, le pourcentage d’enfants prioritaires issus de quartiers moins favorisés, passe à 50 %[6].

  • Avec quels objectifs pédagogiques ?

Le concept de mixité sociale n’est pas en lui-même porteur en termes pédagogiques. Il est plus parlant de parler de gestion de l’hétérogénéité scolaire, càd du « Comment faire face aux différents niveaux d’acquis présents au sein d’un groupe-classe? [Rudy Wattiez, Cgé].

En effet, sur le plan pédagogique, ce n’est pas de mixité sociale que l’on parle. Pour faire progresser un groupe-classe, il est important d’hétérogénéiser le public, plutôt que de tenter de l’homogénéiser. Au plus les différences d’apprentissages sont grandes, au plus il est nécessaire de mettre des pratiques pédagogiques adaptées en place. Pratiques pédagogiques qui vont bénéficier à tous les élèves, quelles que soient leurs facilités ou difficultés scolaires. L’hétérogénéité permet un véritable « nivellement » vers le haut, tandis que l’homogénéité, recherchée actuellement par les redoublements et orientations diverses, est un véritable nivellement catastrophique vers le bas[7] !

Les études internationales ont démontré que, de tous les peuples de l’OCDE, les belges étaient les plus inégalitaires ! Notre enseignement est l’un de ceux où l’hétérogénéité sociale est la plus faible et, par corollaire, qui est l’un des plus inefficaces. Le niveau des élèves dépendant de l’école qu’ils fréquentent.

Selon que vous soyez puissant ou misérable…

… les jugements d’Ecole vous rendront brillant ou rempli de désespoirs. En choisissant leur population scolaire, certaines écoles décidaient également de l’avenir des élèves qu’elles rejettaient. En effet, l’école que fréquente un enfant influence son niveau scolaire. Les élèves issus de milieux moins favorisés, et se trouvant inscrit dans une école défavorisée, réussissent moins bien que les enfants issus de milieux favorisés, scolarisés dans des écoles favorisées.

Pourquoi ?

Parce qu’on n’apprend pas tout seul ! L’effet des pairs (élèves du même âge) est fondamental : on apprend moins vite dans un environnement où les acquis scolaires sont faibles que dans un environnement où les acquis scolaires sont élevés. Et cela, même si on a soi-même, des acquis scolaires faibles !

Cela s’explique. Dans son étude, Benoît Galand[8] relève trois raisons :

  • On apprend plus vite quand on est entouré d’élèves de bon niveau scolaire. Le niveau scolaire étant en partie liée à l’origine sociale, c’est dans les écoles « privilégiées » que l’on a le plus de chances de fréquenter des élèves au niveau scolaire élevé ;
  • Les ressources financières et humaines des écoles sont influencées par son public. Sur le plan financier, les familles favorisées peuvent contribuer aisément à l’équipement et aux frais scolaires de leur enfant. Sur le plan humain, les équipes pédagogiques (les enseignants) sont plus expérimentées et moins soumises à des rotations du personnel dans les écoles privilégiées. La qualité de l’enseignement varie donc, parfois, selon le public de l’école ;
  • Selon le public de l’école, l’élève sera plus ou moins exposé à la violence et à la (dé-) motivation scolaire. Le risque d’être confronté à des violences verbales et/ou physiques est plus important dans les écoles « défavorisées », contrairement aux écoles « favorisées » ou les élèves ont une attitude plus positive vis-à-vis de leur scolarité. Ces élèves, en outre, souhaitent suivre une scolarité plus longue et ont une ambition forte pour leur avenir. Rassembler les publics les moins favorisés au sein des mêmes écoles, ne fait qu’accroître les difficultés (scolaires et comportementales).

Le niveau de mixité sociale des écoles a des conséquences sur le cursus scolaire des élèves ainsi que sur le travail des équipes éducatives.

Et Benoît Galand de conclure « Les faits rappelés ci-dessus montrent que la mixité sociale apparaît comme un des éléments importants si l’on veut éviter de voir se creuser les inégalités scolaires et de voir augmenter le nombre d’élèves n’atteignant pas le niveau d’apprentissage attendu au terme de la scolarité obligatoire. »

Les effets « école » sur les élèves

Selon qu’ils sont intégrés dans une école favorisée ou non, les élèves ont une vision différente de leur scolarité (C. Piquée et M. Duru-Bellat – 2000) :

  • Les élèves des classes les plus défavorisées portent sur leur école des jugements moins favorables que les élèves des autres écoles ;
  • Certaines normes sociales sont moins intégrées par les enfants de milieux défavorisés (confusion des normes scolaires) ;
  • Dans les classes primaires défavorisées, l0 % des élèves envisagent un métier d’ouvrier;
  • Les élèves favorisés ont des ambitions moins élevées lorsqu’ils fréquentent des classes défavorisées ;
  • Il n’y a pas de différences d’attitudes selon que les enfants sont scolarisés dans des classes favorisées ou défavorisées ;
  • les élèves ont de meilleures ambitions lorsqu’ils sont scolarisés dans une école favorisée ;
  • Dans les classes favorisées, les élèves modestes n’envisagent jamais un métier ouvrier ;
  • Les élèves ont l’impression que le climat est meilleur dans les écoles favorisées.

Il va donc de l’intérêt de tous les enfants issus de milieux défavorisés d’être intégrés au sein d’un établissement scolaire favorisé. 20 % des places leur étaient réservées en priorité, mais dans les faits, le nombre de familles qui choisissent de bénéficier de cet avantage est faible. Il est dans l’intérêt de tous que ce pourcentage augmente.

Tous les élèves sont-ils faits pour toutes les écoles ?

Absolument ! Croire ou faire croire que certains enfants ne seraient pas capables de suivre un enseignement dans les écoles favorisées tient, ou de l’affabulation, ou de l’incompétence ! En effet, tous les élèves sont doués pour l’étude. Croire que certains élèves seraient des intellectuels tandis que d’autres seraient plutôt artistes ou manuels est absolument faux (des gens « bien mal pensants » parlent même d’ « intelligence de la main », une autre manière – ségrégationniste – de désigner les enfants défavorisés). En fait, chacun de nous a, à la fois, de grandes capacités intellectuelles et manuelles !

Cette idée archaïque, qui date du début du XXe siècle est à ranger au musée de l’histoire de la pédagogie. Jean Piaget a démontré, au début des années 60, que l’intelligence se construit. Il a prouvé que TOUS les enfants devaient reconstruire les idées, les concepts ou encore les théories qui paraissent évidentes aux adultes. Bref, grâce à la théorie de PIAGET, on est convaincu aujourd’hui que tout s’apprend ou mieux, que tout se construit . Ce qui distingue les élèves c’est leur vitesse d’apprentissage. Bref, la qualité de l’apprentissage réalisé n’a aucun rapport avec le temps mis pour y arriver. Depuis plus de 50 ans, on peut affirmer que TOUS les élèves sont doués pour l’étude (cela s’appelle le « postulat d’éducabilité »).

Il n’y a donc pas d’école plus adaptée à un certain public scolaire qu’à un autre. Tous les enfants, quelles que soient leurs origines, sont capables de suivre un enseignement de qualité , quelle que soit l’école. Dès lors, il est fondamental que les familles les moins favorisées inscrivent massivement leurs enfants dans les écoles favorisées, afin de leur donner un maximum de chances d’atteindre un niveau scolaire de meilleure qualité.

Malheureusement, la commission de pilotage estime que la part d’élèves issus d’écoles primaires à indice socioéconomique faible ne varie pas vraiment dans les écoles. Elle n’augmente quasi pas dans les écoles où elle est faible, ne diminue pas plus dans celle où elle est élevée. Bref, d’un point de vue socioéconomique, la population des écoles a peu changé depuis la mise en place du décret[9].

Les effets « école » sur les enseignants

Selon qu’ils enseignent dans une école favorisée ou défavorisée, les enseignants ont une vision différente de leur métier (C.Piquée et M. Duru-Bellat – 2000) :

  • Tous déclarent des priorités identiques (méthodes de travail efficaces, apprendre à mobiliser et réutiliser des connaissances, …) mais dans la pratique, les différences apparaissent ;
  • Les pronostics de réussite sont nettement plus forts dans les classes favorisées ;
  • Dans les classes défavorisées, les enseignants reconnaissent le plus souvent ne pas terminer le programme ;
  • Les problèmes de discipline sont plus fréquents dans les classes défavorisées ;
  • L’exercice du métier est jugé plus agréable dans les écoles favorisées que dans les écoles défavorisées.

L’objectif de viser à une véritable mixité sociale et donc à une véritable hétérogénéité pédagogique est également de l’intérêt de tout le corps enseignant.

  • Pourquoi se limiter à un Décret inscriptions seulement à l’entrée de l’enseignement secondaire ?

Les pratique « anciennes » des écoles secondaires sont encore de mise dans de nombreuses écoles maternelles et primaires. De même, quand elles n’ont pu entrer par la grande porte, les familles qui n’ont pas eu la chance d’obtenir le précieux sésame reviennent deux ans plus tard, à l’entrée du second degré, pour y inscrire leur enfant sans ne plus avoir besoin de respecter le décret inscriptions. Cela encourage les écoles à « faire de la place », et donc à orienter les élèves qui correspondent le moins à leurs critères subjectifs vers les enseignements techniques ou professionnels en fin de deuxième secondaire. Il s’agit bien de discrimination basées sur les différences sociales. Cela n’est pas plus acceptable qu’en août 2006, quand l’avant-projet du décret inscriptions a été soigné avec pour objectif de rendre l’école socialement plus mixte. Il est donc important de réguler à tous les niveaux et pendant toute la scolarité obligatoire.

En outre, il est évident que l’arrive du Tronc commun jusque 15 ans va chambouler les objectifs du décret inscriptions. Il s’agit, en quelques sortes d’allonger l’école fondamentale de 3 années. Aussi, le passage dans l’enseignement supérieur sera le second moment où les familles devront chercher une nouvelle école. Il ne serait pas acceptable que les pratiques anciennes reviennent et que le degré supérieur de l’enseignement de transition puisse à nouveau choisir ses clients, délaissant celles et ceux qui ne conviendraient pas à leurs critères de sélection.

Dès lors, rédiger un nouveau décret inscription est une bonne chose mais si ce dernier se limite à l’entrée dans le secondaire, il aura raté l’essentiel : rendre l’école plus égalitaire.


[1] Voir Article 28 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (ONU 1989)

[2] II s’agissait d’une minorité d’écoles. Il ne faut, en aucune manière, jeter l’opprobre sur l’immense majorité des directions qui ne pratiquaient nullement cette forme de discrimination. Malheureusement, c’est par la faute de cette minorité, que des règles d’accueil de tous ont dû être mises en place sous la forme d’un Décret.

[3] Nous noterons que les écoles fondamentales ont toujours le loisir de pratiquer la discrimination des élèves à l’inscription. Il est, aujourd’hui, impératif de penser rapidement à un futur décret inscription à l’école primaire, afin de tenter d’atteindre l’équité et de lutter contre l’injustice à tous les niveaux de l’enseignement obligatoire.

[4] Benoît Galand est docteur et professeur en sciences de l’éducation l’Université catholique de Louvain.

[5] Rapport 2014 de la Commission de pilotage relatif au Décret inscriptions

[6] Il est actuellement de 20 %

[7] Nous ne parlons pas de « nivellement PAR le bas », concept inconnu en pédagogie qui consisterait, pour les plus nantis à refuser que l’école privilégie l’aide aux plus faibles, afin de ne pas ralentir les apprentissages de leur propre progéniture.

[8] Benoît Galand, CGé 2007, déjà cité.

[9] https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_inscription-en-secondaire-une-derniere-fois-avant-un-changement-de-decret?id=10429649

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