De nombreuses associations de « première ligne » (maisons de quartier et/ou de la culture,  écoles de devoirs, AMO, maisons des jeunes, SAS,…) sont interpellées par le fait que de trop nombreux enfants issus de familles populaires sont orientés vers l’enseignement spécialisé alors qu’ils ne sont porteurs d’aucun handicap.

En 15 ans, le nombre d’élèves intégrés dans l’enseignement spécialisé y a augmenté tant au niveau fondamental (+24 %) qu’au niveau secondaire (+20 %). Les garçons y sont surreprésentés (par exemple, pour l’école primaire, ils sont 10 226 pour 5 938 filles).

En 2008 déjà, le chercheur Québécois Philippe Tremblay, dans ses recherches sur l’orientation des élèves en enseignement spécialisé de type 8, avait montré une forte corrélation entre cette orientation et le milieu socioéconomique des élèves. Les chiffres révélés par la Commission de pilotage du système éducatif confirment les faits.

Alors que la part de la population porteuse de handicaps reste stable, l’orientation en enseignement spécialisé n’a cessé de croître ces dernières années. L’enseignement de type 8 (troubles instrumentaux, dits aussi « troubles d’apprentissage ») a vu son effectif augmenter de 25,5% en 20 ans. L’enseignement de type 1 (élèves atteints d’arriération mentale légère) a, dans le même temps, augmenté sa population de 62,6%, tandis que les enseignements de type 2 (arriération mentale modérée et/ou sévère) et 3 (troubles caractériels) ont vu leur population augmenter respectivement de 37,1% et 33%.

L’orientation dans l’enseignement spécialisé de types 1, 2, 3 et 8 est fortement corrélée au niveau socioéconomique du quartier de résidence de l’élève. Dans les quartiers les plus modestes ce sont 4% des filles et 6,2% des garçons qui se retrouvent dans l’un de ces 4 types d’enseignements, alors qu’ils ne regroupent que 1% des filles et 1,5% des garçons des quartiers les plus favorisés. Le genre est un second facteur de discrimination : moitié plus de garçons que de filles sont orientés vers l’enseignement spécialisé.

Une proportion importante d’enfants n’entre dans l’enseignement spécialisé qu’à partir de l’âge de 9 ans. Principalement dans le type 8 avec, pour la grande majorité d’entre eux, un important retard scolaire. On constate ensuite que très peu d’élèves (8%) réintègrent l’enseignement primaire ordinaire ou secondaire ordinaire (13%). La majorité de ces derniers se retrouvera en premier degré différencié (anciennement la classe d’accueil). Une partie importante des élèves reste dans l’enseignement spécialisé secondaire (où le Type 8 n’existe pas). 80 % passeront dans l’enseignement de type 1 et 15% dans l’enseignement de Type 3. Par un « miracle » dont seule l’Ecole est capable, chaque année 450 élèves voient leurs difficultés d’apprentissage se transformer en « arriération mentale légère » ou seront subitement atteint de troubles comportementaux.

Tou·te·s les élèves qui fréquentent l’enseignement spécialisé n’ont pas les mêmes chances de réintégrer l’enseignement ordinaire. Les données montrent que là aussi, le genre et l’indice socioéconomique est prépondérant. Si 37,2% de filles sont inscrites dans l’ES pour 62,8% de garçons, le pourcentage de garçons et de filles qui réintègrent l’enseignement primaire ordinaire est équivalent, ce qui signifie que les filles ont plus de chances de réintégration. C’est encore plus vrai pour l’enseignement secondaire ordinaire.

Les données montrent également que l’indice socio-économique moyen des élèves qui réintègrent l’enseignement ordinaire est plus élevé que l’indice socio-économique moyen des élèves qui restent dans l’enseignement primaire spécialisé. Cette différence est encore plus marquée pour le niveau secondaire.

Quelles alternatives à l’orientation vers l’enseignement spécialisé sont-elles possibles ?

Première solution, la plus logique, c’est de se mettre à la pédagogie. Un enseignement de type frontal, où les élèves ne sont pas en action, mais passent la plupart du temps de manière passive est la meilleure manière d’aggraver les difficultés d’apprentissages auxquelles sont confrontés ces élèves. Il faut passer à un enseignement actif, avec une pédagogie adaptée, où chaque enfant peut apprendre et évoluer à son rythme, avec l’aide du groupe et des enseignants rendus plus disponibles du fait que ce sont les élèves qui sont en action.

Solution transitoire en attendant que le terme « pédagogie » soit intégré dans le vocabulaire de l’institution scolaire : l’intégration. Depuis le décret de février 2009, les enfants ayant des difficultés d’apprentissage peuvent être maintenus – ou réintégrés – dans l’enseignement ordinaire grâce à l’aide d’un enseignant spécialisé (à raison de 4 heures semaines). Cela permet à l’enseignant de l’ordinaire d’être accompagné et conseillé par un enseignant formé dans la détection et la remédiation des difficultés d’apprentissage (ou qui devrait l’être). Malheureusement, ce précieux dispositif est limité par une enveloppe budgétaire fermée qui, lorsqu’elle est vide, empêche toute nouvelle intégration. Quand donc se résoudra-t-on à récupérer les 350 millions d’euros gaspillés par le redoublement ?

Nous plaidons pour que les familles soient informées. Les associations de première ligne (écoles de devoirs, maisons de jeunes, de quartier, associations de terrain, CPAS, CPMS, …)  sont les mieux placées car elles sont en contact avec les familles de quartiers populaires.

L’intégration scolaire

Le Décret du 3 mars 2004 tel que modifié par le décret du 3 février 2009 donne un cadre légal à l’intégration scolaire.

Des moyens sont donnés à l’enseignement spécialisé pour accompagner les élèves à besoins spécifiques dans l’école ordinaire.

L’intégration scolaire ne concerne pas que les enfants avec handicap, mais tous les enfants “en situation de handicap”. Les personnes en situation de handicap sont « des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ».  (UNIA – A l’école de ton choix avec un handicap).

Selon cette définition, tout enfant “à besoins spécifiques” – donc aussi les enfants de familles qui n’ont pas les codes de l’école – est en situation de handicap et peut bénéficier de l’intégration scolaire et/ou d’aménagements raisonnables.

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