Août 16, 2020 | Contre l'échec scolaire, Egalité de genres, LGBT
1. Quel doit être le rôle de l’école dans la lutte contre les LGBT-phobies ?
Réalités de la société d’aujourd’hui
« Dans
notre société, les LGBT-phobies sont en progression. Il n’est pas une semaine
où les réseaux sociaux ne relaient des agressions homophobes. La plupart des
agressions homophobes sont le fait de jeunes gens. Ces jeunes ne sont pas
sorti·e·s du système scolaire depuis des décennies, mais visiblement, et quelqu’ait
été leur parcours, ils/elles n’ont pas reçu toute l’éducation nécessaire pour
déconstruire leurs croyances ou l’éducation homophobe qu’ils/elles ont reçue,
qu’elle soit familiale, sociale, culturelle ou philosophique. On ne naît pas homophobe, on le devient !Seule l’école est en position de
lutter contre les représentations homophobes auxquelles ces jeunes ont été
confronté·e·s et qu’ils/elles ont intégrées.
C’est
parce que nous voulons une société inclusive, qui permette à tout être humain
d’être pleinement intégré à la société, quelles que soient les différences
sociales, physique, intellectuelles, de genre ou sexuelles, que nous voulons
aussi une école inclusive, qui éduque les futur·e·s citoyen·ne·s à être les
fondateurs et fondatrices de cette société inclusive, et pour participer
activement à sa transformation vers plus de justice. En luttant contre
l’homophobie, on lutte aussi contre tous les racismes et toutes les
discriminations qui minent les relations sociales de notre société [1]».
Ce constat,
nous l’établissions lors d’une conférence de presse le 21
novembre 2018, dans le cadre de la Journée internationale des Droits de
l’Enfant.
Réalités de l’école d’aujourd’hui
Aujourd’hui, les familles sont multiples. La famille
« traditionnelle » s’est transformée et présente de multiples
visages, tous aussi différents – mais intéressants – les uns que les autres.
L’école est donc confrontée à une réalité à laquelle elle ne s’est jamais
vraiment préparée. Pour la doxa[2]
scolaire, la famille idéale est toujours celle où le père gagne le pain du
ménage et où la maman ne travaille pas et s’occupe des devoirs des enfants
après l’école. Bref, une famille d’un autre âge.
Aujourd’hui, les enseignant·e·s sont confronté·e·s à des élèves qui
vivent dans des familles monoparentales, recomposées, adoptives, hétéroparentales,
homoparentales, riches, pauvres, désinvesties ou surinvesties, de cultures
différentes. Qu’elles/ils soient issu·e·s de l’une ou de l’autre de ces
familles, tou·te·s les enfants peuvent se sentir marginalisé·e·s et souffrir.
Dans chacune de ces catégories vivent des enfants, des jeunes qui se vivent différent·e·s, parce que le genre ou l’orientation sexuelle qui leur ont été assignés à la naissance ne correspondent pas à leur ressenti, à ce qu’ils/elles sont profondément. Toutes les écoles, sans la moindre exception accueillent des enfants qui sont concerné·e·s par les LGBT-phobies. Et ce chiffre est, sans doute en-deçà de la réalité. Par exemple, on estime à environ deux élèves par classe le nombre d’enfants concerné·e·s par le simple fait d’avoir un·e parent·e homosexuel·le[3], sans l’être pour autant elles/eux-mêmes. On estime qu’ils représentent, dans l’ensemble, au moins 10% de la population scolaire[4]. Chaque enseignant·e peut ainsi estimer facilement le nombre des élèves dont il ou elle a la charge, qui sont concerné·e·s et ainsi mettre en place les outils de formation et de prévention indispensables (voir plus bas[5]).
Pourquoi demander au écoles de combattre les
homophobies et transphobies ?
Comme le souligne l’UNESCO, « le harcèlement homophobe est un
problème éducatif qui doit être traité par le secteur de l’éducation ». Il viole le droit à l’éducation de tous et
compromet les résultats éducatifs. Il remet en cause le droit au respect au
sein de l’environnement scolaire : égale dignité de tous les enfants, respect
de leur identité, de leur intégrité, de leur droits de participation et
protection contre les toutes les formes de violence.[6]
Après la fin de leur école secondaire, de nombreux·ses jeunes gays,
lesbiennes ou transgenres affirment que l’école a été, pour eux, un lieu de
grande souffrance. Souvent ces jeunes ont été témoin de violences homophobes.
Parfois, ils en ont été les premières victimes. Le harcèlement les
intimidations, les coups, voire les viols sont le plus souvent inconnus des
enseignant·e·s car cela se fait dans des lieux où les professionnels ne vont
pas nécessairement souvent (vestiaires, toilettes, coins de cours de
récréation, transport scolaire, …), hors et pendant les heures de classes. Parfois
aussi au sein de la classe par des réflexions ou des insultes homophobes.
Ces jeunes ont dû, la plupart du temps, vivre leur orientation sexuelle
de manière cachée, dans la honte et la peur d’être découvert·e·s. De ce fait,
ces jeunes ne réclament pas d’aide. Ils et elles ont peur de la réaction des
adultes, peur d’être dénoncé·e·s à leurs parents, à l’ensemble des professeurs,
…
Ces jeunes ne bénéficient dès lors pas du soutien qu’ils méritent et
d’un environnement apaisé, c’est-à-dire sensibilisé depuis le plus jeune âge et
accueillant pour les différentes orientations sexuelles.
Enfin, le contexte scolaire est l’un des principaux lieux qui permet aux jeunes l’intégration sociale et l’apprentissage de la vie en société. C’est un milieu riche qui décèle de grands potentiels dans de nombreux domaines, dont l’éducation à la diversité. A cette fin, Les enfants doivent pouvoir bénéficier, dès le plus jeune âge, de l’apprentissage du vivre ensemble dans notre société. Ces lieux, que sont les écoles, sont des espaces d’émancipation individuelle mais également collective. On y parle trop « disciplines », c’est-à-dire « matières traditionnelles » et trop peu émancipation. Pourtant, le Droit international ne parle pas de droit à aller à l’école, mais de droit à l’éducation[7].
Aussi, chaque enseignant·e[8] qui
vise à devenir inclusif (même de mathématique, de physique, de langues, …) est
avant tout une éducateur/trice. Elle/il se donne pour mission d’éduquer et
d’émanciper les élèves. Malheureusement, trop souvent, ceux-ci ne reçoivent pas
les informations sur les orientations sexuelles et on ne les sensibilise que
trop peu au respect de toutes les différences, car l’école elle-même a des
difficultés avec ces notions. L’homosexualité et les orientations sexuelles
minoritaires restent un sujet tabou dans les classes, que l’on confie à des
intervenant·e·s externes qui interviendront une ou deux fois durant la
scolarité, alors que l’éducation au vivre ensemble et à l’acceptation de toutes
les différences sexuelles et autres doit être faite au quotidien.
Chaque école est responsable de cette sensibilisation. Mieux que cela, de cette éducation ! Chacune d’entre elle, de la maternelle à la fin du cycle secondaire (et nous n’abordons même pas l’enseignement supérieur qui est plus que concerné) se doit d’entreprendre des actions concrètes, non seulement en terme de prévention – et donc d’assurer un climat de sécurité et de protection tant des élèves que des adultes – mais également qui permettent le développement personnel des jeunes, quelles que soient leurs différences.
Le travail de prévention permet d’éviter que des élèves subissent, à un âge où à un autre, des agressions homophobes ou transphobes, ou vivent mal leur scolarité dans un climat de peur impropre à quelque apprentissage qui soit. Ce qui vaut pour les élèves peut également valoir pour les adultes. Il ne faut pas oublier qu’environ 10% d’entre eux sont également concerné·e·s par les LGBT-phobies. Ils ont besoin du soutien de toute la communauté enseignante.
Il y a donc lieu de mobiliser tout le monde, depuis le Pouvoir organisateur jusqu’aux jeunes, en passant par les directions, les membres du personnel enseignant, ouvrier et administratif. Sans oublier les parents qui, pour certains, peuvent venir en soutien de ces projets.
« Mais ne va-t-on pas nous accuser de
prosélytisme ? »
Un certain nombre de parents, même parmi
les plus ouverts, émettent des réserves lorsqu’on envisage de parler
d’homosexualité à des élèves d’école maternelle ou primaire. Il en va de même
dans le milieu enseignant. Pour certain·e·s, de ces personnes, l’homosexualité
reste un tabou, une peur qu’ils pensaient profondément enfouie, mais qui se
révèle ne l’être pas autant que cela. Pour certaines personnes au sein de notre
société, les relations hétérosexuelles et les relations homosexuelles ne sont
pas équivalentes.
Trop souvent encore, des enseignant·e·s
ont des réticences à prononcer même les mots « homophobie » ou
« homosexualité » par crainte des réactions de leurs collègues, de
certains élèves et de leurs familles. Il y a un « tabou » qui empêche
l’utilisation de ces mots et les place sous une chape de plomb.
Tabou qui n’a plus de raison d’être puisque, depuis juin 2012, en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle (EVRAS) a été reconnue officiellement par Décret comme une des missions de l’école. On ne peut donc parler de prosélytisme si l’école remplit une de ses missions. L’Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle commence en maternelle et continue tout au long des 15 années d’école obligatoire[9]. On y aborde de manière adaptée à l’âge des enfants, tous les sujets qui touchent la vie affective et la vie sexuelle. Sous tous leurs angles ! Donc dès lors aussi celui des différentes orientations sexuelles et ce, pendant 15 ans. Même les professeur·e·s homophobes – il y en a sans doute peu, mais il y en a – sont tenu·e·s de respecter la Loi et donc d’éduquer leurs élèves à lutter contre l’homophobie et la transphobie. Cela ne peut que faire du bien intellectuel à ces soit-disant professionnel·le·s, car ils/elles sont déficitaires en ce domaine.
Concernant les parents qui ne voudraient pas que l’on parle d’homosexualité à leur enfant, nous conseillons aux écoles de mettre clairement ce point dans leur projet d’établissement (ou dans le projet pédagogique), auquel les parents doivent adhérer chaque année. En cas de plainte de leur part, il suffira de leur montrer qu’ils ont marqué leur accord en début d’année. Cependant, on peut leur expliquer que c’est dans l’intérêt de leur enfant de recevoir une information sur ce sujet. Si le/la jeune est d’orientation homosexuelle ou bisexuelle, elle/il pourra directement bénéficier de cette information et construire son identité en harmonie avec son entourage. Si l’enfant est d’orientation majoritairement hétérosexuelle, l’information sur le sujet ne peut qu’éclairer son jugement et lui apprendre à respecter les personnes lesbiennes, gays ou bisexuel·le·s.
En abordant l’Evras et, plus spécialement les différentes orientations sexuelle, on diffuse un message de tolérance, d’accueil de l’autre dans toutes ses réalités, on apprend aux élèves à respecter les différences. Il est important de combattre les idées fausses, démystifier l’homosexualité (chacun·e a sa propre orientation sexuelle, on ne devient pas homosexuel en fréquentant des copains ou copines qui le sont, pas plus qu’on ne le devient en vivant dans une famille homoparentale[10]). Il faut également rappeler le Droit : les discriminations ou actes homophobes, lesbophobes, transphobes sont interdits et punissables[11]. Enfin, cela permet d’expliquer aux élèves qu’ils et elles doivent être empathiques, venir en aide aux victimes de la violence, et dénoncer les agresseur·e·s, fût-ce-t-ils des adultes de l’école.
Pour lire la suite : LGBT-Phobies à l’école, 2. Quels sont les effets des LGBT-phobies sur les enfants et les jeunes ?
[1] Jean-Pierre
Coenen, Ligue des Droits de l’Enfant 21 novembre 2018, Appel
aux écoles : Devenez des Ecoles pour Tou·te·s !
[2] En philosophie, la
doxa est l’ensemble — plus ou moins homogène — d’opinions (confuses ou
pertinentes), de préjugés populaires ou singuliers, de présuppositions
généralement admises et évaluées positivement ou négativement, sur lesquelles
se fonde toute forme de communication ; sauf, par principe, celles qui tendent
précisément à s’en éloigner, telles que les communications scientifiques et
tout particulièrement le langage mathématique
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Doxa).
[3] Rapport
de Michel Teychenné, France juin 2013 : « Selon Maks Banens, démographe, auteur avec Eric Le Penven d’une étude
de l’Institut national d’études démographiques (INED) sur l’homoparentalité en
France, le chiffre de 200 à 300 000 enfants ayant un parent homosexuel est tout
à fait plausible. Beaucoup de ces enfants sont nés d’une précédente union
hétérosexuelle. Il convient également de ne pas oublier les situations de
transparentalité, moins nombreuses, mais
qui existent et nécessitent d’être prises en compte. Conclusion : en moyenne,
au moins deux élèves par classe sont concernés ».
[4] De nombreux pays les
pays qui ont étudié depuis longtemps la population concernée par sphère
LGBTQI+, comme la Belgique, la Suède, les États-Unis ou le Canada. Suite à ces
études, le pourcentage couramment admis, qui inclut les sous-déclarations dues
à la peur de l’homophobie et repose sur une approche plus précise de la
bisexualité est de 10 %. Il suffit de diviser la population de sa classe pour savoir
combien d’élèves sont concernés.
[5] Dans
une école inclusive, ces outils et ces formations sont réfléchies et mises en
place par l’ensemble de l’équipe pédagogique. Quand on est seul·e dans sa
classe, il existe des outils disponibles sur Internet via le site www.liguedroitsenfant.be/ecolepourtoutes/ ou d’autres sites
spécialisés.
[6] Booklet 8/Education
Sector : Response to homophobic Bullying – UNESCO – 2012.
[7] Convention internationale des Droits de l’Enfant 20 novembre
1989, Art 28 « Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à
l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit
progressivement et sur la base de l’égalité des chances (…) ». Même si l’institution que les Etats charge de faire
respecter ce Droit sont les écoles, le texte ne cite pas une seule fois le mot
école. Il s’agit donc bien de droit à l’éducation qui « doit viser à :
a) favoriser
l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons
et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs
potentialités ;
b) inculquer à
l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et des
principes consacrés dans la Charte des Nations unies ;
c) inculquer à
l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses
valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans
lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations
différentes de la sienne ;
d) préparer
l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans
un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et
d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux,
et avec les personnes d’origine autochtone ;
e) inculquer à
l’enfant le respect du milieu naturel. »
[8] Nous
partons du principe que l’enseignant·e inclusif·ve s’est progressivement formé·e
à l’accueil de toutes et tous les élèves quelles que soient leurs différences
et difficultés scolaires ou de vie. Elle ou il est capable de transmettre tous
les savoirs à tou·te·s les élèves. Il ou elle ne pratique pas la sélection et
donc, n’a pas d’échecs scolaires.
[9] En
Belgique l’école commence à 2,5 ans et se termine à 18 ans (dans le meilleur
des cas), mais elle n’est obligatoire que de 5 à 18 ans.
[10] DORAIS
Michel, Mort ou fif, la face cachée du suicide chez les garçons, Éditions VLB,
2000. Le professeur Michel Dorais constate aussi une tendance à la baisse de
l’âge de découverte de son homosexualité chez les jeunes LGBT : le plus souvent
entre 12 et 15 ans. Michel Dorais précise les conditions de cette prise de
conscience : « La découverte de son attirance envers les personnes du même sexe
est plutôt une évolution qu’un événement soudain. Graduellement, au cours de
l’enfance ou de l’adolescence, le jeune garçon ou la jeune fille s’aperçoit
qu’il ou elle ne réagit pas en son for intérieur comme la majorité de ses
congénères. L’émoi que ses compagnons ou compagnes expriment devant les
personnes de l’autre sexe, c’est plutôt (ou en plus, pour les jeunes bisexuel
le s) à l’endroit de personne du même sexe qu’il ou elle l’expérimente. Au
début, il n’y a pas forcement de mot ou d’étiquette à placer dessus. Seulement
une impression d’étrangeté. C’est le plus souvent à travers la pression sociale
au conformisme que prend forme dans la tête de l’enfant ou de l’adolescent la
constatation suivante : il se pourrait que je sois différent-e de ce que l’on
attend de moi… »
[11] Voir le site d’UNIA https://www.unia.be/fr/criteres-de-discrimination/orientation-sexuelle ou celui de l’Institut pour l’égalité des
femmes et des hommes https://igvm-iefh.belgium.be/fr/activites/discrimination/transgenre
Déc 31, 2019 | Contre l'échec scolaire, Positions de la Ligue
INTRODUCTION
Si la place des
parents dans l’institution scolaire a évolué au fil du temps, elle n’a cessé d’être
un questionnement pour tous les acteurs éducatifs concernés. Le discours sur la
démission des parents est récurrent et vise particulièrement les familles
populaires les plus démunies face à la scolarité de leurs enfants.
L’investissement
scolaire des parents ne semble pas suffisamment conforme aux attentes de
l’institution scolaire et des enseignants qui attendent que les parents soient
des auxiliaires de l’école, capables de prolonger et de renforcer son action
éducative. Ils déplorent qu’une partie des parents ne signe pas le journal de
classe, ne vient pas aux réunions de l’école, n’aide pas assez les enfants dans
les tâches scolaires.
Dès lors et avec tous ces signes concordants, pour de nombre de politiques, de médias, d’éducateurs, de professionnels de l’école et même de certains parents qui en jugent d’autres, il ne faut pas chercher plus loin : c’est bien la faute aux familles qui font mal leur boulot de parents. Leur « démission » apparaît donc évidente.
DEVELOPPEMENT
Pendant longtemps,
l’École n’avait pas d’attente vis-à-vis des familles, tout simplement parce
qu’elle cherchait à sortir les enfants de leur milieu social et culturel peu érudit
pour en faire des citoyens instruits, sans le concours de leurs parents.
A partir du début
des années 70, la massification de l’enseignement ne
s’est pas accompagnée de sa démocratisation, engendrant une problématique
nouvelle, celle de l’échec scolaire. Face à la difficulté de faire réussir tous
les enfants, la question de la place et du rôle des parents a pris une place
croissante.
Ceux-ci ont alors
été reconnus comme membres de la communauté éducative avec, en contrepartie, l’injonction subliminale de suivre la scolarité de leur enfant de manière
assidue et efficace. Ce qui n’a pas été véritablement suivie d’effet, au regard
des professionnels de l’éducation.
Pourquoi certains parents ne
cherchent-ils pas à s’investir plus, même quand ils y sont « incités » ?
L’explication la plus commode, qui élude la remise en question de l’échec de
notre système éducatif, est trop souvent celle de la démission parentale. Les parents sont perçus comme responsables de
l’échec de leur enfant. Il s’agirait donc
de parents qui ne s’investiraient pas suffisamment dans le suivi et
l’encadrement scolaire de leurs enfants.
Devenue une représentation sociale culpabilisante, la « démission
parentale » est fortement vécue comme stigmatisante
et injuste par les parents concernés. En effet, dans
l’imaginaire collectif, elle est synonyme pêle-mêle de laxisme et de mauvaise
maîtrise des savoirs éducatifs. La personnalité des parents, leur manque de savoir-faire
ou encore leurs problèmes de couple seraient à l’origine des difficultés
scolaires de l’enfant. Dans de
telles conditions, comment demander à des familles qui se sentent négativement
perçues par l’école d’y entrer et d’y trouver leur place ?
Au contraire, la
recherche montre la place centrale qu’a l’école pour les familles populaires.
Celles-ci ont bien compris qu’avec le chômage et la précarité qui les frappent,
non seulement l’école offre la chance principale de levier social pour leurs enfants,
mais aussi qu’elle ne peut être négligée sans courir un risque d’être
socialement disqualifiées.
L’inquiétude des
familles concernant les résultats scolaires de
leurs enfants se traduit par de nombreuses tentatives de
mobiliser diverses ressources comme les écoles des devoirs. Ceci démontre bien
l’implication de ces parents issus de milieux défavorisés qui n’ont souvent ni les moyens financiers de payer des cours privés, ni les
compétences pour aider leurs enfants, ni les codes de l’école nécessaires pour
faire face aux difficultés scolaires. Quel parent ne
voudrait-il pas voir son enfant réussir sa vie scolaire ou ne verrait pas,
dans la réussite de son enfant, la preuve de sa propre réussite
éducative ?
Il est un constat
assez parlant de cet engagement parental. Depuis de nombreuses années, il est pour
ainsi dire devenu impossible de trouver une place dans
les 346 écoles de devoirs[1] en Fédération
Wallonie-Bruxelles. Les listes d’attente s’allongent au grand dam des familles
angoissées.
On retrouve la même
tendance à incriminer les parents dans les cas de délinquance. Les parents
seraient incapables de contenir et de prévenir les premières dérives des
jeunes.
Pourtant une étude de la sociologue Laurence Giovannoni[2] montre que le mode éducatif en jeu dans l’accusation
de « démission parentale » ne constitue qu’un facteur parmi d’autres dans le
processus de délinquance juvénile. Il se combine à d’autres déterminants
sociaux, tels une situation socioéconomique difficile et un rapport conflictuel
et douloureux à l’institution scolaire.
L’étude souligne que plus d’un quart des familles de mineurs délinquants
présente « un bon cadre éducatif ». Un autre quart des familles étudiées
rencontre des difficultés relationnelles. Elles ne peuvent cependant pas être
désignées comme « démissionnaires », dans la mesure où elles font explicitement
appel, comme évoqué plus haut, aux structures d’assistance éducative. Ces
parents se trouvent souvent démunis face à l’influence des autres élèves, face
à la personnalité propre à leur enfant, à leurs difficultés à gérer sa période
d’adolescence et aussi à leur manque de dialogue avec le corps enseignant[3].
Pour mieux comprendre cette
représentation de « parent démissionnaire », tournons-nous vers son exact
opposé, le parent méritant :
Toujours souriant, toujours à
l’heure, impliqué dans l’éducation de son enfant et dans sa scolarité, sans
jamais être envahissant, disponible, mobilisé, impliqué, le parent méritant a
un travail. Ceci est important car, grâce à ce travail, il ne va pas étouffer
son descendant de sa présence. Un travail valorisant et à responsabilités pour
que son enfant puisse avoir un modèle sur lequel se projeter. Mais cette activité
ne lui prend pas trop de temps non plus, afin qu’il puisse consacrer à son enfant
un temps suffisant pour son développement et son équilibre affectif.
Le parent reçoit en retour les fruits
de son investissement. Son enfant est poli, intéressé par l’école, ses devoirs
sont toujours faits, ses cahiers bien tenus, il n’oublie jamais ses affaires,
dort suffisamment toutes les nuits, ne s’ennuie jamais en classe, ne bouscule
pas ses camarades, mange des fruits et légumes tous les jours. Idéalement,
l’enfant pratique également un certain nombre d’activités extrascolaires mais
sans que cela n’empiète sur son temps de classe.
Bref, l’idéal type du parent méritant
est cadre, avec des moyens financiers et culturels conséquents mais avec un
emploi du temps suffisamment léger pour ne pas être un parent absent.
Inutile de dire que la représentativité
de ces « parents idéaux » dans l’ensemble de la population scolaire
est nettement minoritaire[4], voire inexistant.
A l’opposé, on
constate que la grande majorité des parents ne dispose pas du temps suffisant, du
fait des conditions de vie professionnelles et familiales précaires et
contraignants. A cet aspect s’ajoute la modestie relative du capital culturel
effectivement mobilisable chez les parents peu instruits et/ou en situation de
pauvreté qui les rend tout simplement incapables de soutenir leurs enfants autant
que l’école attend d’eux. C’est encore plus le cas dans les familles
primo-migrantes qui ne maîtrisent pas le français et ne connaissent pas le
fonctionnement de l’école.
Loin d’être « absents » ou
« démissionnaires », ces
parents doivent lutter, souvent au quotidien, pour subvenir aux besoins
primaires de leur famille.
Jeter la pierre sur ces parents contribue à cacher le vrai problème de
notre système éducatif en Fédération Wallonie-Bruxelles qui est fortement
inégalitaire. Les difficultés scolaires sont liées, en grande partie, à
l’origine socio-économique des élèves : 74 % des élèves de 16 ans issus de milieux moins
favorisés accusent un retard scolaire contre 35% dans les familles plus
favorisées[5].
Philippe Meirieu le
disait très bien en 1997 déjà : « Nos
villes, nos écoles et nos jeunes sont ainsi traversés par une frontière
Nord-Sud. Certains enfants vivent avec un cerveau à deux hémisphères sociaux.
L’un gère la pauvreté, les urgences de la survie immédiate, la débrouille au
moindre coût, la famille patriarcale ou matriarcale ; l’autre les mathématiques
et la physique (…)[6] »
Les mondes politique, économique et scolaire continuent de
fonctionner comme s’il y avait toujours un parent à la maison pour harmoniser
les horaires à une époque où le contexte social et économique leur impose de
travailler tous les deux. Et que dire des familles monoparentales ? Que
dire du ou des parents dont l’enfant est orienté vers l’enseignement spécialisé
sachant que l’offre d’établissements de proximité est aléatoire et impose
souvent de longs déplacements[7].
Deux parents qui travaillent doivent composer avec des rythmes scolaires
et professionnels très différents : l’école primaire impose un horaire,
l’école secondaire un autre et le travail de chaque parent en impose un autre
encore !
Des parents qui sont déjà suffisamment occupés de leurs côtés
et qui doivent s’occuper de jeunes dont l’identité ne se résume plus à celle de
l’élève et pour qui l’école n’est plus le centre d’intérêt principal. Ces
parents doivent alors gérer leur temps dans un espace-temps éclaté. Une brèche
dans laquelle s’est infiltrée la sphère marchande qui met enfants et jeunes en
valeur et surtout sous influence, en créant de nouveaux « besoins » de
consommation. Depuis plusieurs années déjà, un problème supplémentaire bouscule
un peu plus les rapports intrafamiliaux, c’est celui de la culture numérique. Smartphones,
tablettes, ordinateur, réseaux sociaux, jeux vidéo ont envahi le quotidien et le
temps des jeunes qui n’ont jamais été aussi connectés aux écrans et au monde
virtuel. Parallèlement, ils n’ont jamais été aussi déconnectés du monde réel:
selon un sondage Ifop réalisé en France en 2013 déjà, 78 % des jeunes des moins
de 25 ans se disent dépendants aux smartphones !
En Belgique comme en France, on parle maintenant de pratique invasive et même
addictive à l’écran au même titre que la drogue. Le problème est tel qu’il est
devenu un enjeu de santé publique (problèmes d’agressivité, de troubles de
sommeil, de vue, de stérilité,…). Une situation qui se répercute fortement sur
les rapports entre enfants et parents, créant de nouvelles sources de tensions
entre eux. Un nombre croissant de ces derniers se sente démunis au point
qu’on entend maintenant parler de burn-out parental. Selon une étude publiée en
novembre 2018 par la Ligue des familles[8], six famille sur dix déclarent avoir de
grosses difficultés à concilier leur vie de famille et leur vie professionnelle,
s’ils en ont une !
Nombreux sont les parents qui se sentaient déjà démunis
face à leur perte d’autorité car il convient de prendre en compte que « dans la majeure partie des cas, les
facteurs de pauvreté et d’environnement social sont déterminants : ce sont
eux qui ruinent la capacité de contrôle des parents [9]».
Avec tous ces
constats, peut-on encore sérieusement tenir ce jugement simpliste de « parents
démissionnaire »?
Les enseignants
semblent de plus en plus conscients de ces facteurs qui compliquent la fonction
parentale, surtout quand eux-mêmes sont confrontés à ces difficultés en tant
que parents. Grâce notamment au soutien entre autres des écoles des devoirs et
en général du tissu associatif qui favorise le dialogue entre enseignants et
parents, ceux-ci ne demandent qu’à être mieux informés sur les programmes et
les objectifs pédagogiques de l’école avec un langage accessible pour eux.
Face à toutes les
difficultés qu’éprouvent les familles à assumer leur rôle, face aux diversités grandissantes des formes
de familles qui vont de la monoparentalité à l’homoparentalité en passant par
les familles recomposées, un nombre grandissant de parents fait appel aux
services de soutien à la parentalité.
Des mesures d’aide qui vise à accompagner, à aider
les parents à éduquer leurs enfants et à subvenir à l’ensemble de leurs besoins
éducatifs, affectifs, scolaires, culturels et sociaux. Le site ‘parentalite.be’ est né de cette volonté des
différents ministres du gouvernement de la FWB de « répondre de manière
positive aux enjeux posés par l’exercice, souvent difficile, de la
parentalité. »[10]
Aujourd’hui, une série d’organismes est à la disposition des parents
pour les aider à assurer leurs fonctions et ce dès la naissance de leur premier
enfant (ONE, maisons de la parentalité, associations de parents, associations
dispensant des formations de français, de cours d’informatique, d’alphabétisation,
…).
Ces
centres et ces activités qui leur sont réservés répondent à des besoins spécifiques
et contribuent à renforcer leur « accrochage » en tant que parents.
Ailleurs dans le
monde, de telles structures existent depuis fort longtemps. En France, le contrat
de réussite on a été créé il y a près de vingt-cinq ans déjà. Celui-ci vise à
ouvrir l’école sur le quartier pour créer les conditions d’un partenariat
efficace. Il organise également des campagnes de valorisation de l’éducation et
de l’école, avec comme objectif d’inciter les parents et les communautés à
s’impliquer dans la scolarisation des enfants et jeunes.
Il existe aussi un dispositif appelé la
« mallette des parents » qui vise à un plus grand dialogue avec les
parents, en les informant sur une meilleure connaissance de l’école et de son
fonctionnement.
Depuis 2013, un
modèle partenarial institutionnel a vu le jour qui s’est concrétisé par une loi
appelée Loi d’orientation et de
programmation pour la refondation de l’école de la République etqui évoque une redynamisation du
dialogue entre école, parent, collectivité territoriale et secteur associatif
et affirmant que « la promotion de
la coéducation est un des principaux leviers de la refondation de l’école. »[11]
Au Québec, il
existe depuis les années 60 une collaboration et un partenariat étroits entre
communautés éducatives (enseignants-parents-associations). Cette collaboration propose
un modèle éducatif plus proche de la notion de coéducation, basée sur une
conception partagée de la réussite scolaire en visant aussi le développement
personnel et une meilleure insertion professionnelle du jeune.
Dans les pays
scandinaves ou au Québec, on a compris depuis fort longtemps que l’implication
des parents est fortement corrélée à la performance scolaire de leurs enfants[12], comme d’ailleurs tous les travaux de recherches le montrent.
Des modèles
d’implication des parents dans la vie de l’école existent, comme celui
proposé par le psychosociologue Jean Epstein et qui peut se traduire par des
modes de partenariat visant à aider les familles dans leur rôle de soutien et
les écoles dans leur rôle de compréhension des familles.
L’école a donc tout intérêt à s’ouvrir réellement à la mixité sociale et culturelle des familles, à la prise en compte des difficultés rencontrées par les parents, selon un mode bienveillant, traduisible au quotidien par des lieux passerelles pouvant accueillir des parents avec des horaires moins contraignants pour eux et les enseignants à différents moments de l’année, dans des cadres moins rigides, avec des activités périscolaires sollicitant les compétences parentales et destinés à « construire un corpus commun de valeurs éducatives à l’école et aux familles »[13]
CONCLUSION
Il est difficile de
croire à l’arrivée sur le « marché familial » d’une génération
spontanée de parents démissionnaires inaptes à éduquer leurs enfants. Le
problème est bien plus complexe que ce que le slogan facile de la « démission
parentale » tend à faire croire. Bon nombre
d’enquêtes le confirment[14], rares sont les parents qui ne se soucient
pas du parcours de leur enfant.
Malgré cela, la conviction d’une démission éducative des parents en
situation socio-économique difficile n’en reste pas moins fortement ancrée à
tous les niveaux du système éducatif. Un système qui ne s’est pas encore remise
en question et qui a du mal à s’adapter aux évolutions de la société et des
familles. Cette évolution résulte aussi de la complexité grandissante de la
fonction éducative, de l’engagement professionnel des deux
parents, de l’instabilité et de la précarité sociale et culturelle des familles
de milieux populaires.
Lorsque la position
sociale de la famille contredit de fait la promesse d’un destin
social acceptable, pourquoi le jeune prendrait-il vraiment au sérieux ses
parents dont il est loin de voir en eux un modèle? [15]
Lutter contre l’échec scolaire et
l’impuissance passe naturellement par la lutte contre la précarité.
Un nombre non négligeable de ces parents
se sente dépassés car confrontés à des difficultés de vie qui sont souvent
incompatibles avec l’exercice de leurs responsabilités parentales.
Pour y faire face, des organismes
ont été créés et sont, le plus souvent, subventionnés par les pouvoirs publics
en vue de soutenir les parents dans leur fonction avec l’objectif de leur
proposer des espaces de discussion, d’échanges et de formations, en veillant à
éviter des modèles ou des normes éducatifs.
Le monde associatif a bien saisi
l’importance de ce soutien parental :
de nombreuses associations dispensent parallèlement aux écoles de devoirs, des
ateliers de calcul, d’alphabétisation, de langues, d’initiation à
l’informatique et de nombreuses activités culturelles. Ces activités répondent
aux attentes et besoins de ces parents et contribuent à renforcer leur
« accrochage » face à l’éducation et à la scolarité de leur enfant.
Affirmer que la soi-disant
« démission parentale » est responsable de l’échec scolaire, c’est avant
tout placer la responsabilité
éducative sur le dos uniquement des parents, ce qui déresponsabilise bien trop
facilement l’ensemble des adultes présents à l’école. Le personnel des écoles
de devoirs, des services d’accueil extrascolaire (dont les garderies scolaires)
sont tous concernés par l’éducation des enfants et la transmission des règles
de savoir-vivre. Tous ont leur rôle à jouer.
Concernant le rôle dévolu aux parents, Edmund Bergler conclut son étude en
ces termes : « Tout ce que l’on
peut raisonnablement attendre des parents est qu’ils fassent de leur mieux pour
les enfants. »[16]
[1] http://www.ecolesdedevoirs.be/qui-sommes-nous
[2] Laurence Giovannoni, « La démission
parentale facteur majeur de délinquance : mythe ou réalité ? », Sociétés et jeunesses en
difficulté, n°5, printemps 2008.
[3] Mahy Ch. Parents
pauvres au quotidien, in Revue Politique, Revue de débat, num. 68
janvier-février 2011.
[4] Indicateurs de l’enseignement 2019,
page 26,27
[5] Ibid.
[6] MEIRIEU PH.,GUIRAUD
M.,L’école ou la guerre civile, Plon,Paris,1997
[7] FAPEO, Joëlle Lacroix
– Ne cherchez plus, c’est la faute aux parents, 2011
[8] https://www.rtbf.be/info/societe/detail_burn-out-parental-20-des-parents-se-disent-au-bord-du-gouffre?id=10060492
[9] L.Mucchielli, La démission parentale en question : un bilan de recherches, Centres
de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions pénales, Bulletin
d’information, France 2000.
[10] www.parentalite.cfwb.be
[11] Coéducation :
quelle place pour les parents. Dossier de
veille de l’IFE « num..98 », janvier 2015
[12] Ibid.
[13] Georges Fotinos, Le divorce école-parents en France, mythe et
réalité en 2015, Enquêtes quantitatives auprès des directeurs d’école
maternelle et élémentaire, des personnels de direction des lycées et collèges
et des parents d’élèves.
[14] Travaux de B. Lahire, Tableaux de familles. Heurs et malheurs
scolaires en milieux populaires, Paris, Gallimard/Seuil, 1995. D. Thin, Quartiers populaires. L’école et les
familles, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1998.Ch. Mahy, Parents pauvres au quotidien, in, Revue
politique, Revue de débats n° 68, janvier-février 2011.
[15] L.Mucchielli,
La démission parentale en question :
un bilan de recherches, Centres de Recherches Sociologiques sur le Droit et
les Institutions pénales, Bulletin d’information, France 2000.
[16] E. Bergler, Les parents ne sont pas responsables des névroses de leurs enfants. La
peur injustifiée des parents de commettre des erreurs, édit. Payot, 2001,
sur http://www.megapsy.com/auttre_bibli/biblio010.htm
Déc 4, 2019 | Contre l'échec scolaire, Handicap, Intégration scolaire, Positions de la Ligue
Pour une collaboration entre les équipes de l’enseignement spécialisé et de l’enseignement ordinaire[1]
Ghislain Magerotte* et Dominique Paquot**
*Professeur émérite (UMons) **
Directeur de l’école fondamentale Singelijn
« La pierre n’a point d’espoir d’être autre
chose que pierre
Mais de collaborer, elle s’assemble et devient
temple »
Antoine de Saint-Exupéry [1]
[1] Message transmis à l’occasion du décès du Professeur Jean-Jacques Detraux (ULB et ULiège) avec qui nous avons collaboré durant des années dans le cadre de la Ligue des droits de l’enfant.
Le
thème d’une école inclusive fait partie des préoccupations de beaucoup de
parents d’un élève en situation de handicap, ainsi que des associations de
parents et de professionnels concernés. Ils réalisent en effet que le handicap
fait et fera toujours partie de l’expérience de tous les hommes et que la
situation de handicap ne sera pas facile à vivre par les personnes concernées.
Aussi, se pose la question qui hante parents, professionnels, politiques et
autres responsables qui se mobilisent pour une école inclusive : les adultes
en situation de handicap vivront-ils
mieux au sein de la cité si durant leurs années de scolarité, ils ont appris à « vivre bien avec leurs
condisciples » dans une école inclusive ? Cette question renvoie à
une autre : les condisciples des élèves à besoins spécifiques ont-ils eux
aussi appris à « vivre bien avec la différence » ?
Rappelons
d’abord que ce mouvement « vers une école inclusive » dépasse le
cadre de la Fédération Wallonie-Bruxelles et s’appuie sur un mouvement
international qui a questionné l’enseignement spécialisé et sa place
concernant l’accueil des élèves à besoins éducatifs spécifiques dans le système
scolaire ordinaire (Déclaration de Salamanque, 1994). De plus, la Convention
des droits des personnes handicapées (2006, et ratifiée par la Belgique en
2009) a rappelé dans son article 24 le droit d’un enfant en situation de handicap
à devenir élève d’une école inclusive. D’ailleurs de nombreux pays ont mis en place un système
scolaire inclusif comme l’Italie, mais se heurtent encore à des résistances de
la part des écoles spécialisées existantes, des systèmes scolaires et également
de certains parents et/ou associations de parents (voir par exemple le rapport
de Caraglio
& Gavini, 2018, sur l’inclusion des élèves en situation de handicap en Italie).
Enfin, de nombreuses recherches internationales en éducation spécialisée ont
analysé les pratiques éducatives au sein d’une école inclusive.
Rappelons
d’abord ce que dit l’avis n° 3 sur le droit de l’enfant : « le
principe d’une démarche évolutive doit être à la base de l’organisation de
l’école inclusive en FWB depuis l’enseignement maternel et jusqu’à la fin de la
scolarité de l’enfant, en confirmant le droit de chaque élève d’être inscrit
dans l’enseignement ordinaire, sans possibilité de refus d’inscription au motif
que l’école nécessiterait des aménagements raisonnables ou que l’enfant ne
serait pas capable d’assimiler la matière enseignée ».
Afin
de bien cerner l’impact de ce mouvement « vers une école inclusive »
en Wallonie et à Bruxelles et le défi qu’il constitue pour les élèves et
leurs parents, les professionnels, les responsables politiques, il importe
d’abord de présenter succinctement l’histoire de l’enseignement spécialisé,
ensuite de définir l’école inclusive, et enfin de proposer quelques stratégies
que devrait implanter l’école inclusive dans l’enseignement fondamental[1].
- Brève
histoire de l’enseignement spécialisé en Wallonie et à Bruxelles
Si les enfants ayant des déficiences sensorielles ou mentales ont été
« éduqués » dès le 19ème siècle par quelques pionniers français
de l’éducation (comme Itard, Seguin, Bourneville, Valentin Haüy, L’Abbé de
l’Epée) et par des associations caritatives, plusieurs écoles s’ouvrent aussi
en Belgique : l’Institut Royal pour Handicapés de l’Ouïe et de la Vue-IRHOV
à Liège en 1819 et l’Institut Royal pour Sourds et Aveugles-IRSA à Bruxelles en
1835. Au début du XXème siècle, en 1905, Decroly organise une école à Bruxelles
pour les enfants « irréguliers » qui à l’époque n’étaient pas
scolarisés.Cependant, il a fallu
attendre la fin des années 50 et les années 60 pour assister à un développement
considérable de l’enseignement spécial, grâce à la mobilisation de certaines
associations de parents, la richesse des « golden sixties » et
la croissance de la population scolaire. Cette évolution a été couronnée par le
vote la loi du 6 juillet 1970 sur l’enseignement spécial, loi-cadre devant
assurer, grâce aux arrêtés d’application successifs, la mise en place d’un
enseignement spécial autonome pour les élèves « aptes à suivre un
enseignement mais inaptes à le suivre dans une école ordinaire ». L’enfant avec un handicap est devenue un élève
« spécial » !
Si cette loi de 1970 a entraîné la suppression des « classes
spéciales annexées » aux établissements d’enseignement ordinaire, elle
a néanmoins permis à des élèves handicapés d’être scolarisés dans
l’enseignement maternel et primaire ordinaire, grâce à la générosité et au
dynamisme de certains directeurs et enseignants et à la demande de parents,
dans le cadre de ce qu’on a appelé une « intégration sauvage ».
D’ailleurs, dès le départ, l’arrêté d’organisation de l’enseignement spécial
prévoyait des possibilités d’intégration sur une base individuelle. Ces
possibilités se sont développées ensuite, concernant surtout les élèves
relevant des types d’enseignement 4 (handicap physique), 6 (handicap visuel) et
7 (handicap auditif) en 1995.
De plus, cette loi de 1970 est devenue en 1986 la « loi sur
l’enseignement spécial et intégré », puis elle a été remplacée par le « décret
sur l’enseignement spécialisé » en 2004, revu aussi à plusieurs
reprises. Ce décret a progressivement pris plusieurs dispositions concernant la
scolarisation et l’intégration scolaire. Les dispositions les plus
importantes concernent les modalités d’intégration (permanente totale et
permanente partielle, temporaire totale et temporaire partielle) et l’accès à
l’intégration des élèves relevant de tous les types d’enseignement. De plus, il
a prévu le développement d’une collaboration importante entre l’enseignement
spécialisé et l’enseignement ordinaire assurant le suivi des élèves bénéficiant
d’une intégration totale (permanente ou temporaire) par des professionnels de
l’enseignement spécialisé durant un certain nombre d’heures par semaine. Par
contre, le décret a mis en place un processus d’intégration relativement lourd
impliquant un respect contraignant de dates, l’accord de tous les partenaires
et le subventionnement des écoles ordinaires seulement après une année
d’intégration réussie.
D’autre part, depuis une quinzaine d’années, quelques classes
spécialisées sont accueillies dans des écoles ordinaires, dans le cadre de
l’intégration partielle, les élèves suivant certaines activités dans les
classes ordinaires. Ce système connaît un développement récent, via la mise en
place de classes dites inclusives. De plus, la référence au
handicap a été supprimée et remplacée par celle de « besoins spécifiques ».
Enfin, la Fédération
Wallonie-Bruxelles a lancé une réflexion systémique sur tout le système
d’enseignement, y compris de l’enseignement spécialisé, dans le cadre du Pacte
pour un Enseignement d’Excellence. Ce Pacte est à présent entré dans sa phase
de réalisationet plusieurs points sont essentiels pour l’avenir de
l’enseignement spécialisé. Les documents actuels, et notamment l’avis n° 3, évoquent
à plusieurs reprises l’engagement vers une « école inclusive », sans
toutefois la définir. Aussi, nous proposerons
une définition de l’école inclusive.
De plus, le Pacte
envisage la constitution de pôles territoriaux qui, dans son projet d’avis n°
3, « assureront la
mutualisation par bassins géographiques des moyens dédiés à l’accompagnement
des élèves en intégration permanente totale dans l’enseignement ordinaire. »
Son rôle et sa mission sera « de
garantir la qualité de l’encadrement et de l’accompagnement que les
établissements du pôle territorial pourront proposer pour tenir compte des
besoins spécifiques des élèves ». Il est également prévu « la possibilité de créer, sur une base
volontaire, de tels pôles en inter-réseaux, en particulier dans les zones dans
lesquelles le nombre d’élèves concernés et, par voie de conséquence, les moyens
alloués n’atteignent pas le niveau critique minimum ».
Si l’on se place dans l’optique d’une école inclusive,
réclamée à plusieurs reprises dans le projet d’avis, le pôle territorial pourrait
regrouper tous les personnels des écoles spécialisées d’un territoire déterminé
(défini en fonction de la population, des moyens de transport public, de
l’attraction de certaines villes…) en vue de mettre ce personnel
spécialisé à disposition de toutes les écoles ordinaires d’un bassin
géographique déterminé; ces écoles spécialisées deviendraient en quelque sorte un
« centre de ressources spécialisées » (terme à la mode, mais
approprié !). Il est à remarquer que le décret de 2004, revu en 2013,
prévoyait d’ailleurs l’existence de « zones », essentiellement au
niveau de la gestion de l’enseignement spécialisé et de ses personnels ainsi
que les entités géographiques qui les composent.
Le développement des pôles
territoriaux permettrait aussi de faire face à une difficulté pratique majeure
qui tient au fait que des professionnels venant de plusieurs écoles d’enseignement
spécialisé travaillent au sein d’une même école inclusive. Comment organiser
leur horaire, en respectant les besoins des élèves et les contraintes des
écoles ? Une solution pratique consisterait à procéder en octroyant un
temps plein pour 5–6 élèves – à condition que les exigences de
compétences soient bien prises en compte.
De plus, cela permettrait de revoir le fonctionnement du
transport scolaire vers des écoles plus proches du domicile de l’élève, prônant
davantage l’utilisation, accompagnée notamment au début, des transports en
commun et évitant de faire perdre progressivement à l’élève ayant des besoins
spécifiques ses relations dans son quartier et son inclusion sociale. Cette
évolution faciliterait la proximité géographique des élèves de leur école. (Retour
sur l’après-midi E-MOBILE du 7 mars 2018 « Échanges sur le transport
scolaire vers l’enseignement spécialisé » organisés par le Délégué général
aux droits de l’enfant, UNIA et la Ligue des familles).
Enfin, le Pacte pour un enseignement d’excellence constate aussi une évolution
très importante de la population scolaire, au point que celle-ci a crû
considérablement au cours des dernières années, passant de quelques 3,5 % dans
les années 70 à environ 5% en 2018. En effet, si l’enseignement spécialisé a
accueilli au début des élèves ayant des déficiences importantes, notamment ceux
ayant une déficience intellectuelle modérée ou sévère, il a aussi accueilli davantage
d’autres populations en échec scolaire. C’est le cas en particulier des élèves
ayant des troubles d’apprentissage ou issus de milieux défavorisés. Cela
nécessite aussi une analyse attentive des pratiques d’orientation vers l’enseignement
spécialisé par les centres PMS.
Brièvement esquissée ci-dessous, l’évolution de l’enseignement en
Wallonie et à Bruxelles se révèle assez différente de celle d’autres pays
européens. Sans faire ici oeuvre d’histoire comparative des systèmes scolaires,
rappelons quelques éléments qui caractérisent notre enseignement. D’abord, la
coexistence de trois réseaux d’enseignement répond au critère constitutionnel
de la liberté d’enseignement et est parfois perçue comme marquée par une
perspective de compétition. Elle permet aussi le respect de la liberté de choix
des parents, fondamental lui aussi. De plus, depuis les années 60, les
personnes en situation de handicap ont d’abord été prises en compte dans le
système médico-social (via le Fonds National de Reclassement Social des
Handicapés dès 1963 et le Fonds de soins médico-socio-pédagogiques en 1997),
avant de relever en 1970 – enfin ! – du Ministère de l’Education, en
particulier via l’obligation scolaire : les enfants et adolescents « handicapés »
accédaient enfin au statut social d’élèves et étudiants.
- Qui sont ces élèves à besoins
spécifiques accueillis dans une école inclusive : les démarches du diagnostic
Le décret de 2004 concerne l’accueil des enfants et adolescents « à besoins spécifiques », qui
doivent « bénéficier d’un
enseignement adapté en raison de leurs besoins spécifiques et de leurs
possibilités pédagogiques » ; il ne
parle plus de handicap, sauf à l’article 6 relatif à la définition des types
d’enseignement spécialisé : « Chacun de
ces types comporte l’enseignement adapté aux besoins éducatifs généraux et
particuliers des élèves relevant de l’enseignement spécialisé appartenant à un
même groupe, besoins qui sont déterminés en fonction du handicap principal
commun à ce groupe ».
Quant à l’Article 1 du Décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques adopté le 7 décembre 2018, il définit le besoin comme « résultant d’une particularité, d’un trouble, d’une situation permanents ou semi-permanents d’ordre psychologique, mental, physique, psycho-affectif faisant obstacle au projet d’apprentissage et requérant, au sein de l’école, un soutien supplémentaire pour permettre à l’élève de poursuivre de manière régulière et harmonieuse son parcours scolaire dans l’enseignement ordinaire fondamental ou secondaire ». Il n’est plus ici question de handicap, mais de particularité, de trouble ou d’une situation « d’ordre psychologique, mental, physique, psycho-affectif » mais sans évoquer les aspects sensoriels ! S’il est sans doute difficile de se passer d’un diagnostic comme une déficience intellectuelle, un autisme, une dyslexie, etc., encore faut-il ne pas se limiter à ce diagnostic et envisager une évaluation davantage fonctionnelle de l’élève (attention, perception, mémoire de travail, etc.), tout en ne se focalisant pas sur les points faibles (« il y en a chez tout le monde ! ») mais aussi sur les forces. De plus, il faut adopter une démarche davantage interactive avec les barrières auxquelles se heurte l’enfant avec un handicap, telle que les envisage l’ONU : « Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières comportementales et environnementales peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. ». Le handicap doit donc être défini comme une participation limitée à la vie en société de personnes qui ont certes des incapacités durables mais qui rencontrent en même temps diverses barrières comportementales et environnementales à cette participation sur la base de l’égalité avec les autres. En d’autres mots, il faudra aussi investiguer ces barrières actuelles (aussi bien tenant aux personnes, à leurs comportements, leurs attitudes qu’aux environnements), envisager les obstacles à diminuer ou supprimer et enfin à proposer les situations éducatives les plus favorables au développement de ces élèves dans une école inclusive. Ce sera le rôle des Centres PMS ainsi que des services de diagnostic de mettre en pratique des méthodologies pour identifier ces besoins spécifiques, tenant compte de toutes les évaluations réalisées de l’élève ainsi que des barrières qui ont un impact sur sa scolarité.
Lire ici la suite : Une école inclusive, c’est …
[1] Ce texte ne concerne pas l’école
secondaire inclusive, en raison du fait que la mise en place du tronc commun dans
l’enseignement secondaire ne sera pas opérationnelle avant plusieurs années.
[1] Ce texte s’appuie sur une collaboration de
longue date avec des parents d’un élève en situation de handicap et de
professionnels dans le cadre de la Ligue des droits de l’enfant, animée par
Jean-Pierre Coenen.
Déc 4, 2019 | Contre l'échec scolaire, Egalité de genres, Intégration scolaire, LGBT, Nos conférences
Introduction
L’objectif de notre colloque était de porter une réflexion sur le « Comment accueillir à l’école toutes les
différences liées au genre » ? A termes, nous souhaitons que les
écoles soient labellisées « Ecoles Pour Tou.te.s ». Nous avons lancé une
invitation à chaque école bruxelloise, de la maternelle à la fin du secondaire.
Nous devons constater qu’il est plus que difficile de conscientiser les gens et
les mobiliser pour réfléchir ensemble à toutes les problématiques qui tournent
autour de la thématique de la transidentité et de l’homosexualité.
Notre colloque avait pour objectif d’apaiser les craintes que pourraient
avoir certaines écoles, certain·e·s intervenant·e·s, sur la définition d’une
école pour tou.te.s et de répondre à leurs questions.
Durant le colloque nous avons organisé 2 tables rondes : La 1ère table ronde (qui est abordé aujourd’hui) était
composée de jeunes et de familles qui ont témoigné de leur vécu ou de celui de
leurs enfants à l’école. Un débat a ensuite eu lieu avec la salle.
La seconde table ronde faisait intervenir des professionnel·le·s. qui ont
abordé la question des moyens et de tout ce qui devrait être mis en place dans
les écoles pour accueillir des enfants LGBTQI. Une fois encore, le public a pu
débattre avec le panel d’intervenant·e·s. Cette table-ronde vous sera présentée
fin décembre.
Table ronde n°1
Familles et jeunes se reconnaissant dans le combat pour les droits des personnes LGBTQI
Comment avez-vous vécu votre scolarité ou celle de votre enfant par rapport à votre/son orientation sexuelle ou à sa/votre transidentité ?
La première intervenante, une étudiante de secondaire, nous explique qu’elle
a dû changer d’école après avoir découvert son homosexualité. Elle était dans
une école où avouer son homosexualité librement n’aurait pas été accepté, y
compris par les professeurs. Cette situation a été très dure pour elle. Aujourd‘hui
elle est dans une école où elle ressent une ouverture d’esprit. Elle arrive beaucoup
mieux maintenant à en parler et à mieux vivre son homosexualité.
La 2ème intervenante, personne trans, membre de « Genres
pluriels »[1] , explique
qu’elle a eu de la chance d’avoir été dans une école et dans une classe avec
des personnes ouvertes d’esprit. Quand elle a fait son coming out en tant que
personne transgenre, elle a ouvert un compte Facebook pour l’annoncer à sa
famille, à ses amis et à toute son école. Elle a ensuite pu aisément engager la
conversation sur le sujet avec toutes ces personnes. Elle s’est sentie bien
accueillie à la rentrée par les élèves de sa classe ainsi qu’avec ses
professeurs et le directeur de l’école. Si certain·e·s enseignant·e·s ont très
bien réagi à son coming out, d’autres se sont montré·e·s réservé·e·s et même fermé·e·s
d’esprit, y compris le directeur d’école. Elle était donc plus à l’aise avec
les élèves qu’avec certain·e·s professeur·e·s et le directeur d’école.
Le 3ème intervenant est membre de l’asbl Homoparentalités. C’est
un instituteur primaire. Durant sa scolarité, il n’a pas ressenti le besoin
d’assumer son homosexualité. Sa préoccupation actuelle concerne ses propres
enfants qui doivent assumer à l’école le fait d’être les enfants de deux papas
et non ceux d’un papa et d’une maman.
Dans les jours qui suivent ce colloque, viendra la fête des mamans. En prévision
de cette date, ce papa enseignant a amené une réflexion au sein de son école
avec ses collègues. Il y a des schémas de familles très différents qui dépasse
le cadre de l’homoparentalité. Lorsqu’on propose une activité à l’école, celle-ci
n’est pas toujours en adéquation avec les réalités vécues par les enfants. Par
ce dialogue et cette réflexion, cet enseignant et ses collègues ont pu mettre certaines
choses en place. Par exemple, celles de faire avec les enfants une activité qui
leur demande de faire un cadeau pour les gens qu’ils aiment, afin de ne pas trop
bousculer le schéma familial habituel. Les enfants font ainsi un double cadeau non
genré ; libre ensuite à eux d’offrir
ces cadeaux à qui ils veulent.
Le 4ème intervenant, membre également de l’asbl Homoparentalité
est papa de deux enfants. Pour lui, cette charte pour une « Ecole Pour Tou.te.s »
est capitale. Elle encourage l’ouverture d’esprit dans les écoles. Il adhère au
témoignage de l’intervenant précédent et évoque les problèmes résultant de la
confection des documents administratifs, où les cases à remplir par les deux
parents (père-mère) ne prennent pas en compte les parents homosexuels, pas plus
que d’autres formes de familles re/dé/composées.
La 5ème intervenante est l’initiatrice et co-fondatrice de
l’asbl Transkids Belgique. Cette nouvelle association vient combler un grand
vide associatif en Belgique francophone concernant les enfants trans ou en
questionnement, ainsi que leurs parents. Cette intervenante est elle-même la
fille de deux mamans. Elle a eu de nombreux soucis en raison de cette situation
familiale. En primaire, être l’enfant d’une famille homoparentale a été une
galère pour elle. Elle a perdu du jour au lendemain de nombreux·ses ami·e·s.
Chaque année, la fête des mères et surtout des pères a été vécue assez
difficilement pour elle.
De plus, elle est la maman d’une petite fille trans qui a exprimé très tôt sa différence. Sa fille a fait la première partie de sa scolarité dans une école prétendument « catholique », qui n’était pas du tout bienveillante. L’école a clairement manifesté son hostilité en disant que c’était contraire aux valeurs du pouvoir organisateurs de l’école. Ensuite et grâce à l’intervention du Délégué général aux Droits de l’Enfant, sa petite fille a eu la chance de trouver une école bienveillante qui l’a acceptée telle qu’elle est. Son enfant est maintenant scolarisée en tant que petite fille, donc en respectant son identité sexuelle, et les choses se passent très bien dans son école.
Comment pourriez-vous évaluer ce qui est déjà mis en place et ce qui encore à faire dans les écoles ?
Un intervenant répond qu’il n’y a rien qui est mis en place dans les
écoles. Pour changer et faire évoluer les choses, les initiatives doivent venir,
selon lui, d’abord de l’école et des politiques. Si ces derniers ne font rien,
l’école se doit alors d’être proactive. Il ne faut pas attendre qu’on mette le
cadre aux écoles pour lancer la réflexion.
Un autre intervenant estime qu’il faut que les décisions viennent
« d’en haut », qu’il y a actuellement un « quota de
bienveillance ou non » envers de personnes se trouvant dans des cas
particuliers. Mais toutefois et selon
lui, les choses évoluent positivement : si les cours de gymnastique sont
encore genrés, les choses ont bien bougé depuis les années 70. Quand il était
en primaire dans les années 70, il y avait des cours d’ateliers du bois et du
fer pour les garçons et des cours de couture et de cuisine pour les filles. Il
avait demandé à rejoindre le cours de cuisine et de couture. Cette demande lui
a été tout simplement refusée. Aujourd’hui et même s’il reste encore beaucoup
de choses à faire, personne ne penserait à refuser une telle demande à un
élève.
Une 3ème intervenante estime qu’avec sa fille, elle a vécu
les deux extrêmes en tant que maman : elle a rencontré une école très
bienveillante envers sa fille et une autre école qui ne l’était pas du tout, à
un point tel qu’elle a pensé porter plainte contre cette dernière ; mais
sa lutte avec le corps enseignant l’avait épuisée au point de devoir renoncer à
maintenir sa plainte. L’école avait porté l’ignominie au point de reprocher à
cette maman d’être responsable de la transidentité de sa fille.
Une 3ème intervenante estime qu’avec sa fille, elle a vécu les deux extrêmes en tant que maman : elle a rencontré une école très bienveillante envers sa fille et une autre école qui ne l’était pas du tout, à un point tel qu’elle a pensé porter plainte contre cette dernière ; mais sa lutte avec le corps enseignant l’avait épuisée au point de devoir renoncer à maintenir sa plainte. L’école avait porté l’ignominie au point de reprocher à cette maman d’être responsable de la transidentité de sa fille.
Est-ce
que vous pensez que l’associatif est assez armé pour aller dans les écoles et
interpeller les directions d’écoles ?
Un intervenant qui est enseignant répond que l’école n’a pas une idée
claire sur ce que peut lui apporter l’associatif. Il n’y a pas de points
communs ou de points de relais entre le monde associatif et le monde de
l’école. Il y a des initiatives personnelles qui sont prises de la part de
certains professeurs parce qu’ils sont confrontés à des parentalités très
différentes mais rien de concerté. L’inclusion doit pourtant concerner tout le
monde dit-il, peu importe son problème, son identité de genres ou autres.
Un autre intervenant confirme que cela reste du domaine des initiatives
individuelles, aussi bien de la part d’un directeur que d’un enseignant. Il souligne
selon lui que ce n’est pas un problème de réseau ; ses enfants étant dans une école
confessionnelle, en 9 ans de cours, il n’a vécu aucun incident en tant que
parent.
Un jeune intervenant estime quant à lui que les enseignants verraient
d’un mauvais œil que des associations viennent chambouler les valeurs et la
situation de confort de l’école.
Questions, réactions et témoignages de la part du public
Un participant namurois témoigne de ses difficultés vécues à l’école en
tant qu’homosexuel et des difficultés pour les écoles de savoir comment réagir
face à un élève homosexuel ou transgenre.
Un autre estime que c’est l’Etat qui, en votant une loi, doit obliger
les écoles à se conformer à certains critères d’inclusion. Il y a des
enseignants qui sont prêts à faire le pas et à jouer la carte de l’inclusion, à
inviter les associations concernées pour promouvoir ce type d’inclusion mais
ils n‘osent pas le faire parce que certaines familles d’enfants verraient cette
initiative d’un très mauvais œil. Raison pour laquelle estime cet intervenant, on
a besoin d’une obligation qui vient « d’en
haut ».
Il estime de toute matière que ce n’est pas aux associations de pallier
aux manquements de l’Etat et des politiques.
Le papa d’une fille trans rappelle que c’est d’abord à la Fédération
Wallonie-Bruxelles de faire avancer les questions de la cause homo et
transsexuelle.
Une jeune intervenante trans qui était alors étudiante dans une école
secondaire avait pris l’initiative de demander à la direction de se retrouver
avec les filles pour le cours de gymnastique. Cette demande lui avait été
refusée dans un premier temps. Les deux professeurs de gym, ceux des filles et
des garçons, ont alors pris fait et cause pour elle et ont eu l’idée de faire
une pétition. Ils ont ensuite demandé aux filles de signer la pétition, avec laquelle,
cette jeune intervenante trans est allée retrouver le directeur d’école, avec
ses parents. Directeur qui n’avait finalement d’autre choix que d’accepter que
cette élève aille faire le cours de gym avec les filles.
Une intervenante pose la question de savoir s’il y a des
« alliés » qui se sont manifestés au niveau politique.
Xavier Wyns, l’animateur du colloque, répond qu’il y a le Pacte
d’excellence qui est sur la table et les choses avancent aussi à un autre
niveau, dans le cadre de l’EVRAS qui est l’éducation à la vie relationnelle,
affective et sexuelle. Toute la question est de savoir où on peut intégrer dans
l’EVRAS les notions d’identités de genres et d’orientations sexuelles. Au
niveau politique, il y a aussi une volonté de faire bouger les choses, même si
c’est encore à petits pas pour le moment.
Les projets de la Ligue des Droits de l’Enfant sont de mettre en place le chantier de l’école pour
tou.te.s, de contacter à cet effet tous les partis politiques afin de savoir
comment ils peuvent soutenir le projet qu’on porte, notamment en donnant plus
de moyens aux associations pour aller former et informer dans les écoles.
Un intervenant rappelle qu’on peut faire de grand pas dans la défense des causes homosexuelles et transsexuelles avec peu de moyens. Il estime que c’est d’abord et avant tout une question de bonne volonté : adapter les documents administratifs concernant le genre des deux parents ne coûte pas grand-chose, par exemple.
Lire ici la suite : la table-ronde des professionnel·le·s
Questions qui seront abordées :
- Quel est
ou quels sont les projets au sein de votre établissement en faveur des
personnes LGBTQI+, dans votre PO ou dans votre entité et en faveur duquel ou
desquels vous êtes intervenus ?
- Quelles
sont les forces et les faiblesses du dispositif que vous avez mises en place ?
- Comment
fédérer une équipe au sein de l’école autour d’un projet qui parle d’identité
de genres ou d’orientation sexuelle alors qu’on a tendance à appeler la
RainbowHouse ou d’autres associations quad on a à faire à un élève homosexuel
ou transgenre?
[1] www.genrespluriels.be
Nov 11, 2019 | LIGUE, Positions de la Ligue
« L’école actuelle veut toujours hiérarchiser; ce
qui importe avant tout, c’est de différencier. Cette idée fixe de hiérarchie
provient de l’emploi des divers systèmes usités pour aiguillonner les écoliers:
bonnes ou mauvaises notes, rangs, punitions, concours, prix… Mais il est
entendu que, dans l’école de demain, tous ces expédients seront mis au rancart,
ou n’auront en tout cas plus l’importance d’antan. L’intérêt, tel sera le grand
levier qui dispensera des autres. »
(Claparède, 1920)
Introduction
Avec l’évolution
des droits fondamentaux, l’école a été obligée de s’affranchir des châtiments
corporels ou humiliants. Terminés, les coups de règles sur les doigts, les
« mises au piquet » ou « le nez dans le coin », le bonnet
d’âne et le banc d’infamie.
On pourrait
donc croire que les droits de l’enfant[1] sont
maintenant pleinement respectés par l’Ecole. Ce ne serait qu’une illusion, un
rêve éveillé, une utopie. Mieux, une naïveté coupable ! Les châtiments
corporels ont été remplacés par une violence plus insidieuse, plus dévastatrice
et productrice de plus d’inégalités encore : la cotation des élèves.
Bien sûr, la
cotation ne date pas d’hier et elle a côtoyé les violences physiques qui,
elles, sont antérieures à l’Ecole. Mais, si ces dernières ont disparu, leur
violence s’est déplacée sur ce qui restait de « pouvoir » aux
professeurs : les notes ! Ne pouvant plus frapper les élèves qui
chahutaient ou qui ne comprenaient pas une matière, les professeurs se sont
rabattus sur la dernière maîtrise qu’il leur restait : la sanction par les
notes !
Cela va donc
leur permettre de sanctionner non seulement la manière dont un apprentissage a
été réceptionné, mais aussi l’attitude et le comportement de chaque élève
durant le cours.
Autrement dit, la note a deux usages. Le premier est de » régler ses comptes » avec les élèves qui n’ont pas accroché au cours, qui l’ont perturbé ou été inattentifs, sans avoir à analyser les raisons de ce désintérêt (manque de « sens » de l’apprentissage, cours incompréhensible, mal expliqué, bruits, raisons extrascolaires, …), d’autant plus que cela replacerait le professeur face à ses compétences.
Le second usage de la note est de « sanctionner » et donc de punir les élèves qui n’ont pas compris l’apprentissage, toujours sans devoir analyser les causes qui renverrait encore une fois le professeur face à ses compétences (manque de différenciations pédagogiques, de remédiation, de tutorat, …). Or, un apprentissage ne peut pas être compris par 25 élèves grâce à une seule et même manière de l’enseigner. Si l’on veut que tous les élèves comprennent, il faut mettre en œuvre plusieurs stratégies. Pour 25 élèves, cela signifie mettre en place entre 2 et… 25 méthodes différentes ! Si on ne prend pas la peine de mettre ces approches en place, on abandonne les élèves qui ont le plus besoin d’être aidés. Il est, dès lors, facile de pratiquer la sélection. C’est donc bien un choix personnel de chaque professeur.
Edouard Claparède[2],
cité au début, pensait que les droits de l’Enfant auraient cours au XXIe siècle.
Or, s’il y a bien un lieu qui est exempt de droits, c’est l’école.
Les notes dans
le quotidien de l’école sont une source importante de tensions. Nombreux sont
les étudiants qui ne comprennent pas leurs notes et la conteste. Même les
parents s’interrogent sur son adéquation en fonction du travail de l’élève.
sur la manière dont ils la fabrique. Il ne faut éviter les débats en interne et taire le secret de polichinelle qu’il y a des professeurs plus « sévères » que d’autres, ce qui engendre des inégalités d’évaluations. L’Ecole est une machine à sélectionner et à amplifier les inégalités. Cette sélection se fait principalement par la note et par la complicité de professeurs qui ne se posent pas la moindre question sur leurs pratiques, et encore moins sur leur propre compétence et leur responsabilité personnelle dans la fabrication de ces inégalités.
Deux tropismes[4]
éclairent notre système scolaire au sujet des notations. Le premier se dit à la
salle des « profs[5] » :
« Ma classe est composée de quelques élèves
“faibles”, d’un gros ventre mou d’élèves “moyens” et de quelques élèves
“forts”. Cette distribution, je dois retrouver dans mes résultats ! ».
Le second tropisme s’adresse aux élèves : « Avec les fautes que tu as faites, je n’ai pas d’autre solution que de
te donner une moyenne qui te fera redoubler ton année ! » Ce sont deux
« actes réflexes » (donc non remis en cause et encore moins analysés),
qui vont décider de l’avenir d’un être humain. Et cet avenir va durer 70 ans. Autant d’années à souffrir de la décision
inhumaine d’un être qui se prétend humain, et qu’un enfant a croisé par le plus
grand des hasards dans une école pendant une petite année. Un être qui ne
s’interroge pas sur sa propre humanité, qui n’aura plus jamais aucun lien avec
cet élève dont il sacrifie l’avenir, et sur qui cette décision de sélection
n’aura pas le moindre impact, au contraire de l’enfant qui devra porter cette
marque d’infamie tout au long de son existence.
Evaluer, c’est
« porter un jugement sur la valeur de…[6] ».
Quand on évalue, il s’agit bien de porter un jugement. Il y a donc à chaque
fois subjectivité (jugement de « valeur ») et imprécision
(approximation). Ce sont les deux caractéristiques des notes.
Ces jugements
de valeur sont souvent basés sur une conception naturaliste de l’intelligence.
Des enfants seraient doués pour les études et d’autres, au contraire, seraient doués
pour les travaux manuels. Cette conception est régulièrement portée par les
partis politiques néolibéraux qui ont une caractéristique commune, c’est qu’ils
n’ont aucune personne compétente en matière d’enseignement dans leurs partis. A
tout le moins en France et en Belgique. D’ailleurs, cette « vérité »
néolibérale est tellement dépassée qu’aucun chercheur en psychologie ou en
sociologie ne se lèvera pour la défendre.
Hors les
écoles à pédagogie active qui, elle, ont décidé de respecter leurs élèves, La
plupart des institutions scolaires persistent à vouloir attribuer une note à
toute production. Pourtant, et cela a été démontré depuis plus d’un siècle, le
système d’évaluation par notation est tellement subjectif qu’il ne reflète
jamais le niveau réel de l’élève en matière d’acquisition des apprentissages. Jean-Jacques Bonniol[7],
professeur des universités en sciences de l’éducation, a par exemple calculé
qu’il faudrait 78 correcteurs en mathématique et 762 en philosophie pour
neutraliser les erreurs de calcul et améliorer l’objectivité de la notation.
La cotation est commode et ne nécessite aucune compétence pédagogique.
Il ne faut pas trop réfléchir, elle est vite donnée et le nombre d’échecs
déterminera la « qualité » du professeur. Elle permet de mettre les
élèves en compétition et de sélectionner ceux qui ont le plus de
« facilités scolaires », ceux qui proviennent des milieux les plus
favorisés, tout en « criminalisant » les autres et en se débarrassant
de ceux qui nécessiteraient plus d’investissement pédagogique. C’est donc de leur faute et de celle de
leurs familles qu’ils sont en échec.
La cotation est le signe extérieur de la compétence d’un établissement
scolaire. Elle est pratique : le professeur et l’école peuvent ainsi se dédouaner
de leurs incompétences ou de leur idéologie de sélection sociale et, par
là-même, de leurs décisions touchant à l’avenir des élèves.
Pour la plupart des parents élitistes, la « bonne » école est celle qui pratique l’échec scolaire. Pour
eux, les écoles qui font « réussir » seraient « laxistes ». Ceci explique la
dévotion qu’ont ces écoles et les professeurs qui y exercent par rapport à la
notation.
Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les
actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000
notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et
sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.
Dans un collège français de 600 élèves, le principal a dénombré les actes d’évaluation délivrés sur l’ensemble d’une année scolaire : 90 000 notes, soit 150 par élève en moyenne. Certains professeurs évaluent et sélectionnent plus qu’ils n’enseignent.
Lire la suite :
Evaluer, pour quoi faire ?
Les notes ont-elles toujours existé ?
Les notes, une question qui se pose depuis longtemps
Alors, pourquoi les professeurs tiennent-ils aux notes ?
Que pensent les parents des notes ?
Les notes antérieures des élèves influencent-elles les professeurs ?
Le redoublement a-t-il un effet sur l’évaluation professorale ?
Comment se passe la relation professeur/élève dans ce contexte ?
Tous les élèves sont-ils logés à la même enseigne ?
Les notes sont-elles imprécises et productrices d’inégalités scolaires ?
Les profs disent que les notes ont un « effet stimulant ». Est-ce prouvé ?
Si la note est inefficace, comment faire, alors ?
En définitive, la notation est-elle une maltraitance ?
Quelles sont les alternatives à la note ?
Supprimer les notes, ne serait-ce pas tromper les élèves ?
Comment font les pédagogies actives, qui n’utilisent pas la note ?
Conclusion
[1] Voir la CIDE (Convention Internationale des Droits de l’Enfant » –
ONU 1989.
[2] Edouard Claparède était est un médecin neurologue et psychologue suisse
(1873-1940). Ses principaux centres d’intérêt furent la psychologie de
l’enfant, l’enseignement et l’étude de la mémoire. Claparède est l’un des deux
ou trois psychologues qui ont profondément nourri la psychologie de Piaget,
notamment par sa psychologie de l’enfant et par sa psychologie de
l’intelligence.
[3] Pierre Merle. Les notes. Secrets de fabrication. PUF 2007
[4] Tropisme : réaction élémentaire ; acte réflexe très simple.
[5] Si, pour nous, l’école de la cotation est un lieu où il ne devrait pas
être mis d’enfants, la salle des « profs » est un lieu où il ne faut
surtout pas mettre d’enseignants. On y entre avec une idéologie de réussite
pour tous et les doxas qui y sont véhiculées par des professeurs
d’arrière-garde, vous rendent pareils à eux, discriminants, incompétents et
injustes.
[6] Le Petit Robert, 1999
[7] Ancien professeur des universités,
Jean-Jacques Bonniol est le fondateur et ancien directeur du département des
sciences de l’éducation à l’Université de Provence, Aix-Marseille (France).
Sep 27, 2019 | Communiqués de presse, Contre l'échec scolaire, Handicap, Intégration scolaire, Nos conférences, Positions de la Ligue
Sur le problème de l’école inclusive, la DPC est une fois encore mi-chèvre, mi-chou. Mais commençons par nous réjouir de ce qui est très positif. Le Gouvernement s’engage à Accompagner les enfants qui connaissent des troubles de l’apprentissage et (à) garantir une école inclusive qui prend en compte les besoins spécifiques des enfants. C’était déjà un engagement du Pacte, et le Gouvernement s’engage à le mettre en oeuvre. Nous rappelons que chaque année plusieurs milliers d’enfants n’ayant aucun handicap autre que social ou ayant un ‘DYS’ sont orientés vers l’enseignement spécialisé.
Autre point très positif de la DPC est le projet d’Améliorer significativement l’accessibilité des infrastructures et des cursus (supports de cours, aides à la communication, accompagnement, etc.) afin de favoriser l’inclusion scolaire de tous les élèves. Les aménagements physiques ne suffisent pas à permettre l’intégration de nombreux élèves ayant une déficience. Les aménagements raisonnables nécessitent souvent des supports de cours adaptés (Police de texte adaptée aux ‘Dys’, feuilles de couleurs, programmes informatiques, …), ainsi qu’un accompagnement spécialisé, souvent fourni par l’enseignement du même nom.
Voilà pour le très positif. Avant de passer à ce qui nous inquiète, il y a l’entre deux : une proposition floue, à l’instar du Pacte dont elle reprend le manque de clarté. La DPC envisage de Diminuer le nombre d’élèves fréquentant l’enseignement spécialisé en favorisant l’inclusion dans l’enseignement ordinaire chaque fois que cela s’avère possible et en dégageant les moyens nécessaires à leur inclusion. On pourrait trouver cela formidable. Seulement tant la DPC que le Pacte ne précisent pas de quels enfants on parle. Sont-ce les élèves avec un ‘Dys’, des enfants de familles populaires ou des enfants ayant une déficience physique ou intellectuelle ? On sait que le Pacte envisage de ramener le nombre d’élèves de l’enseignement spécialisé au niveau de celui de 2004 (soit 6 000 de moins) sans plus de précisions. L’analyse que nous en faisons est que cela concernera surtout le type 8 et un peu le type 1 qui reçoivent essentiellement des enfants sans le moindre handicap. Pour les enfants vivant avec un handicap, c’est le flou total. C’est un problème : la conception même de l’école inclusive concerne essentiellement les enfants en situation de handicap. Alors, de quoi parle-t-on ?
Parler d’école inclusive sans envisager l’intégration d’enfants en situation de handicap, c’est parler de tout, sauf d’école inclusive. Pour rappel, la Charte de Luxembourg la définit comme une école qui comprend tout le monde avec une structure administrative commune pour l’enseignement spécifique et ordinaire et la collaboration entre les enseignants ordinaires et spécifiques. Une Ecole inclusive est donc une école où tous les élèves qu’ils soient ‘ordinaires’ ou ‘à besoins spécifiques’, se retrouvent dans les mêmes classes et apprennent ensemble (des choses parfois différentes, mais c’est le fait d’apprendre ‘ensemble’ qui est fondamental).
La Convention des Personnes handicapée, signée et ratifiée par la FWB stipule que « Les Etats veillent à ce que les enfants handicapés ne soient pas exclus, sur le fondement de leur handicap, de l’enseignement primaire gratuit et obligatoire et de l’enseignement secondaire. » et que “ Les personnes handicapées puissent, sur base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire ». J’en viens donc à ce qui nous inquiète.
La DPC veut Encourager le développement de classes d’enseignement spécialisé au sein d’établissements de l’enseignement ordinaire afin de permettre l’inclusion effective dans les temps libres et informels. En cela les concepteurs de la DPC comme ceux qui ont élaboré le Pacte n’ont rien compris à l’école inclusive et ne respectent pas les droits fondamentaux des enfants ayant un handicap. Les « classes spécialisés1 » sont une autre manière de faire de la ségrégation. Si les enfants qui y sont accueillis peuvent bénéficier de moments informels – ou pédagogiques – avec les enfants ‘ordinaires’ (La DPC prévoit Le cas échéant, envisager l’inclusion des enfants de l’enseignement spécialisé dans certains cours de l’enseignement ordinaire), ils restent stigmatisés. Ce n’est pas de l’inclusion. Tout au plus de l’intégration, mais surtout cela ne gomme en rien la stigmatisation. Ces enfants sont différents et on le montre bien à tous les autres. Ce n’est pas comme cela qu’on fait société et qu’on forme des citoyennes et des citoyens soucieux des autres.
Autre point qui peut paraître de prime abord comme étant positif dans la PDC est que le Gouvernement veut réduire la problématique du transport scolaire. Sur ce point, soyons clair. Le transport scolaire n’est pas une simple ‘problématique’. Ce n’est ni moins ni plus qu’un système maltraitant. Il doit être interdit ! Mettre des enfants en situation de handicap dans un bus pendant plusieurs heures par jour est scandaleux. La seule solution au transport scolaire est l’école du village, l’école du quartier. Bref, l’Ecole inclusive.
La Charte de Luxembourg, citée plus haut, définit l’école inclusive comme comprenant tout le monde. Or, aujourd’hui encore, notre Ecole discrimine les élèves sur base de leurs origines sociales et culturelles. Elle entretient, voire amplifie les inégalités. Ce n’est en aucune manière une Ecole qui comprend tout le monde du début à la fin des cursus scolaires.
L’Ecole inclusive, au contraire, si elle accueille des élèves en situation de handicap physiques et mentaux, prouve par là qu’elle accueille tout le monde. Si les plus fragiles sont accueillis, si on met en place pour eux des aménagements raisonnables et des pratiques pédagogiques qui vont leur permettre d’apprendre à leur rythme sans être rejetés et orientés, alors par définition, l’Ecole inclusive accueillera tout le monde. Elle sera « formatée » à toutes les difficultés d’apprentissages et pourra accompagner sans les rejeter, tous les élèves, quelles que soient leurs origines, leurs handicaps, leurs difficultés d’apprentissages.
L’Ecole inclusive est l’école pour Tou·te·s par définition. C’est donc aussi l’école sans échec. L’école qui permet à tous les élèves, quelles que soient leurs difficultés de vie, d’acquérir tous les savoirs de base ou, pour ceux qui vivent avec une déficience intellectuelle, tous les savoirs qu’ils sont capables d’emmagasiner. C’est une Ecole qui ne met pas les élèves en compétition et qui permet à chacun·e d’avancer le plus loin possible.
J’ai gardé un point important, qui nous réjouit, pour la fin. Le Gouvernement rappelle que l’enseignement spécialisé s’adresse à des publics à besoins spécifiques. Il souhaite décloisonner enseignement ordinaire et enseignement spécialisé et propose de mettre en place une table ronde de l’enseignement spécialisé afin d’analyser globalement le système en réunissant les spécialistes du secteur. C’est une initiative positive, mais elle ne le sera pleinement que si la société civile y est invitée. Nous appelons donc la Ministre à intégrer à cette table ronde les associations qui portent la lutte contre les orientations abusives d’enfants sans handicap vers le spécialisé et celles qui portent le combat de l’Ecole inclusive pour toutes et tous.
1 Le Décret parle de “classes à visée inclusive”. Cap 48, dans ses publicités radio sucre le « à visée » pour ne parler que de « classes inclusives », ce qu’elles ne sont évidemment pas.
Pour la Plate-forme de lutte contre l’échec scolaire :
Jean-Pierre Coenen, Ligue des Droits de l’Enfant
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