La question mérite d’être posée car les professeurs, dans leur immense majorité, ne savent rien des devoirs à la maison[1]. En cela, ils ignorent complètement une partie du processus des apprentissages qu’ils donnent en classe, ce qui est un comble pour des professionnels. Il s’agit d’un « trou noir » dont ils ne se soucient guère, alors qu’il dit beaucoup sur la manière dont les apprentissages sont faits à la maison. De même que sur le temps passé aux activités exigées, ainsi que sur les difficultés résultantes des explications qu’ils ont données durant leurs cours.

Pour les professeurs, les devoirs permettraient à l’élève de revoir et mémoriser ce qui a été appris en journée, dans un contexte plus détendu que celui de la classe. Les devoirs favoriseraient la réussite scolaire en permettant aux élèves d’avoir de meilleures notes ou les aideraient à élaborer des méthodes de travail et à développer leur autonomie. Cette position serinée et répétée aux parents, depuis qu’ils sont enfants, est forcément partagée par nombre d’entre eux.

Les objectifs des devoirs écrits peuvent répondre à plusieurs finalités[2] :

  • les devoirs de pratique : pour renforcer les acquisitions ;
  • les devoirs de préparation : pour donner aux élèves une connaissance du sujet prochainement étudié en classe ;
  • les devoirs de poursuite : pour faire utiliser aux élèves des concepts dans d’autres situations ;
  • les devoirs de créativité : qui relèvent davantage de l’analyse.

Fort heureusement, certains enseignants ne sont pas favorables aux devoirs. Ils n’entrent pas ou peu dans la dynamique des travaux à faire à domicile. Lorsque c’est une politique d’école, l’engagement leur est facile à prendre. C’est déjà plus difficile quand on enseigne dans une école où les devoirs sont une habitude venue de la « nuit des temps » et qui n’est jamais requestionnée. Dans ce cas, seuls ceux qui ont, non seulement de la bouteille, mais aussi du caractère et de précieux arguments pédagogiques, peuvent se lancer dans des apprentissages qui ne sortent pas ou sortent peu de la classe. Les jeunes professeures et professeurs n’osent généralement pas aller à contre-courant et n’ont pas le cran de devoir se justifier devant des collègues ou une direction conservatrice et peu pédagogue. Ce dossier devrait les outiller, leur fournir assez d’arguments pour refuser d’encore bombarder leurs élèves de travaux à domicile.

Pourtant Dominique Glasman et Leslie Besson de préciser que « les devoirs ne s’inscrivent que rarement dans une politique d’établissement. Ce sont en effet essentiellement les choix individuels qui guident les pratiques de travail dans chaque classe. (…) les professeurs donnent des devoirs davantage pour se conformer à la règle et répondre aux attentes des parents que pour leur utilité pédagogique. Le travail à la maison actuel n’est pas représentatif de l’évolution de l’institution scolaire mais correspond davantage au vécu et aux attentes des parents. De plus, outre le regard des familles, c’est celui des pairs qui justifie a priori le comportement de certains professeurs. En effet, le ‘sérieux’ du professeur semble être associé au fait de donner ou non des devoirs aux élèves.[4] »

Si le fait de ne pas donner de devoirs est une politique dans la plupart des écoles à pédagogie active et/ou soucieuses du bien des enfants et des familles, le fait d’en donner ne s’inscrit que rarement dans une politique d’établissement. Plusieurs choses motivent les professeurs à en donner. D’abord, le désir d’affirmer leur indépendance par rapport à des pressions de l’extérieur[5] réelles ou fantasmées. Ensuite, s’ils donnent des devoirs, c’est le plus souvent pour se conformer à la règle et répondre aux attentes des parents (du moins de ceux qui sont demandeurs). Enfin, outre le regard des parents, c’est celui des collègues qui justifie le comportement de certains professeurs, craignant que leur « sérieux » ne soit remis en cause. A ce titre, la position de la direction semble importante dans le fait de donner ou non des devoirs aux élèves[6].

Ajoutons à ces trois raisons plus qu’étonnantes[7], l’individualisme des pratiques et le manque de communication – et donc de réflexion – entre les professeurs. Si en primaire, les maîtres sont seuls à gérer une classe, en secondaire ils sont parfois une dizaine à devoir gérer le même groupe-classe. Cela génère un casse-tête pour les élèves qui doivent gérer les agendas de plus de dix profs et leurs exigences en termes de travail à la maison. La coordination interne entre disciplines est rarement efficiente[8]. Seuls 6% des lycéens reconnaissent ne jamais être débordés pendant l’année scolaire[9]. Les élèves et leurs familles doivent donc s’adapter et comprendre le rôle et le contenu de chaque devoir en fonction de chaque professeur.


[1] Kravolec E., Buell J., 2001, “End homework now”, Educational leadership, n°58 ( 7) – 2001, p 39 – 42

[2] Glasman Dominique & Besson Leslie : Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école. Rapport public. Paris: Haut conseil de l’évaluation de l’école (2004).

A suivre : Quels types de devoirs demande-t-on réellement dans les écoles ?

[4] Glasman Dominique et Besson Leslie, Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école, Haut Conseil de l’Evaluation de l’Ecole, Paris, décembre 2004, pp. 34-35 dans Les écoles de devoirs : au-delà du soutien scolaire, op. cit., page 9.

[5] Tedesco E., 1985, Les attitudes et comportements des maîtres à l’égard du travail scolaire à la maison dans l’enseignement élémentaire, INRP

[6] Tedesco (1982) citée par Glasman Dominique & Besson Leslie : Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école. Rapport public. Paris: Haut conseil de l’évaluation de l’école (2004).

[7] On peut, en effet, s’interroger sur les compétences pédagogiques de ces professeurs qui ont pour mission de faire de leurs élèves des citoyens réflexifs, progressistes et soucieux des autres, aptes à construire une société plus équitable, alors qu’eux-mêmes démontrent leur incapacité de le faire dans leurs propres pratiques professionnelles.

[8] Glasman D. et al, 1992, L’école hors l’école : soutien scolaire et quartiers, Paris ESF

[9] Barrère A., 1997, Les lycéens au travail, Puf

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