Faut-il interdire ou non le redoublement ?

Le débat sur l’interdiction du redoublement a fait son grand retour. On sait depuis longtemps qu’une partie du monde enseignant y tient viscéralement. Pour celle-ci, supprimer le redoublement reviendrait à encourager la fainéantise et priverait les élèves d’une remédiation indispensable. Nous verrons, plus bas, que le redoublement n’ai qu’un intérêt : il sert les enseignants. C’est pour cela qu’ils y sont attachés.

A entendre les raisons invoquées pour cautionner cette pratique archaïque, on ne peut qu’être consterné par les clichés sans cesse ressassés. Ce sont de vieilles croyances, véhiculées de salles des profs en salles des profs et qui ne reposent sur rien de sérieux. C’est la religion à laquelle chacun se doit d’adhérer pour être reconnu « bon » enseignant ! Or, il en va pour les partisans du redoublement comme pour les adeptes de toute conviction philosophique : les arguments sont tout sauf scientifiques.

Si l’on veut permettre aux citoyens – et donc aussi aux enseignants-citoyens (ceux qui ne « croient pas » ou qui « doutent » et qui forment, heureusement, l’immense majorité de la profession) – de se forger une opinion critique, il me paraît fondamental de quitter toute idéologie pour entrer dans un débat scientifique. Une grande quantité de recherches sur les effets du redoublement a été menée depuis près d’un siècle. Ces études sont aisément disponibles.

Résumons-les rapidement :
Premier constat : toutes les recherches vont dans le même sens ! Les constats sont toujours les mêmes : le redoublement n’a aucun effet correcteur ! Il ne sert absolument à rien ! Un élève qui redouble ne réussit pas mieux l’année recommencée que l’année ratée. Tout au plus remarque-t-on un léger progrès en début d’année (ce qui est heureux pour un élève à qui on enseigne une matière pour la deuxième fois). C’est d’ailleurs sur base de ce « frémissement » que les tenants du redoublement ont l’impression qu’il a un effet correcteur. Mais ce n’est qu’un mirage, ces progrès vont aller en diminuant pour être réduits à néant en fin d’année ou en début d’année suivante. A contrario, un élève en échec qui a la chance d’être promu, progresse plus qu’un élève qui redouble. La promotion a des effets positifs, contrairement au redoublement !

Second enseignement : Le recensement des recherches scientifiques met en évidence la relation entre redoublement et décrochage scolaire. Les élèves qui ont redoublé une fois courent plus de chance de décrocher que ceux qui ont été promus avec les mêmes difficultés d’apprentissage. Plus tôt se fait le redoublement, plus grand est le pourcentage d’abandons scolaires.

Troisième constatation : Ses effets sont psychologiquement dévastateurs : sentiments de honte, de tristesse, de gène, peur des sarcasmes des camarades et des enseignants, souffrance et honte des familles, perte des tissus sociaux. L’étiquette de « doubleur » est lourde à porter. Il s’ensuit une véritable dévalorisation de soi que les psychologues appellent le « sentiment d’incompétence acquis ». En redoublant, l’élève a compris qu’il était incompétent. Pour lui, il est « nul » ! Cette dévalorisation peut durer la vie entière. Un redoublement ou une orientation imposée ont un impact terriblement destructeur sur un individu en construction, et influent sur son existence entière.

Le quatrième constat est encore plus interpellant. Il est démontré que le redoublement n’a d’effet positif que pour l’Institution scolaire et donc, pour les enseignants ! Il répond, en effet, à des fonctions essentielles de la gestion des établissements. Notamment, il permet de gérer l’hétérogénéité et le tri des élèves au sein de l’institution. De nombreuses écoles d’enseignement général sont pyramidales. Plus on progresse dans les études, moins il y a de classes – et donc de places – pour accueillir les élèves. Il faut donc « écrémer ». D’où le refus de nombreuses directions et Pouvoirs organisateurs d’abandonner la pratique du redoublement et de l’orientation précoce. C’est aussi la seule manière de remplir les sections techniques et professionnelles.

Le redoublement permet, également, aux écoles de se positionner stratégiquement par rapport aux établissements environnants. Dans notre « quasi-marché scolaire », il est important d’avoir la meilleure réputation. Une école « exigeante » qui a beaucoup d’échecs sera, à tort, mieux considérée et plus recherchée que l’école qui accueille les élèves mis en échec par celle-ci.

Troisième fonction essentielle pour l’école, le redoublement permet la régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe. Il permet à certains enseignants d’avoir la discipline qu’ils n’auraient probablement pas sans l’aide de cette épée de Damoclès. Cela permet de mieux comprendre l’opposition radicale de certains à l’interdiction du redoublement.

Loin des croyances archaïques, il s’agit d’une vérité scientifique définitivement démontrée : le redoublement est inutile, inefficace, contreproductif et psychologiquement dévastateur.

En somme, la question de l’interdiction ou non du redoublement se résume plutôt à celle-ci : « Faut-il ou non interdire la maltraitance institutionnelle ? » Faut-il ou non interdire une pratique violente, qui n’a aucune utilité pédagogique, qui est une entrave importante à l’épanouissement des enfants, qui hypothèque leur avenir et qui ne sert que les intérêts d’institutions défaillantes et irresponsables ?

Tolèrera-t-on encore longtemps que des enfants, des jeunes, soient en grande souffrance, simplement, parce qu’ils vont à l’école ? L’éducation est-elle un droit de l’Enfant ou un droit des Pouvoirs organisateurs ? A nous de savoir si nous voulons évoluer vers une société juste et respectueuse des Droits de l’Homme ou continuer à n’être qu’une société discriminatoire où le droit du plus faible est systématiquement bafoué, à commencer par l’Institution qui a charge d’éduquer et d’apporter protection durant cette mission.

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