Plusieurs reportages sur différents média ont attiré l’attention du public sur le scandale de l’exil de milliers de personnes handicapées françaises en Belgique.

Au-delà de certains reportages sensationnels, nous devons faire un point. Il n’est pas question de généraliser à l’absolu la dénonciation d’attitudes mercantiles dues à certaines directions d’établissement ou responsables de société et nous rappelons que la plupart des employés belges exercent leur métier avec dévouement dans ces établissements.

Mais les carences françaises ont créé un « business » en Belgique ; le tarif accordé par les organismes financeurs français étant plus intéressant que les subventions belges, surtout que ces dernières sont fixes à l’année, tandis que pour les Français, le prix est calculé à la journée. D’où l’intérêt des établissements de rechercher des résidents le plus loin possible en France, afin que les retours au domicile soient le moins fréquents au possible. C’est ainsi que des associations d’usagers de Perpignan, de Corse… reçoivent des publicités vantant « les mérites » de tel ou tel établissement belge pour personne handicapée !

Cependant, il est vrai que les normes belges étant moins contraignantes que les normes françaises, notamment sur le bâti et le taux d’encadrement, le séjour en Belgique est moins coûteux qu’en France. D’autant plus que les établissements qui accueillent les Français sont pour la plupart des établissements non agréés ni subsidiés par l’Agence Wallonne pour l’intégration de la personne handicapée (AWIPH), mais disposent seulement d’une autorisation de prise en charge (APC). Ce sont des organismes privés, ASBL (Association sans but lucratif) ou sociétés (SA ou SPRL) qui les gèrent. Ils relèvent de l’Article 288 (anciennement article 29) du Code décrétal wallon de l’Action sociale et de Santé et sont soumis à des normes moins strictes que les établissements agréés.

Cela étant, cette réalité rentre en conflit avec la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU, puisqu’elle entraîne une discrimination entre la population étrangère et la population autochtone handicapée.

Mais les associations de défense des usagers handicapés ne sont pas au bout de leur peine pour faire respecter les droits de ces usagers. L’accord-cadre franco-wallon venant de rentrer en vigueur il y a peu prévoyait des contrôles binationaux, afin de pouvoir faire appliquer la législation belge, les bonnes pratiques françaises et surtout, les associations l’espéraient, pouvoir contrôler les éléments outrepassant les compétences de la Région Wallonne en étant dévolues à d’autres gouvernements, telles la scolarisation effective des enfants, l’adéquation de la médication délivrée au dossier médical… Malheureusement, aucun budget n’a été dégagé côté français pour ce faire.
Les derniers évènements médiatiques ont eu pour effet d’entraîner le 1er contrôle conjoint franco-belge. Espérons qu’un budget soit dégagé afin que ce soit plus qu’un « one-shot »destiné à un effet de communication que pour un véritable travail de fond.

Néanmoins, la grande question qui se pose est : quand cet exil de nouvelles personnes cessera-t-il enfin ? S’il n’est pas question de rapatrier contre leur volonté des personnes qui désirent rester dans notre pays où elles ont leurs habitudes, pourquoi n’arrive-t-on pas à endiguer les nouvelles arrivées ?

Plusieurs réponses :
Tout d’abord, l’aspect économique (évoqué plus haut, avec les normes moins coûteuses) ;
Ensuite l’investissement dans le bâti qui serait à effectuer en France ;
(On peut constater par ces deux premières raisons que seul le court terme préoccupe les décideurs français ; que font-ils de la perte d’emplois générée par cet exil ?) Cette manne d’emplois est par contre bienvenue en Belgique !

Le choix des familles qui veulent donner le plus de chance à leur enfant, notamment au niveau de la scolarisation, la Belgique étant reconnue pour ses pédagogies adaptées, notamment au niveau de l’autisme et du polyhandicap ;
Le manque de prévoyance : depuis des décennies, les gouvernements n’ont pas anticipé l’allongement de la durée de vie de la personne handicapée (ce qui est bien sûr une heureuse nouvelle, mais a pour conséquence d’augmenter le manque de places), l’espérance de vie des grands prématurés qu’on sauve aujourd’hui, avec parfois d’importantes séquelles susceptibles d’être à l’origine de handicaps et surtout… la scolarisation calamiteuse des enfants en situation de handicap, notamment les enfants avec autisme, déficience intellectuelle… Aujourd’hui, s’il y a tant d’adultes dépendants, c’est que l’on n’a pas agi afin de leur offrir une chance d’être autonome.

Le pire, c’est que cela risque fort de continuer pendant longtemps, malgré certains frémissements au niveau législatif et dispositions chez nos voisins d’Outre-Quiévrain. On peut saluer ces orientations sur la bonne voie que sont les lois favorisant l’inclusion, mais il y a loin de l’écrit aux réalités du terrain. Le 3eplan autisme français a pris aussi des engagements courageux, notamment quant à la volonté de suivre les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé, la création des Unités d’Enseignement à pédagogie adaptée à l’autisme en maternelle, mais en quantité bien insuffisante pour répondre à la prévalence de l’autisme combinée à la classe d’âge sur les trois ans du plan… 700 places dans le désert qu’était jusqu’à présent la prise en compte de l’autisme en France, alors que sa prévalence ne cesse d’augmenter, c’est bien sûr une très bonne nouvelle pour 700 familles, mais pour les autres ? On peut aussi déplorer que les places de SESSAD (Services d’accompagnement) et les postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap ne seront pas aussi en nombre suffisant, même si leur augmentation est prévue.

Le problème ne fera donc que s’aggraver, et la situation est déjà explosive. Mais quand donc l’Éducation nationale française prendra-t-elle pleinement ses responsabilités ? Quand donc offrira-t-on une vie de dignité et d’inclusion dans la société, à proximité de leurs familles et attaches, à ces enfants et adultes en situation de handicap ? Le verrons-nous un jour ?

Pendant que de nouvelles « Usines à Français », soumises à des normes moindres, poussent comme des champignons, les familles belges elles ne trouvent pas de solutions pour leur proche ! Cependant, en aucune façon les Français ne « prennent » les places aux Belges, puisque ces places n’ouvrent que pour eux et ne sont subsidiées que par la France.

En ces temps d’austérité, ce sont toujours les plus fragiles qui paient le prix fort. Et en premier. On trouve des milliards pour sauver des banques, mais des millions pour arrêter une déportation qui ne dit pas son nom, on ne veut pas les trouver.
Isabelle Resplendino
Pour les personnes concernées : vous trouverez un guide à l’intention des usagers français en situation de handicap en Belgique et de leurs familles ou représentants légaux à télécharger sur le site de l’Association pour les Français en situation de handicap en Belgique, l’AFrESHEB ASBL.

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